Kitabı oku: «Nouveaux mystères et aventures», sayfa 10
Chapitre II
– Jack arrive par le train de deux heures, dit un matin Bob, apparaissant au déjeuner une dépêche à la main.
Je pus saisir au vol un regard de reproche que me lançait Sol, mais cela ne m’empêcha point de manifester ma joie à cette nouvelle.
– Nous nous amuserons énormément quand il sera là, dit Bob. Nous viderons l’étang à poissons. Nous nous divertirons à n’en plus finir. N’est-ce pas, Sol, ce sera charmant.
L’opinion de Sol sur ce que cela pouvait avoir de charmant était évidemment de celles que l’on ne peut rendre par des paroles, car il ne répondit que par un grognement inarticulé.
Ce matin-là, je songeai longuement à Jack dans le jardin.
Après tout, je me faisais grande fille, ainsi que Bob me l’avait rappelé un peu rudement.
Il me fallait désormais me montrer réservée dans ma conduite.
Un homme, en chair et en os, avait bel et bien jeté sur moi un regard épris.
Quand j’étais une enfant, que j’eusse Jack derrière moi et qu’il m’embrassât, cela pouvait aller le mieux du monde mais désormais je devais le tenir à distance.
Je me rappelai qu’un jour il me fit présent d’un poisson crevé qu’il avait tiré du ruisseau de Hatherley, et que je rangeai cet objet parmi mes trésors les plus précieux, jusqu’au jour où une odeur traîtresse qui se répandait dans la maison fut cause que ma mère écrivit à M. Burton une lettre pleine d’injures, parce que celui-ci avait déclaré que notre système de drainage était aussi parfait qu’on pouvait le désirer.
Il faut que j’apprenne à être d’une politesse guindée qui tient les gens à distance.
Je me représentai notre rencontre, et j’en fis une répétition.
Le massif de chèvrefeuille représentant Jack, je m’en approchai solennellement, je lui fis une révérence majestueuse et lui adressai ces paroles, en lui tendant la main.
– Lieutenant Hawthorne, je suis fort heureuse de vous voir.
Elsie survint pendant que je me livrais à cet exercice; elle ne fit aucune observation, mais au lunch, je l’entendis demander à Sol si l’idiotie se transmettait dans une famille, ou si elle restait bornée aux individus.
À ces mots, le pauvre Sol rougit terriblement et se mit à bafouiller de la façon la plus confuse en voulant donner des explications.
Chapitre III
La cour de notre ferme donne sur l’avenue à peu près à égale distance de Hatherley House et de la loge.
Sol, moi, et master Nicolas Cronin, fils d’un esquire2 du voisinage, nous y allâmes après le lunch.
Cette imposante démonstration avait pour objet de mater une révolte qui avait éclaté dans le poulailler.
Les premières nouvelles de l’insurrection avaient été apportées à la maison par le petit Bayliss, fils et héritier de l’homme préposé aux poules, et on avait requis instamment ma présence.
Qu’on me permette de dire en passant que la volaille était le département d’économie domestique dont j’étais tout spécialement chargée; et qu’il n’était pris aucune mesure en ce qui les concernait, sans qu’on eût recours à mes conseils et à mon aide.
Le vieux Bayliss sortit en clopinant à notre arrivée et me donna de grands détails sur l’émeute. Il paraît que la poule à crête et le coq de Bantam avaient acquis des ailes d’une longueur telle qu’ils avaient pu voler jusque dans le parc et que l’exemple donné par ces meneurs avait été contagieux, au point que de vieilles matrones de mœurs régulières, telles que les Cochinchinoises aux pattes arquées, avaient manifesté de la propension au vagabondage et poussé des pointes jusque sur le terrain défendu.
On tint un conseil de guerre dans la cour, et l’on décida à l’unanimité que les mutins auraient les ailes rognées.
Quelle course folle nous fîmes! Par nous, j’entends master Cronin et moi, car le cousin Sol restait à planer dans le lointain, les ciseaux à la main, et à nous encourager.
Les deux coupables se doutaient évidemment pourquoi on les réclamait, car ils se précipitaient sous les meules de foin, ou par dessus les cages au point qu’on eût cru avoir affaire à une demi-douzaine au moins de poules à crête et de coqs Bantam, jouant à cache-cache dans la cour.
Les autres poules avaient l’air de s’intéresser sans vacarme aux événements et se contentaient de lancer de temps à autre un gloussement moqueur.
Toutefois, il n’en était pas de même de l’épouse favorite du Bantam.
Elle nous injuriait positivement du haut de son perchoir.
Les canards formaient la partie la plus indisciplinable de cette réunion, car bien qu’ils n’eussent rien à voir dans les débuts de ce désordre, ils témoignaient vivement leur intérêt pour les fuyards, couraient après eux de toute la vitesse de leurs courtes pattes jaunes et embarrassaient les pas des poursuivants.
– Nous la tenons, criai-je toute haletante, quand la poule à crête fut cernée dans un angle. Attrapez-la, master Cronin. Ah! vous l’avez manquée! Vous l’avez manquée! Arrêtez-la, Sol. Oh! mon Dieu! Elle arrive de mon côté.
– C’est très bien, miss Montague, s’écria master Cronin, pendant que j’attrapais par les pattes la malheureuse volatile et que je me disposais à la mettre sous mon bras pour l’empêcher de reprendre la fuite. Permettez-moi de vous la tenir.
– Non, non, je vous prie d’attraper le coq. Le voilà! Tenez, là, derrière la meule de foin! Passez d’un côté, je passe de l’autre.
– Il s’en va par la grande porte, cria Sol.
– Chou! criai-je à mon tour, Chou! Oh! il est parti.
Et nous nous élançâmes tous deux dans le parc pour l’y poursuivre.
On tourna l’angle, on passa dans l’avenue, où je me trouvai face à face avec un jeune homme à figure très halée, en complet à carreaux, qui se dirigeait vers la maison, en flânant.
Il n’y avait pas à se méprendre avec ces yeux gris et rieur.
Lors même que je ne l’aurais pas regardé, un instinct, j’en suis sûre, m’aurait dit que c’était Jack.
M’était-il possible d’avoir un air digne, avec la poule à crête fourrée sous mon bras?
Je fis un effort pour me redresser, mais le gredin d’oiseau semblait se douter qu’il avait enfin trouvé un protecteur, car il se mit à piauler avec un redoublement de violence.
Dans mon désespoir, je la lâchai et j’éclatai de rire.
Jack en fit autant.
– Comment ça va-t-il, Nell? dit-il en me tendant la main.
Puis, d’une voix qui marquait l’étonnement:
– Tiens, vous n’êtes plus du tout comme quand je vous ai vue pour la dernière fois.
– Ah! alors je n’avais pas une poule sous le bras, dis-je.
– Qui aurait cru que la petite Nelly serait jamais devenue une femme? dit Jack tout entier encore à sa stupéfaction.
– Vous ne vous attendiez pas à ce que je devienne un homme en grandissant, n’est-ce pas? dis-je avec une profonde indignation.
Et alors, renonçant brusquement à toute réserve:
– Nous sommes rudement contents de votre arrivée, Jack. Ne vous pressez pas tant d’aller à la maison. Venez nous aider à attraper le coq bantam.
– Vous avez bien raison, dit Jack avec sa voix si gaie d’autrefois. Allons!
Et nous voici tous les trois à courir comme des fous, à travers le parc, pendant que le pauvre Sol s’empressait à notre aide, embarrassé à l’arrière-garde avec les ciseaux et la prisonnière.
Jack avait son costume très froissé pour un homme en visite, quand il présenta ses respects à maman dans l’après-midi, et mes rêves de dignité et de réserve étaient dispersés à tous les vents.
Chapitre IV
Ce mois de mai, nous eûmes à Hatherley House une véritable troupe.
C’était Bob, et Sol, et Jack Hawthorne, et master Nicolas Cronin. C’était, d’autre part, miss Maberly, et Elsie, et maman, et moi.
En cas de nécessité, nous pouvions recruter dans les résidences des environs une demi-douzaine d’invités, de manière à pouvoir former un auditoire quand on produisait des charades ou des pièces, de notre cru.
Master Nicolas Cronin, jeune étudiant d’Oxford, adonné aux sports et plein de complaisance, fut, de l’avis de tous, une acquisition utile, car il était doué d’un étonnant talent pour l’organisation et l’exécution.
Jack ne montrait pas, tant s’en faut, autant d’entrain qu’autrefois.
En fait, nous fûmes unanimes à l’accuser d’être amoureux, ce qui lui fit prendre cet air nigaud qu’ont les jeunes gens en pareille circonstance, mais il n’essaya point de se disculper de cette charmante imputation.
– Qu’allons-nous faire aujourd’hui? dit un matin Bob. Quelqu’un de vous a-t-il une idée?
– Vider l’étang, dit master Cronin.
– Nous n’avons pas assez d’hommes, dit Bob. Passons à autre chose.
– Il faut organiser une cagnotte pour le Derby, dit Jack.
– Oh! on a du temps de reste pour cela: les courses n’auront lieu que dans la seconde semaine. Voyons, autre chose?
– Le Lawn-tennis, suggéra Sol, avec hésitation.
– Du Lawn-tennis, il n’en faut pas.
– Vous pourriez organiser une dînette à l’Abbaye d’Hatherley, dis-je.
– Superbe, s’écria master M. Cronin, c’est bien cela. Qu’en dites-vous, Bob?
– Une idée de première classe, dit mon frère, adoptant la proposition avec empressement.
Les repas sur l’herbe sont très aimés de ceux qui en sont à la première phase de la tendre passion.
– Eh bien, comment nous y rendrons-nous, Nell? dit Elsie.
– Je n’irai pas du tout, dis-je. J’y tiendrais énormément, mais j’ai à planter ces fougères que Sol est allé me chercher. Vous feriez mieux d’aller à pied. Ce n’est qu’à trois milles, et on pourrait envoyer d’avance le petit Bayliss avec le panier de provisions.
Il surgit alors un autre obstacle.
Le lieutenant s’était donné une entorse la veille. Il n’en avait jusqu’alors parlé à personne, mais à présent, ça commençait à lui faire mal.
– Vraiment, pourrais pas, dit Jack, trois milles à l’aller, trois au retour.
– Allons, venez, ne faites pas le fainéant, dit Bob.
– Mon cher garçon, dit le lieutenant, j’ai fait assez de marches pour le reste de ma vie. Si vous aviez vu avec quelle ardeur notre énergique général me poussait de Kaboul à Kandahar, vous auriez pitié de moi.
– Laissons le vétéran tranquille, dit master Nicolas Cronin.
– Ayons pitié de ce soldat blanchi sous le harnais, remarqua Bob.
– Assez blagué comme cela! fit Jack. Je vais vous dire ce que je compte faire, reprit-il en se ranimant. Vous me donnerez la charrette anglaise, Bob, et je la conduirai en compagnie de Nell, dès qu’elle aura fini de planter ses fougères. Nous pourrons nous charger du panier. Vous venez, n’est-ce pas, Nell?
– C’est entendu, dis-je.
Bob donna son approbation à cet arrangement, et tout le monde fut content, à l’exception de master Salomon Barker, qui jeta sur le militaire un regard imprégné d’une indulgente malice.
L’affaire définitivement convenue, toute la troupe alla faire les préparatifs, et ensuite on partit par l’avenue.
Chapitre V
On ne saurait croire à quel point l’état de la cheville s’améliora dès que le dernier de la bande eut disparu au tournant de la haie.
Quand les fougères eurent été plantées, quand le gig3 fut attelé, Jack avait retrouvé toute son activité, toute sa vivacité.
– Il me semble que vous avez mis bien peu de temps à guérir, dis-je pendant que nous trottions à travers les méandres du petit sentier champêtre.
– En effet, dit Jack, c’est que je n’avais rien du tout, Nell. Je voulais causer avec vous.
– Vous n’allez pas me soutenir que vous avez dit un mensonge pour pouvoir causer avec moi? protestai-je.
– J’en dirais quarante, dit Jack avec aplomb.
J’étais tellement perdue dans la contemplation de pareils abîmes de scélératesse dans le caractère de Jack, que je ne fis plus aucune riposte.
Je me demandai si Elsie serait flattée ou indignée qu’on lui parlât de commettre un tel nombre de mensonges pour elle.
– Nous avons toujours été si bons amis quand nous étions enfants, Nell, commença mon compagnon.
– Oui, dis-je en baissant les yeux sur la couverture jetée sur nos genoux.
Je commentais à ce moment à devenir une jeune personne d’une grande expérience, comme vous le voyez, et à comprendre ce que signifient certaines inflexions de la voix masculine.
Ce sont des choses que l’on n’acquiert que par la pratique.
– Vous n’avez pas l’air d’avoir autant d’affection pour moi que vous en aviez alors, dit Jack.
J’étais toujours absorbée entièrement par l’examen de la peau de léopard que j’avais devant moi.
– Savez-vous, Nelly, reprit Jack, que quand je campais en plein air dans les passes glacées de l’Himalaya, quand je voyais l’armée ennemie rangée en bataille devant moi, bref… reprit-il en prenant soudain un ton passionné, tout le temps que j’ai passé dans ce maudit trou d’Afghanistan, je n’ai pas eu d’autre pensée que celle de la fillette que j’avais laissée en Angleterre.
– Vraiment! dis-je à demi-voix.
– Oui, dit Jack, j’ai emporté votre souvenir dans mon cœur, et quand je suis revenu, vous n’étiez plus une fillette. Je vous ai retrouvée belle femme, Nelly, et je me suis demandé si vous aviez oublié les jours d’autrefois.
Jack commençait à devenir très poétique dans son enthousiasme.
Pendant ce temps, il avait abandonné complètement à son initiative le vieux poney, qui se laissait aller, lui, à son penchant chronique, celui de s’arrêter pour admirer le paysage.
– Voyons, Nelly, dit Jack, avec une défaillance dans la respiration, comme quand on va tirer la corde de sa douche en pluie, une des choses que l’on apprend en faisant campagne, c’est à mettre la main sur les bonnes choses dès qu’on les aperçoit. Pas de retard, pas d’hésitation, car on ne sait pas si quelque autre ne va pas l’emporter pendant qu’on cherche à prendre son parti.
«Nous y venons, me dis-je avec désespoir, et il n’y a pas de fenêtre par où Jack puisse se jeter dès qu’il aura fait le plongeon.»
J’en étais venue à former une association d’idées entre celle d’amour et celle de saut par la fenêtre et cela datait de l’aveu du pauvre Sol.
– Ne croyez-vous pas, Nell, dit Jack, que vous auriez pour moi assez d’affection pour lier éternellement votre existence à la mienne? Voudriez-vous être ma femme, Nelly?
Il ne sauta pas même à bas du véhicule.
Il y resta, assis près de moi, me regardant avec ses brillants yeux gris, pendant que le poney allait flânant, et broutant les fleurs des deux côtés de la route.
Très évidemment il tenait à obtenir une réponse.
Je ne sais comment je crus voir une figure pâle et timide me regarder d’un fond obscur et entendre la voix de Sol me faisant sa déclaration d’amour.
Pauvre garçon, après tout il s’était mis le premier en campagne!
– Le pourriez-vous, Nell? demanda Jack une fois de plus.
– J’ai beaucoup d’affection pour vous, Jack, lui dis-je en le regardant avec un certain trouble, mais…
Comme sa figure s’altéra, à ce monosyllabe:
«Mais je ne crois, pas que mon affection aille jusque-là. En outre, je suis si jeune, voyez-vous. Je crois bien que votre proposition me vaudrait beaucoup de compliments et le reste, mais il ne faut plus songer à moi à ce point de vue.
– Alors vous me refusez, dit Jack en pâlissant légèrement.
– Pourquoi ne vous adressez-vous pas à Elsie, m’écriai-je dans mon désespoir. Pourquoi tout le monde s’adresse-t-il à moi?
– Ce n’est pas Elsie que je veux, s’écria Jack en lançant au poney un coup de fouet qui surprit un peu ce quadrupède à l’allure peu pressée. Qu’est-ce que veut dire ce «tout le monde», Nell?
Pas de réponse.
– Je vois ce que c’est, dit Jack avec amertume. J’ai remarqué ce cousin, qui est toujours après vous, depuis que je suis ici. Vous êtes engagée avec lui?
– Non, non, je ne le suis pas.
– Que Dieu en soit loué! répondit dévotement Jack. Il y a encore de l’espoir. Peut-être, avec le temps, en viendrez-vous à de meilleures idées. Dites-moi, Nell, aimez-vous beaucoup ce nigaud d’étudiant en médecine?
– Ce n’est pas un nigaud, dis-je avec indignation, et je l’aime tout autant que je vous aimerai jamais.
– Vous pourriez l’aimer tout autant sans beaucoup l’aimer, dit Jack d’un ton boudeur.
Puis ni l’un ni l’autre ne dîmes mot, jusqu’au moment où un grand cri poussé en chœur par Bob et master Cronin annonça l’arrivée du reste de la troupe.
Chapitre VI
Si la partie de campagne fut réussie, cela fut dû entièrement aux efforts de ce dernier gentleman.
Trois amoureux sur quatre personnes, c’est hors de proportion, et il fallut toutes ses facultés de boute-en-train pour compenser l’effet désastreux de l’humeur des autres.
Bob avait l’air de ne voir que les charmes de miss Maberly.
La pauvre Elsie restait à se morfondre dans l’isolement, pendant que mes deux admirateurs passaient leur temps à se regarder, puis à me regarder tour à tour.
Mais master Cronin lutta courageusement contre cet état de choses décourageant, se rendit agréable à tous, en explorant des ruines ou débouchant des bouteilles avec la même véhémence, la même énergie.
Le cousin Sol, en particulier, se montrait découragé et dépourvu d’entrain.
Il était convaincu, j’en suis sûre, que mon voyage en tête-à-tête avec Jack avait été arrangé d’avance entre nous. Mais il y avait dans son expression plus de peine que de colère.
Jack, au contraire, j’ai regret de le dire, se montrait nettement agressif.
Ce fut même cela qui me décida à choisir mon cousin pour m’accompagner dans la promenade à travers bois qui suivit le lunch.
Jack avait fini par prendre des airs de propriétaire si provocants que j’étais résolue à en finir une fois pour toutes.
Je lui en voulais aussi d’avoir pris l’air d’être cruellement mortifié par mon refus et d’avoir voulu dénigrer par derrière le pauvre Sol.
Il s’en fallait beaucoup que je fusse éprise de l’un ou de l’autre, mais après tout, avec mes idées juvéniles de lutte à armes égales, j’étais révoltée de voir l’un ou l’autre prendre une avance que je regardais comme un avantage mal acquis.
Je sentais que si Jack n’était pas revenu, j’aurais fini à la longue par agréer mon cousin.
D’autre part, si ce n’avait été Sol, je n’aurais jamais pu refuser Jack.
Pour le moment, je les aimais tous les deux trop pour favoriser l’un ou l’autre.
«Comment cela finira-t-il? je me le demande, pensai-je. Il faut que je fasse quelque chose de décisif dans un sens ou dans l’autre, à moins que, peut-être, le meilleur parti soit d’attendre et de voir ce que l’avenir amènera.»
Sol montra une légère surprise quand je le choisis pour compagnon, mais il accepta avec un sourire de gratitude.
Son esprit parut considérablement soulagé.
– Ainsi donc, je ne vous ai point encore perdue, Nell, me dit-il à demi-voix, pendant que nous nous enfoncions sous les grands arbres et que les voix de la troupe nous arrivaient de plus en plus affaiblies par l’éloignement.
– Personne ne peut me perdre, dis-je, car jusqu’à présent personne ne m’a gagnée. Je vous en prie, ne parlez plus de cela. Ne pourriez-vous pas causer comme vous le faisiez il y a deux ans, et ne pas être si épouvantablement sentimental?
– Vous saurez un jour pourquoi, Nell, dit l’étudiant d’un ton de reproche. Attendez jusqu’au jour où vous connaîtrez vous-même l’amour; alors vous comprendrez.
Je fis une légère moue d’incrédulité.
– Asseyons-nous ici, Nell, dit le cousin Sol, en me dirigeant habilement vers un petit tertre couvert de fraisiers et de mousse, et se perchant sur une souche d’arbre à coté de moi. Maintenant, tout ce que je vous demande, c’est de répondre à une ou deux questions. Après cela je ne vous persécuterai plus.
Je m’assis, l’air résigné, les mains sur les genoux.
– Êtes-vous fiancée au lieutenant Hawthorne?
– Non, répondis-je avec énergie.
– Est-ce que vous l’aimez mieux que moi?
– Non; je ne l’aime pas mieux.
Le thermomètre du bonheur de Sol marqua au moins cent degrés à l’ombre.
– Est-ce que vous m’aimez mieux que lui, Nelly, fit-il d’une voix très tendre.
– Non.
Le thermomètre redescendit au-dessous de zéro.
– Voulez-vous dire que nous sommes, à vos yeux, exactement au même niveau?
– Oui.
– Mais il vous faudra choisir entre nous un jour, vous savez, dit le cousin Sol d’un ton de doux reproche.
– Je voudrais bien qu’on ne me tourmente pas ainsi, m’écriai-je en me fâchant, ce que font d’ordinaire les femmes quand elles ont tort. Vous ne m’aimez pas du tout. Autrement vous ne seriez pas ainsi à me harceler. Je crois qu’à vous deux vous finirez par me rendre folle.
Et alors je parus sur le point d’éclater en sanglots, en même temps que la faction Barker manifestait des indices de consternation et de défaite.
«Est-ce que vous ne voyez pas ce qui en est, Sol? dis-je en riant à travers mes larmes de son air déconfit. Supposez que vous ayez été élevé avec deux jeunes filles, que vous en soyez venu à les aimer beaucoup toutes deux, mais que vous n’ayez jamais eu de préférence pour l’une, que vous n’ayez jamais eu l’idée d’épouser l’une ou l’autre. Puis, qu’on vous dise comme cela, à brûle pourpoint, que vous devez choisir l’une d’elles, et rendre ainsi l’autre très malheureuse, vous trouveriez, n’est-ce pas, que ce n’est pas chose facile.
– En effet, je ne le trouve pas, dit l’étudiant.
– Alors vous ne pouvez pas me blâmer.
– Je ne vous blâme pas, Nelly, répondit-il en s’attaquant avec sa canne à une grande digitale pourpre. Je trouve que vous avez parfaitement le droit de vouloir être sûre de vos dispositions. Il me semble, continua-t-il – en parlant d’une voix un peu hachée, mais disant ce qu’il pensait, en vrai gentleman anglais qu’il était – il me semble que ce Hawthorne est un excellent garçon. Il a plus vu le monde que moi. Il fait, il dit toujours ce qu’il y a de mieux à faire et à dire, et quand il le faut, et certainement ce n’est point là un des traits de mon caractère. Puis il est de bonne famille. Il a un bel avenir. Je devrais, je pense, vous savoir beaucoup de gré de votre hésitation, Nell, et la regarder comme une preuve de votre bon cœur.
– Nous ne parlerons plus de cela, dis-je en pensant, à part moi, que ce garçon-là était d’une nature bien plus fine que celui dont il faisait l’éloge. Tenez, ma jaquette est toute tachée par ces affreux champignons. Je me demande où sont les autres en ce moment.
Il ne fallut pas bien longtemps pour les découvrir.
Tout d’abord nous entendîmes des cris et des rires qui retentissaient dans les échos des longues clairières.
Puis, comme nous nous avancions dans cette direction, nous fûmes stupéfaits de voir la flegmatique Elsie courant à toutes jambes par le bois, sans chapeau, sa chevelure flottant au vent.
Ma première idée fut qu’il était arrivé une effrayante catastrophe – peut-être des brigands, ou un chien enragé – et je vis la forte main de mon compagnon se crisper sur sa canne.
Mais lorsque nous fûmes près de la fugitive, nous apprîmes que tout le tragique de la chose se réduisait à une partie de cache-cache organisée par l’infatigable master Cronin.
Comme on s’amusa, en se courbant, se cachant, courant parmi les chênes de Hatherley.
Quelle horreur aurait éprouvée le bon vieil abbé qui les avait plantés et comme la longue procession de moines en robe noire se serait mise à marmotter ses oraisons!
Jack refusa de prendre part au jeu, en alléguant sa cheville malade, et resta à fumer sous un arbre, l’air fort boudeur, en jetant sur Salomon Barker des regards pleins d’une sombre haine, pendant que ce dernier gentleman participait au jeu avec enthousiasme et se distinguait en se faisant toujours prendre et ne prenant jamais personne.