Kitabı oku: «Curiosa», sayfa 15
Ami de son repos et de ses aises, Baffo ne voulut briguer ni les honneurs ni les charges publiques. Il fut cependant élu membre de la Quarantia, Cour suprême de Justice à Venise, après une lutte où il eut pour compétiteur un certain Pagnecca, et dont il a retracé avec bouffonnerie les péripéties diverses dans quelques-uns de ses sonnets: rien ne dit qu’il ne fut pas un magistrat sérieux, quoiqu’il nous ait donné çà et là de plaisantes parodies d’arrêts. Possesseur d’un magnifique palais construit par le Sansovino, il semble n’y avoir eu pour vivre que des débris fort modestes de l’ancienne opulence de sa famille; il y vivait dans un coin de la cuisine, faute d’argent:
Ce Baffo qui demeure place San-Maurizio,
Entre l’église et le fameux Cordelina,
Dans un Palais qui confine au ciel,
Magnifique édifice du Sansovino,
Il s’est retiré loin du vice
Et séquestré là, dans un coin de la cuisine;
Il ne veut plus d’osteria, plus de gourgandine:
L’argent lui manque, et aussi le Cazzo.
Ruffians et femmes de bonne composition
Viennent larmoyer sous son balcon,
Le croyant rentré dans la grâce de Dieu;
Ils le prient et le conjurent à genoux,
Par les plaisirs qu’en la Mona il a goûtés,
De redevenir, comme auparavant, un bon bougre.
Cette gêne, si elle fut réelle, ne lui vint sans doute que dans sa vieillesse, après que le jeu et les femmes eurent fait de larges brèches à sa fortune; elle ne l’empêcha pas, malgré quelques boutades misanthropiques, de rester fidèle jusqu’à la fin de ses jours à son aimable philosophie Épicurienne. Il ne se maria pas, afin de ne pas aliéner sa liberté et «de peur de produire des enfants qui peut-être se feraient pendre»; vécut entouré d’amis qui le recherchaient pour sa gaîté, son urbanité, la finesse de son esprit, et parvint à un âge avancé sans que sa bonne humeur l’abandonnât jamais: nullo tædio afficiebatur, dit son épitaphe. La siora Mona lui causa seule quelques regrets, lorsque le sior Cazzo prit définitivement congé de son propriétaire: dix Sonnets, consacrés aux funérailles burlesques de ce cher ami, attestent l’intensité de sa douleur.
C’est à l’admiration enthousiaste d’un riche Anglais, lord Pembroke, que Baffo doit sa célébrité Européenne. Les amis du poète, trois ans après sa mort, s’étaient bornés à faire dans ses œuvres un choix de deux cents pièces environ: Le poesie di Giorgio Baffo, Patrizio Veneto, 1771, in-8o, petit volume d’une rareté insigne, dont on ne connaît à l’heure qu’il est qu’un ou deux exemplaires. Il en figure un, sous le no 2971, dans le Catalogue Libri (1847) avec cette mention: «Recueil trop célèbre, en patois Vénitien; cette édition contient des pièces qui n’ont pas été reproduites dans les éditions successives.» Nous avions la bonne fortune d’en posséder un autre, celui-là même qui appartint à lord Pembroke, dont il porte sur le titre la signature; il nous a donc été facile de vérifier l’exactitude de cette assertion et de donner en Appendice, parmi les pièces non reproduites, celles qui avaient de l’intérêt et n’étaient pas de simples variantes. Nous avions également en notre possession un recueil manuscrit, beaucoup plus copieux que l’imprimé de 1771, qui nous en a fourni quelques-unes. Mais lord Pembroke n’avait rien négligé d’important dans la belle édition qu’il a fait faire à ses frais (Raccolta universale delle opere di Giorgio Baffo, Veneto; Cosmopoli, 1789, 4 vol. in-8o), sur les manuscrits du poète. C’est elle que nous avons suivie ponctuellement, sans tenir plus de compte des rajeunissements d’orthographe et de style des réimpressions récentes que des variantes de l’édition de 1771. Celle-ci, quoique donnée par les amis de l’auteur, renferme maintes pièces qui ne sont évidemment que des ébauches dont lord Pembroke a trouvé la rédaction définitive dans les papiers de Baffo: les corrections sont la plupart du temps trop heureuses pour avoir été faites par d’autres que par le poète lui-même.
Février 1884.
XXXIII
LIBER SADICUS109
L’Édition originale de la fameuse Justine ou les malheurs de la Vertu, du marquis de Sade, est en quelque sorte un livre inconnu des lecteurs de la génération actuelle. L’auteur l’a désavouée, prétendant, selon l’usage, qu’un ami infidèle lui avait dérobé son manuscrit et n’en avait publié qu’un extrait tout à fait misérable, indigne de celui dont l’énergique crayon avait dessiné la vraie Justine. Il s’abusait étrangement. Ce prétendu extrait est au contraire l’œuvre capitale du trop célèbre monomane, et les remaniements qu’il lui a fait subir par la suite l’ont complètement gâtée. Il faut une intrépidité à toute épreuve pour affronter la lecture de la Justine en quatre volumes, suivie de la Juliette en six autres, que réimpriment à foison les officines de la Belgique, et, si l’on s’y essaye, l’ennui et l’écœurement ont bien vite raison de la volonté la plus tenace. Le cas, ici, est tout différent. Dans les deux tomes, de médiocre grosseur, dont se compose l’édition originale, nous tenons la première conception de l’écrivain, telle qu’il l’avait formulée avant que, le succès venant à l’enhardir, il n’entreprît de surenchérir encore sur ses excentricités; nous tenons le livre dont le retentissement fut si grand, de 1791 à 1795, celui que les Révolutionnaires ne dédaignèrent pas de feuilleter, et qui, devenu très rare, est absolument oublié aujourd’hui.
L’analyse qui en a été donnée dans la Curiosité littéraire et bibliographique (1re Série, 1880) nous dispense d’en faire ici une appréciation détaillée; nous y renvoyons le Lecteur.
Il nous suffira de dire que cette Justine primitive, au rebours de la longue divagation qui en a été postérieurement tirée, non seulement est lisible, mais se laisse lire avec intérêt. C’est un document. Le système que l’auteur y présente comme une intuition d’homme de génie, une vérité fondamentale restée inaperçue jusqu’alors et qu’il lui a été donné de révéler au monde, à savoir que la vraie volupté, la volupté complète, doit avoir pour condiment les cris de souffrance des victimes livrées à d’épouvantables tortures, est un système monstrueux; sa démonstration d’ailleurs est illogique, car les peintures de Justine sont plus propres à donner le cauchemar qu’à provoquer des ardeurs érotiques: mais il y a dans ce bizarre amalgame, dans ce chaos de ténébreuses imaginations et de criminelles folies, un curieux sujet d’étude pour le lettré, le philosophe. Les dissertations morales, politiques, religieuses, sociales et autres, qui servent d’intermèdes aux scènes de débauche et aux supplices, montrent que le marquis de Sade n’était pas qu’un monomane enragé de luxure: il avait beaucoup lu, et, ce qui surprendra, quelque peu médité. Il n’est pas que l’écho des D’Holbach et des La Mettrie, dont il s’inspire évidemment: il a des idées à lui, et quelquefois des idées neuves. Qui s’attendrait, par exemple, à trouver en germe, dans un livre tel que Justine, les doctrines de Darwin sur l’évolution des espèces et la sélection par la lutte pour la vie? Telle était l’extraordinaire fermentation des esprits, à l’aurore de la Révolution, qu’on en rencontre des témoignages jusque dans les documents où on ne songerait certes pas à les chercher.
Mai 1884.
XXXIV
LA MESSE DE GNIDE
par
GRIFFET DE LA BAUME110
L’Opuscule que nous réimprimons pour les gens de goût, les délicats, ne porte pas un titre de fantaisie, c’est bien un livre de messe: on peut l’emporter à l’église, et suivre d’un bout à l’autre, de l’Introibo à l’Ite, missa est, toutes les phases et péripéties de l’office.
La Messe de Gnide a eu deux éditions: la première à Paris, l’an deuxième de la République une et indivisible (1793), la seconde à Genève, en 1797. Dans les deux, elle est donnée comme l’ouvrage posthume d’un certain Nobody111, jeune poète du plus grand avenir, à qui l’abus de l’opium aurait rendu la vie intolérable et qui se serait tué d’un coup de pistolet en 1787. Le véritable auteur a vainement essayé de donner le change au moyen de cette fable ingénieuse, on a fini par le soupçonner: «Griffet de la Baume, né à Moulins en 1750, mort en 1805,» lisons-nous dans le Catalogue de Viollet Le Duc, «est accusé d’avoir composé ce petit poème impie, où le saint sacrifice est parodié d’une manière érotique, avec grâce et élégance. C’est une curiosité littéraire de la plus grande rareté.»
Mais Griffet de la Baume a-t-il entendu faire une parodie, dans le sens qu’on donne ordinairement à ce mot? On reconnaîtra le contraire. Il règne dans ce petit poème un souffle lyrique, un accent religieux, fort éloignés de la moquerie et de la dérision. Les vers, dont les différents mètres sont habilement combinés, ont de l’ampleur, de l’harmonie et un peu de la grâce antique d’André Chénier. C’est l’œuvre d’un croyant, d’un homme pieux, dont la piété s’adresse à d’autres autels, et qui remplace le Dieu des Chrétiens, le supplicié du Calvaire, par l’Alma Venus, inspiratrice de Lucrèce. Les Chrétiens ont emprunté presque toute la liturgie de la messe aux mystères du paganisme; elle fait retour à ceux-ci, dans ce poème d’un païen du XVIIIe siècle: c’est donc moins une parodie qu’une restitution. D’ailleurs, le culte de la femme est le seul qui soit réellement catholique, c’est-à-dire universel.
Septembre 1884.
XXXV
LES
PROVERBES EN FACÉTIES
D’ANTONIO CORNAZANO112
Les Proverbii in facetie sont un des plus agréables recueils de Nouvelles que nous ait légués l’Italie, si riche en ce genre de littérature; c’était, au XVIe siècle, un petit livre populaire, qui se vendait orné de vignettes sur bois d’un travail aussi primitif que celles du Bon Berger, de Jean de Brie. Les bibliographes en ont relevé une vingtaine d’éditions, de 1518 à 1560, ce qui ne l’a pas empêché de devenir extrêmement rare. Renouard en a fait chez Didot l’aîné, en 1812, une réimpression qui, sans être commune, se trouve plus aisément que les éditions anciennes et dont le texte, beaucoup moins incorrect, nous a servi pour la présente traduction.
L’auteur d’un ouvrage qui a joui d’une si grande vogue, Antonio Cornazano, n’est plus guère connu que par lui, quoiqu’il en ait écrit bien d’autres. Comme tant de laborieux érudits de la Renaissance, il avait fondé sa renommée sur de volumineux travaux, où il croyait mettre tout son génie, et la postérité en lit seulement quelques pages légères, tombées de sa plume dans un jour de bonne humeur. Son fameux poème De fide et vita Christi, en terza rima, qui combla d’admiration ses contemporains et le fit égaler à Dante, est absolument négligé aujourd’hui, et les Allemands, qui savent tout, ignorent probablement qu’avant Klopstock il avait composé une Messiade. Ses terze rime en l’honneur de la Vierge Marie ont eu le même sort, ainsi que son poème didactique en neuf chants sur l’art de la guerre; les six livres de Commentaires qu’il a soigneusement rédigés en Latin sur un des grands capitaines de son temps, Bartolommeo Coleoni, sont perdus dans la vaste compilation de Grævius et Burmann. Ce n’est ni comme émule de Dante et de Pétrarque, ni comme continuateur de Végèce et de Frontin qu’il s’est sauvé de l’oubli.
Il était né à Plaisance en 1431. Quelques biographes le font naître à Ferrare, où il résida les vingt dernières années de sa vie, mais il a lui-même parlé de Plaisance comme de sa ville natale en maints endroits de ses ouvrages, et pris le titre de poeta Placentinus en tête de l’un d’eux. Passano, dans la petite notice qu’il lui a consacrée (Novellieri Italiani in prosa, 1878, tome Ier), rapporte que, comme il faisait ses premières études, il tomba vers l’âge de douze ans passionnément amoureux d’une jeune fille, et que son père, pour le guérir, l’envoya à l’Université de Sienne. Nous avons trouvé la confirmation de ce fait, d’ailleurs peu important, où nous n’aurions pas songé à la chercher, dans son poème à la Vierge: De la sanctissima vita di Nostra Donna, a la illustrissima Madonna Hippolyta Visconti, duchessa di Calabria, in-4o sans date ni lieu d’impression, de la plus grande rareté113. Le poète s’y dit alors âgé de vingt-huit ans:
Da ch’io nacque…
Ch’or compisce il vigesimo octavo anno,
Sempre in amare ho la mia vita frusta;
Depuis que je naquis…
Or j’accomplis ma vingt-huitième année,
Toujours à aimer j’ai dépensé ma vie;
et il ajoute:
Uno angel vivo, un pin co i fructi d’oro,
El fior de giorni miei posseduto hanno
Fra sedeci anni…
Un ange vivant, un pin aux fruits d’or,
Ont possédé la fleur de mes jours
Durant seize ans…
Douze et seize font bien vingt-huit, ce qui montre que malgré l’exil à Sienne il était resté fidèle, et ce pin aux fruits d’or nous désignerait la famille de son adorée si nous étions suffisamment initiés aux mystères du blason.
Depuis 1455 il vivait à Milan, à la cour du duc Francesco Sforza, près duquel il avait été chercher fortune, qui l’avait accueilli avec faveur et qui le garda près de lui jusqu’à sa mort, arrivée en 1466. Ce fut là qu’il composa une bonne partie de ses œuvres. Le poème à la Vierge dont il vient d’être question, n’était pas son premier essai littéraire, et il avait débuté par des compositions d’un tout autre genre, plus conformes à son tempérament amoureux, car dans son Invocation du début il dit à la Madone:
E pria che Morte in me l’arco suo schocchi,
Redrizza, prego, in laude de toi rai,
Le mie lascive rime e i versi sciocchi.
Avant que Mort sur moi ne détende son arc,
Redresse, je t’en prie, en los de tes rayons,
Mes rimes lascives et mes vers folâtres.
Ces rimes lascives et ces vers folâtres sont peut-être parmi les manuscrits de Cornazano que possèdent en assez grand nombre les Bibliothèques de Modène et de Florence, et que les biographes du poète, dont des extraits figurent dans le Thesaurus de Grævius et Burmann, appellent Elogia quædam, Poemata varia, Carmina in oculorum laudem, titres Latins qui désignent fort probablement des ouvrages écrits en Italien. Un autre grand poème, en terza rima, comme le précédent: Opera bellissima de l’arte militar, del excellentissimo poeta miser Antonio Cornazano, imprimé seulement en 1493 (Venise, in-folio), doit être encore rapporté à cette époque, l’auteur en parlant ailleurs comme d’une œuvre de sa jeunesse, ainsi que le De fide et vita Christi, dont l’impression est de 1472. Cornazano tenait en outre, près du duc Francesco Sforza l’emploi qu’ont généralement les poètes de cour admis dans la familiarité des princes: il rédigeait ses missives amoureuses. «Les paroles,» dit-il, «peuvent aussi causer du plaisir aux belles jeunes femmes; j’en puis rendre quelque témoignage, moi qui fus une dizaine d’années à la cour de ce duc, souvent requis par Sa Seigneurie de composer pour elle des lettres d’amour et des sonnets114.»
Du service de Fr. Sforza, Cornazano passa en 1466 à celui du célèbre condottiere Bartolommeo Coleoni, alors général de la République de Venise, dont il écrivit les hauts faits dans les plus minutieux détails et sous sa dictée, car le récit n’est pas poursuivi jusqu’à la mort du capitaine. Cet intéressant travail, qui est comme un abrégé de l’histoire de l’Italie dans la seconde moitié du XVe siècle, Coleoni ayant été activement mêlé à toutes les guerres de son temps, est en Latin; Cornazano ne l’avait pas fait imprimer de son vivant, et Grævius et Burmann en ayant rencontré le manuscrit l’ont inséré au tome IX, VIIe partie, de leur Thesaurus antiquitatum et historiarum Italiæ. Coleoni mort, en 1475, Cornazano revint à Plaisance et fut, en 1479, envoyé comme ambassadeur à Milan; il alla aussi en France, ainsi qu’il le rapporte dans son poème De fide et vita Christi, mais on ne sait à quelle date et à quelle occasion. En 1480 ou 1481 il passa à la cour d’Hercule d’Este, à Ferrare, qui l’accueillit et l’entretint avec bienveillance; il épousa, sur le tard, Taddea de Varro, appartenant à une ancienne et noble famille, et mourut une vingtaine d’années après, en 1500. Il fut enseveli dans l’église des Servites. Zilioli, dans ses Vite de’ Poeti Italiani, se contente de dire qu’il était aussi savant en Grec qu’en Latin, et qu’en Italien il écrivit divers ouvrages aussi utiles qu’amusants, honorable occupation, dans laquelle il passa gaîment sa vie et parvint à une sainte et joviale vieillesse. «Il avait en vers,» ajoute-t-il, «un style facile, agréable, et qui ne manquait pas de grâce, mais il était si licencieux en paroles que rien de plus, et usait de vocables que les gens de goût ne peuvent lire sans rougir.»
Cette critique, fort exagérée, ne peut s’appliquer à aucun des ouvrages de Cornazano dont nous venons de parler, et pas davantage à d’autres du même genre, tels que le traité Del modo di reggere e di regnare et le Triumphus Caroli Magni dont il y avait dans la Bibliothèque de Renouard un magnifique manuscrit sur parchemin en lettres d’argent, avec initiales en or et en couleur; elle vise uniquement les Proverbes en facéties, qui existent sous deux formes, en vers élégiaques Latins et en prose Italienne, sans qu’on puisse bien déterminer celle des deux langues à laquelle Cornazano avait d’abord donné la préférence.
Le recueil Latin, imprimé trois ans après la mort de l’auteur, porte ce titre: Antonii Cornazani Placentini novi poetæ facetissimi quod de Proverbiorum inscribitur opus nunquam alias impressum, adeo delectabile et jocosum variisque facetiis refertum, ut unicuique etiam penitus mœsto hilaritatem maximam afferat. Impressum Mediolani per Petrum Martyrem de Mantegatiis, anno salutis MCCCCCIII, die ultima Septembris. Une autre édition sans date, exactement sous le même titre, y compris le nunquam alias impressum, et ne différant que par le nom de l’éditeur: impresso in Milano per Gotardo da Ponte, est considérée par tous les bibliographes, Brunet, Passano, etc., comme une réimpression ou contrefaçon de la précédente. Toutes deux sont de la plus grande rareté. Le volume se compose d’un Prologue et de dix poèmes d’inégale longueur, mais tous un peu plus étendus que les contes du recueil Italien, et traitant des proverbes suivants:
I. Quare dicatur: Pur fieno che gli è paglia d’orzo.
II. Quare dicatur: Futuro caret.
III. Quare dicatur: Non me curo de pompe pur che sia ben vestita.
IV. Quare dicatur: La va de Fiorentino a Bergamasco.
V. Quare dicatur: Dove il Diavolo non pò mettere il capo gli mette la coda.
VI. Quare dicatur: Chi fa li fatti suoi non s’imbratta le mani.
VII. Quare dicatur: Si crede Biasio.
VIII. Quare dicatur: Se ne accorgerebero gli orbi.
IX. Quare dicatur: El non è quello, vel: Tu non sei quello.
X. Quare dicatur: Tu hai le noce et io ho le voce.
Le Prologue est adressé Ad magnificum et potentem Ciccum Simonetam, ducalem consiliarium dignissimum, c’est-à-dire à Cicco ou, moins familièrement, Francesco Simonetta, homme d’État Milanais, qui fut le premier ministre de Francesco Sforza, puis de Galéas-Marie et enfin de Bonne de Savoie, régente du duché durant la minorité de Jean-Galéas. Ludovic le More le fit décapiter en 1480, lorsqu’il s’empara des États de son neveu. Cornazano y parle, comme d’un temps déjà éloigné, de sa jeunesse, de ses œuvres guerrières, du peu de profit qu’il en retirait alors, mais il ajoute qu’à présent Plaisance l’honore à l’égal des plus grands poètes:
Tantaque bella meæ cecini sub flore juventæ,
Ut Martis galeam me tenuisse putes;
Est et opus patrii juvenes quod ad æthera jactant,
Sed me par meritum non habuisse dolent.
Hactenus ut nullos enixa Placentia vates
Me colit, Aonidum sum sibi primus honor.
J’ai chanté tant de guerres à la fleur de mes ans,
Que tu me croirais avoir porté le casque de Mars;
Cet ouvrage, la jeunesse de mon temps l’élève aux cieux,
Mais déplore que je n’en aie pas eu juste récompense.
A présent, plus qu’aucun poète, l’illustre Plaisance
M’honore, je suis pour elle la plus haute gloire d’Aonie.
C’est donc lorsque sa ville natale, dont il était devenu un des premiers citoyens, l’envoya comme ambassadeur à Milan, qu’il dédiait son œuvre à Simonetta, alors à l’apogée de sa faveur, mais bien près de sa mort tragique.
Le recueil Italien n’est pas une traduction, comme l’ont avancé Libri et quelques autres bibliographes, ni même un abrégé du précédent. Des seize petites Nouvelles, expliquant autant de proverbes, qu’il renferme, quatre seulement, la Ire, la VIe, la VIIe et la XVe ont leur équivalent dans le Latin. Les deux plus anciennes éditions que l’on en connaisse: Venise, 1518, per Francesco Bindoni e Maffeo Pasini compagni (signalée par Passano), et Venise, 1523, ne contiennent que quatorze Nouvelles. Nous pouvons décrire avec exactitude la seconde, qui se trouve à la Bibliothèque de l’Arsenal. Elle est intitulée: Proverbii di messer Antonio Cornazano in facecia, et Luciano de Asino aureo, et historiati novamente stampati. Sub pœna excommunicationis latæ sententiæ, come nel breve appare. Stampata nella inclyta Città di Venetia, per Nicolò Zoppino et Vincentio compagno, nel MCCCCCXXIII, a di XXII de Agosto. Regnante lo inclito Principe messer Andrea Gritti. La traduction de l’Ane d’or, de Lucien, est du comte Boiardo, l’auteur de l’Orlando innamorato, et les historiati se composent uniquement de la Novella ducale, de Cornazano, dont le héros est le duc Francesco Sforza, et à laquelle nous avons fait plus haut un emprunt; comme elle ne tient pas à l’œuvre des Proverbii in facetie, nous n’avons pas jugé à propos de la reproduire. Quant au Privilège pontifical, ce n’est qu’une plaisanterie; au revers du titre, on lit bien un Bref menaçant d’amende les contrefacteurs, mais ce Bref se rapporte à un autre ouvrage que les Proverbes, une Historia rerum in Italia ab anno Domini MCCCCVC usque in hodiernum ferme gestarum, publiée par les mêmes libraires, N. Zoppino d’Aristotile et Vincentio, son associé; il n’a été mis là que pour effrayer ceux qui pouvaient ne pas savoir le Latin. Dans toutes les éditions qui suivirent, à partir de 1525 (et on n’en compte pas moins de seize jusqu’à celle de Didot en 1812), on lit en sous-titre: con tre proverbii aggiunti e due Dialoghi, quoiqu’il n’y ait en réalité que deux proverbes ajoutés; ce sont les deux doubles versions d’un même adage: Anzi corna che croce et Tutta è fava; on peut légitimement douter qu’elles soient de Cornazano, d’autant plus que l’une d’elles, la première, se trouve dans le Convito de Gio-Battista Modio, imprimé en 1558.
Passano s’est fondé là-dessus pour estimer que l’ouvrage Latin, De origine Proverbiorum, est seul attribué avec certitude à Cornazano; d’après lui, le recueil Italien des Proverbii in facetie ne serait qu’une compilation placée par un anonyme sous le couvert d’un écrivain renommé. Sebastiano Poli, Modi di dire Toscani (1761, in-8o), à l’adage Adio fave, croit au contraire que Cornazano est l’auteur de l’un comme de l’autre et qu’il avait écrit la version Italienne avant la version Latine, ce dont on trouverait l’indication dans un distique du Prologue à Fr. Simonetta:
Illaque, materno quia sunt sermone, puellæ
Me sæpe in foribus prætereunte legunt…
et il affirme de plus que l’œuvre était en vers blancs (in verso sciolto), imprimés depuis, par l’ignorance des typographes, comme s’ils étaient de la prose. Nous ne déciderons pas du bien fondé de cette seconde allégation, mais, quant à la première, elle est entièrement fausse; le distique en question ne se prête à ce qu’on veut lui faire dire que si on l’isole de celui qui le précède:
Per me habet hic cautæ quæ scribat amator amicæ,
Nec responsa sua negliget ipsa manu,
Illaque, materno quia sunt sermone, puellæ
Me sæpe in foribus prætereunte legunt.
Par moi l’amoureux sait comment écrire à sa fine maîtresse,
Et celle-ci, de sa main, ne néglige pas ses réponses:
Comme elles sont en notre langue, les jeunes filles
Souvent sur leurs portes les lisent quand je passe.
Nous ne voyons là qu’une allusion à un ouvrage dont toute trace, sauf celle-ci, semble perdue, et qui devait être une sorte de Secrétaire des Amants, à moins que ce ne fût une traduction ou imitation des Héroïdes d’Ovide. Cornazano devait, en effet, avoir publié quelque petit livre de ce genre, car voici ce qu’on lit au début de sa terza rima en l’honneur du Christ:
Nè qui prometto un stil gayo e giocondo,
Come hebbi gia fral gregge di Cupido,
Nel quale era el mio colpo più profondo;
Altro è legger d’un stral percossa Dido,
E donna dardeggiar con vano amante,
Aprendogli esso el cor per fargli nido:
Altro è legger virtuti e cose sante,
E contemplar el figlio di Maria
Pendante in croce per l’homo peccante.
Je ne promets pas ici le style gai et plaisant
Que j’eus naguère dans le troupeau de Cupidon
Où plus profond était mon élan;
Autre chose est de lire Didon d’une flèche percée,
Femme criblant de traits son frivole amant
Qui lui ouvre son cœur pour lui faire un nid:
Autre chose lire vertus et œuvres saintes,
Et contempler le fils de Marie
Suspendu sur la croix pour l’homme pécheur.
Quoi qu’il en soit, ce manuel de correspondance amoureuse que les jeunes filles lisaient sur le pas de leurs portes et dont elles s’inspiraient pour répondre aux galants, n’a aucun rapport avec les Proverbii in facetie; le bibliographe s’est fourvoyé en donnant aux deux vers du Prologue un sens qu’ils ne peuvent pas avoir.
Nous croyons néanmoins comme lui que le recueil Italien est bien de Cornazano, à qui il a été de tout temps attribué et qui d’ailleurs ne saurait être du premier compilateur venu. C’est l’œuvre d’un maître écrivain, plein d’art et de finesse, égal par le style aux meilleurs conteurs et en surpassant quelques-uns par l’originalité de l’invention. L’idée de prendre des proverbes usuels et de leur assigner, au moyen d’une histoire plaisante, une origine tout à fait imprévue est des plus ingénieuses. Cinthio degli Fabrizii, dans son Origine delli volgari Proverbi (1527, in-folio), autre livre bien curieux, s’en est emparé après lui, et, en traitant quelquefois les mêmes sujets, leur a donné une ampleur quelque peu démesurée; il dit en plusieurs milliers de vers ce que Cornazano esquisse légèrement en deux ou trois pages. On lira avec plaisir ces petits contes libres, qui ont la grâce de ceux de Boccace et le piquant des facéties de Pogge.
Septembre 1884.