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Kitabı oku: «Le Désespéré», sayfa 21

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LX

– Est-ce bien tout? se dit Marchenoir, en achevant ce dénombrement. Les quelques comparses que j'entrevois encore, ne me paraissent pas être du bâtiment. Ils ne sont là que pour faire nombre et pour l'exultation de la vanité parvenue de Beauvivier. Quand je pense que voilà pourtant les nourriciers de l'intelligence! Ils sont presque tous décorés. Dieu me soit en aide! Nous allons avoir la Table ronde! Que vais-je devenir au milieu de ces chevaliers?

Sur cette réflexion, une tristesse immense lui vint et un découragement sans bornes. Il éprouva, plus atrocement que jamais, son impuissance. Privé du ressort de la richesse, amoureux de toutes les grandeurs conspuées, et seul contre tous! Quel destin!

Ah! s'il se fût agi simplement d'un combat physique, en pleine caverne, il se sentait une vaillance à les défier et à les massacrer tous. Au moins, il aurait la consolation de leur faire acheter sa peau terriblement cher! Cette idée vaine le transportait. Il se fût présenté en chevalier errant, sans bannière et sans écu, devant ces hauts barons patentés de la ripaille et du brigandage. Il les eût affrontés au nom de la Vierge et des saints Anges, pour l'honneur de la Beauté qu'ils ont reniée et pour la vengeance du faible dont ils sont les massacreurs. Expirer sous la multitude des canailles, il le faudrait bien, mais il expirerait dans la pourpre d'un tapis de sang!

Au lieu de cette mort superbe, il fallait compter sur l'ignoble et interminable agonie moderne de l'artiste pauvre qui ne veut pas se déshonorer. La Misère, l'Aristocratie de l'esprit et l'Indépendance du cœur, – ces trois fées épouvantables qui l'avaient baisé dans son berceau, – avaient marqué, pour lui, la prédilection de leurs entrailles de bronze, par un luxe peu ordinaire de tous les dons de naissance qu'elles prodiguent à leurs favoris. Le pauvre Marchenoir était de ces hommes dont toute la politique est d'offrir leur vie, et que leur fringale d'absolu, dans une société sans héroïsme, condamne, d'avance, à être perpétuellement vaincus. Le courage le plus divin n'y peut rien faire. Le sublime Gauthier Sans-Avoir serait aujourd'hui prestement coffré, et c'était déjà fièrement beau que l'inséductible pamphlétaire n'eût pas été, jusqu'alors, incarcéré dans un cabanon!

Il vit, dans une clarté désolante, l'insuffisance inouïe de son effort, et la terrifiante inutilité de sa parole dans un monde si réfractaire à toute vérité. Il lui sembla qu'il était sur une planète défunte et sans atmosphère, semblable à la silencieuse lune, où les plus tonitruantes clameurs ne feraient pas le bruit d'un atome et ne pourraient être devinées que par l'inaudible remuement des lèvres …

Sa collaboration au Basile était décidément une chimère, un rêve insensé, qui ne tiendrait pas trois jours devant le préjugé commercial de ne rien changer à l'ordinaire des gargotes intellectuelles où le public moderne est accoutumé à s'empiffrer. D'ailleurs, sa solitude introublée au fond du salon, où tout le monde l'avait laissé fort tranquille, immédiatement après l'effusion postiche du premier instant, lui montrait assez les abîmes séparateurs qu'aucune considération n'aurait pu le déterminer à franchir, pour descendre confraternellement jusqu'à ces asticots de l'intelligence.

Il remarquait, depuis un instant, l'impatience hautement exprimée de quelques-uns et l'inquiétude manifeste de tous. On attendait un dernier convive pour se mettre à table et il fallait que celui-là fût considérable, à en juger par l'anxieuse perplexité de l'amphitryon.

La porte s'ouvrit enfin et Marchenoir vit apparaître celui devant qui tout journaliste s'efface, le folliculaire infini, le très haut Minos de l'enfer des lettres, le sultan sublime de la critique théâtrale, l'indéfectible Manitou du Sens commun, Mérovée Beauclerc!

– Rien ne me sera donc épargné! gémit en lui-même le solitaire accablé. Je l'avais oublié, celui-là. Si j'avais pu prévoir sa venue, Beauvivier ne m'aurait pas facilement embauché pour sa gamelle. Maintenant, me voilà pris au traquenard de cet infernal dîner et je suis bien forcé de prendre patience. Mais, tonnerre de Dieu, qu'on ne m'embête pas!

Mérovée Beauclerc est un normalien comme Tinville, comme Prévost-Paradol, comme Taine, comme About, dont il fut l'intime. Il appartient à l'illustre fournée de ces pédants universitaires à qui la France est redevable de la seule turpitude que les doctrinaires et les républicains lui eussent laissé à désirer: l'optimisme suprême du pion de fortune. Seulement, Mérovée Beauclerc les surpasse tous. Il est le pion sérénissime, inaltérable, absolu.

On ne voit à lui comparer qu'Ernest Renan. C'est l'unique parangon que le destin lui ait suscité. L'auteur de la Vie de Jésus est, en effet, une outre de félicité parfaite. Gonflé des dons de la fortune qui ne s'interrompit jamais de le remplir, il offre à l'observation le cas exceptionnel d'une hydropisie de bonheur. Réputé grand écrivain sans avoir jamais écrit autrement que le premier cuistre venu, renommé philosophe pour avoir ressassé de centenaires dubitations et critique vanté dans tous les conciles du mensonge, – on l'adore dans les salons et on le sert à genoux dans les antichambres. Il est le Dieu des esprits lâches, le souverain Seigneur des âmes naturellement esclaves, et le psychologue Dulaurier se liquéfie devant ce soleil du dilettantisme, dont il raconte la «sensibilité.» Si l'histoire du XIXe siècle est jamais écrite, ce mot inouï sera recueilli comme une gemme documentaire d'un inestimable prix. On s'en contentera pour nous juger tous, hélas! Mais, qu'importe cet avenir à l'heureux Bouddha du Collège de France dont le ventre plein de délices est caressé par de tels Éliacins?

Mérovée Beauclerc est à peine un peu moins léché que cette idole. Immédiatement au-dessous d'elle, il est le plus démesuré parmi nos pontifes. Ce serait le méconnaître, néanmoins, de s'informer d'une œuvre quelconque sortie de lui. Beauclerc n'est ni poète, ni romancier, ni même critique. Il n'est pas davantage historien ou philosophe, et n'a jamais fait un livre ou quoi que ce fût qui y ressemblât. Il est le Pion, sans épithète, le Pion du siècle, le moniteur et le répétiteur de la conquérante médiocrité.

Quelques-uns l'ont inexactement dénommé, «le Bon Sens fait homme,» ce qui impliquerait une altitude de raison, outrageante pour ses contemporains et démentie par l'universelle popularité dont il pâture, depuis vingt ans, le trèfle magique, aux plus bas endroits de toutes les plaines. C'est le Sens commun qu'il faut dire, si l'on tient à supposer une incarnation.

À la réserve d'Albert Wolff, – qui manquait inexplicablement à ce patibulaire congrès, – il est le seul exemple d'un homme ayant réussi à confisquer une influence à peu près illimitée, sans avoir jamais rien fait qui pût servir de prétexte à l'usurpation de son trépied. Les oracles subalternes, mentionnés plus haut, sont beaucoup moins étonnants. D'abord, leur crédit est moindre et presque nul, en comparaison du sien. Puis, ils ont l'air d'avoir tiré quelque chose de leurs intestins. Les Dulaurier, les Sylvain, les Chaudesaigues, les Vaudoré, les Tinville même, ont au moins la configuration extérieure de probables individus. Ils paraissent avoir écrit, et le public abruti, qui les adore, pourrait justifier la bave de son culte, en désignant les fantômes de livres signés de leurs noms.

Beauclerc ne possède absolument rien que le sens commun, où il passe pour n'avoir jamais eu d'égal, et il ne serait rien du tout, s'il n'était le premier des pions. Mais c'est assez, paraît-il, pour la dictature des intelligences. Nestor de Tinville, avec toute sa sagesse, en est écrasé. C'est que Mérovée n'a besoin d'aucune morgue, ni d'aucune solennité pour accréditer sa parole. Il est tellement arrivé, qu'il lui suffit de se montrer et d'ânonner n'importe quoi, pour que l'allégresse éclate.

Dans les conférences publiques, qui ont si démesurément agrandi sa gloire, c'est une espèce de prodige, non constaté jusqu'à lui, que le néant du rabâchage qu'on vient applaudir! Ce fait paradoxal et confondant pour des étrangers inavertis de notre effroyable dégradation, est tellement inouï qu'on ne peut le mentionner exactement sans avoir l'air d'un calomniateur. Le sens commun, dont la nature est d'étendre des tapis sous les pieds des foules, a ce privilège mythologique de devenir toujours plus fort en s'abaissant et de ramasser par terre ses victoires. Depuis qu'il existe, Beauclerc s'est rapetissé et abaissé, avec une constance de volonté qui eût suffi à un autre homme pour s'envoler par dessus les astres, et il est parvenu si bas, qu'il a l'air de s'y perdre comme au fond des cieux. Il plane à rebours, du rez-de-chaussée de l'abîme, et sa force attractive est identique à la loi de gravitation. C'est sa proie qui fond sur lui. Il n'a qu'à s'entr'ouvrir pour recevoir les matières pesantes et les déjections.

Il en est à n'avoir plus besoin de connaître le moins du monde ce dont il parle, et à ne plus lire du tout les livres qu'il a la prétention de juger dans ses harangues. Deux ou trois bas-bleus sacristains, voués à son tabernacle, lisent à sa place, et leurs suggestives notules suffisent à cet intuitif. Alors, quelle joie de déshonorer une belle œuvre, quand il s'en trouve, de la vautrer dans la boue de son analyse, de la descendre au niveau du groin de son auditoire!

Et le journaliste est à l'image du conférencier. Il apparaît, ici aussi bien que là, comme le châtiment, la flétrissure infinie, la tare vivante d'une société assez avachie pour ne plus avoir conscience des attitudes qu'on la force à prendre et des vomissures qu'on lui fait manger. Ce Beauclerc n'a-t-il pas eu l'impudence de se vanter, dans le plus incroyable des feuilletons, d'être le Minotaure de la critique de théâtre et de percevoir d'exacts octrois de fornication sur les débutantes, forcées de lui passer par les mains sous peine d'insuccès fatal?.. Il semble qu'une telle déclaration aurait dû attirer à son auteur, en n'importe quel lieu du globe, une tempête de huées, une clameur de réprobation à décrocher tous les luminaires du firmament. On l'a généralement applaudi, au contraire, et secrètement envié. Ce faquin nage avec sérénité dans l'ordure liquide, en laquelle il a le pouvoir de transmuer tout ce qui l'approche. C'est le Midas de la fange.

Son hideux mufle, qu'on pourrait croire façonné pour inspirer le dégoût, ajoute probablement au vertige de sa fascinante crapule. On l'a souvent comparé à un sanglier, par un impardonnable oubli de la grandeur sculpturale de ce sauvage pourchassé des Dieux. C'est une charcuterie et non pas une venaison. La bucolique dénomination de goret est déjà presque honorable pour ce locataire de l'Ignominie. Mais les bourgeois se complaisent en cette figure symbolique de toutes les bestialités dont leur âme est pleine, et qu'ils présument assez épiscopale d'illustration, pour les absoudre valablement de leur trichinose.

Évidemment, le dîner de Beauvivier eût été raté sans ce dernier convive, que Wolff seul eût pu remplacer. Toutes les catégories d'influences par la plume étaient maintenant représentées à l'auge du nouveau satrape, depuis les mastodontes jusqu'aux acarus. Il ne restait plus qu'à se mettre à table.

LXI

La victuaille fut copieuse et d'une culinarité sublime. Pendant quelque temps, on n'entendit que le bruit des mandibules et de la vaisselle, accompagné, en dessous, du gargouillement hoqueté de la commençante déglutition des vieux. Une parlote susurrée ondulait vaguement autour de la table immense, préliminaire d'une conversation générale qui cherchait à se préciser. Des interjections brèves, des exclamations suspendues, de timides interrogats, de préhistoriques facéties et des calembours tertiaires, faufilaient peu à peu la rumeur joyeuse, en attendant qu'elle éclatât comme une fanfare, sous l'excitation des puissants vins.

Beauvivier, flanqué à sa droite de Marchenoir et tamponné à sa gauche de Chaudesaigues, s'efforçait, assez vainement, d'établir, à travers sa propre personne, un courant d'électricité cordiale entre ses deux voisins immédiats. Marchenoir, impraticable autant qu'un créneau couvert de givre, répondait, en mangeant, avec une concision boréale qui faisait tousser Chaudesaigues.

Néanmoins, Properce, aussi sagace que patient, calculait que l'anachorète finirait par s'allumer, comme un pyrophore, à l'oxygène ambiant de la sottise générale et qu'alors, il éructerait un de ces paradoxes véhéments dont on le savait coutumier, et dont la promesse, glissée sournoisement à quelques oreilles, faisait partie du menu de cet étonnant festin. Il avait même donné de machiavéliques instructions pour qu'on fût très attentif à ne pas le laisser expirer de soif …

Après pas mal de bourdonnement et d'incohérence de propos, la conversation finit par se fixer, à l'autre bout de la table, sur l'événement de la veille dont tous les journaux avaient retenti. Il s'agissait du duel, aussi malheureux que ridicule, d'un confrère catholique assez indépendant, par miracle, et assez courageux pour avoir écrit un livre contre la société juive, mais assez inconséquent pour avoir accepté de croiser le fer avec l'un des plus décriés représentants de cette vermine. Or, ce duel avait été des plus funestes. Le juif avait simplement assassiné le chrétien, aux applaudissements unanimes de la fripouille sémitique et la justice criminelle, pénétrée de respect pour cette potentate, n'avait pas informé contre l'assassin.

Il va sans dire que nul, parmi les convives, ne gémissait amèrement sur la victime. La plupart, subventionnés par la Synagogue ou valets de cœur de la haute société juive, auraient estimé de fort mauvais goût de s'attendrir sur le juste châtiment d'un énergumène qui avait poussé l'insolence jusqu'à compisser le Veau d'or. On ne pouvait pas exiger, par exemple, que des romanciers aussi domestiqués que Vaudoré ou Dulaurier, s'indignassent de ce qui faisait la joie de leurs maîtres.

On discutait donc uniquement l'incorrection de cette rencontre au point de vue du sport, sans qu'une pensée ou un sentiment quelconques eussent la moindre occasion de se donner carrière dans le bavardage. Beauvivier espéra prématurément que son sauvage allait s'allumer.

– Que pensez-vous de cette affaire? lui demanda-t-il.

La question, venant de ce juif, parut singulière à Marchenoir qui comprit qu'on voulait le faire poser, et qui décida, sur-le-champ, de déconcerter de son calme le plus inquiétant le scepticisme malicieux de son questionneur.

– Je pense, dit-il, que c'est une sotte affaire. Que voulez-vous que je dise d'un malheureux homme qui démontre jusqu'à l'évidence, en plusieurs centaines de pages, que les juifs sont des voleurs, des traîtres et des assassins, une race de pourceaux illégitimes engendrés par des chiens bâtards, et qui se hâte, aussitôt après, d'accepter un duel avec le plus vil d'entre eux. Car ce pauvre diable a choisi, – tout le monde en conviendra, – l'adversaire le plus capable de l'égorger de ridicule, en supposant que l'autre manière n'eût pas réussi. Le courage de cette absurde victime est, d'ailleurs, incontestable. Son livre, quoique mal bâti et plus faiblement écrit, lui faisait assez d'honneur. Il a été mal payé d'en désirer davantage. Quant aux circonstances mêmes du duel, elles me sont indifférentes. Le caractère connu du meurtrier autorise le moins informé des Parisiens à préjuger hardiment l'assassinat. Seulement, il est heureux pour lui que je ne sois pas le frère du défunt…

Cela fut débité d'un ton exquis dont Marchenoir s'étonna lui-même. – Ils veulent me faire beugler, pensait-il, je vais leur dire tout ce qu'ils voudront, du même air que je commanderais une portion de tripes dans un restaurant.

– Que feriez-vous donc? interrogea, à son tour, Denizot, qui passe généralement pour un oracle en matière de point d'honneur.

– Je l'assommerais sans phrases et sans colère … rien qu'avec un bâton, répondit suavement Marchenoir, en regardant son assiette, pour ne pas voir le monocle du plus spirituel de nos chroniqueurs.

L'attention devint générale. Le réfractaire excitait visiblement la curiosité. Il se souvint, par bonheur, du «complet triomphe» dont Beauvivier l'avait assuré, la veille, en le congédiant, et ce fut avec une vigueur extraordinaire qu'il serra ses freins.

– Si je vous entends bien, dit alors le vicomte de Tinville, non sans quelque hauteur, vous rejetez absolument la coutume du duel?

– Absolument. Voudriez-vous m'apprendre, monsieur, comment je pourrais ne pas la rejeter? Sans parler d'une certaine consigne religieuse qui serait peu comprise, et que je n'aurais probablement pas le courage de vous expliquer, il y a ceci qu'on oublie trop: Le duel est une prouesse de gentilshommes et nous sommes des goujats. Des goujats sublimes, peut-être, mais enfin, d'irrémédiables goujats. À l'exception de quelques rares personnages, semblables à vous, – dont les ancêtres escaladèrent autrefois les murs de Jérusalem ou d'Antioche, – on ne voit pas que nous différions sensiblement de ces croquants, à qui l'on donnait deux triques énormes et le champ clos d'un large fossé, pour vider leurs querelles. Je vous avoue que le ridicule d'une épée dans la main de gens de notre sorte a toujours été terrassant pour moi. Il serait donc parfaitement inutile de me proposer un duel. Si c'est là votre pensée, elle est admirablement judicieuse et fait le plus grand honneur à votre pénétration. Je veux même vous déclarer qu'à mes yeux, le véritable outrage commencerait précisément à cet instant-là. J'estimerais qu'on me regarde comme un farceur de catholique ou comme un imbécile, et mon courroux éclaterait, à la minute, d'une manière tout à fait surprenante.

– Mais, cependant, monsieur le réactionnaire, brailla aussitôt Rieupeyroux, dans une hilarante tonique de pur gascon, qui faillit déchirer en deux le velarium de la gravité générale, vous êtes assez violent, il me semble, quand vous attaquez vos confrères, et il serait peut-être juste que vous ne leur refusassiez pas les réparations qu'ils sont en droit de vous réclamer, quand vous les traînez dans la boue. C'est trop commode, vraiment, de se retrancher derrière le catholicisme pour échapper à toutes les conséquences de ses actes et de ses paroles!

Marchenoir qui sirotait, en souriant, un verre du plus délicieux de tous les Châteaux et que la claironnante cocasserie de ce marquis des marches de la Pouille intéressait, lui répondit en douceur parfaite:

– Si j'étais réactionnaire, comme vous dites inexactement, mon très doux maître, vous me verriez aussi ardent que vous-même à toutes les passes d'armes et à tous les genres de tournois. C'est, au contraire, parce que je suis le plus dépassant des progressistes, le pionnier de l'extrême avenir, que je contemne ces pratiques surannées. Vous affirmez que je suis violent. Dieu sait pourtant si je me refrène, car je pourrais l'être bien davantage …

Quant aux belles âmes que mes écritures affligent, qui les empêche de m'affliger, à leur tour, de la même sorte? Je serais le plus inique des éreinteurs si je me fâchais d'une riposte, même imbécile. Je taille mes projectiles avec le plus d'art que je puis et je me ruine à choisir, pour cet usage, les plus dispendieuses matières. L'un de mes rêves est d'être un joaillier de malédictions. Mais je n'exige pas que mes plastrons soient eux-mêmes des lapidaires et qu'ils se mettent en boutique. On fait ce qu'on peut et j'aurais mauvaise grâce à contester le choix d'une arme défensive à n'importe quel chenapan dont je serais l'agresseur. Si je poursuis un putois l'épée à la main et qu'il me combatte avec le jus de son derrière, c'est absolument son droit, et je n'ai rien à dire. Il est loisible à chacun de publier que je suis un bandit, un faussaire, un va-nu-pieds, un proxénète, et même un idiot. J'accueille ces vocables avec une indifférence dont vous ne sauriez avoir une juste idée. Par exemple, il ne faut pas m'en demander davantage, car j'oppose aux voies de fait la plus insolite humeur …

Je mourrai certainement sans avoir compris ce que signifie le mot de réparation, au sens où les duellistes veulent qu'on l'entende. Je ne défends pas, d'ailleurs, aux mécontents de m'apporter leurs museaux, s'il leur paraît expédient d'opérer ce transit. Mon domicile est connu de tout le monde et nullement pourvu de retranchements catholiques ou autres. Ma porte s'ouvre facilement, aussi bien que ma fenêtre, mais je ne conseille à aucun brave de choisir ses plus chers amis pour me les expédier comme témoins. Je leur accorderais environ trois minutes de courtoisie, à l'expiration desquelles, il se pourrait que je les renvoyasse assez détériorés pour les guérir, quelque temps, du besoin d'embêter les solitaires dans leurs ermitages.

Léonidas, anciennement maltraité par le pamphlétaire, et que plusieurs mots de ce persiflage sérieux avaient clairement cinglé, ouvrait la bouche pour parler encore, quand Beauvivier l'arrêta d'un geste.

– Pardon, mon cher Rieupeyroux, le débat est clos. Vous avez forcé M. Marchenoir à renouveler des déclarations déjà anciennes et que nous avons tous entendues depuis longtemps. Vous n'espérez pas, sans doute, l'amener, pour vous complaire, à modifier ses vues ou ses sentiments. Notre convive est un homme exotique et d'un autre siècle. Il a d'autres idées que nous sur l'honneur, mais cette divergence est saris portée, puisque son intrépidité personnelle est hors de cause.

À ce dernier point de vue, même, je crois que ses chroniques seront d'un utile scandale en tête du Basile. Si personne n'y voit d'inconvénient, et que l'auteur veuille bien y consentir, ajouta-t-il, en se tournant vers son voisin, je serais d'avis qu'il nous lût, tout à l'heure, l'article de début que je fais paraître après-demain, et dont les épreuves sont justement sur mon bureau. Je crois, Messieurs, que votre surprise ne sera pas médiocre. Avez-vous quelque répugnance à nous donner ce plaisir intellectuel, monsieur Marchenoir?

Celui-ci hésita une minute, puis se décida. Il sentait vaguement que, déjà, Beauvivier cherchait une occasion de le compromettre et de lui casser les reins, en le rendant impossible, puisqu'il le poussait à lire cette philippique, où les deux tiers des convives étaient sabordés. Mais la seule pensée d'un tel risque le détermina, – étant de ces fiers chevaux, qui s'éventrent sur les baïonnettes, en hennissant de la volupté de souffrir!

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
25 haziran 2017
Hacim:
410 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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