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Kitabı oku: «Curiosa», sayfa 19

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Le chapitre V est relatif à ces caresses longuement détaillées auxquelles se complaisent les Orientaux et dont il y a tant d’exemples dans les Kama Sutra; les Arabes, ainsi que les Hindous, analysent tout avec une rare subtilité, et, comme ils distinguent quatorze couleurs dans l’arc-en-ciel, où nous n’en voyons que sept, de même, ce qui pour nous est un, est pour eux multiple, composé d’une infinité de phases et de gradations. «La femme,» dit le Cheikh, «est comme un fruit qui ne laisse échapper sa suavité que si tu le frottes entre tes mains. Vois le basilic: si tu ne l’échauffes entre tes doigts, il ne laisse pas exhaler ses parfums. Ne sais-tu donc pas que l’ambre, à moins d’être manipulé, garde dans ses pores l’arome qui y est contenu? Il en est de même de la femme: si tu ne l’animes par des badineries entremêlées de baisers, d’accolements de poitrines, tu n’obtiendras pas d’elle ce que tu désires. Il faut promener la bouche sur les seins, sur les joues, humer la salive, explorer partout avec activité, jusqu’à ce que tu la voies haletante, les yeux humides et la bouche entr’ouverte.»

Dans le chapitre suivant, sont décrites les postures amoureuses, au nombre de vingt-neuf; elles n’ont de particulier que leurs appellations, et encore un certain nombre de celles-ci sont-elles à peu près les nôtres. Le Cheikh avait lu les livres de l’Inde concernant cette partie de la science érotique, car il dit: «Les Hindous ont décrit dans leurs ouvrages un grand nombre de manières, mais la plupart ne donnent pas de jouissance dans leur application; elles exigent plus de peine qu’elles ne procurent de plaisir.» Notons un curieux appendice (n’est-ce pas le cas d’employer le mot?) consacré au bossu. Le Cheikh plaisante agréablement ce disgracié de la Nature:

 
Il ressemble à un homme qui se baisse pour éviter un coup,
Ou qui, ayant reçu le premier coup,
Se recroqueville en attendant le second…
Le bossu, absorbé dans l’œuvre du coït,
Ressemble à un vase pourvu de deux goulots.
La femme lui dit, lorsqu’il désire l’étreinte:
«Tu ne le peux, ta bosse est un obstacle;
Ce que tu as sur le dos, où le mettrai-je?»
 

Néanmoins il examine les diverses sortes de congrès possibles entre un bossu et une femme droite, un homme droit et une bossue, et aussi entre bossue et bossu, ce qui doit être tout à fait drôle.

Le chapitre VII, De ce qui est nuisible à l’acte de la génération, contient des prescriptions qui ne seraient pas toutes acceptées par la science médicale actuelle. Le congrès debout provoque la sciatique et des douleurs dans les articulations des genoux; le congrès la femme dessus, procure des maladies de l’épine dorsale et une orchite, si quelques gouttes du liquide vaginal coulent dans l’urèthre. Rester près d’une femme après le coït rend chauve. Se laver à l’eau froide donne des chancres. Regarder l’intérieur du vagin amène infailliblement la cécité: à ce compte, nos médecins de dispensaires seraient tous depuis longtemps aux Quinze-Vingts. Les vêtements de soie empêchent l’érection, qu’ils soient portés par l’homme ou par la femme. Besogner une vieille, c’est absorber une nourriture empoisonnée; une jeune, c’est au contraire se redonner de la vigueur. Du reste, mangez des œufs, des confitures, des plantes aromatiques, du miel, de la viande, et vous serez toujours bien disposé pour l’amour. Néanmoins, le Cheikh recommande la modération: deux fois par mois, trois au plus, c’est tout ce que l’homme le mieux portant doit se permettre. «Ne recherchez pas trop,» dit-il, «les caresses des filles aux seins gonflés.»

Ceux qui connaissent la richesse du lexique Arabe, qui a plus de cinq cents mots pour désigner le lion, et plus de mille pour désigner l’épée, s’étonneront qu’il n’en ait que trente-neuf, pas davantage, pour les parties sexuelles de l’homme, et quarante-trois pour celles de la femme. Encore cette richesse est-elle plus apparente que réelle, tous ces mots n’étant, en somme, que des épithètes auxquelles on donne la valeur d’un substantif. C’est dans le corps de l’ouvrage qu’il faut chercher les appellations un peu originales; ainsi le Cheikh dit quelque part que la vulve ressemble à la tête du lion, et, ailleurs, à l’empreinte du pied de la gazelle sur le sable du désert; il compare des lèvres rouges à une lame de sabre ensanglanté, et les seins au calice de la jacinthe: cela vaut toujours bien les «gamelles à tentation» de M. Alex. Dumas fils. Il a fait suivre ces deux chapitres (VIII et IX) d’une sorte de Clef des Songes: Voir en rêve son membre coupé, c’est très mauvais signe! voir des dents, signifie longues années; un ongle retourné: défaite; un lys: malheur imminent; une autruche: la mort; une rose fraîche: de la joie; une rose flétrie: des nouvelles mensongères; des jasmins: une déception; une marmite: la conclusion d’un marché; de la sciure de bois: une bonne nouvelle; un encrier: guérison; un turban: menace de cécité prochaine; un fusil: succès; une orange amère: calomnie; une carotte: de la tristesse; un navet: une affaire irrévocable; un verre brisé: retour à Dieu. Celui qui rêve d’une amande verra la fin de ses tourments; d’un soulier: il aura la femme qu’il désire; d’une savate: il fera la conquête d’une vieille. S’il perd son soulier, c’est signe qu’il perdra sa femme. «Je sais bien,» dit le Cheikh, «que ce n’était pas le lieu de traiter de tout cela; mais les paroles s’enchaînent les unes aux autres;» et il renvoie au Traité complet d’un certain Ben-Sirine ceux qui voudraient en savoir plus long; nous y renvoyons à notre tour les auteurs modernes de Clefs des Songes: ils y trouveront peut-être des indications précieuses.

A la suite, sans plus d’ordre méthodique, viennent de très jolies historiettes. C’est d’abord un apologue digne de la Cazzaria: les testicules se plaignent d’avoir perdu leur frère, égaré dans une profonde caverne, et le redemandent à grands cris. – «Vous ne l’aurez que mort!» répond la caverne; il revient, en effet, si pâle, si maigre, si défait, un vrai cadavre, qu’il n’est plus reconnaissable. Mais, d’une voix éteinte, il raconte qu’il a été si heureux dans cette caverne, que les testicules veulent à toute force subir le même traitement. Puis vient l’Histoire de Djoaïdi et de Fadehat el Djemal. El Djemal est une femme qui a toutes les perfections: une chair moelleuse comme le beurre frais, des lèvres comme du corail, une bouche en chaton de bague, des seins comme des grenades et des joues comme des roses. Oui, mais elle rebute Djoaïdi, et lui chante ces vers, en ricanant:

 
J’ai vu entre les montagnes une tente solidement plantée,
Que sa hauteur fait apparaître aux yeux de tous;
Mais le pieu qui soutenait son milieu a été arraché,
Et elle est restée comme un vase sans anse.
Ses cordes se sont détendues, et son centre
S’est affaissé, formant le creux d’un chaudron étamé.
 

Djoaïdi, ne pouvant deviner ce qu’elle veut dire, va consulter le savant Abou-Nouass, et lui récite cette cantilène, qu’il a retenue. Abou-Nouass y lit à livre ouvert que la femme est d’une haute taille, qu’elle est veuve et qu’elle craint de ne pas rencontrer, pour dresser sa tente, un pieu aussi solide que le premier. Reste à Djoaïdi de montrer qu’il a compris l’énigme et de faire ses preuves: il épouse Fadehat el Djemal.

Le chapitre XI aurait fait les délices de Pietro Aretino, qui, s’il l’avait connu, aurait peut-être ajouté quelques épisodes à sa Ruffiannerie. La Femme changée en chien pourrait être un de nos vieux fabliaux. Une entremetteuse est en train d’enjôler une jeune femme; passe un chien enragé, hérissé, la gueule saignante. – «Vous ne la reconnaissez pas? je la connais bien moi; c’est une telle; elle a été changée en chien pour avoir refusé de se donner à un homme qui l’aimait.» La petite ne veut pas du tout être changée en chien; elle consent à suivre l’entremetteuse, qui l’enferme chez elle, et se met en quête de celui pour le compte duquel elle opérait. Malheureusement l’amoureux n’est pas chez lui. «Bast! le premier venu profitera de l’occasion,» se dit-elle, et elle arrête un passant, qu’elle émoustille par la description des beautés d’une jeune femme qu’elle a à sa disposition. Il la suit, et elle les met aux prises; mais c’est justement le mari qui, reconnaissant sa femme, s’en va tout penaud, persuadé, par les hauts cris qu’elle jette, qu’elle a voulu éprouver sa fidélité, et qu’il est tombé dans un piège. «Appréciez d’après cela les ruses des femmes, et ce dont elles sont capables!» dit sentencieusement le Cheikh; c’est le refrain qui revient périodiquement après chaque histoire. Celle de Bahia est plaisante. Bahia (la Beauté éblouissante) a un mari, et un amant qu’elle ne peut voir, tant le mari la tient serrée. Pour passer quelques heures avec lui, elle imagine un stratagème auquel finit par se prêter un ami de son amant: il se couchera dans le lit conjugal à sa place. Rien à craindre, car le mari reste toute la nuit dehors avec son troupeau d’ânesses; seulement il rentre vers minuit et apporte une tasse de lait à sa femme. Le jeune homme n’aura qu’à la prendre et à boire, sans souffler mot; le mari n’y verra rien, vu qu’il n’allume jamais la chandelle. Les choses ainsi convenues, Bahia s’évade avec son amant, et l’ami se couche. Au milieu de la nuit, le mari vient apporter la jatte de lait; le jeune homme la prend et se met à boire, mais comme il n’est pas très rassuré, malgré l’obscurité, la jatte lui échappe des mains et se brise. – «Ah! tu as cassé le pot!» s’écrie le mari; il empoigne un gourdin et se met à rouer de coups, à tâtons, celui qu’il croit sa femme, et qui n’ose souffler, de peur de se faire reconnaître; puis il s’en va. La sœur de Bahia, aussi jolie qu’elle, qui ne sait rien de l’échange opéré, et qui a seulement entendu les coups de bâton, vient consoler la pauvrette ainsi maltraitée; le jeune homme l’attire sur sa poitrine, et elle s’étend près de lui, croyant coucher avec Bahia; détrompée bien vite, elle y reste, «et tous deux passent la nuit dans le bonheur des baisers, des étreintes et des plaisirs réciproques.»

Un autre encore de ces contes est plein d’esprit et d’originalité. Quelqu’un prétendait savoir à fond tous les stratagèmes des femmes et ne s’y laisser jamais prendre. Il commet néanmoins l’imprudence d’entrer chez une rusée commère, à l’œil plein de promesses amoureuses, qui lui fait signe, sur le pas de sa porte: le mari est absent, une savoureuse collation est préparée, qui diable y résisterait? Mais à peine s’est-il assis à table, que le mari revient. Quel fâcheux contretemps! la jolie commère fait cacher le galant dans une armoire. Le mari se met à table à sa place, non sans montrer quelque surprise de cette profusion de mets et de fruits; il en demande la raison. – «C’est que j’avais fait venir mon amant,» répond la femme. – «Ton amant? et où est-il? – A ton arrivée, je l’ai fourré dans l’armoire.» Le mari se lève. – «Il n’y a pas la clef; où est la clef? – La voici;» et il introduit la clef dans la serrure: la femme éclate de rire. – «De quoi ris-tu? – Je ris de la faiblesse de ton jugement et de ton peu de raison. O homme sans discernement! peux-tu croire que si j’avais un amant caché dans cette armoire, je te le dirais? La collation était pour toi.» Le mari, sans ouvrir, vient se rasseoir et mange. – «C’est vrai!» dit-il; vois ce qu’un homme de bon sens peut faire sans réflexion! Moi qui n’ai jamais douté de toi, je me suis levé et je suis allé à l’armoire!» Le repas achevé, il sort, et la bonne commère va délivrer le prisonnier. – «Eh bien, le connaisseur en ruses de femmes, vous doutiez-vous de celle-là?» Le pauvret avait eu une telle frayeur en entendant mettre la clef dans la serrure, qu’il en avait sali ses chausses; il n’en demande pas davantage, et déguerpit lestement. «Appréciez d’après cela les ruses des femmes,» répète le Cheikh; «elles réussiraient à faire monter un éléphant sur le dos d’une fourmi.»

Un Manuel de ce genre ne serait pas complet s’il ne contenait des recettes aphrodisiaques; contentons-nous d’en relever quelques-unes. Pour être toujours en état de satisfaire la femme la plus exigeante, il faut manger des oignons saupoudrés de gingembre, de cardamome et de cannelle; des onguents de fiel de chacal, de graisse de bosse de chameau, de cubèbe mâché avec de la graine de cardamome, de baume de Judée, de pyrèthre, gingembre, lilas et écorce de cannelier, produisent aussi des effets souverains; un composé de miel, de pyrèthre et de graines d’orties remédie à l’impuissance. Le déliement des aiguillettes est une opération très compliquée: il faut prendre du galanga, de la cannelle, de la girofle, du cachou, de la muscade, du cubèbe, une langue de passereau, du poivre Persan, du chardon de l’Inde, du cardamome, du pyrèthre, de la graine de laurier, de la fleur de giroflée, et faire cuire le tout dans du bouillon de pigeon ou de poulet. Mais restons en là de cette pharmacopée amusante; nous en avons dit assez pour donner une idée de ce curieux Livre du Cheikh, et suppléer, par une analyse, à sa rareté.

Octobre 1885.

XLII
L’HECATELEGIUM
DE
PACIFICO MASSIMI136

Pacificus Maximus n’est pas un inconnu pour ceux qui ont lu le Manuel d’Érotologie classique de Forberg: l’érudit Allemand en a cité quelques morceaux de choix, très propres à donner une haute idée du poète d’Ascoli. Forberg, toutefois, ne semble pas avoir eu entre les mains l’Hecatelegium complet; il a emprunté ses extraits au recueil des Quinque illustrium poetarum de Mercier de Saint-Léger137 et il s’y réfère continuellement. Le chef-d’œuvre de Pacificus Maximus est, en effet, très rare, si rare que ce serait peine perdue de le demander en librairie; pour le réimprimer et le traduire, nous avons dû en prendre copie sur l’unique exemplaire qu’en possède la Bibliothèque Nationale, et qu’elle a acquis au prix de douze cents francs.

Dans l’Hecatelegium, tout n’est pas de la force de ces quelques pièces qui font l’ornement du Manuel d’Érotologie; on peut en dire ce que Martial disait trop modestement de ses Épigrammes:

Sunt bona, sunt quædam mediocria, sunt mala plura;

avec cette différence toutefois que le médiocre l’emporte sur le bon et le mauvais. Le mérite du recueil consiste un peu dans son insigne rareté, un peu dans sa Latinité, qui est élégante, beaucoup dans l’étrangeté des sujets que l’auteur aime à prendre pour thèmes de ses développements poétiques. Les humanistes donneront volontiers une place dans leur bibliothèque à ce curieux produit de la verve désordonnée de la Renaissance.

La vie de Pacificus Maximus ou, pour lui restituer son nom véritable, Pacifico Massimi, est assez peu connue. Quoique issu d’une opulente famille d’Ascoli, il semble avoir mené une vie errante et misérable, celle d’un bohème de lettres, ayant tâté de tous les métiers sans trouver dans aucun la fortune. Son père, Giovanni de’Massimi, était à Ascoli, vers 1390, le chef de la faction Guelfe. Chassé une première fois de la ville, avec ses principaux adhérents, il y était rentré de vive force et, après avoir fait exiler ou tuer tous les Gibelins, avait reconquis sa situation première. Pacifico nous a conté lui-même comment, dans une autre sédition, Giovanni avait été forcé de s’enfuir une seconde fois, heureux de s’échapper par une fenêtre à l’aide d’une corde, pendant que les Gibelins défonçaient les portes à coups de hache et mettaient le feu à la maison (Hecatelegium, II, VIII). C’est en parlant de sa naissance que le poète nous fait part de ces détails, sa mère, qui était enceinte, ayant accouché de lui en pleins champs durant cette nuit tragique. Quelques pas plus loin, son grand-père, Marino, qui s’était assez inconsidérément enfui sur un âne poussif, avait été dévoré par les loups. Giovanni de’Massimi recouvra pourtant encore une fois toute sa puissance, car il fut, postérieurement à ces événements, créé gouverneur d’Ascoli par le Souverain Pontife, reconnaissant de son attachement à la cause du Saint-Siège.

Ce fut à Campli, petite ville des Abruzzes peu distante d’Ascoli, que Pacifico passa, dans l’exil de ses parents, ses premières années; aussi, au lieu du titre de poeta Asculanus qu’il se donne en tête de chaque livre de l’Hecatelegium, a-t-il pris quelquefois, ou lui a-t-on donné celui de poeta Camplensis, qui figure sur le titre de ses deux livres de Triomphes dédiés à Braccio Baglioni138, poèmes Latins publiés pour la première fois par Gio-Battista Vermiglioli (Poesie inedite di Pacifico Massimi Ascolano in lode di Braccio II Baglioni, capitano de’ Fiorentini e generale di S. Chiesa; Pérouse, 1818, in-4o). Il aimait du reste Campli, cet asile de sa jeunesse, et il a chanté dans ses vers l’agglomération des trois bourgades dont s’est formée la ville érigée plus tard en évêché par Clément VII:

 
Dum Campli, Castrique Novi, Ripæque Nocellæ
Stabunt, illius semper amator ero.
Immemor accepti non ullo tempore fiam,
Pro quo me vitas ponere mille leve est.
 
(Hecat., II, VIII.)

Dans la biographie Latine (Vita Pacifici Maximi ex Atheneo Asculano deprompta) qui précède une édition expurgée de quelques-unes des œuvres de notre poète139, on rapporte qu’aussitôt qu’il fut en âge d’apprendre, son père, remis en possession de ses biens et revenu à Ascoli, lui donna d’excellents précepteurs et que, doué de l’intelligence la plus vive, le jeune homme en profita pour parcourir rapidement tout le cycle des études: Grammaire, Rhétorique, Philosophie, Mathématiques et même Astronomie ou Astrologie (scientia sideralis). Plus tard, il acquit une grande réputation dans la science du Droit et fut compté parmi les jurisconsultes les plus habiles de son temps; c’est surtout comme poète qu’il mérite d’être considéré, et, dit le biographe, «on le réputerait le meilleur de tous, dans l’élégie, s’il n’eût souillé ses vers de honteuses amours: non qu’il fût aucunement lascif, mais pour que ses poésies fussent du goût de la plupart des hommes, qui sont loin d’être bons, et pour qu’ils daignassent les lire. Aussi, à la fin de son ouvrage, a-t-il demandé pardon de ces impuretés à la Sainte Vierge, mère de Dieu.» On en croira ce qu’on voudra, Pacifico ayant, en effet, maintes fois déclaré dans l’Hecatelegium que si ses vers sonnaient mal aux chastes oreilles, ses mœurs étaient irréprochables, et aussi souvent affirmé qu’il pratiquait cyniquement les vices les plus infâmes, et qu’il avait depuis longtemps rejeté toute pudeur.

Né en 1400, il mourut centenaire à Fano en 1500, et on est assez embarrassé de savoir comment il remplit une si longue existence. Du riche patrimoine de ses aïeux, il ne lui était rien resté; son père, d’après la biographie Latine que nous citions plus haut, avait fini par périr d’une façon tragique, assassiné par Francesco de Carrara, qui s’était emparé d’Ascoli pour les Gibelins: le fait est douteux, au moins pour ce qui regarde Francesco de Carrara, étranglé à Venise par l’ordre du Sénat, en 1404, le père de Pacifico ayant assez vécu, ainsi que cela résulte de cette même biographie et de divers passages de l’Hecatelegium, pour que son fils fût en âge d’avoir des précepteurs. Quoi qu’il en soit, la ruine de la famille des Massimi, vers le milieu du XVe siècle, est indubitable. Le poète ne cesse de se lamenter sur sa misère; lui, dont autrefois les immenses domaines étaient labourés par un millier de bœufs, il avoue n’avoir plus un pouce de terre où la grêle puisse tomber. Une requête adressée par lui au roi de Naples, Ferdinand d’Aragon (Hecat., V, IX), nous montre que, dans les premières années du règne de ce monarque, car il l’appelle nova gloria regum, c’est-à-dire vers 1458, Pacifico était de nouveau exilé d’Ascoli par la faction rivale et dépouillé de ses biens; il demande à Ferdinand de le réintégrer dans les domaines qu’il lui a confisqués pour en faire don à un intrus. A cette époque, Pacifico avait perdu non seulement son père et sa mère, mais sa femme, avec laquelle il faisait assez mauvais ménage, si l’on en juge par les furieuses invectives dont il l’a accablée (Hecat., I, V), et les trois enfants issus de son mariage, un fils, Ippolito, dont il a déploré la perte en termes touchants, et deux filles:

 
Consortem thalami cum natis fata duobus
Cumque una nata corripuere mihi;
Orbus eram, sed dives eram!..
 

C’est ce dernier point surtout qui lui tient à cœur. Il était orphelin, veuf et sans enfants, mais du moins il était riche, et il se plaît à rappeler que partout l’or reluisait sous ses lambris. La requête n’opéra nul effet, car il n’a cessé de se plaindre et de parler de ses vêtements en loques dont riaient les gamins: Pueri mea pallia rident! dit-il (III, VIII).

A cette époque, c’est-à-dire en 1459, il vivait à Pérouse au Collège Grégorien de la Sapienza Vecchia, probablement en qualité de professeur de Droit ou de Belles-Lettres; Gio-Battista Vermiglioli lui donne le titre d’étudiant, mais il avait barbe grise et approchait de la soixantaine. Ce qui est certain, c’est qu’il prit part à une sédition armée des étudiants de l’Université, ainsi qu’il l’a raconté dans deux épîtres en vers, adressées à Cosme de Médicis, que Vermiglioli a publiées pages 281 et 282 des Memorie di Jacopo Antiquari. Le tumulte fut apaisé par Braccio Baglioni, lieutenant du Saint-Siège à Pérouse, avec lequel Pacifico contracta une étroite amitié. Il a chanté ce vaillant condottiere, qui lui offrit une princière hospitalité, dans ses Triomphes, publiés également par Vermiglioli (Poesie inedite di P. Massimi, 1818), composition poétique en deux livres dont le premier est consacré aux vertus civiles, le second aux vertus guerrières de Braccio Baglioni, et dans la Draconide, en trois chants, où il retrace les origines fabuleuses des armoiries de cette famille.

Il fut aussi l’hôte de Sixte IV, qui l’hébergea dans la Villa Farnèse, dont il a décrit les splendeurs (Hecat., IV, III), et il n’a pas ménagé les louanges au pontife, dans la cinquième élégie du même livre, pour les embellissements dont il avait doté Rome: le Ponte-Sisto, la Via-Lata, les rues boueuses changées en larges avenues, etc. C’est toutefois bien à tort qu’il le félicite d’avoir dignement restauré les monuments antiques, car on accuse avec raison Sixte IV de s’être servi d’eux comme de simples carrières de marbre pour en tirer ses constructions nouvelles. M. Müntz (Les Arts à la cour des Papes pendant le XVe et le XVIe siècles) a reproduit un poème d’Aurelio Prandolini, De laudibus Sixti Quarti, pour montrer quel avait été l’enthousiasme des contemporains en voyant s’édifier cette Rome nouvelle sur les ruines de l’ancienne; il aurait pu citer aussi les pièces V et VI du quatrième livre de l’Hecatelegium.

Au milieu de ces splendeurs et malgré une hospitalité dont il finissait par se dégoûter sans doute, Pacifico n’en restait pas moins misérable. Il écrit à son ami Bictinicus (IV, IV), qu’à moins d’être un empoisonneur140, un maquereau ou un filou, il est impossible de vivre à son aise à Rome. Et cependant Dieu sait s’il était homme de ressources! Il lui énumère tous les métiers dont il était capable:

Astrologue, médecin, rhéteur, grammairien, sorcier,

Bouffon, tavernier, parasite…;

il se vante encore d’être bon cuisinier, de savoir tricher au jeu comme pas un, d’avoir, en un mot, autant de tours de gibecière que Panurge, et il ne parvient pas à gagner sa pauvre vie! Qu’il fût quelque peu médecin, nous en avons la preuve dans diverses pièces de l’Hecatelegium, notamment III, VIII, où il demande à Alphonse d’Aragon, roi de Naples, à suivre ses camps pour guérir les blessés, et V, X, où il prétend avoir en sa possession une eau merveilleuse pour rappeler à la vie les soldats les plus mortellement atteints: c’était peut-être l’eau d’arquebuse, dont la recette est arrivée jusqu’à nous. Mais son métier le plus lucratif fut encore celui de précepteur, sans doute dans quelques-unes de ces familles princières, les Baglioni et les Salviati, où il était si bienvenu. On ne saurait trop admirer, étant donné l’homme, les excellents préceptes de morale et de vertu qu’il inculquait à ses élèves. Nous en avons au moins deux exemples, la huitième élégie du livre VII, Ad Antonium, et la troisième du livre X, Ad Franciscam, où il rappelle à cette jeune femme le temps où il l’éduquait, sous l’égide de sa sainte mère,

Cum tibi sub sancta matre magister eram.

Nous qui connaissons l’Hecatelegium, publié par lui vers la fin de sa longue existence, en 1489, nous le voyons mal dans ce rôle de magister. D’autant plus qu’avant même qu’il ne les imprimât, ses vers licencieux n’étaient pas ignorés; aussi répondait-il à l’un de ses protecteurs, Braccio Baglioni, qui les lui reprochait, par cette distinction subtile de l’homme et de l’œuvre, dont il est question plus haut. A celui-là, qui peut-être lui donnait son fils ou sa fille à instruire, il ne disait pas qu’il avait depuis longtemps rejeté toute pudeur; il réclamait pour le poète le privilège de rester complètement étranger, comme homme, aux thèmes qu’il a choisis comme écrivain; ainsi Virgile a écrit les Géorgiques sans jamais avoir fait paître de troupeaux ni tenu en main un manche de charrue, et chanté les guerres de l’Énéide sans jamais avoir renversé de murailles:

 
Desine me, Bracci, sacrum damnare poetam;
Mens mea, cantato carmine, munda manet;
Virgilius nullo disjecit mœnia bello,
Nec pecudem pavit, nec bove vertit humum 141.
 

Ceux qui se contentaient de ces raisons oratoires étaient des gens faciles à satisfaire.

Sixte IV et Braccio Baglioni ne furent pas ses seuls protecteurs: il jouit aussi de la faveur de Nicolas V et de Pie II, de Laurent de Médicis, du roi de Hongrie Mathias Corvin, d’Alphonse et de Ferdinand d’Aragon, rois de Naples. Ces derniers le comblèrent, sinon de biens, du moins d’honneurs, lui décernèrent en grande pompe la couronne poétique, et Alphonse le créa chevalier, ce qui ne s’accordait, dit le biographe, qu’aux gens de haute naissance et d’un mérite insigne. On ignore quelles circonstances ou quel emploi l’avaient fait venir à Fano, où il mourut. Quelques années auparavant, sa détresse était telle, qu’il songeait, comme l’Arétin, à aller demander asile au Grand-Turc, à Constantinople: cette pensée commune à deux hommes dont l’existence et les œuvres offrent plus d’un point de ressemblance n’est-elle pas singulière?

Au cours de cette longue vie si accidentée et de ces alternatives d’opulence et de misère, Pacifico Massimi a trouvé moyen d’écrire un grand nombre d’ouvrages, qui d’ailleurs sont à peu près oubliés aujourd’hui. Il s’est exercé dans les genres les plus divers, avec un faible prononcé, en dehors de la poésie, pour les récréations mathématiques. On a de lui un calendrier perpétuel qu’il avait dressé pour Jacopo Salviati, et il résolvait à l’aide de cercles concentriques pourvus de numéros, ou de chiffres marqués sur les phalanges des doigts, toutes les difficultés de construction du pentamètre et de l’hexamètre. Ces figures, reproduites dans l’édition expurgée de ses Carmina (Parme, 1691) ornaient un opuscule qu’il avait fait imprimer à Florence en 1485, contenant un Poème Latin en l’honneur de Giovanni Fatale Salvaglio, un Discours en prose prononcé par le poète dans le Sénat de Lucques à l’occasion d’une distribution de bannières, un Traité intitulé De componendo hexametro et pentametro, adressé à Jacopo Salviati, ainsi que l’explication donnée au même du calendrier de son invention. La première édition de l’Hecatelegium est de 1489; l’auteur de la biographie Latine dont nous avons parlé (Vita Pacifici Maximi ex Atheneo Asculano deprompta) dit en avoir vu une seconde, dont il ne précise pas la date, imprimée à Bologne et en tête de laquelle se trouvait le portrait de Pacifico, très vieux, la tête ceinte du laurier poétique. Il en fut fait une troisième à Fano (1506, per Hieronymum Soncinum); elle contient à la suite, outre les diverses pièces mentionnées plus haut, deux grands poèmes où Pacifico, délaissant ses anciens errements, se fait le champion de la chasteté, de la pudicité: In laudem Lucretiæ libri duo; In laudem Virginiæ libri duo. L’édition de Parme, 1691, contient également tous ces divers ouvrages, mais l’Hecatelegium y est, comme nous l’avons dit, expurgé des pièces licencieuses. On doit encore au fécond écrivain: De bello Spartasio libri sex; De bello Cyri regis libri septem; De bello Syllæ et Marii libri duo; Grammatica de regimine verborum Græcorum, soluta et vincta oratione conscripta, ad Hippolytum filium, qui furent imprimés à Fano, per Hieronymum Soncinum, partie en 1500 et partie en 1506. Quelques-unes de ses œuvres ont dû rester manuscrites et ignorées. Gio-Battista Vermiglioli a remis de lui en lumière les deux livres des Triomphes et la Draconide, parce que ces poèmes intéressaient la mémoire de Braccio Baglioni, à qui cet érudit a consacré une savante étude, plus quarante-deux épigrammes, adressées également à Braccio, et qui faisaient partie d’un recueil manuscrit plus copieux, mais dont il n’a pas voulu reproduire les pièces libres. On porte encore à son avoir divers traités philosophiques: De Sapientia libri septem; De Castitate libri octo; De Moderatione animi; De Bono; De Fato; De Anima libri novem; De Divina Providentia libri decem, parce que, dans l’hendécasyllabe qui précède le VIIe livre de l’Hecatelegium, il dit en être l’auteur; mais c’est prendre trop au sérieux une plaisanterie du poète.

De tous ces ouvrages, c’est, en somme, l’Hecatelegium qui survivra; Pacifico Massimi se place, grâce à ce recueil, à la tête des poètes érotiques les plus audacieux. Le cynisme de certaines pièces n’a été dépassé par personne, pas même par Baffo; d’autres, parmi les élégies amoureuses, sont gracieuses ou spirituelles. Nul, à notre connaissance, n’a encore fait la remarque qu’une centaine d’années avant Francesco Berni, qui a donné son nom au genre Bernesque, Pacifico avait inventé ce genre, et même l’avait du premier coup porté à sa perfection: De Palmera (III, III), Expiscatio (III, IX), Venatio (X, VIII) sont de petits chefs-d’œuvre, comparables à ce que Berni, Molza et Giovanni della Casa ont fait de mieux, le Pesche, la Ficheide, le Forno, etc.; l’équivoque badine y est si finement déduite, à l’aide de sous-entendus si adroits, que les reviseurs de l’édition expurgée n’y ont rien aperçu, à moins qu’ils aient fait semblant de ne rien voir, ce qui est encore possible. Une autre pièce, In hypocritam (V, I), est encore bien remarquable par la quantité de mots à double sens dont elle est pleine: l’édition expurgée ne l’a pas rejetée davantage. Les poètes du XVIe siècle ont excellé dans ce genre plaisant: à Pacifico revient le mérite de leur avoir montré l’exemple, et dans une langue qui se prête moins facilement que l’Italien à l’équivoque.

136.Hecatelegium, ou les Cent Élégies satiriques et gaillardes de Pacifico Massimi, poète d’Ascoli (XVe siècle). Littéralement traduit pour la première fois, texte Latin en regard. Imprimé à cent exemplaires pour Isidore Liseux et ses amis. Paris, 1885, in-8o.
137.Quinque illustrium poetarum, Ant. Panormitæ, Ramusii Ariminensis, Pacifici Maximi Asculani, Jo. Joviani Pontani, Jo. Secundi Hagiensis, lusus in Venerem, partim ex codicibus manu scriptis nunc primum editi. Parisiis, prostat ad Pistrinum, in Vico Suavi (chez Molini, rue Mignon), MDCCXCI. Noël a également inséré quelques élégies de Pacificus, d’après cette même source, dans son Erotopægnion (1798).
138.Christi nomme invocato, Pacifici Camplensis de Maximis de Asculo liber primus Triumphorum incipit feliciter.
139.Carmina Pacifici Maximi, poetæ Asculani (Parmæ, apud Galeatium Rosatum, Superiorum consensu, 1691, in-4o).
140.Notons à ce propos ce qu’il dit des pratiques de sorcellerie, des envoûtements, des conjurations et surtout de ces fameux poisons alors très employés en Italie, qui tuaient un homme, pour ainsi dire, à jour fixe, et dont on fait ordinairement honneur à la scélératesse des Borgia:
J’ai des poisons tels que, si on boit, d’enflureNi de pâleur livide ils ne marquent les cadavres.Le jour par toi fixé, l’homme mourra; diffère d’un an,Cette année-là pour sûr comptera une mort.(Hecat. IV, IV.)  On voit que, lorsque Alexandre VI et César Borgia usèrent un peu plus tard de ces toxiques surprenants, ils n’avaient rien inventé et suivaient tout bonnement d’anciennes traditions. Si personnelles que soient la plupart des Élégies, elles ne laissent pas d’être de temps à autre d’intéressants tableaux de mœurs. Quelques auteurs ont cité la deuxième du IIIe livre, A Priape, comme une preuve décisive de l’existence de la vérole, avant la découverte de l’Amérique; cette conjecture n’est pas fondée. La maladie Vénérienne, dont le poète se plaint, et dont il obtient la guérison à l’aide d’une simple prière, n’a aucun des caractères distinctifs de la syphilis.
141.G. – B. Vermiglioli, Poesie inedite di Pacifico Massimi.