Kitabı oku: «Picrate et Siméon», sayfa 16
Picrate saisit violemment ses deux poignées et, de long en large, dans la chambre étroite, il fit rouler son chariot, à grand bruit… Et puis, il stoppa soudain et parut calme… Il réfléchit et, d’une voix tranquille, annonça:
– J’ai pris ma résolution.
Siméon l’écoutait et le regardait.
– Tu peux t’en aller, Siméon. Moi, je vais me livrer à la police. Je vais leur dire que c’est moi qui ai tué Marie Galande. Ils m’enverront au bagne. Voilà.
Siméon dit:
– Réfléchis encore. Du moment qu’on ne t’a point arrêté jusqu’à présent, tu peux très bien leur échapper.
– Ce n’est pas cela!.. – répliqua Picrate.
– Alors?
– C’est que je ne trouve pas autre chose à faire. J’irai au bagne… C’est que tu m’as vidé de tout espoir, de tout désir, de toute idée!..
Siméon se récusait. Picrate dit:
– Je ne songe pas à te le reprocher, Siméon. Pourquoi?.. Ne t’imagine pas que tu sois responsable du parti que je prends. Je l’aurais pris sans toi. Plus tard, peut-être. Il n’importe! Je l’aurais pris mal, stupidement, par instinct de bête traquée et qui a peur. De cette façon, c’est beaucoup mieux…
Picrate bavardait, bavardait. Une sorte de sérénité singulière lui vint, et les traits de son visage, peu à peu, se détendirent. Il sourit, en disant:
– Au moins, c’est vrai, ce que tu m’as raconté? Il n’y a rien, n’est-ce pas? rien, rien?
Siméon se taisait. Picrate conclut:
– Absolument rien!.. J’aime autant ça. S’il y avait la moindre petite chose, ça m’ennuierait!.. Mais rien!.. Oui, A est A. Tant pis pour «A est A»! N’est-ce pas, Siméon, que nous pouvons bien négliger «A est A»?.. J’irai au bagne. Adieu, Siméon.
Siméon voulut répliquer.
– Mon pauvre Siméon, – dit Picrate, – ne te mets pas en peine. Mais comment peux-tu vivre, toi, dans ce désastre?.. Adieu. Ou plutôt non; pas tout de suite: nous sortirons ensemble. Tu me conduiras, un bout de chemin. Veux-tu?..
– Qui sait – hasarda Siméon – si tu n’oublierais pas, avec le temps, assez pour te reprendre à vivre?
Mais Picrate haussa les épaules:
– Attends-moi!..
Il s’aperçut que le jour luisait. La lumière de sa lampe semblait une petite veilleuse. Il la souffla. Le ciel morne d’un matin pluvieux entra dans la chambre.
VI
ÉPILOGUE
Picrate s’apprêtait.
Il avait enlevé son veston, ouvert le col de sa chemise. A grande eau, il se lavait. Sa cuvette était installée par terre, devant un morceau de miroir. Ses mains, son éponge, sa tête penchée barbotaient dans l’eau, éclaboussant le mur, le plancher, Siméon… Il se frotta d’une serviette, avec entrain.
La fraîcheur de l’ablution lui fut agréable.
– C’est bon, – dit-il; – et ça m’étonne que le ciel ne veuille pas en faire autant. Quelle figure!..
Il souleva le petit rideau de la fenêtre.
– Regarde-moi cette figure. On se débarbouille, que diable! quand on est ainsi couvert de nuages, de suie, de fumée. Connais-tu rien de plus misérable qu’un matin? Ça rechigne à naître, ça grogne…
– Il y a – repartit Siméon – des matins sublimes. On dirait qu’ils ne savent rien des précédents jours. Et telle est leur splendide innocence qu’on dirait qu’ils commencent la vie et l’inaugurent. Des matins de création, des aubes du monde, des aurores de l’ici-bas nouveau. De vierges et naïfs matins!..
– Je ne tiens pas à y penser … – murmura Picrate.
– Penses-y, – insistait Siméon. – De vrais matins initiaux!.. C’est comme si la vie s’était baignée aux léthéennes ondes et surgissait, éblouissante de jeunesse, hors des abîmes oubliés. Incipit vita nova…
– Oui, oui, – reprit Picrate; – je me rappelle. C’est dans un tel matin rayonnant que nous apparut cette petite fille, avec le soleil à ses cheveux blonds, Marie Galande!..
– Marie Galande! – répéta Siméon.
– Elle chantait, – continua Picrate. – Ah! l’étonnante chanson de vie nouvelle! Une chanson légère et merveilleuse, toute pleine de bel espoir.
Ils se turent tous deux. A son miroir, Picrate achevait sa toilette, arrangeait ses cheveux, cirait ses moustaches. Il soupira:
– Marie Galande est morte. Je vais au bagne. Toi, que deviendras-tu? J’ai pitié de toi.
Il voulut ranger un peu sa chambre. Ce ne fut pas une besogne compliquée. Ses anneaux brisés, ses lacets et le stock de ses cartes postales, qu’il assembla, firent un tas au fond d’une armoire.
– On ferme! – disait-il. – Cessation de commerce!
Il examina les murs, le lit, le plancher, le décor de son existence passée. Il s’attendrit:
– Que c’est pauvre et laid, tout cela! Pourtant, j’ai vécu, des années nombreuses, entre ces murs.
Il parut hésiter, comme si quelque chose le retenait qu’il avait peine à rompre. Il pleura.
– Siméon, dis-moi pourquoi je pleure. Je n’abandonne rien que d’affreux et de douloureux. Alors, je ne sais pas pourquoi j’ai cette tristesse…
Et puis, il dit encore:
– La clarinette de Schopenhauer était, sans doute, la plus désolante musique. Imagines-tu d’autres musiques pareillement appropriées à l’absurdité de la vie?.. Il me semble que je l’entends qui entame des romances gaies, avec des roulades, des trilles et de prétentieux trémolos. N’est-ce pas? C’est un air sautillant, allègre et ridicule, pour accompagner mon départ. La clarinette de Schopenhauer rit et se moque. Ah! Siméon, Siméon, que j’ai envie de rire, moi aussi, de rire et de me moquer!.. Seulement, le courage me fait défaut; je n’arrive pas à considérer avec détachement cette petite aventure qui est la mienne! Je pleure sur moi.
– Il est bien naturel, Picrate, – dit Siméon, – que tu pleures sur toi, puisque tu es toi. Mais ta douleur est un peu de la douleur universelle; et tu pleures sur tout au monde, sans le savoir.
Picrate s’essuya les yeux, vérifia que rien ne traînait plus par sa chambre…
– C’est pourtant bien plus vite fait de se tuer! – balbutia-t-il. – J’aurais mieux fait de me tuer, Siméon!..
Il n’attendit pas de réponse, et, gagnant la porte:
– Allons! – dit-il. – Passe le premier.
Siméon sortit. Picrate le suivait. Au moment de fermer la porte derrière lui, Picrate, deux secondes, tergiversa. Puis, il tira la porte violemment et, quand elle battit en se fermant, il gémit; sa plainte dura le même temps que le bruit de la porte dans le couloir.
Dehors, Picrate et Siméon marchèrent l’un près de l’autre. Il bruinait. Au ciel, de grandes nuées s’échevelaient, arrachées par le vent. La tristesse du jour se condensait en humidité froide. Tantôt Picrate se hâtait, comme si le poussait un intense désir; et tantôt il ralentissait l’allure de son chariot, comme si le désir l’abandonnait. Le long du trottoir, les boutiques n’étaient pas encore ouvertes. Seuls, les boulangers étaient à l’ouvrage. Quand on passait devant les soupiraux de leurs caves, on sentait une odeur de pain chaud.
Siméon s’appliquait à marcher ainsi qu’il le fallait pour ne précéder point Picrate. Il ne voulait pas le conduire, mais l’accompagner seulement.
Une crèmerie était de mine engageante. Picrate dit à Siméon:
– Si nous mangions un peu? Cette occasion ne se trouvera plus. Entrons!
Ils s’installèrent. Picrate regardait, autour de lui, les murs blancs, les jarres de lait et les œufs dans leurs corbeilles, la crémière aussi, son tablier blanc, ses fausses manches de toile et ses mains rouges d’être bien lavées. Une impression de confort, de placidité, de calme, lui fut douce et l’étonna.
Un chat paresseux, à peine éveillé, vint et, le dos en voûte, frôla nonchalamment le pied de la table. Picrate laissa pendre sa main; le chat, câlin, s’y caressa.
– Mon pauvre Siméon, – fit Picrate, – c’est la dernière fois que le café au lait nous est à tous les deux versé dans de si proches tasses. J’en ai du chagrin!..
Siméon s’affligeait, à part lui.
– C’est drôle, – reprit Picrate, – que toute ta philosophie t’abandonne depuis que j’y veux céder … La responsabilité sociale, Siméon?.. Tu me prends pour une petite Anglaise qui est victime de Schopenhauer? Tu as peur de ce disciple imprévu que ta désespérance a rencontré?.. Siméon, Siméon, du courage!..
A travers les carreaux, Picrate regardait les gens passer, très vite presque tous, de pauvres gens que des besognes matinales réclamaient. Il les voyait comme de très loin. Le spectacle de la vie était pour lui maintenant plus étrange que de coutume. Il assistait à la commençante journée avec détachement.
Il dit à Siméon:
– Ces gens qui passent font, tous les matins, à la même heure, ce même chemin qu’ils font aujourd’hui. A quoi bon? C’est la volonté, n’est-ce pas, qui les tracasse?
– Si tu veux, – répondit Siméon.
– Oui, oui: la volonté. Désir, besoin, souffrance. Comment ne se mettent-ils pas en grève?
– Contre qui? – demanda Siméon.
– En grève, – répliqua Picrate, – en grève contre la volonté!.. Moi, je me mets en grève contre la volonté. Je refuse de me mêler à ce complot que fomente, avec le désir et la souffrance, la volonté. Je m’évade. Je tire mon épingle du jeu. Là-bas, il y aura des règlements stupides et d’affreux gardes-chiourme; ils seront les instruments de la volonté; c’est affaire à eux: moi, j’abdique. Je ferai ce qu’ils commanderont. Toute l’infamie retombe sur eux. Moi, je n’y suis pour rien… Qu’ils s’arrangent! Cela n’est pas mon affaire!..
– Schopenhauer t’aurait blâmé, – dit Siméon.
Picrate reprit:
– Mais toi, quand tu te consacrais autrefois à la philologie, est-ce que tu n’étais pas en rébellion contre la volonté? A présent même, quand tu annihiles, à conduire de rue en rue ton fiacre et tes clients de rencontre, ton intelligence, ton rêve et toute l’ardeur de ton individualité, que fais-tu, Siméon, que refuser d’être complice de la volonté?
– Oui, – répondit Siméon, – je me gaspille en pure perte, afin que la volonté n’ait de moi rien qu’elle utilise.
Picrate s’exaltait:
– Réagissons contre la volonté!
Il développa ce thème avec emphase.
– Tu y dépenses trop d’orgueil, – observa Siméon. – Crains d’être dupe et ne sois pas la victime de toi-même pour faire la nique à la volonté. Cette révolte va te coûter cher. Le dédain suffit.
Picrate s’excusait:
– Je ne suis pas de nature dédaigneuse…
Dans leurs tasses, le café au lait fumait et son arôme avait du charme. Picrate n’y fut pas indifférent. Il se chauffait les doigts à la faïence et, les narines ouvertes, il aspirait cette tiédeur bien odorante. Une brioche qu’il trempa dans le café au lait le régala. Cette gourmandise le disposait à capituler.
– C’est excellent! – dit-il.
Ensuite, il ajouta, mi-sérieux et mi-narquois, regardant Siméon dans les yeux:
– Écoute, Siméon, si tu me trouves un motif, ou même simplement un assez bon prétexte de vivre, je n’irai point au bagne!.. Je rentrerai chez moi. Tu comprends?
Siméon tressaillit. Éperdu, il chercha. Ses idées s’embrouillaient et, dans leur confusion vaine, il ne trouvait rien.
– Parce que… tu conçois que je ne vais pas accepter de vivre pour la saveur de ce café au lait!..
– Pourquoi? – demanda Siméon.
Picrate avait un air de défi. Siméon se tut…
– Eh bien? – fit Picrate. – Rien?
Après un silence, Siméon répondit avec effroi:
– Non, rien!..
– Allons-nous-en! – dit Picrate.
Ils sortirent. Dans la rue, les boutiques ouvraient. Les concierges battaient leurs tapis. Des contrevents claquaient aux murs. Les passants étaient plus nombreux. Ils évitaient le chariot de Picrate. Siméon se rangeait et ne suivait pas sans difficulté Picrate, qui lançait à grands coups son chariot.
– Réfléchis, Picrate!
Mais Picrate haussa les épaules et ne s’arrêta point.
A quelque distance, Siméon aperçut le drapeau du commissariat, la lanterne rouge …
– Alors, adieu, Picrate!
– Adieu, Siméon!
Ils se donnèrent une brusque poignée de main. Siméon se détourna. Tandis qu’il s’éloignait, le bruit de roues que faisait le chariot de Picrate l’émut péniblement. Et puis il ne discerna plus rien dans le tumulte de la rue; et, sans savoir où il allait, il continua son chemin.