Kitabı oku: «Qui va à la chasse », sayfa 2

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CHAPITRE DEUX

Sept semaines plus tard

Quand Riley arriva au bureau du psychologue, elle trouva Ryan assis, seul, dans la salle d’attente.

— Où est April ? demanda-t-elle.

Ryan montra la porte fermée.

— Elle est avec le docteur Sloat, dit-il d’un air embarrassé. Elles voulaient parler de quelque chose en privé. Ensuite, on pourra rentrer.

Riley soupira et se laissa tomber sur une chaise. April, Ryan et elle avaient passé de longues heures émotionnellement difficiles dans ce cabinet, ces dernières semaines. C’était la dernière séance avant qu’ils ne prennent un peu de vacances pour Noël.

Le docteur Sloat affirmait que toute la famille devait participer à la guérison d’April. C’était beaucoup de travail. Au grand soulagement de Riley, Ryan y avait pris part sans réserve. Il était venu à toutes les séances qu’il pouvait intégrer à son emploi du temps, acceptant même de réduire son temps de travail. Aujourd’hui, il avait conduit April ici, après l’école.

Riley l’observa à la dérobée, tandis qu’il regardait fixement la porte fermée. Il semblait métamorphosé. Il y avait encore peu de temps, il portait si peu d’attention à sa fille qu’on aurait pu l’accuser de négligence. Il avait souvent répété que les problèmes d’April étaient de la faute de Riley.

Mais, quand April avait consommé de la drogue et s’était approchée dangereusement de la prostitution forcée, quelque chose avait changé en lui. Suite à son séjour à la clinique, April vivait chez Riley depuis six semaines. Ryan leur rendait visite le plus souvent possible, notamment pour Thanksgiving. Parfois, ils ressemblaient presque à une famille normale.

Mais Riley ne cessait de se demander s’ils avaient jamais été normaux.

Peut-on changer ça ? se demanda-t-elle. Est-ce que je veux que ça change ?

Riley était déchirée et se sentait même un peu coupable. Elle avait longtemps essayé d’accepter que Ryan ne ferait pas partie de son avenir. Elle s’était imaginé avec un autre homme, peut-être.

Il y avait toujours eu quelque chose entre elle et son partenaire Bill, mais ils passaient aussi beaucoup de temps à se quereller. Et puis, il était assez difficile de maintenir une bonne relation professionnelle, sans compliquer les choses.

Son séduisant et aimable voisin, Blaine, était une meilleure option, d’autant plus que sa fille, Crystal, était amie avec April.

Pourtant, à des moments comme celui-ci, Ryan redevenait l’homme dont elle était tombée amoureuse, des années plus tôt. Riley n’aurait su dire où se dirigeait sa vie.

La porte s’ouvrit et le docteur Lesley Sloat fit un pas dans la salle d’attente.

— On aimerait vous voir, maintenant, dit-elle en souriant.

Riley appréciait beaucoup la psychologue, à la silhouette trapue et aux sourires désarmants. April l’aimait aussi.

Riley et Ryan s’assirent dans les confortables fauteuils rembourrés, en face d’April qui occupait un canapé, à côté du docteur Sloat. April leur adressa un petit sourire. Le docteur Sloat lui fit signe de prendre la parole.

— Il s’est passé quelque chose cette semaine, dit April. C’est difficile d’en parler…

Le souffle de Riley accéléra l’allure, tout comme son rythme cardiaque.

— C’est Gabriela, dit April. Peut-être que ce serait mieux si elle était là aussi, mais elle est pas là…

Riley était surprise. Gabriela était leur bonne guatémaltèque, qui travaillait dans la famille depuis des années. Elle avait emménagé avec Riley et April. Elle était devenue un membre de leur famille.

April prit une grande inspiration et poursuivit :

— Il y a deux jours, elle m’a dit un truc que je vous ai pas dit. Mais je crois que vous devriez savoir. Gabriela m’a dit qu’elle allait s’en aller.

— Pourquoi ? s’exclama Riley.

Ryan parut étonné :

— Elle n’est pas assez payée ? demanda-t-il.

— Non, c’est à cause de moi, dit April. Elle m’a dit qu’elle n’en pouvait plus. Elle m’a dit que c’était trop de responsabilités de me protéger.

April se tut. Une larme brilla sur sa joue.

— Elle m’a dit que c’était trop facile pour moi de filer sans qu’elle le sache. Elle ne dormait plus la nuit. Elle se demandait toujours ce que je faisais. Elle m’a dit qu’elle allait partir, maintenant que j’allais mieux.

Riley sursauta. Elle n’avait jamais soupçonné que Gabriela était dans un tel état.

— Je l’ai suppliée de ne pas partir, dit April. Je pleurais et elle pleurait, mais j’arrivais pas à la faire changer d’avis et j’ai eu trop peur.

April s’étouffa sur un sanglot et essuya ses yeux avec un mouchoir.

— Maman, dit April, je l’ai suppliée à genoux. Je lui ai promis de ne jamais recommencer. Et enfin, enfin, elle m’a prise dans ses bras et elle a dit qu’elle partirait pas tant que je garderais ma promesse. Et je garderai ma promesse. Je garderai ma promesse. Maman, Papa, je ne vous obligerai plus jamais à vous inquiéter comme ça pour moi.

Le docteur Sloat tapota la main d’April et sourit à Riley et Ryan.

Elle dit :

— Ce qu’April essaye de vous dire, c’est qu’elle a franchi un cap.

Riley vit Ryan sortir un mouchoir et se tapoter les yeux. Elle l’avait très rarement vu pleurer, mais elle comprenait ce qu’il ressentait. Sa gorge piquait. C’était Gabriela – pas Riley, pas Ryan – qui avait remis April sur de bons rails.

Cependant, Riley ne pouvait être qu’incroyablement reconnaissante de retrouver toute sa famille en forme et en bonne santé pour Noël. Elle tâcha d’ignorer l’horrible ressentiment qui lui souffla que les monstres de sa vie allaient lui gâcher ses vacances.

CHAPITRE TROIS

Quand Shane Hatcher pénétra dans la bibliothèque de la prison, le jour de Noël, l’horloge montrait qu’il était moins deux.

Dans les temps, pensa-t-il.

Dans quelques minutes, il s’évaderait.

C’était drôle de voir les décorations de Noël pendre çà et là – toutes fabriquées en polystyrène, évidemment, rien de coupant. Hatcher avait passé de nombreuses fêtes de Noël ici, à Sing Sing, et l’idée de vouloir insuffler un esprit festif dans un tel endroit lui paraissait absurde. Il faillit éclater de rire en voyant Freddy, le taciturne bibliothécaire de la prison, avec un bonnet rouge.

Assis derrière son bureau, Freddy lui adressa un sourire cadavérique. Ce sourire disait à Hatcher que tout se passait comme prévu. Hatcher hocha la tête à son tour et sourit. Puis il se dirigea entre deux rayons et attendit.

Quand l’aguille indiqua l’heure juste, Hatcher entendit la porte s’ouvrir à l’autre bout de la bibliothèque. Quelques minutes plus tard, un chauffeur de camion entra, en poussant devant lui une grosse poubelle. Il referma bruyamment derrière lui.

— Qu’est-ce que t’as pour moi, cette semaine, Bader ? demanda Freddy.

— Qu’est-ce que tu crois ? demanda le chauffeur. Des bouquins, que des bouquins…

Le chauffeur jeta un rapide coup d’œil en direction de Hatcher, avant de se détourner. Bien sûr, il était dans la combine. Le chauffeur et Freddy firent comme si Hatcher n’était pas là.

Parfait, pensa Hatcher.

Ensemble, Bader et Freddy déchargèrent les livres sur une table à roulettes.

— Tu prendras bien un café ? demanda Freddy. Ou du lait de poule bien chaud ? Ils en font pour les fêtes.

— Super.

Tout en discutant, les deux hommes disparurent derrière les portes battantes.

Hatcher resta immobile quelques secondes. Il étudia la position exacte de la poubelle. Il avait payé un maton pour orienter différemment une caméra de surveillance, petit à petit, sur une période de quelques jours. Maintenant, il y avait un angle mort dans la bibliothèque – un angle mort que les gardes chargés de la surveillance des moniteurs n’avaient pas encore remarqué. Et le chauffeur avait trouvé cet angle mort.

Hatcher sortit en silence de sa cachette et se glissa dans la benne. Le chauffeur avait installé une grosse couverture dans le fond. Hatcher s’en recouvrit.

Il ne restait plus que la dernière phase, celle dont il n’était pas certain. Et même si quelqu’un rentrait à ce moment-là dans la bibliothèque, pourquoi regarderait-il dans la benne ? Ceux qui fouillaient le camion d’habitude avaient également été payés.

Bien sûr, il n’était pas inquiet ou nerveux. Il ne ressentait plus de telles émotions depuis plus de trente ans. Un homme qui n’a rien à perdre n’a pas de raison d’être inquiet. La seule chose qui peut éveiller son intérêt, c’est la promesse de l’inconnu.

Il attendit sous la couverture, en écoutant attentivement. L’aiguille de l’horloge sur le mur tiqua la minute.

Encore cinq minutes, pensa-t-il.

Cela faisait partie du plan. Ces cinq minutes, ce serait l’alibi de Freddy. Il pourrait dire, sans mentir, qu’il n’avait pas vu Hatcher monter dans la benne. Il pourrait dire qu’il pensait que Hatcher avait quitté la bibliothèque en son absence. Quand les cinq minutes seraient écoulées, Freddy et le chauffeur de camion reviendraient, et Hatcher sortirait de la bibliothèque, puis de la prison.

En attendant, Hatcher laissa ses pensées vagabonder. Que ferait-il avec sa liberté ? Il avait récemment reçu des nouvelles qui valaient la peine de prendre le risque.

Hatcher sourit en pensant à l’autre personne qui s’intéresserait de près à son évasion. Il aurait aimé voir la tête de Riley Paige quand elle l’apprendrait.

Il étouffa un rire.

Ce serait tellement bien de la revoir.

CHAPITRE QUATRE

Riley regarda April ouvrir le cadeau de Noël que son père lui avait acheté. Ryan connaissait-il vraiment les goûts de sa fille ?

April sourit en sortant un bracelet jonc du paquet.

— C’est super beau, Papa ! s’exclama-t-elle en plantant un bisou sur sa joue.

— Il parait que c’est tendance en ce moment, dit Ryan.

— Oui, c’est super tendance, répondit April. Merci !

Elle adressa à Riley un clin d’œil discret. Riley réprima un rire. Quelques jours plus tôt, April lui avait dit qu’elle détestait ces bracelets ridicules que toutes les filles portaient. Malgré tout, April feignait très bien l’enthousiasme.

Elle ne jouait pas la comédie pour autant. April était heureuse que son père ait pris le temps de lui acheter un cadeau de Noël susceptible de lui plaire.

Riley avait ressenti la même chose en déballant le sac à main hors de prix que Ryan lui avait offert. Il n’était pas du tout à son goût, et elle ne s’en servirait jamais – sauf quand Ryan serait dans le coin. Pour ce qu’elle en savait, Ryan pensait peut-être la même chose du portefeuille qu’elle et April lui avaient acheté.

On essaye de redevenir une famille, pensa Riley.

Pour le moment, c’était un succès.

C’était le matin de Noël, et Ryan était venu passer la journée avec elles. Riley, April, Ryan et Gabriela étaient assis devant la cheminée, en train de boire du chocolat chaud. L’odeur délicieuse du grand repas de Noël que Gabriela avait mitonné embaumait la pièce.

Riley, April et Ryan portaient les écharpes que Gabriela leur avait tricotées, et Gabriela portait les chaussons confortables qu’April et Riley lui avait offerts.

On sonna à la porte, et Riley alla ouvrir. C’était son voisin, Blaine, avec sa fille, Crystal.

Riley était à la fois ravie et embarrassée de les voir. Par le passé, Ryan avait été jaloux de Blaine – non sans raison. En fait, elle le trouvait très séduisant.

Riley ne put s’empêcher de le comparer mentalement à Bill et à Ryan. Blaine était un peu plus jeune qu’elle, mince et athlétique. Il perdait ses cheveux et ne s’en cachait pas, ce qui ne déplaisait pas à Riley.

— Entrez, dit-elle.

— Désolé, je ne peux pas, dit Blaine. Je dois aller au restaurant. Mais j’ai amené Crystal.

Blaine était le propriétaire d’un restaurant très populaire du centre-ville. Evidemment, ils avaient ouvert pour le jour de Noël, et Riley n’aurait pas dû être surprise. Il devait proposer quelque chose de délicieux pour les fêtes.

Crystal fila à l’intérieur et se mêla au groupe. Elle et April ouvrirent en gloussant les cadeaux qu’elles s’offraient l’une à l’autre.

Riley et Blaine s’échangèrent discrètement des cartes de Noël, puis Blaine s’en alla. Quand Riley rejoignit le groupe, Ryan avait l’air amer. Riley mit la carte de côté sans l’ouvrir. Elle la lirait quand Ryan serait parti.

Ma vie est décidément compliquée, pensa-t-elle. Mais c’était une vie qui semblait de plus en plus normale. Une vie qu’elle pouvait aimer.

*

Les pas de Riley résonnaient dans la grande pièce obscure. Soudain, il y eu un craquement, comme si quelqu’un avait appuyé sur l’interrupteur, et la lumière inonda la pièce, aveuglant Riley.

Elle se trouvait dans le couloir de ce qui semblait être un vieux musée de cire. A sa droite, une femme nue était appuyée contre un arbre dans une position de poupée. A sa gauche, une femme enroulée dans une chaîne pendait à un lampadaire. Plus loin, une autre exposition montrait des cadavres dont les mains étaient attachées dans le dos. Ensuite, une série de corps dont les bras pointaient d’étranges directions.

Riley les connaissait déjà. C’étaient les affaires sur lesquelles elle avait récemment travaillé. Elle était entrée dans son cabinet des horreurs.

Mais que faisait-elle là ?

Soudain, une voix de gamine l’interpella avec terreur :

— Riley, aidez-moi !

Elle fouilla du regard le bout du couloir et vit enfin la silhouette d’une jeune fille qui tendait les bras vers elle.

On aurait dit Jilly. Elle avait encore des ennuis.

Riley se précipita vers elle, mais une lumière éclaira brusquement la silhouette, et ce n’était pas Jilly du tout.

C’était un vieil homme grisonnant vêtu d’un uniforme de colonel des Marines.

C’était le propre père de Riley. Et il se moquait de son erreur.

— Tu pensais quand même pas trouver quelqu’un de vivant ? dit-il. Tu ne sers qu’aux morts. Combien de fois je vais te le répéter ?

Riley ne comprenait pas. Son père était mort depuis des mois. Il ne lui manquait pas. Elle faisait tout pour ne pas penser à lui. C’était un homme dur qui ne lui avait jamais rien donné.

— Qu’est-ce que tu fais là ? demanda Riley.

— Je fais que passer, ricana-t-il. Je viens voir si tu bousilles ta vie. Comme d’habitude, je vois.

Riley voulut se jeter sur lui. Elle voulut lui faire mal. Mais elle ne pouvait plus bouger.

Un bruit désagréable retentit.

— J’aimerais bien discuter, dit-il, mais tu as autre chose à faire.

Le bruit tonna, de plus en plus fort. Son père tourna les talons.

— T’as jamais fait de bien à personne, dit-il. Même pas à toi-même.

Riley ouvrit brusquement les yeux. Elle réalisa que son téléphone sonnait. Il était six heures du matin.

C’était un appel de Quantico. A cette heure-ci ? Ce n’était pas bon signe.

Elle décrocha et la voix sévère de son chef d’équipe, l’agent spécial chargé d’enquête Brent Meredith, lui répondit :

— Agent Paige, j’ai besoin de vous tout de suite dans mon bureau, dit-il. C’est un ordre.

Riley se frotta les yeux.

— Qu’est-ce qui se passe ?

Il y eut un silence.

— Non devons en discuter face à face, dit-il.

Il raccrocha. L’espace d’un instant, mal réveillée, Riley se demanda s’il allait la réprimander pour son comportement. Non, elle était en congé depuis des mois. Un appel de Meredith ne signifiait qu’une seule chose.

C’est une affaire, pensa-t-elle.

Il ne l’appellerait pas pendant les fêtes sans raison.

Et, au ton de sa voix, elle comprit que c’était quelque chose d’énorme. Quelque chose qui pourrait bouleverser sa vie.

CHAPITRE CINQ

L’inquiétude de Riley ne fit que croître quand elle pénétra dans les locaux de l’Unité d’Analyse Comportementale. Brent Meredith l’attendait, assis derrière son bureau. C’était un afro-américain au visage anguleux et à la stature imposante. Il semblait inquiet.

Bill était là également. Riley comprit à son expression qu’il ne savait pas encore de quoi il en retournait.

— Prenez un siège, Agent Paige, dit Meredith.

Riley s’assit.

— Je suis désolé d’avoir interrompu vos vacances. Cela fait longtemps qu’on ne s’est pas vus. Comment allez-vous ?

Riley était surprise. Ce n’était pas comme ça que Meredith commençait habituellement les réunions – avec une excuse et les banalités d’usage. Il allait droit au but, d’habitude. Bien sûr, il savait qu’elle était en congé pour s’occuper d’April. Meredith était sincèrement inquiet. Tout de même, c’était étrange.

— Ça va mieux, merci, dit-elle.

— Et votre fille ? demanda Meredith.

— Elle se remet doucement.

Meredith la fixa du regard quelques instants.

— J’espère que vous êtes prête à retourner au travail, dit-il. S’il y a bien une affaire sur laquelle on a besoin de vous, c’est celle-ci.

L’imagination de Riley marchait à plein régime. Elle attendit en silence qu’il s’explique.

Enfin, Meredith dit :

— Shane Hatcher s’est échappé de Sing Sing.

Ses mots heurtèrent Riley de plein fouet. Heureusement, elle était assise.

— Oh mon Dieu…, souffla Bill, visiblement sonné.

Riley connaissait bien Shane Hatcher – un peu trop bien. Il avait été condamné à perpétuité, sans remise de peine. Pendant ses années de prison, il était devenu un expert en criminologie. Il avait publié des articles dans des magazines scientifiques et enseignait parfois des classes dans les programmes de formation de la prison. Riley lui avait parfois rendu visite pour lui demander conseil.

Ces visites l’avaient profondément déroutée. Hatcher semblait s’être découvert des affinités avec elle. Et Riley devait admettre qu’au fond, il la fascinait. C’était sans doute l’homme le plus intelligent qu’elle ait jamais rencontré – et le plus dangereux.

Elle s’était juré après chaque visite de ne pas retourner le voir. Elle se rappela leur dernière conversation :

« Je ne reviendrai plus vous voir. », lui avait-elle dit.

« Vous n’en aurez peut-être pas besoin. », avait-il répondu.

Ces mots prenaient un tout autre sens.

— Comment s’est-il évadé ? demanda Riley.

— Je n’ai pas de détails, dit Meredith. Vous savez peut-être qu’il passe beaucoup de temps à la bibliothèque, et qu’il y a travaillé comme assistant. Hier, il était là quand une livraison de livres est arrivée. Il a dû filer avec le camion. Dans la nuit, les gardiens ont remarqué son absence. On a retrouvé le camion abandonné à quelques kilomètres d’Ossining. Aucun signe du conducteur.

Meredith se tut. Riley imaginait sans peine comment Hatcher avait monté son plan d’évasion. Quant au conducteur, que lui était-il arrivé ?

Meredith se pencha vers Riley.

— Agent Paige, vous connaissez Hatcher mieux que quiconque. Que pouvez-vous nous dire sur lui ?

Riley prit une grande inspiration.

— Dans sa jeunesse, Hatcher faisait partie d’un gang de Syracuse. Il était particulièrement vicieux, même pour un criminel. On l’appelait « Shane la Chaîne » parce qu’il aimait battre ses rivaux à mort avec des chaînes.

Riley se tut, le temps de se remémorer tout ce que Shane lui avait dit :

— Un policier était à ses trousses. Il en avait fait une affaire personnelle. Hatcher l’a pulvérisé avec des chaînes à neige. Il a abandonné son corps sur le perron de sa maison pour que sa famille le retrouve là. C’est comme ça qu’il a été arrêté. Il est resté trente ans en prison. Il était censé ne plus jamais sortir.

Un silence passa.

— Il a cinquante-cinq ans maintenant, dit Meredith. Les années qu’il a passées en prison l’ont peut-être émoussé.

Riley secoua la tête.

— Non, vous vous trompez, dit-elle. Dans son gang, ce n’était qu’un gamin rebelle et ignorant. Il ne devinait même pas son potentiel. Au fil des années, il a acquis de grandes connaissances. Il sait qu’il est un génie. Et il n’a jamais montré de remords. Bien sûr, il a fini par apprendre les bonnes manières. Il se comporte bien – ça lui permet d’avoir des privilèges. Mais je suis certaine qu’il est aussi vicieux et dangereux qu’avant.

Riley réfléchit quelques instants. Quelque chose clochait. Elle n’arrivait pas à mettre le doigt dessus.

— Quelqu’un sait pourquoi ? demanda-t-elle.

— Pourquoi quoi ? fit Bill.

— Pourquoi il s’est évadé.

Bill et Meredith échangèrent un regard d’incompréhension.

— N’est-ce pas évident ? demanda Bill.

Evidemment, sa question semblait étrange, mais Bill était venu une fois avec elle à Sing Sing.

— Bill, tu l’as rencontré, dit-elle. Il t’a semblé agité ? Pas satisfait de sa condition ?

Bill fronça les sourcils.

— Non, en fait, il avait l’air…

Il hésita :

— Presque satisfait de son sort, non ? termina Riley. La prison lui convient bien. Je n’ai jamais eu l’impression que sa liberté lui manquait. Il a un côté zen. Il ne s’attache à rien. Il n’a envie de rien. La liberté n’a rien à lui offrir. Et maintenant, il est dehors. Il est recherché. Pourquoi ? Pourquoi maintenant ?

Les doigts de Meredith tambourinèrent sur la table.

— Comment s’est déroulée votre dernière visite ? demanda-t-il. Vous vous êtes séparés en bons termes ?

Riley réprima un sourire amer.

— On ne se sépare jamais en bons termes, dit-elle.

Au bout d’un court silence, elle ajouta :

— Je comprends ce que vous me dites. Vous pensez que je pourrais être sa cible.

— C’est possible ? demanda Bill.

Riley ne répondit pas. Elle se rappela, une fois encore, ce que lui avait dit Hatcher.

« Vous n’en aurez peut-être pas besoin. »

Etait-ce une menace bien déguisée ? Riley n’en savait rien.

Meredith enchaîna :

— Agent Paige, je n’ai pas besoin de vous dire que c’est une affaire difficile et de la plus haute importance. Ça va sortir dans les médias. Les évasions font toujours beaucoup de bruit. Elles provoquent parfois la panique. Peu importe ce qu’il veut, on doit l’arrêter. Je regrette d’interrompre vos congés pour un tel dossier. Vous êtes prête ? Vous pouvez le faire ?

Un étrange picotement parcourut le corps de Riley. Elle avait rarement ressenti ça en acceptant une affaire. Elle eut besoin d’un instant pour comprendre que c’était de la peur, pure et simple.

Elle n’avait pas peur pour sa sécurité. C’était autre chose. Quelque chose d’irrationnel. Peut-être était-ce le fait que Hatcher la connaissait si bien. Bien sûr, tous les prisonniers réclamaient quelque chose en échange d’une information utile, mais Hatcher n’avait jamais voulu de cigarettes ou de bouteilles de whisky. Il avait passé un marché très simple et particulièrement troublant avec Riley.

Il voulait qu’elle lui révèle des secrets.

« Quelque chose sur vous que vous voudriez cacher. »

Riley avait obéi, avec un empressement coupable. Maintenant, Hatcher savait toutes sortes de choses sur elle – qu’elle était une mauvaise mère, qu’elle détestait son père et n’était pas allée à sa sépulture, qu’il y avait parfois une séduction entre elle et Bill, et qu’elle prenait parfois du plaisir dans la violence, tout comme Hatcher lui-même.

Que lui avait-il dit la dernière fois ?

« Je vous connais. D’une certaine manière, je vous connais mieux que vous ne vous connaissez vous-même. »

Etait-elle assez intelligente pour l’arrêter ? Meredith attendait patiemment la réponse à sa question.

— Aussi prête que possible, dit-elle en essayant de prendre l’air assuré.

— Bien, dit Meredith. Par quoi devrions-nous commencer ?

Riley réfléchit.

— Bill et moi, nous allons voir ce que le FBI a sur lui.

Meredith hocha la tête et dit :

— J’ai déjà mis Sam Flores sur le coup.

*

Quelques minutes plus tard, Riley, Bill et Meredith se trouvaient dans une salle de conférence, devant un mur blanc sur lequel Sam Flores projetait ce qu’il avait déniché. Flores était un technicien de labo aux lunettes cerclées de noir.

— Je crois qu’il y a tout ce dont vous pourriez avoir besoin, dit Flores. Acte de naissance, arrestation, minutes de procès…

C’était impressionnant et rien ne laissait la moindre place à l’imagination. Il y avait plusieurs photos sanglantes des corps de ses victimes, notamment celui du policier sur le perron de sa maison.

— Qu’est-ce qu’on a sur ce policier ? demanda Bill.

Flores fit apparaître des photos d’un homme jovial en uniforme de la police.

— Lucien Wayles, quarante-six ans quand il est mort en 1986, dit Flores. Il était marié. Il avait trois enfants. Il a reçu une médaille pour son courage. Très apprécié et respecté par ses collègues. Le FBI a fait équipe avec la police pour épingler Hatcher quelques jours après sa mort. Ça m’étonne presque qu’ils ne l’aient pas battu à mort quand ils ont retrouvé Hatcher.

Les photos de Hatcher lui-même étaient frappantes. Riley le reconnaissait à peine. L’homme qu’elle connaissait était intimidant, mais il avait aussi l’image d’un rat de bibliothèque, avec ses lunettes de lecture perchées sur le nez. Le jeune afro-américain sur les photos d’identité judiciaires avait un visage dur et un regard vide et cruel. A croire qu’il ne s’agissait pas de la même personne.

Le rapport de Sam Flores était très complet, mais il décourageait Riley. Elle avait cru qu’elle connaissait Shane Hatcher mieux que quiconque. Cependant, elle ne connaissait pas ce Shane Hatcher – l’impitoyable délinquant qu’on appelait « Shane la Chaîne ».

Il faut que j’apprenne à le connaître, pensa-t-elle.

Sinon, elle ne pourrait pas l’arrêter.

Elle eut l’étrange sensation que ce rapport et toutes ces informations ne l’aidaient pas du tout – au contraire. Elle avait besoin de quelque chose de plus tangible – de vraies photographies imprimées sur du papier glacé, et dont les coins s’effritaient, de vrais documents.

Elle demanda à Flores :

— Je pourrais voir les originaux ?

Flores étouffa un rire incrédule :

— Navré, Agent Paige, ça ne risque pas. Le FBI a bazardé ses archives en 2014. Maintenant, tout est sous format digital. Ce que vous voyez, c’est tout ce que nous avons.

Riley poussa un soupir de découragement. Oui, bien sûr, elle se souvenait de cette histoire. D’autres agents avaient protesté, mais Riley n’avait pas trouvé que c’était un problème. Elle commençait à le regretter.

Le plus important, c’était d’anticiper le premier geste de Hatcher. Une idée lui vint.

— Quel policier a fini par l’arrêter ? demanda-t-elle. S’il est encore en vie, Hatcher pourrait le prendre pour cible.

— Ce n’était pas un policier, dit Flores. Et ce n’était pas un homme.

Il fit apparaître sur le mur la photo d’une femme du FBI.

— Elle s’appelle Kelsey Sprigge. Elle était agent du FBI au bureau du Syracuse. Trente-cinq ans au moment des faits. Elle en a soixante-dix maintenant. Elle est à la retraite et elle vit à Searcy, une ville près de Syracuse.

Riley était surprise d’apprendre que Sprigge était une femme.

— Elle a dû faire ses débuts en…, commença-t-elle.

Flores termina sa pensée :

— Elle a démarré en 1972, juste après le meurtre de J. Edgar. On venait enfin d’autoriser les femmes à faire partie des agents. Elle a fait le début de sa carrière dans la police.

Riley était impressionnée. Kelsey Sprigge avait traversé l’histoire.

— Qu’est-ce que vous avez sur elle ? demanda Riley à Flores.

— Eh bien, elle est veuve. Elle a trois enfants et trois petits-enfants.

— Appelez le bureau de Syracuse et dites-leur de protéger Sprigge, dit Riley. Elle est en danger.

Flores hocha la tête.

Puis Riley se tourna vers Meredith.

— Monsieur, j’ai besoin d’un avion.

— Pourquoi ? demanda-t-il d’un air étonné.

Elle prit une grande inspiration.

— Shane va peut-être essayer de tuer Sprigge, dit-elle, et j’aimerais lui parler d’abord.