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Kitabı oku: «Œuvres Complètes de Frédéric Bastiat, tome 1», sayfa 16

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LETTRES À M. PAILLOTTET

Pise, 11 octobre 1850.

Je me sens envie de vivre, mon cher Paillottet, quand je lis la relation de vos anxiétés à la nouvelle de ma mort. – Grâce au ciel, je ne suis pas mort, ni même guère plus malade. J'ai vu ce matin un médecin qui va essayer de me débarrasser au moins quelques instants de cette douleur à la gorge, dont la continuité est si importune. – Mais enfin, si la nouvelle eût été vraie, il aurait bien fallu l'accepter et se résigner. – Je voudrais que tous mes amis pussent acquérir, à cet égard, la philosophie que j'ai acquise moi-même. Je vous assure que je rendrais le dernier souffle sans peine, presque avec joie, si je pouvais être sûr de laisser, après moi, à ceux qui m'aiment, non de cuisants regrets, mais un souvenir doux, affectueux, un peu mélancolique. Quand je serai plus malade, c'est à quoi je les préparerai…

Rome, 26 novembre 1850.

Mon cher Paillottet, chaque fois que je reçois une lettre de Paris, il me semble que mes correspondants sont des Toinette, et que je suis un Argan.

«La coquine a soutenu pendant une heure durant que je n'étais pas malade! vous savez, m'amour, ce qui en est.»

Vous prenez bien tous un intérêt amical à mon mal; mais vous me traitez ensuite en homme bien portant. Vous me préparez des occupations, vous me demandez mon avis sur plusieurs sujets graves, puis vous me dites de ne vous écrire que quelques lignes. Je voudrais bien que vous eussiez mis dans votre lettre le secret, en même temps que le conseil, de tout dire en quelques mots. Comment puis-je vous parler des Incompatibilités parlementaires, des corrections à y apporter, des raisons qui me font penser que ce sujet ne peut être accolé, ni pour le fond ni pour la forme, avec le discours sur l'impôt des boissons, – le tout en une ligne? Et puis il faut bien que je dise quelque chose de Carey, puisque vous m'envoyez ses épreuves en Toscane; – des Harmonies, puisque vous m'annoncez que l'édition est épuisée.

Dans votre bonne lettre, que je reçois aujourd'hui, vous manifestez la crainte qu'à la vue de Rome, l'enthousiasme ne me saisisse et ne nuise à ma guérison en ébranlant mes nerfs. Vous me placez toujours là dans l'hypothèse d'un homme bien portant. Figurez-vous, mon ami, qu'il y a deux raisons, aussi fortes l'une que l'autre, pour que les monuments de Rome ne fassent pas éclater en moi un enthousiasme dangereux. La première, c'est que je ne vois aucun de ces monuments, étant à peu près confiné dans ma chambre au milieu des cendres et des cafetières; la seconde, c'est que la source de l'enthousiasme est en moi complétement tarie, toutes les forces de mon attention et de mon imagination se portant sur les moyens d'avaler un peu de nourriture ou de boisson, et d'accrocher un peu de sommeil entre deux quintes.

J'ai beau écrire à Florence, je suis sans aucune nouvelle des épreuves de Carey. Dieu sait quand elles m'arriveront.

Adieu! je finis brusquement. J'aurais mille choses à vous dire pour M. et Mme Planat, pour M. de Fontenay, pour M. Manin. Bientôt, quand je serai mieux, je causerai plus longtemps avec vous. Maintenant c'est tout ce que j'ai pu faire que d'arriver à cette page.

Rome, 8 décembre 1850.

Cher Paillottet, suis-je mieux? Je ne puis le dire; je me sens toujours plus faible. Mes amis croient que les forces me reviennent. Qui a raison?

La famille Cheuvreux quitte Rome immédiatement, par suite de la maladie de madame Girard. Jugez de ma douleur. J'aime à croire qu'elle vient surtout de celle de ces bons amis; mais assurément des motifs plus égoïstes y ont une grande part.

Par un hasard providentiel, hier j'écrivis à ma famille pour qu'on m'expédiât une espèce de Michel Morin, homme plein de gaieté et de ressources, cocher, cuisinier, etc., etc., qui m'a souvent servi et qui m'est entièrement dévoué. Dès qu'il sera ici, je serai maître de partir quand je voudrai pour la France. Car il faut que vous sachiez que le médecin et mes amis ont pris à ce sujet une délibération solennelle. Ils ont pensé que la nature de ma maladie me crée des difficultés si nombreuses, que tous les avantages du climat ne compensent pas les soins domestiques.

D'après ces dispositions, mon cher Paillottet, vous ne viendrez pas à Rome, gagner auprès de moi les œuvres de miséricorde. L'affection que vous m'avez vouée est telle que vous en serez contrarié, j'en suis sûr. Mais consolez-vous en pensant qu'à raison de la nature de ma maladie, vous auriez pu faire bien peu pour moi, si ce n'est de venir me tenir compagnie deux heures par jour, chose encore plus agréable que raisonnable. Je voudrais pouvoir vous donner à ce sujet des explications. Mais, bon Dieu! des explications! il faudrait beaucoup écrire, et je ne puis. Mon ami, sous des milliers de rapports j'éprouve le supplice de Tantale. En voici un nouvel exemple: je voudrais vous dire toute ma pensée, et je n'en ai pas la force…

Ce que vous et Guillaumin aurez fait pour les Incompatibilités sera bien fait.

Quant à l'affaire Carey, je vous avoue qu'elle me présente un peu de louche. D'un côté, Garnier annonce que le journal prend parti pour la propriété-monopole. D'une autre part, Guillaumin m'apprend que M. Clément va intervenir dans la lutte. Si le Journal des Économistes veut me punir d'avoir traité avec indépendance une question scientifique, il est bien peu généreux de choisir le moment où je suis sur un grabat, privé de la faculté de lire, d'écrire, de penser, et cherchant à conserver au moins celle de manger, de boire et de dormir qui me quitte.

Pressentant que je ne pourrais accepter le combat, j'ai ajouté à ma réponse à Carey quelques considérations adressées au Journal des Économistes. Vous me direz comment elles ont été reçues.

Fontenay ne sera-t-il donc jamais prêt à entrer en lice? Il doit comprendre combien son assistance me serait nécessaire. Garnier dit: Nous avons pour nous Smith, Ricardo, Malthus, J. B. Say, Rossi et tous les économistes, moins Carey et Bastiat. J'espère bien que la foi dans la légitimité de la propriété foncière trouvera bientôt d'autres défenseurs, et je compte surtout sur Fontenay.

Je vous prie d'écrire à Michel Chevalier, de lui dire combien je suis reconnaissant de son excellent article sur mon livre. Il n'a d'autre défaut que d'être trop bienveillant et de laisser trop peu de place à la critique. Dites à Chevalier que je n'attends qu'un peu de force pour lui adresser moi-même l'expression de mes vifs sentiments de gratitude. Je fais des vœux sincères pour qu'il hérite du fauteuil de M. Droz; ce ne sera que tardive justice.

LETTRE AU JOURNAL DES ÉCONOMISTES 25

Mon livre est entre les mains du public. Je ne crains pas qu'il se rencontre une seule personne qui, après l'avoir lu, dise: «Ceci est l'ouvrage d'un plagiaire.» Une lente assimilation, fruit des méditations de toute ma vie, s'y laisse trop voir, surtout si on le rapproche de mes autres écrits.

Mais qui dit assimilation, avoue qu'il n'a pas tout tiré de sa propre substance.

Oh! oui, je dois beaucoup à M. Carey; je dois à Smith, à J. B. Say, à Comte, à Dunoyer; je dois à mes adversaires; je dois à l'air que j'ai respiré; je dois aux entretiens intimes d'un ami de cœur, M. Félix Coudroy, avec qui, pendant vingt ans, j'ai remué toutes ces questions dans la solitude, sans que jamais il se soit manifesté dans nos appréciations et nos idées la moindre divergence; phénomène bien rare dans l'histoire de l'esprit humain, et bien propre à faire goûter les délices de la certitude.

C'est dire que je ne revendique pas le titre d'inventeur à l'égard de l'harmonie. Je crois même que c'est la marque d'un petit esprit, incapable de rattacher le présent au passé, que de se croire inventeur de principes. Les sciences ont une croissance comme les plantes; elles s'étendent, s'élèvent, s'épurent. Mais quel successeur ne doit rien à ses devanciers?

En particulier, l'Harmonie des intérêts ne saurait être une invention individuelle. Eh quoi! n'est-elle pas le pressentiment et l'aspiration de l'humanité, le but de son évolution éternelle? Comment un publiciste oserait-il s'arroger l'invention d'une idée, qui est la foi instinctive de tous les hommes?

Cette harmonie, la science économique l'a proclamée dès l'origine. Cela est attesté par le titre seul des livres physiocrates. Sans doute, les savants l'ont souvent mal démontrée; ils ont laissé pénétrer dans leurs ouvrages beaucoup d'erreurs, qui, par cela seul qu'elles étaient des erreurs, contredisaient leur foi. Qu'est-ce que cela prouve? que les savants se trompent. Cependant, à travers bien des tâtonnements, la grande idée de l'harmonie des intérêts a toujours brillé sur l'école économiste, comme son étoile polaire. Je n'en veux pour preuve que cette devise qu'on lui a reprochée: Laissez faire, laissez passer. Certes, elle implique la croyance que les intérêts se font justice entre eux, sous l'empire de la liberté.

Ceci dit, je n'hésite pas à rendre justice à M. Carey. Il y a peu de temps que je connais ses ouvrages; je les ai lus fort superficiellement, à cause de mes occupations, de mes souffrances, et surtout à cause de la singulière divergence qui, en fait de méthode, caractérise l'esprit anglais et l'esprit français. Nous généralisons, et c'est ce que nos voisins dédaignent. Eux vont particularisant à travers des milliers et des milliers de pages, et c'est à quoi notre attention ne peut suffire. Quoi qu'il en soit, je reconnais que cette grande et consolante cause, l'accord des intérêts des classes, ne doit à personne plus qu'à M. Carey. Il l'a signalée et prouvée sous un très-grand nombre de points de vue divers, de manière à ce qu'il ne puisse pas rester de doute sur la loi générale.

M. Carey se plaint de ce que je ne l'ai pas cité; c'est peut-être un tort de ma part, mais il ne remonte pas à l'intention. M. Carey a pu me montrer des aperçus nouveaux, me fournir des arguments, mais il ne m'a révélé aucun principe. Je ne pouvais le citer dans mon chapitre sur l'échange, qui est la base de tout; ni dans ceux sur la valeur, sur la communauté progressive, sur la concurrence. Le moment de m'étayer de son autorité eût été à propos de la propriété foncière; mais, dans ce premier volume, je traitais la question par ma propre théorie de la valeur, qui n'est pas celle de M. Carey. À ce moment, je me proposais de faire un chapitre spécial sur la rente foncière, et je croyais fermement que mon second volume suivrait de près le premier. C'est là que j'aurais cité M. Carey; et non-seulement je l'aurais cité, mais je me serais effacé, pour lui attribuer sur la scène le premier rôle: c'était l'intérêt de la cause. En effet, sur la question foncière, M. Carey ne peut manquer d'être une autorité importante. Pour étudier la primitive et naturelle formation de cette propriété, il n'a qu'à ouvrir les yeux; pour l'exposer, il n'a qu'à décrire ce qu'il voit; plus heureux que Ricardo, Malthus, Say et nous tous, économistes européens, qui ne voyons qu'une propriété foncière soumise aux mille combinaisons factices de la conquête. En Europe, pour remonter au principe de la propriété foncière, il faut employer le difficile procédé dont se servait Cuvier pour reconstruire un mastodonte; il n'est pas très-surprenant que la plupart de nos écrivains se soient trompés dans cet effort d'analogie. En Amérique, il y a des mastodontes dans toutes les carrières; il suffit d'ouvrir les yeux. J'avais donc tout à gagner, ou plutôt la cause avait tout à gagner à ce que j'invoquasse le témoignage d'un économiste américain.

En terminant, je ne puis m'empêcher de faire observer à M. Carey qu'un Français ne peut guère lui rendre justice, sans un grand effort d'impartialité; et comme je suis Français, j'étais loin de m'attendre à ce qu'il daignât s'occuper de moi et de mon livre. M. Carey professe pour la France et les Français le mépris le plus profond et une haine qui va jusqu'au délire. Il a déversé ces sentiments dans un bon tiers de ses volumineux écrits; et il s'est donné la peine de réunir, sans aucun discernement, il est vrai, de nombreux documents statistiques, pour prouver que c'est à peine si, dans l'échelle de l'humanité, nous sommes au-dessus des Indous. À la vérité, M. Carey, dans son livre, nie cette haine. Mais, en la niant, il la prouve; car comment expliquer un tel déni? qui l'a provoqué? C'est la conscience même de M. Carey, qui, surpris lui-même, sans doute, de toutes les preuves de haine contre la France qu'il a accumulées dans son livre, a cru devoir proclamer qu'il ne haïssait pas la France. Combien de fois n'ai-je pas dit à M. Guillaumin: Il y a d'excellentes choses dans les ouvrages de M. Carey, et il serait bien de les faire traduire; ils contribueraient à faire avancer l'économie politique dans notre pays. Mais aussitôt j'étais forcé d'ajouter: Pouvons-nous jeter dans le public français de pareilles diatribes contre la France, et ne risquons-nous pas de manquer notre but? Le public ne repoussera-t-il pas ce qu'il y a de bon dans ces livres, à cause de ce qu'il y a de blessant et d'injuste?

Qu'il me soit permis de finir par une réflexion sur le mot plagiat, dont je me suis servi au début de cette lettre. Les personnes auxquelles je puis avoir emprunté un aperçu ou un argument pensent que je leur suis très-redevable; je suis convaincu du contraire. Si je ne m'étais laissé entraîner à aucune controverse, si je n'avais examiné aucun système, si je n'avais cité aucun nom propre, si je m'étais borné à établir ces deux propositions: Les services s'échangent contre des services; La valeur est le rapport des services échangés; – si ensuite j'eusse expliqué, par ces principes, toutes les classes si compliquées des transactions humaines, je crois que le monument que j'ai cherché à élever eût beaucoup gagné (trop, peut-être, pour cette époque) en clarté, en grandeur et en simplicité.

P. S. Je laisse M. Carey, et je m'adresse, peut-être pour la dernière fois, c'est-à-dire dans les sentiments de la plus intime bienveillance, à nos collègues de la rédaction du Journal des Économistes. Dans la note de ce journal qui a provoqué la réclamation de M. Carey, la direction annonce qu'elle se prononce, sur la propriété foncière, pour la théorie de Ricardo. La raison qu'elle en donne, c'est que cette théorie a pour elle l'autorité de Ricardo d'abord, puis Malthus, Say et tous les économistes, «MM. Bastiat et Carey exceptés.» L'épigramme est aiguë, et il est certain que l'économiste américain et moi faisons bien humble figure dans l'antithèse.

Quoiqu'il en soit, je répète que la direction du journal prend une résolution décisive pour son autorité scientifique.

N'oubliez pas que la théorie de Ricardo se résume ainsi:

«La propriété foncière est un monopole injuste, mais nécessaire, dont l'effet est de rendre fatalement le riche toujours plus riche et le pauvre toujours plus pauvre.»

Cette formule a pour premier inconvénient d'exciter, par son simple énoncé, une répugnance invincible, et de froisser, dans le cœur de l'homme, je ne dis pas tout ce qu'il y a de généreux et de philanthropique, mais de plus simplement et de plus grossièrement honnête. Son second tort est d'être fondée sur une observation inachevée, et par conséquent de choquer la logique.

Ce n'est pas ici le lieu de démontrer la légitimité de la rente foncière; mais devant donner à cet écrit un but utile, je dirai, en peu de mots, comment je la comprends, et en quoi errent mes adversaires.

Vous avez certainement connu à Paris des marchands qui voient leurs profits s'augmenter annuellement, sans qu'on puisse en conclure qu'ils grèvent chaque année le prix de leurs marchandises. Bien au contraire; et il n'y a rien de plus vulgaire et de plus vrai que ce proverbe: Se rattraper sur la quantité.– C'est même une loi générale du débit commercial, que plus il s'étend, plus le marchand augmente la remise à sa clientèle, tout en faisant de meilleures affaires. Pour vous en convaincre, vous n'avez qu'à comparer ce que gagnent, par chapeau, un chapelier de Paris et un chapelier de village. Voilà donc un exemple bien connu d'un cas où, quand la prospérité publique se développe, le vendeur s'enrichit toujours et l'acheteur aussi.

Or, je dis que ce n'est pas seulement la loi générale des profits, mais encore la loi générale des Capitaux et des Intérêts comme je l'ai prouvé à M. Proudhon, et la loi générale de la Rente foncière, comme je le prouverais, si je n'étais exténué.

Oui, quand la France prospère, il s'ensuit une hausse générale de la Rente foncière, et «le riche devient toujours plus riche.» Jusque-là Ricardo a raison. Mais il ne s'ensuit pas que chaque produit agricole soit grevé au préjudice des travailleurs; il ne s'ensuit pas que chaque travailleur soit réduit à donner une plus forte proportion de son travail pour un hectolitre de blé; il ne s'ensuit pas, enfin, que «le pauvre devienne toujours plus pauvre.» C'est justement le contraire qui est vrai. À mesure que la rente augmente, par l'effet naturel de la prospérité publique, elle grève de moins en moins des produits plus abondants, absolument comme le chapelier ménage d'autant plus sa clientèle, qu'il est dans un milieu plus favorable au débit.

Croyez-moi, mes chers collègues, n'excitons pas légèrement le Journal des Économistes à repousser ces explications.

Enfin, le troisième et peut-être le plus grand tort, scientifiquement, de la théorie Ricardienne, c'est qu'elle est démentie par tous les faits particuliers et généraux qui se produisent sur le globe. Selon cette théorie, nous aurions dû voir, depuis un siècle, les richesses mobilières, industrielles et commerciales entraînées vers un déclin rapide et fatal, relativement aux fortunes foncières. Nous devrions constater la barbarie, l'obscurité et la malpropreté des villes, la difficulté des moyens de locomotion nous envahissant. En outre, les marchands, les artisans, les ouvriers étant réduits à donner une proportion toujours croissante de leur travail pour obtenir une quantité donnée de blé, nous devrions voir l'usage du blé diminuer, ou du moins nul ne pouvant se permettre la même consommation de pain, sans se refuser d'autres jouissances. – Je vous le demande, mes chers collègues, le monde civilisé présente-t-il rien de semblable?

Et puis, quelle mission donnerez-vous au journal? Ira-t-il dire aux propriétaires: «Vous êtes riches, c'est que vous jouissez d'un monopole injuste mais nécessaire; et puisqu'il est nécessaire, jouissez-en sans scrupule, d'autant qu'il vous réserve des richesses toujours croissantes!» – Puis vous tournant vers les travailleurs de toutes classes: «Vous êtes pauvres; vos enfants le seront plus que vous, et vos petits-enfants davantage encore, jusqu'à ce que s'ensuive la mort par inanition. Cela tient à ce que vous subissez un monopole injuste, mais nécessaire; et puisqu'il est nécessaire, résignez-vous sagement; que la richesse toujours croissante des riches vous console!»

Certes, je ne demande pas que qui que ce soit adopte mes idées sans examen; mais je crois que le Journal des Économistes ferait mieux de mettre la question à l'étude que de se prononcer d'ores et déjà. Oh! ne croyons pas facilement que Ricardo, Say, Malthus, Rossi, que de si grands et solides esprits se sont trompés. Mais n'admettons pas non plus légèrement une théorie qui aboutit à de telles monstruosités.

PREMIERS ÉCRITS

AUX ÉLECTEURS DU DÉPARTEMENT DES LANDES 26

(Novembre 1830.)

Un peuple n'est pas libre par cela seul qu'il possède des institutions libérales; il faut encore qu'il sache les mettre en œuvre, et la même législation qui a fait sortir de l'urne électorale des noms tels que ceux de Lafayette et de Chantelauze, de Tracy et de Dudon, peut, selon les lumières des électeurs, devenir le palladium des libertés publiques ou l'instrument de la plus solide de toutes les oppressions, celle qui s'exerce sur une nation par la nation elle-même.

Pour qu'une loi d'élection soit pour le public une garantie véritable, une condition est essentielle: c'est que les électeurs connaissent leurs intérêts et veuillent les faire triompher; c'est qu'ils ne laissent pas capter leurs suffrages par des motifs étrangers à l'élection; c'est qu'ils ne regardent pas cet acte solennel comme une simple formalité, ou tout au plus comme une affaire entre l'électeur et l'éligible; c'est qu'ils n'oublient pas complétement les conséquences d'un mauvais choix; c'est enfin que le public lui-même sache se servir des seuls moyens répressifs qui soient à sa disposition, la haine et le mépris, pour ceux des électeurs qui le sacrifient par ignorance, ou l'immolent à leur cupidité.

Il est vraiment curieux d'entendre le langage que tiennent naïvement quelques électeurs.

L'un nommera un candidat par reconnaissance personnelle ou par amitié; comme si ce n'était pas un véritable crime d'acquitter sa dette aux dépens du public, et de rendre tout un peuple victime d'affections individuelles.

L'autre cède à ce qu'il appelle la reconnaissance due aux grands services rendus à la Patrie; comme si la députation était une récompense, et non un mandat; comme si la chambre était un panthéon que nous devions peupler de figures froides et inanimées, et non l'enceinte où se décide le sort des peuples.

Celui-ci croirait déshonorer son pays s'il n'envoyait pas à la chambre un député né dans le département. De peur qu'on ne croie à la nullité des éligibles, il fait supposer l'absurdité des électeurs. Il pense qu'on montre plus d'esprit à choisir un sot dans son pays, qu'un homme éclairé dans le voisinage, et que c'est un meilleur calcul de se faire opprimer par l'intermédiaire d'un habitant des Landes, que de se délivrer de ses chaînes par celui d'un habitant des Basses-Pyrénées.

Celui-là veut un député rompu dans l'art des sollicitations; il espère que nos intérêts locaux s'en trouveront bien, et il ne songe pas qu'un vote indépendant sur la loi municipale peut devenir plus avantageux à toutes les localités de la France, que les sollicitations et les obsessions de cent députés ne pourraient l'être à une seule.

Enfin un autre s'en tient obstinément à renommer à tout jamais les 221.

Vous avez beau lui faire les objections les mieux fondées, il répond à tout par ces mots: Mon candidat est des 221.

Mais ses antécédents? – Je les oublie: il est des 221.

Mais il est membre du gouvernement; pensez-vous qu'il sera très-disposé à restreindre un pouvoir qu'il partage, à diminuer des impôts dont il vit? – Je ne m'en mets pas en peine: il est des 221.

Mais songez qu'il va concourir à faire des lois. Voyez quelles conséquences peut avoir un choix fait par un motif étranger au but que vous devez vous proposer. – Tout cela m'est égal: il est des 221.

Mais c'est surtout la modération qui joue un grand rôle dans cette armée de sophismes que je passe rapidement en revue.

On veut à tout prix des modérés; on craint les exagérés par-dessus tout; et comment juge-t-on à laquelle de ces classes appartient le candidat? On n'examine pas ses opinions, mais la place qu'il occupe; et comme le centre est bien le milieu entre la droite et la gauche, on en conclut que c'est là qu'est la modération.

Étaient-ils donc modérés ceux qui votaient chaque année plus d'impôts que la nation n'en pouvait supporter? ceux qui ne trouvaient jamais les contributions assez lourdes, les traitements assez énormes, les sinécures assez nombreuses? ceux qui faisaient avec tous les ministères un trafic odieux de la confiance de leurs commettants, trafic par lequel, moyennant des dîners et des places, ils acceptaient au nom de la nation les institutions les plus tyranniques: des doubles votes, des lois d'amour, des lois sur le sacrilége? ceux enfin qui ont réduit la France à briser, par un coup d'État, les chaînes qu'ils avaient passé quinze années à river?

Et sont-ils exagérés ceux qui veulent éviter le retour de pareils excès; ceux qui veulent mettre de la modération dans les dépenses; ceux qui veulent modérer l'action du pouvoir; qui ne sont pas immodérés, c'est-à-dire insatiables de gros salaires et de sinécures; ceux qui veulent que notre révolution ne se borne pas à un changement de noms propres et de couleur; qui ne veulent pas que la nation soit exploitée par un parti plutôt que par un autre, et qui veulent conjurer l'orage qui éclaterait infailliblement si les électeurs étaient assez imprudents pour donner la prépondérance au centre droit de la chambre?

Je ne pousserai pas plus loin l'examen des motifs par lesquels on prétend appuyer une candidature, sur laquelle on avoue généralement ne pas fonder de grandes espérances. À quoi servirait d'ailleurs de s'étendre davantage à réfuter des sophismes que l'on n'emploie que pour s'aveugler soi-même?

Il me semble que les électeurs n'ont qu'un moyen de faire un choix raisonnable: c'est de connaître d'abord l'objet général d'une représentation nationale, et ensuite de se faire une idée des travaux auxquels devra se livrer la prochaine législature. C'est en effet la nature du mandat qui doit nous fixer sur le choix du mandataire; et, en cette matière comme en toutes, c'est s'exposer à de graves méprises que d'adopter le moyen, abstraction faite du but que l'on se propose d'atteindre.

L'objet général des représentations nationales est aisé à comprendre.

Les contribuables, pour se livrer avec sécurité à tous les modes d'activité qui sont du domaine de la vie privée, ont besoin d'être administrés, jugés, protégés, défendus. C'est l'objet du gouvernement. Il se compose du Roi, qui en est le chef suprême, des ministres et des nombreux agents, subordonnés les uns aux autres, qui enveloppent la nation comme d'un immense réseau.

Si cette vaste machine se renfermait toujours dans le cercle de ses attributions, une représentation élective serait superflue; mais le gouvernement est, au milieu de la nation, un corps vivant, qui, comme tous les êtres organisés, tend avec force à conserver son existence, à accroître son bien-être et sa puissance, à étendre indéfiniment sa sphère d'action. Livré à lui-même, il franchit bientôt les limites qui circonscrivent sa mission; il augmente outre mesure le nombre et la richesse de ses agents; il n'administre plus, il exploite; il ne juge plus, il persécute ou se venge; il ne protége plus, il opprime.

Telle serait la marche de tous les gouvernements, résultat inévitable de cette loi de progression dont la nature a doué tous les êtres organisés, si les nations n'opposaient un obstacle aux envahissements du pouvoir.

La loi d'élection est ce frein aux empiétements de la force publique, frein que notre constitution remet aux mains des contribuables eux-mêmes; elle leur dit: «Le gouvernement n'existera plus pour lui, mais pour vous; il n'administrera qu'autant que vous sentirez le besoin d'être administrés; il ne prendra que le développement que vous jugerez nécessaire de lui laisser prendre; vous serez les maîtres d'étendre ou de resserrer ses ressources; il n'adoptera aucune mesure sans votre participation; il ne puisera dans vos bourses que de votre consentement; en un mot, puisque c'est par vous et pour vous que le pouvoir existe, vous pourrez, à votre gré, le surveiller et le contenir au besoin, seconder ses vues utiles ou réprimer son action, si elle devenait nuisible à vos intérêts.»

Ces considérations générales nous imposent, comme électeurs, une première obligation: celle de ne pas aller chercher nos mandataires précisément dans les rangs du pouvoir; de confier le soin de réprimer la puissance à ceux sur qui elle s'exerce, et non à ceux par qui elle est exercée.

Serions-nous en effet assez absurdes pour espérer que, lorsqu'il s'agit de supprimer des fonctions et des salaires, cette mission sera bien remplie par des fonctionnaires et des salariés? Quand tous nos maux viennent de l'exubérance du pouvoir, confierions-nous à un agent du pouvoir le soin de le diminuer? Non, non, il faut choisir: nommons un fonctionnaire, un préfet, un maître des requêtes, si nous ne trouvons pas le fardeau assez lourd; si nous ne sommes pas fatigués du poids du milliard; si nous sommes persuadés que le pouvoir ne s'ingère pas assez dans les choses qui devraient être hors de ses attributions; si nous voulons qu'il continue à se mêler d'éducation, de religion, de commerce, d'industrie, à nous donner des médecins, des avocats, de la poudre, du tabac, des électeurs et des jurés.

Mais si nous voulons restreindre l'action du gouvernement, ne nommons pas des agents du gouvernement; si nous voulons diminuer les impôts, ne nommons pas des gens qui vivent d'impôts; si nous voulons une bonne loi communale, ne nommons pas un préfet; si nous voulons la liberté de l'enseignement, ne nommons pas un recteur; si nous voulons la suppression des droits réunis ou celle du conseil d'État, ne nommons ni un conseiller d'État ni un directeur des droits réunis. On ne peut être à la fois payé et représentant des payants, et il est absurde de faire exercer un contrôle par celui même qui y est soumis.

Si nous venons à examiner les travaux de la prochaine législature, nous voyons qu'ils sont d'une telle importance qu'elle peut être regardée plutôt comme constituante que comme purement législative.

Elle aura à nous donner une loi d'élection, c'est-à-dire à fixer les limites de la souveraineté.

Elle fera la loi municipale dont chaque mot doit influer sur le bien-être des localités.

C'est elle qui discutera l'organisation des gardes nationales, qui a un rapport direct avec l'intégrité de notre territoire et le maintien de la tranquillité publique.

L'éducation réclamera son attention; et elle est sans doute appelée à livrer l'enseignement à la libre concurrence des professeurs, et le choix dès études à la sollicitude des parents.

Les affaires ecclésiastiques exigeront de nos députés des connaissances étendues, une grande prudence, et une fermeté inébranlable; peut-être, suivant le vœu des amis de la justice et des prêtres éclairés, agitera-t-on la question de savoir si les frais de chaque culte ne doivent pas retomber exclusivement sur ceux qui y participent.

Bien d'autres matières importantes seront agitées.

25.Après la mort de Bastiat, il fut aisé à ses amis d'édifier M. Carey sur sa parfaite loyauté. Cette lettre nous paraît mériter cependant d'être conservée, d'autant plus que le post-scriptum contient les éléments d'une importante démonstration. (Note de l'éditeur.)
26.Pour appuyer la candidature de M. Faurie. (Note de l'éditeur.)
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
03 temmuz 2017
Hacim:
633 s. 40 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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