Kitabı oku: «Le Visage de la Mort», sayfa 6
— Je n’ai pas…, commença-t-elle, voulant lui dire qu’elle ne savait pas qu’il était derrière elle, mais son cœur tambourinait de choc et elle ne trouvait plus ses mots.
Il la regardait, il la regardait tout simplement. Son expression était presque vide, d’une façon effrayante.
— Qu’est-ce… Qu’est-ce que vous avez à la main ? demanda-t-elle en désignant le fil de fer complètement éclairé par les phares. Est-ce que ça va… réparer la… ?
Sa voix se perdit, elle était plus qu’ébranlée. Un souvenir la traversa ; elle avait vu quelque chose quand il l’avait prise dans sa voiture. Quelque chose qu’elle avait alors écarté quand il lui avait parlé plutôt gentiment et lui avait fait un grand sourire.
Quelque chose comme une faim ou une joie cruelle, comme un loup qui regardait un lapin pris au piège.
Rubie tourna les talons, elle voulait retourner dans la voiture à présent, elle voulait retourner là où il faisait chaud et où elle était en sécurité. Là il s’était comporté en parfait gentleman et avait compris son histoire et avait raconté son propre passé, quelque chose qui les avait fait se sentir égaux et similaires. Si elle parvenait simplement à retourner à l’intérieur…
Rubie leva instinctivement les mains quand quelque chose toucha son cou — quelque chose de léger et fin mais aussi tranchant et qui lui fit mal aux doigts quand elle le saisit. Qu’était-ce ? Le fil de fer ? Elle tira dessus, sentant la source quelque part derrière elle, la chaleur d’un corps qui n’était pas le sien.
Elle frappa à l’aveuglette, dirigeant ses coudes et ses pieds vers l’arrière, s’efforçant de le trouver et de le prendre par surprise. Il sifflait à voix basse, jurant et lui disant de rester immobile. Elle ne resterait pas immobile. Non. Elle mit un nouveau coup de coude vers l’arrière, un coup désespéré dans l’obscurité, et elle le sentit percuter lourdement quelque chose.
Le conducteur grogna de douleur et la pression autour de son cou se relâcha juste une seconde. Rubie tomba à genoux et se précipita vers l’avant, découvrant que la voie était libre. Ce qu’il avait mis autour de son cou, quoi que ce fût, avait disparu. Elle se poussa du sol et s’élança en avant, à un angle où elle put éviter le chemin éclairé par les phares.
Elle sentait quelque chose de chaud et de lourd sur sa poitrine alors qu’elle courait, le souffle déjà court dans l’air froid qui lui piquait les poumons comme de la glace. Qu’était-ce ? Sa main se porta à sa poitrine, sentant l’humidité sur son haut et la suivant tandis que ses pieds trébuchaient sur le sol inégal. Elle ne l’entendait pas la poursuivre, mais elle courut aussi vite qu’elle le pouvait, aussi vite qu’elle osait sur le terrain accidenté. L’humidité — elle venait de son cou — elle venait de l’endroit où elle avait senti la pression plus tôt — une blessure qui se mit à pulser de douleur dès que ses doigts la trouvèrent.
Il y avait du sang — beaucoup de sang — sur sa poitrine et il s’écoulait sur son ventre. Elle sentit les ruisselets chauds s’écouler et éclabousser ses jambes tandis qu’elles se démenaient éperdument pour mettre autant de distance que possible entre le conducteur et elle.
Le sang ne cessait de couler, il y en avait tant. Rubie se tint le cou à deux mains alors qu’elle courait, sacrifiant l’équilibre supplémentaire et la mobilité de ses bras dans une tentative pour retenir le sang. Il y avait une ligne qui s’étendait d’un côté à l’autre et qui faisait le tour, suintant et coulant de plus en plus à chaque mouvement.
Sans ses yeux ou son équilibre, Rubie trébucha, son pied se prenant dans quelque chose qui semblait être une pierre ou une parcelle de sol dur. Elle tomba lourdement, incapable d’amortir sa chute, l’air quittant brusquement son corps quand ses coudes touchèrent le sol les premiers. Au même moment elle sentit une giclée, comme si l’eau d’un robinet jaillissait sous ses doigts.
Elle n’allait pas abandonner. Non. Elle devait s’enfuir — continuer — aussi loin de lui que possible. Elle n’osa pas regarder autour d’elle pour voir s’il se tenait toujours dans la lumière de la voiture ou s’il était seulement quelques pas derrière elle, prêt à l’attraper à nouveau. Elle ne pouvait pas perdre de temps. Rubie se redressa et poussa pour se lever, seulement pour retomber en s’affaissant, ses jambes refusant de fonctionner.
Tout semblait étrange — vague — comme si elle était faite de gelée tout à coup, ses bras et ses jambes retombant comme des poissons morts quand elle essaya de les bouger. La seule chose qu’elle savait qu’elle pouvait sentir était la chaleur du sang qui s’écoulait de son cou et tachait le sol à présent, coulant tant qu’elle ne parvenait pas à le comprendre.
Rubie leva la tête pour regarder au loin, les lumières de la ville où sa sœur vivait toujours un simple point à l’horizon. Si loin que cela aurait tout aussi bien pu être une étoile. La blessure à son cou s’ouvrit comme une bouche pour déverser une autre giclée de sang et elle sentit son visage heurter le sol, n’ayant plus la force de garder la tête haute.
Elle ne réalisa que vaguement qu’elle ne pouvait plus sentir le froid avant de ne plus rien sentir du tout.
CHAPITRE NEUF
Zoe fut consternée de découvrir que le motel était encore plus miteux à l’intérieur qu’il ne l’avait semblé depuis l’extérieur.
— Rien de plus que la crème de la crème pour le FBI, plaisanta Shelley. C’est pour ça qu’ils nous appellent des agents « spéciaux », n’est-ce pas ?
Zoe grogna, se détournant de son examen du sofa usé du hall juste à temps pour voir le réceptionniste se retourner.
— Voilà votre clé, dit-il en jetant une carte en plastique sur le comptoir.
Elle glissa vers elles, s’arrêtant juste à temps pour ne pas tomber du bord.
— Merci, dit Shelley, prenant la clé et faisant un signe de la main en signe de reconnaissance.
Zoe ne pensait pas que ses compétences en service clientèle méritaient ne serait-ce que cela.
L’homme ne dit rien. Il retourna s’affaler sur son siège et prit son téléphone portable qui était devant lui, reprenant ce qu’il avait été en train de faire, quoi que ce fût, quand elles étaient entrées.
— Est-ce que vous savez où on peut trouver quelque chose de convenable à manger à cette heure-ci ? demanda Shelley.
— Café-restaurant à environ huit kilomètres, dit-il en désignant la direction approximative du menton sans lever les yeux.
Shelley le remercia de nouveau et reçut aussi peu de réaction que la première fois. Elles le laissèrent où il était, Zoe ouvrant la marche avant qu’elle n’ait le temps d’essayer d’engager une autre conversation avec le réceptionniste le plus bourru du monde, et ressortant dans la froideur nocturne du parking.
— Est-ce qu’on devrait aller manger ? demanda Shelley. Ou devrait-on d’abord préparer la chambre ?
— On devrait au moins déposer nos sacs, dit Zoe en soupirant avant de frotter sa nuque qui était raide et douloureuse après la longue journée et la route qu’elles avaient faite. Ensuite on ira manger.
— Pour le vol retour avant la fin de la journée, on repassera, fit remarquer Shelley, levant et examinant la clé à la recherche de leur numéro de chambre.
Elle ouvrit la marche et traversa le parking en direction d’une porte fort similaire à toutes les autres dans le long bâtiment bas, et l’ouvrit en faisant glisser la carte devant.
— On dirait que cette affaire est plus complexe que ce à quoi on s’était attendues, convint Zoe.
Les mots légers cachaient la colère qu’elle ressentait envers elle-même. Elle aurait dû être capable de résoudre cette affaire, de lire les nombres et d’arrêter le suspect. Elle n’aurait pas dû lui laisser une chance de tuer à nouveau. Si quelqu’un mourrait cette nuit-là, ce serait de sa faute.
La chambre était petite, deux lits simples à moins de trente centimètres l’un de l’autre avec des couvre-lits à fleurs démodés. Le genre qui avaient probablement été achetés dans les années quatre-vingt, ou même avant, et qui avaient été lavés encore et encore jusqu’à ce qu’ils deviennent fins et rêches. Du moins, Zoe espérait qu’ils avaient été lavés.
Elle mit un coup dans l’un des pieds du lit et l’observa prudemment afin de voir s’il bougeait. Cela lui fit du bien, mais pas assez. Zoe aurait probablement pu mettre des coups de pied à tout ce qui se trouvait dans la pièce jusqu’à ce que sa jambe lui fasse mal et cela n’aurait toujours pas soulagé la frustration qu’elle ressentait. Elle aurait dû être chez elle à l’heure qu’il était, pas assise dans un motel à attendre qu’un tueur tue une autre victime sans qu’elle ne puisse rien y faire.
Elle pensa à Euler et Pythagore et espéra qu’ils allaient bien. Elle avait un distributeur de nourriture de prêt pour les nuits comme celle-ci, mais les chats étaient trop intelligents pour leur bien. Un jour, ils avaient trouvé un moyen de l’ouvrir et avaient mangé la moitié de la nourriture pour une semaine en une nuit. Elle était rentrée quelques heures plus tard et les avait trouvés allongés, ballonnés et heureux, si plein qu’ils ne pouvaient que remuer la queue en réaction à sa voix.
— Prête ? demanda Shelley d’une petite voix.
Elle sentait peut-être que Zoe n’était pas d’humeur pour cela, pour rien de tout cela.
Zoe hocha la tête et laissa sa partenaire ouvrir la marche. Ce fut sans grande joie qu’elle s’approcha du café-restaurant, voyant les lumières comme une oasis dans l’obscurité de la zone rurale, la plupart d’entre elles étant déjà éteintes pour la nuit. Seules quelques voitures étaient garées sur le petit parking et les grandes fenêtres sur les côtés du bâtiment leur permirent de voir seulement quelques clients en train de manger ou de boire un café. Cela lui coupa le souffle, des souvenirs spontanés de repas à des cafés-restaurants durant son enfance l’envahissant.
Zoe ravala un gémissement plaintif lorsqu’elles entrèrent. C’était un café-restaurant de petite ville typique. Des tables propres et des sièges et des box recouverts de vert, une tentative de décoration kitsch des années cinquante qui contrastait avec les appareils modernes et les images d’équipes de sport locales sur un panneau d’informations. Les deux serveuses à l’air las, toutes deux d’âge moyen, portaient des uniformes quelconques qui étaient ni élégants ni bien coupés. Ses yeux lui dirent que l’une d’entre elles en portait un exactement une taille trop petit et l’autre, une taille trop grand. Elle cligna des yeux, chassant les nombres. Elle voulait juste manger et aller se coucher.
Zoe se glissa dans un box et examina le menu. Il était parfois apaisant de voir une liste de plats familiers et savoir ce que l’on voulait commander, mais ici, c’était déplaisant. C’était de la cuisine standard et générique de café-restaurant, le genre de pancakes servis toute la journée et de burgers que l’on pouvait trouver dans n’importe quel restaurant du genre à travers le pays. Cela aurait facilement pu être le menu exact proposé par le café-restaurant dans la ville natale de Zoe, où elle s’était rendue, maussade, après l’église, suivant ses parents pour leur repas de fête hebdomadaire.
Non pas que cela eût jamais été une vraie fête, pour elle.
Elle fixa le menu sans le lire, sentant le regard brûlant de sa mère sur le sommet de sa tête, le regard furieux qu’elle rencontrait toujours quand elle levait les yeux. Elle laissa silencieusement les nombres emplir sa tête, comme elle le faisait toujours quand elle se trouvait face un menu, les laissant lui dire le prix au poids de chaque plat, le nombre de calories auquel s’attendre, quel plat contenait plus de matières grasses et lequel contenait plus de sucre. Un exercice inutile étant donné que Zoe ne considérait jamais ces facteurs quand elle choisissait ce qu’elle allait manger. Elle avait appris voilà longtemps à simplement choisir quelque chose qui lui plaisait et à ignorer les nombres.
— Est-ce que vous voulez du café ? demanda la serveuse, s’arrêtant à leur table une cafetière à la main.
Zoe tendit sa tasse pour qu’elle la remplisse sans dire un mot tandis que Shelley acquiesça et la remercia. La serveuse leur promit de bientôt revenir prendre leur commande et s’éloigna, des chaussures plates frappant lourdement le linoleum.
— Qu’est-ce que tu vas commander ? demanda Shelley. Je n’arrive jamais à choisir. Je ne suis pas douée pour choisir ce que je veux manger. Tout a l’air bon.
Zoe haussa les épaules.
— Un burger, probablement.
— Avec des frites ?
— Elles sont servies avec.
Shelley parcourut de nouveau le menu plusieurs fois avant de hocher la tête et de le fermer.
— Ça semble pas mal.
Zoe leva les yeux pour analyser momentanément l’alcoolique, le routier long-courrier et le père de famille qui n’avait nulle envie de rentrer chez lui avant de décider que les autres clients du restaurant ne valaient pas la peine d’être regardés. Elle dirigea son regard vers la salière, mesurant précisément la quantité de sel qu’elle contenait et la comparant au sucrier avant d’ignorer cela aussi.
Les nombres ne l’aidaient pas. L’affaire n’était toujours pas résolue, le criminel ne laissait rien derrière lui qui puisse l’aider même avec ses capacités uniques. À présent, elle était coincée dans ce trou paumé pour au moins un jour de plus à regarder des choses qui lui rappelaient son enfance et toutes les choses qui n’allaient chez elle que sa mère s’était efforcée de lui faire remarquer. Pendant ce temps-là, quelque part, une femme se battait peut-être pour rester envie et perdait la bataille dans un parking vide ou au bord d’une route.
— Si tu n’aimes pas cet endroit, on ira autre part demain, dit Shelley en offrant à Zoe une tentative de grand sourire. Quelque part qui ne fait pas trop petite ville. On peut peut-être commander à manger au motel.
Zoe leva les yeux. Une fois de plus, Shelley l’avait surprise avec sa perspicacité.
— Il n’y a pas de problème avec cet endroit. Je m’excuse si je suis désagréable. J’espérais qu’on résoudrait rapidement cette affaire et qu’on rentrerait à la maison. Je ne veux pas que d’autres personnes meurent.
— Moi non plus, dit Shelley en haussant les épaules. On va y arriver. Mais ce n’est pas grave. Tu n’as pas à faire semblant de sourire avec moi. Je vois que tu es mal à l’aise ici.
— Je ne voulais pas nous distraire de l’affaire en parlant de mes propres problèmes, dit Zoe, sa bouche se tordant. Je suppose que je n’arrive pas bien à le cacher.
Shelley rit.
— Je ne travaille pas avec toi depuis très longtemps, Z, mais je commence déjà à voir les signes. Il y a une différence entre quand tu es silencieuse parce que tu es, eh bien, toi, et quand tu es silencieuse parce que tu es mal à l’aise.
Zoe regarda son café, y ajouta exactement une cuillère à café de sucre avec le sucrier sans avoir à mesurer et le mélangea en veillant à ne pas faire tinter la cuillère contre le bord de la tasse.
— Ça ressemble trop à ma ville natale ici.
— Je n’essaye pas de te pousser. J’étais sincère quand je t’ai dit que tu n’étais pas obligée de m’en parler, dit Shelley, buvant une gorgée de son café noir. Mais tu peux m’en parler. Si tu en as envie.
Zoe haussa les épaules. Que pouvait-elle dire ? Elle n’avait pas changé d’avis à propos du fait de mettre les détails de côté, excepté peut-être avec le psychiatre. Mais ses problèmes affectaient son travail et Shelley méritait de savoir pourquoi. Au moins un peu du pourquoi.
— Ma mère était manipulatrice, dit-elle simplement ; il valait mieux omettre le moment où elle l’avait accusée d’être la progéniture du diable. Mon père était spectateur, au mieux. J’ai été légalement émancipée quand j’étais adolescente.
Shelley laissa échapper un petit sifflement.
— Ça devait vraiment être terrible si tu as dû en venir à ça pour t’éloigner d’eux.
Zoe haussa de nouveau les épaules. Elle but une gorgée de son café, sentant un léger inconfort dû à la température, et le reposa délicatement sur la table. Elle n’arrivait jamais à parler d’elle-même. Les quelques fois où elle avait essayé quand elle était enfant, sa mère lui avait fait clairement comprendre que les choses qu’elle ressentait et voyait n’étaient pas normales.
— J’espère que je ne suis jamais comme ça, soupira Shelley. Ou même un peu comme ça. Je veux être une bonne mère. Évidemment, je ne serai pas à la maison aussi souvent que je le voudrais, mais je veux quand même bien faire.
Zoe assimila le visage pensif et distrait de Shelley.
— Tu as des enfants ?
— Un, répondit Shelley en souriant, son visage s’illuminant de chaleur. Ma fille.
— Comment s’appelle-t-elle ?
— Amelia. C’était dur de devoir suivre la formation et ensuite de devoir partir travailler. J’ai décidé de changer de carrière après mon congé maternité. Bien que je pense avoir trouvé ma vocation, ce n’était pas facile de la laisser à la maison.
— Ton compagnon s’occupe d’elle ? demanda Zoe.
— Ma mère. La journée, au moins. Mon mari a un travail de bureau, il travaille de neuf heures à dix-sept heures. Il est toujours présent pour elle le weekend, soupira Shelley. On a tous les deux besoin d’argent, donc on travaille.
Zoe la considéra un long moment. Elle baissa de nouveau les yeux vers son café.
— Je ne pense pas que tu pourrais être une mauvaise mère, finit-elle par dire. Tu ne seras jamais comme ma mère.
— Merci, sourit Shelley ; le soulagement dans son expression était palpable. J’avais besoin d’entendre ça.
Zoe pensa à la petite fille de Shelley et au fait que chacune des victimes avait eu une mère un jour, et lutta contre l’envie irrésistible de s’élancer dans la nuit pour continuer la recherche de leur meurtrier. Elle ne serait utile à personne si elle ne dormait pas assez pour penser clairement et si elle ne mangeait pas assez pour que son corps puisse fonctionner. C’était l’important ce soir-là, pendant qu’elles n’avaient aucune piste digne de ce nom.
D’une certaine manière, savoir que Shelley était mère et qu’elle tenait beaucoup à sa petite famille — assez pour tant s’inquiéter — la fit monter dans l’estime de Zoe. L’empathie qu’elle ressentait envers les victimes et leurs familles n’était pas du cinéma. Shelley faisait preuve de compassion sincère. C’était quelque chose que Zoe regrettait de ne pas être plus capable. Shelley était peut-être précisément le genre de partenaire dont elle avait besoin.
En particulier si, le lendemain matin, elle allait devoir faire face à la famille d’une autre victime et leur expliquer pourquoi elle n’avait pas attrapé le meurtrier.
CHAPITRE DIX
Rubie revint lentement à elle, le monde redevant plus net. De la terre sous son visage. De l’herbe, des brins fins et pointus, désagréable sous sa joue. Elle bougea les yeux, voyant les lumières de la ville au loin et autour d’elle, les arbres, grands et sombres, lui bloquant la vue à gauche et à droite.
Elle devait avoir titubé jusqu’aux bois. Elle s’en rappelait à peine. La seule chose sur laquelle elle avait été capable de se concentrer était le sang qui se déversait en coulées chaudes et humides sur son corps.
Combien de temps était-elle restée évanouie ? Il faisait toujours sombre, toujours froid et elle était toujours en vie. Elle appuya très légèrement sa main contre son cou et découvrit qu’il était toujours humide. Cela ne faisait donc pas longtemps. Si elle avait saigné trop longtemps, elle serait morte.
Rubie tendit l’oreille quand elle entendit un bruit non loin et elle se mit instinctivement à respirer plus lentement, faisant l’effort délibéré de ne pas expirer trop fort. Plus elle respirait lentement, moins de sang pulsait de son cou. La coupure était si profonde qu’elle pouvait sentir l’air la traverser. Elle appuya sa main plus fort contre la ligne de douleur brûlante, essayant d’empêcher le sang de couler.
Des pas. C’était ses pas. Lents, prudents, un pied après l’autre. Il ne se déplaçait maladroitement dans les bois, il se montrait prudent. Il cherchait. Il la cherchait.
Une poussée folle de peur lui fit tourner la tête et elle lutta pour garder sa respiration sous contrôle, pour rester aussi silencieuse que possible. Il s’approchait, il se dirigeait droit sur elle. Mon Dieu, s’il la retrouvait. Mon Dieu, ce serait fini.
Rubie serra fermement son cou, voyant des étoiles à chaque fois que sa prise sur son cou glissait et que la plaie se rouvrait, laissant échapper une autre coulée. Toutes les parties de son corps voulaient céder aux ténèbres qui l’attendaient, voulaient partir dans la douce ignorance de l’inconscience. Mais elle savait. Rubie savait que si elle se laissait aller, elle ne se réveillerait jamais.
Les pas étaient si proches qu’elle s’arrêta complètement de respirer. Elle resta immobile, aussi immobile que possible, jusqu’à ce que le sol mouvement dans son corps fut celui du sang qui quittait son cou un battement de cœur après l’autre. Elle attendit. Combien de temps pouvait-elle rester sans respirer avant de devoir faire un autre bruit ? Et s’il la voyait ? Combien de temps mettrait-il à la tuer ?
Les pas continuèrent à se déplacer et quand Rubie réalisa qu’ils la dépassèrent et partirent dans une autre direction pour s’enfoncer plus profondément dans les bois, elle expira enfin. Son corps revint à la vie, toutes les douleurs et les souffrances la traversant, lui rappelant la terre froide et l’air froid et la chaleur qui s’écoulait d’elle à chaque battement de cœur.
Si elle parvenait à arrêter l’hémorragie, elle aurait une chance. Elle pourrait quitter cet endroit en titubant ou même en rampant si nécessaire. Le lever du jour était encore loin, elle avait donc encore beaucoup de temps avant qu’il ne puisse se servir de la lumière du jour pour la trouver. Elle pourrait être en ville d’ici là, à l’hôpital, en sécurité dans un endroit sûr. Elle pouvait s’en sortir. Elle en avait la force.
Si elle pouvait seulement arrêter l’hémorragie.
Rubie essaya de réfléchir, forçant son cerveau engourdi et figé à fonctionner. Un bandage — c’était cela dont elle avait besoin. Ses mains glissaient à cause du sang et la perte de sang l’avait affaiblie. Elle ne pouvait pas maintenir la plaie fermée, pas assez. Un bandage la maintiendrait.
Mais où trouverait-elle un bandage ?
Pas un bandage médical — cela pouvait être n’importe quoi. Un morceau de tissu. Du ruban adhésif. Elle avait vu cela dans un film. Même des agrafes. Non, pas des agrafes ou du ruban adhésif — réfléchis. Réfléchis. Elle devait penser à quelque chose qu’elle pourrait vraiment trouver.
Des vêtements ! Ses vêtements ! Ils étaient en… en tissus. Que portait-elle ? Un short en jean — c’était pour cela qu’elle avait si froid aux jambes. Un petit t-shirt moulant. La seule chose entre son ventre et le sol froid. Un sweat à capuche, ouvert, la capuche tassée contre sa nuque, gardant cet endroit au chaud.
Son sac ! Elle avait une écharpe dans son sac — mais il était — non — dans la voiture…
O.K., réfléchis. Les vêtements qu’elle portait, c’était tout ce qu’elle avait. Le t-shirt — le tissu était fin. Il était peut-être facile à déchirer. Elle pourrait déchirer toute une partie du bas. C’était ce qu’ils faisaient dans les films, non ? Ils le déchiraient simplement avec leurs mains.
Rubie réunit ce qui lui restait de force, retirant une main de son cou et poussant contre la terre froide. Ses doigts s’enfoncèrent dans la terre humide qui glissa entre eux avant qu’elle ne commence enfin à bouger. Lentement, puis ensuite tout à coup quand la gravité lui vint en aide, elle se retourna et fut sur le dos. L’impact la secoua, expulsant l’air de son corps.
Voilà. Elle s’en approchait. Le sang coulait vers l’arrière à présent, dégoulinant sur son cou et vers ses cheveux, et elle sentit qu’elle pouvait lâcher un moment pour tâtonner le tissu de son t-shirt.
Elle tira autant qu’elle le pouvait, mais sa force habituelle l’avait quittée. Ses mouvements étaient inefficaces, ses mains glissaient et le tissu s’échappait d’entre ses doigts gelés.
Réfléchis, Rubie, réfléchis.
Les coutures — c’était les points faibles.
Elle tâtonna pour trouver la couture latérale et saisit chaque côté quand elle la trouva enfin. Elle les agrippa et tira, prenant une profonde inspiration et se servant de tout ce qu’elle avait — et la couture se déchira, les points lâchant et se décousant avec un bruit semblable à celui du Velcro.
Rubie avait envie de pleurer. Elle avait réussi. Mais ce n’était que la première étape.
Des pas.
Elle l’entendit — ses pas.
Leur bruit devenait plus fort.
Il revenait.
* * *
Il la chassa sans relâche avec une énergie née des flammes jumelles de la peur et de la colère. Ce n’était pas le plan. Elle était en train de ruiner le plan.
Cette idiote de fille aurait dû mourir là où il l’avait emmenée, là où elle était censée mourir. Pourquoi avait-elle dû s’enfuir ainsi ? Et dans les bois, rien que cela ?
Il faisait sombre, mais il ne voulait pas prendre le risque d’allumer la lampe torche de son téléphone portable. S’il le faisait, il pourrait se faire repérer depuis la route. Quelqu’un pourrait identifier sa voiture et ensuite la police se lancerait à sa poursuite, ils feraient des APB{2}, des barrages routiers et des recherches sur son casier. Il avait éteint les phares de la voiture et le moteur et l’avait laissée dans l’obscurité, où il espérait que personne ne passerait.
Mais il était encore plus risqué qu’un conducteur ou un passager regarde dans cette direction et voie la fille plutôt que sa voiture. Elle ruinerait la séquence si elle s’échappait, mais il y avait pire que cela. Elle connaissait son visage. Elle serait capable de décrire sa voiture. Elle avait peut-être même jeté un coup d’œil à sa plaque d’immatriculation avant d’accepter qu’il la dépose.
Si elle sortait des bois et allait trouver les autorités, ils le trouveraient en un rien de temps.
Il se déplaça d’un pas raide entre les arbres avec un sentiment de désespérance grandissant, un grognement remontant dans sa gorge tandis qu’il s’éloignait de plus en plus de la route. Il n’y voyait rien. Les éclaboussures de sang sur le sol près de la voiture avait été encourageants, mais ici, la lumière de la lune ne pénétrait pas les branches et il ne pouvait plus suivre la piste.
Il savait qu’il lui avait fait une entaille — mais quelle en était la gravité ? Si ce n’était qu’une plaie peu profonde, elle parviendrait à rejoindre la ville. Peut-être avant qu’il la trouve. S’il la trouvait. Elle était peut-être à mi-chemin de la ville, même maintenant.
Il s’arrêta de bouger, restant immobile et écoutant le balancement et le bruissement des arbres dans le léger vent qui traversa les bois. C’était sans espoir. S’il ne se produisait pas une espèce de miracle, il n’allait pas la trouver à temps. Tout serait terminé.
Là — quel était ce bruit ? Il tourna sur lui-même, les battements de son cœur s’accélérant et battant si fort dans ses oreilles qu’il craignait qu’ils ne noient les autres indices.
Il se dirigea dans la direction d’où était venu le bruit, plus vite à présent, oubliant ses précautions en échange de la hâte. Qu’est-ce qui avait causé ce bruit ? Cela avait été le bruit de quelque chose qui se déchire, pensa-t-il, comme du tissu. Pas un bruit d’animal. Pas un oiseau ou un écureuil ou quoi que ce soit d’autre — une fille.
Il avança à l’aveuglette dans l’obscurité, ne voyant que les objets les plus proches, les mains tendues devant lui afin de ne pas percuter d’arbre tandis qu’il se concentrait sur le sol sous ses pieds. Là — était-ce une tache de sang ?
Il jeta un coup d’œil à la route derrière lui et hésita, évaluant le risque. Il alluma l’écran de son téléphone, n’utilisant que la faible lumière, et s’accroupit. Oui — du sang ! Il déplaça la lumière, la suivant et la remontant de plus en plus jusqu’à ce que…
La lumière se posa sur son corps, brillant dans ses yeux et faisant scintiller les flaques humides autour d’elle et le filet qui suintait toujours de son cou.
Il sourit enfin, s’élança en avant et s’accroupit au-dessus d’elle en faisant attention à éviter de marcher dans le sang.
Elle respirait toujours. Mais sa respiration était courte et faible et ses yeux commençaient déjà à devenir vitreux. Ses mains, qui étaient sur le sol près de l’ourlet déchiré de son t-shirt, étaient couvertes de sang et secouées d’un petit tremblement. Elle le regardait fixement, mais il savait pas si elle comprenait ou non ce qu’elle voyait.
Il y avait du sang autour d’elle. Et sur elle. Elle était recouverte de sang. Il était parvenu à la couper profondément avant qu’elle ne le frappe et s’échappe. Le sang coulait toujours de la profonde entaille à son cou.
Ses mains s’immobilisèrent. Il se pencha au-dessus d’elle, de plus en plus en près, jusqu’à ce que son visage ne soit plus qu’à quelques centimètres du sien. Il se concentra, immobilisant son propre corps, et resta aussi silencieux que possible.
Elle ne respirait plus.
Elle s’était vidée de son sang, enfin.
L’espace d’une seconde, il voulut exulter de sa victoire, et la suivante, il voulut exploser de rage. C’était faux — tout était faux. Elle était morte au mauvais endroit ! Cette garce avait tout gâché, tout ! La séquence était brisée, fausse, détruite !
Il se leva et lui mit un coup de pied, la frappant au flanc et causant un bruit sourd et satisfaisant, un bruit qui lui rappelait celui d’un attendrisseur frappant un morceau de viande.
Ce n’était pas assez satisfaisant étant donné qu’elle avait brisé sa séquence et détruit tout ce pour quoi il avait travaillé.
Il recula, la respiration lourde, et laissa son regard tomber sur la scène tandis qu’il se servait de la lumière de son téléphone pour l’examiner. Il devrait s’occuper du sang. Il y avait bien trop de preuves pour le moment, trop de signes qui montreraient où aller aux enquêteurs.