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Kitabı oku: «Curiosa», sayfa 18

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XL
LE COUVENT HOSPITALIER
CONTE
D’ALOYSE CYNTHIO DEGLI FABRITII129

A diverses reprises nous avons été sollicité de réimprimer et de traduire, comme l’une des plus notables curiosités Italiennes du XVIe siècle, l’Origine delli volgari Proverbii, d’Aloyse Cynthio degli Fabritii. La rareté de ce recueil de Nouvelles en vers (Vinegia, Bern. et Matth. Vitali, 1527, in-folio), est, en effet, bien connue des amateurs; les dix ou douze exemplaires qui en existent actuellement sont si recherchés, qu’on les suit un à un dans les ventes, où ils n’apparaissent qu’à de longs intervalles, et toujours cotés à de très hauts prix: on en trouvera le détail dans le Manuel du Libraire et dans le Catalogue de Libri (1847, nos 1498-99). Nous ne voulons pas nier que cet écrivain fantaisiste ne soit plein de bonnes qualités, qu’il n’ait des inventions d’une originalité plaisante et que, malgré un penchant déplorable à la prolixité, aux digressions historiques et surtout mythologiques, il ne soit souvent fort amusant. Malheureusement, son recueil se compose de quarante-cinq Nouvelles, toutes divisées méthodiquement en trois Chants, et d’une étendue chacune de sept cents à mille ou douze cents vers: au total quarante mille vers environ, à peu de chose près ce que renferme l’Orlando Furioso, sauf que son style n’a pas toujours le charme et n’a jamais la limpidité de celui de l’Arioste. Degli Fabritii se moque sans façon de la syntaxe comme de la grammaire, et le Florentin ne lui suffisant pas pour dire tout ce qu’il veut dire, il y mêle du Vénitien, du Lombard, tous les patois de la Péninsule; il se sert de locutions tombées depuis longtemps en désuétude, ou qui n’ont peut-être jamais été usitées, et ne dédaigne même pas l’argot: un Italien aurait déjà quelque peine à démêler un écheveau si embrouillé. Ajoutez à ces difficultés d’interprétation celles de la simple lecture: le texte unique de 1527 fourmille de fautes typographiques qui, jointes au manque de ponctuation et de capitales où il en faudrait, car il en offre partout où il n’en faudrait pas, le rendent souvent tout à fait inintelligible. Nous attendrons pour le traduire, si tant est que nous le traduisions jamais, que les Italiens en aient donné une édition correcte, enrichie de quelques Notes qui en faciliteraient l’intelligence aux pauvres étrangers.

Pour satisfaire la curiosité des amateurs, nous nous contenterons donc aujourd’hui de leur présenter l’une des Nouvelles de l’Origine delli volgari Proverbi, la seconde: Ogni scusa e buona, pur che la vaglia, à laquelle nous avons donné un autre titre: Le Couvent hospitalier, qui en exprime mieux le sujet. Ce n’est pas la plus mauvaise, ce n’est peut-être pas non plus la meilleure: nous l’avons prise à peu près au hasard. Pour le texte, nous l’avons reproduit tel quel, avec ses bizarreries d’orthographe et de ponctuation, comme un fac-similé: il n’en donnera que mieux au Lecteur l’idée du livre; pour la traduction, nous avons fait de notre mieux, sans nous flatter d’avoir toujours compris.

Cynthio degli Fabritii, comme beaucoup de conteurs, n’a guère d’imagination que dans les détails, et il traite le plus souvent des sujets vingt fois rebattus. Il a surtout beaucoup emprunté à Antonio Cornazano qui, dans ses deux recueils, l’un Italien, l’autre Latin: Proverbii in facetie, et Proverbiorum opus, avait eu bien avant lui l’idée d’assigner à un certain nombre d’adages populaires une origine plaisante. Au reste, voici les titres des quarante-cinq proverbes mis en œuvre par degli Fabritii; nous y joignons pour quelques-uns l’indication sommaire du sujet et des sources.

I. La Invidia non morite mai: c’est un de nos vieux fabliaux, rajeuni tout récemment encore par Lemercier de Neuville et Champfleury, sous le titre de Bonhomme Misère. Batacchi avait aussi traité ce thème dans la Vita e morte del prete Ulivo.

II. Ogni scusa e buona, pur che la vaglia: Le Couvent hospitalier.

III. Lettere non danno Senno: Apologue où les rôles sont joués par des animaux, le lion, le renard, le singe.

IV. Chi non si puo distender si ritragga: Débat entre le sexe masculin et le sexe féminin.

V. Alli Cani magri van le Mosche: Même sujet que dans le Faiseur de Papes (XIVe des Cent Nouvelles nouvelles); traité par Masuccio, Malespini et La Fontaine.

VI. Futuro caret; imité de Cornazano (Proverbiorum opus, II).

VII. Chi di Gatta nasce Sorge piglia: «Qui naît de chatte prend la souris»; la moralité du conte est que les mauvais penchants sont innés.

VIII. La va da Tristo a Cattivo; imitée de Cornazano (Proverbiorum opus, IV), où le Proverbe est intitulé: La va da Fiorentino a Bergamasco.

IX. Ogni cosa ee por lo Meglio: Bizarres aventures d’un pêcheur dont la barque sombre et qui visite l’empire de Neptune.

X. Altri han le Noci, et io ho la voce: imité en partie de Cornazano (Proverbiorum opus, X), et de Boccace (Journée VII, Nouv. IX).

XI. Tu guardi l’altrui Busca, et non vedi il tuo Travo: imité de Pogge (Facéties, CLXXV: De paupere qui navicula victum quærebat).

XII. Dove chel Diavolo non puo metter lo capo gli mette la coda: vieux fabliau qui est dans le recueil de Méon (tome II): D’un moyne qui contrefist l’ymage du Diable; degli Fabritii l’a connu par Cornazano (Proverbiorum opus, V).

XIII. Le fatto il becco all’Occha. On trouve le même conte dans le Pecorone de Ser Giovanni; mais au lieu d’une oie mécanique, dans laquelle se cache l’amoureux, c’est un aigle.

XIV. Per fina li Orbi sene accorgerieno: Imité de Cornazano (Proverbiorum opus, VIII).

XV. Chi Pecora si fa, lo Lupo la mangia.

XVI. Chi non ha Ventura non vada a pescar; ce conte a quelque ressemblance avec la Pêche de l’anneau, dans les Cent Nouvelles nouvelles, III.

XVII. Si crede Biasio: imité de Cornazano (Proverbiorum opus, VII).

XVIII. Non mi curo de Pompe, pur che sia ben vestita; imité de Cornazano (Proverbii in facetie, VI).

XIX. Chi fa le fatti suoi non s’imbrata le Man; encore imité de Cornazano (ibid., VII).

XX. Passato el tempo che Berta filava.

XXI. Meglio ee tardi che non mai; emprunté en partie à Boccace (Décaméron, II, V); les aventures d’Andreuccio de Pérouse remplissent les deux premiers Chants. On trouve le même Proverbe dans Cornazano (Proverbii in facetie, IX), mais expliqué par une tout autre histoire.

XXII. A chi ha Ventura poco Senno basta; imité de Masuccio, Ire Journée, II.

XXIII. Non ee piu tempo di dar fen ad Ocche; imité en partie du Décaméron, II, X.

XXIV. Alli signali si conoscono le balle.

XXV. Tu vai cercando Maria per Ravenna; les deux premiers Chants, empruntés à Boccace (Décaméron, IX, VI), paraphrasent longuement le conte du Berceau; le troisième a quelque ressemblance avec la IIe Nouvelle de Firenzuola.

XXVI. Chi vuol Amici assai ne provi pochi.

XXVII. La offerto le arme al Tempio; c’est le vieux fabliau des Culottes du Cordelier, sujet aussi traité par Pogge (Facéties, CXXXII) et par l’abbé Casti: Le brache di San Griffone.

XXVIII. Chi cosi vuole cosi si habbia; imité de Cornazano (Proverbii in facetie, II), mais degli Fabritii a fait du héros un Moine, à la place d’un gentilhomme.

XXIX. Prima si muta il pelo che si cambia il Vezzo; Pogge (Facéties, CXCV, l’Abcès au doigt) a fourni la plus grande partie de ce conte.

XXX. Chi troppo vuole da rabbia more; histoire d’une reine très exigeante, d’un évêque, d’un barbier et d’une bague enchantée qui, mise au doigt de l’évêque, le rend bien malade, et, reprise par le barbier, fait crier grâce à la reine.

XXXI. La le va dietro qual la Matta al fuso; le même sujet est traité dans un ancien conte Italien: Novella della figliuola del mercatante, che si fuggi la primera sera del marito per non essere impregnata.

XXXII. Chi troppo si assotiglia si scavezza; paraphrase d’une anecdote de Pogge (Facéties, CLXX: De Monacho qui misit per foramen tabulæ Priapum).

XXXIII. In fra la Carne e l’Ungia alcun non punza; les deux premiers Chants ont quelque ressemblance avec le Proverbe de Cornazano intitulé: A buon entenditore poche parole (Proverbii in facetie, III).

XXXIV. Il non ee oro tutto quel che luce.

XXXV. Guastando s’impara; imité de Boccace (Décaméron, VII, II), conte dont La Fontaine a fait le Cuvier.

XXXVI. Ogni Cuffia scusa di notte; encore imité de Boccace (Décaméron, IX, II) et traité aussi par La Fontaine (Le Psautier).

XXXVII. Rebindemini.

XXXVIII. Dove chel Dente duol la lingua tragge.

XXXIX. Ciascun si aiuta co gli suo Ferrizzuoli.

XL. Per via si concia Soma.

XLI. L’occhio vuol la sua parte; imité de Pogge (Facéties, V.: De homine insulso qui existimavit duos cunnos in uxore).

XLII. Ciascun tira l’Acqua al suo Molino.

XLIII. La Necessità non ha legge.

XLIV. Fuge Rumores.

XLV. Pissa chiaro et encaca al Medico; imité de Cornazano (Proverbii in facetie, XIV).

Un des exemplaires de l’ouvrage, ayant appartenu à quelque ami intime de l’auteur, a une XLVIe Nouvelle manuscrite, intitulée: Chi va al molino primo macina. L’ancien possesseur y a joint cette note marginale: Nota questa Satyra essere di propria mano di l’Autore, et non vi essere altra copia, e pochi giorni drieto morse, in qual modo non lo dico130. On a inféré de ces derniers mots que Cynthio de gli Fabritii avait terminé ses jours sur la potence: les termes vagues dont s’est servi l’annotateur prêtent à toutes sortes de conjectures, mais n’indiquent pas forcément une mort infamante. On a du reste très peu de renseignements sur degli Fabritii; on ne sait ni la date de sa naissance ni celle de sa mort. Dans la Préface de son livre, adressée au Pape Clément VII, auquel il le dédie, il prend le titre de docteur ès lettres et en médecine: delle arti et di medicina dottore, en même temps qu’il se dit citoyen de la puissante et illustre ville de Venise: della poderosa inclyta citta di Vinegia cittadino. Il semble cependant s’être livré au commerce, car dans cette XLVIe Nouvelle restée manuscrite il raconte que, voyageant par eau et la barque, trop chargée, menaçant de sombrer, il fallut l’alléger en sacrifiant partie des bagages; aussitôt des Moines qui se trouvaient là, sachant combien il les détestait, se mirent en besogne de jeter les siens, consistant en balles de coton, de draps et de cire. Sa haine contre les Moines avait encore une autre cause plus personnelle; d’après une des notes marginales de l’exemplaire en question, son beau-frère qui était Récollet, lui aurait nié une quittance ou règlement de compte «gli negoe uno scritto,» et par cette fraude l’aurait frustré d’une partie de sa fortune. Aussi pour lui tous les Moines, et spécialement les Récollets, qu’il appelle Frères gris, Frati bigi, bigozi, Zoccolanti, sont-ils des gredins et des paillards.

Malgré ces invectives contre les Moines et tant de passages des plus libres, l’Origine degli volgari Proverbii vit le jour avec privilège du Pape et de la Seigneurie de Venise: Con la gratia del sommo Pontefice et della Illustrissima Signoria di Vinegia. Dans sa Dédicace, comme dans des Stances et un Sonnet, qui sont également adressés à Clément VII, Cynthio degli Fabritii élève très haut les vertus de son protecteur et se vante de vivre «à l’ombre de ses ailes»; il l’appelle la boussole de son petit bateau:

 
O tramontana del mio picchiol legno,
Che posto ee in alto mar, lungi dal porto!
 
 
O tramontane de mon petit bateau,
Entraîné vers la haute mer, loin du port!
 

et termine ainsi le sonnet:

 
… Tal che sopra i tuo voli
Chi studia d’innalzarsi, ee porre il mare
In picchol vaso, o di Dio maggior fare.
 
 
… Au-dessus de ton vol
Espérer s’élever, c’est vouloir mettre la mer
En bouteille, ou faire plus grand que Dieu.
 

Les Récollets n’en obtinrent pas moins le retrait du privilège, et le Conseil des Dix paraît avoir ordonné la destruction du livre ou arrêté sa publication. Mais si les Moines de Venise ont tout fait pour que l’Origine degli volgari Proverbii ne parvînt pas à la postérité, les Moines Français se sont attachés, dans les limites de leurs forces, à nous le conserver; l’un des deux exemplaires de la Bibliothèque Nationale provient d’un couvent d’Augustins à Paris, et porte cette mention: Ex Catalogo ffr. discalciatorum Sti Augustini Conventus Parisiensis.

Août 1885.

XLI
LE JARDIN PARFUMÉ
DU
CHEIKH NEFZAOUI131

Il existe, en langue Arabe, un ouvrage qui n’est pas sans offrir quelque similitude avec les Kama Sutra de Vatsyayana: c’est le Jardin parfumé du cheikh Sidi Mohammed el Nefzaoui, composé au commencement du XVIe siècle, environ l’an 925 de l’Hégire. L’auteur, dont le surnom, el Nefzaoui, indique qu’il était de Nefzaoua, petite ville située au sud du royaume de Tunis, n’est du reste connu que par cet ouvrage, mais il s’y montre un homme d’assez vaste érudition, ayant plus de connaissances en littérature et en médecine que n’en ont communément les Arabes. Il paraît avoir rédigé ce traité d’Érotologie d’après les ordres du grand vizir du bey de Tunis alors régnant, curieux sans doute de posséder un manuel où tout ce qui regarde l’amour et les rapports sexuels serait exposé dans un ordre méthodique: classification des plaisirs, diverses manières de les goûter, préceptes d’hygiène, composition des baumes et parfums, recettes aphrodisiaques, dont les Orientaux, épuisés de bonne heure, sont particulièrement friands, etc. Le cheikh Sidi Mohammed s’est acquitté de sa tâche avec un remarquable talent; excellent conteur et bon poète, il a de plus assaisonné le tout de quantité d’historiettes divertissantes et de fragments de pièces de vers, qui donnent encore plus de saveur à un sujet déjà fort attrayant par lui-même. Nous en citerons quelques-uns, d’après la traduction faite il y a trente-cinq ans par un officier de notre armée Algérienne, qui ne l’a signée que de ses initiales, traduction restée longtemps manuscrite, et autographiée, en 1876, à trente-cinq exemplaires, par les soins d’une réunion de militaires132.

Le Jardin parfumé jouit d’une grande réputation chez les Arabes; cependant, contrairement à l’habitude des Orientaux, qui est d’écrire de longs commentaires sur les ouvrages renommés, ils n’en ont rédigé aucun sur celui-ci. «Ne serait-ce pas,» se demande le traducteur, «à cause de la nature des sujets qui y sont traités, et qui aurait effrayé des esprits sérieux? Mais quoi de plus important que l’étude des principes sur lesquels repose le bonheur de l’homme et de la femme, en raison de leurs relations mutuelles, relations qui toutes sont assujetties à des causes de caractère, de santé, de tempérament, de constitution, qu’il appartient au philosophe d’approfondir? Ne craignons pas, dit excellemment Maupertuis, de comparer les plaisirs des sens avec les plaisirs les plus intellectuels; ne nous faisons pas l’illusion de croire qu’il y ait des plaisirs d’une nature moins noble les uns que les autres: les plaisirs les plus nobles sont ceux qui sont les plus grands133

Le cheikh Sidi Mohammed n’a divisé son livre sur les choses de l’amour ni en cent mille chapitres, comme Dieu, à l’origine du monde, d’après ce que nous rapporte Vatsyayana, ni en mille ou en cinq cents, comme Shvetaketou et Nandi; il s’est contenté de vingt et un, dont voici les titres:

I. – Relatif aux hommes dignes d’éloges.

II. – Relatif aux femmes dignes d’éloges.

III. – Relatif aux hommes méprisables.

IV. – Relatif aux femmes méprisables.

V. – Relatif à l’acte de la génération.

VI. – Concernant ce qui est favorable à l’acte de la génération.

VII. – Relatif à ce qui est nuisible à l’acte de la génération.

VIII. – Relatif aux divers noms des parties sexuelles de l’homme.

IX. – Relatif aux divers noms des parties sexuelles de la femme.

X. – Concernant l’acte de la génération chez les divers animaux.

XI. – Relatif aux ruses et trahisons des femmes.

XII. – Relatif à diverses questions d’utilité pour les hommes et pour les femmes.

XIII. – Relatif aux causes de la jouissance dans l’acte de la génération.

XIV. – Description de l’utérus des femmes stériles, et de leur traitement.

XV. – Relatif aux remèdes qui provoquent l’avortement.

XVI. – Relatif aux causes d’impuissance de l’homme.

XVII. – Déliement des aiguillettes.

XVIII. – De ce qui augmente les dimensions des petits membres et les rend superbes.

XIX. – Relatif à ce qui enlève la mauvaise odeur des aisselles et des parties sexuelles de la femme, et rétrécit ces parties.

XX. – Instructions sur la grossesse des femmes et sur ce que la femme engendre, c’est-à-dire connaissance du sexe du fœtus.

XXI. – Renfermant la Conclusion de cet ouvrage et signalant l’utilité de la déglutition des œufs comme favorable à l’acte vénérien.

Le livre débute par une sorte d’hymne où éclate l’amour passionné de la femme et de ses perfections; c’est de la poésie d’une sensualité brutale et qui cependant reste profondément religieuse, par un mélange auquel nous ne sommes pas accoutumés:

«Louange à Dieu qui a mis le plus grand plaisir des hommes dans les parties naturelles des femmes, et qui a fait consister celui des femmes dans les parties naturelles des hommes!

»Il n’a donné de bien-être aux parties des femmes, il ne leur a accordé de satisfaction et de bonheur, qu’elles n’aient été pénétrées par les organes du mâle; de même les parties sexuelles du mâle n’ont ni repos ni tranquillité, qu’elles ne soient entrées dans celles de la femme.

»Le Tout-Puissant a plongé les femmes dans une mer de splendeur, de volupté et de délices, couvertes de vêtements précieux, avec des ceintures éclatantes et des sourires excitants.

»Il leur a donné des yeux inspirant l’amour et des cils tranchants comme des glaives étincelants.

»Qu’il soit donc exalté et élevé, celui qui a créé les femmes et leurs beautés, avec des chairs appétissantes; qui les a dotées de cheveux, de taille, de gorge, de seins qui se gonflent et de gestes amoureux, appelant le désir!»

D’après cette profession de foi, on juge assez à quels mérites se reconnaissent l’homme digne d’éloges et l’homme méprisable: cela se mesure à l’aune; au-dessous de certaines dimensions, l’homme n’a aucun moyen de plaire. Alfred de Musset donne d’ailleurs là-dessus les mêmes sentiments aux Françaises que le Cheikh aux femmes Arabes:

 
Je comprends qu’une femme aime les portefaix;
C’est un goût comme un autre, il est dans la nature.
Mais moi, si j’étais femme et si je les aimais,
Je n’irais pas chercher les gens à l’aventure:
J’irais tout simplement les prendre aux cabarets,
J’en ferais lutter six, et puis je choisirais.
 

La description que le Cheikh fait de la femme digne d’éloges, c’est-à-dire par la même raison, apte à provoquer les désirs, mérite d’être citée; elle nous initie aux grâces qui charment les Orientaux:

«Pour qu’une femme soit goûtée par les hommes, il faut qu’elle ait la taille parfaite, qu’elle soit riche en embonpoint. Ses cheveux seront noirs, son front large, ses sourcils auront la noirceur des Éthiopiens, ses yeux seront grands et d’un noir pur, le blanc en sera limpide; les joues seront d’un ovale parfait; elle aura un nez élégant et la bouche gracieuse: ses lèvres seront vermeilles, ainsi que sa langue; une odeur agréable s’exhalera de son nez et de sa bouche; son cou sera long et sa nuque robuste; son buste large, ainsi que son ventre; ses seins devront être fermes et remplir sa poitrine; son ventre devra être dans de justes proportions, son nombril développé et enfoncé; la partie inférieure du ventre sera large, saillante et riche en chair; ses cuisses seront dures ainsi que ses fesses; elle possédera une chute des reins large et replète; sa taille sera bien prise; ses mains et ses pieds se feront remarquer par leur élégance; ses bras seront potelés, ainsi que ses avant-bras, et encadreront des épaules robustes. Si une femme qui a ces qualités est vue par-devant, on est fasciné; si elle est vue par-derrière, on en meurt. Vue assise, c’est un dôme arrondi; couchée, c’est un lit moelleux; debout, c’est la hampe d’un drapeau.»

Qu’avec cela elle parle peu, ne rie jamais aux éclats, ne fasse d’agaceries à personne, n’aime que son mari, ait pour lui toutes les complaisances, ne s’abandonne qu’à lui, dût-elle en dessécher d’abstinence; qu’elle soit vêtue élégamment, de la plus soigneuse propreté, se parfume d’essences, se serve d’antimoine pour sa toilette et se nettoie les dents avec du souak, et ce sera le Paradis sur la terre. Cette page, malgré la crudité de certains détails, n’est-elle pas poétique et gracieuse? Quelle jolie comparaison que celle de la hampe du drapeau, pour peindre une taille svelte et élancée!

Presque dans chaque chapitre, des historiettes très bien contées, et dont quelques-unes sont de petits chefs-d’œuvre, viennent à l’appui des définitions de l’auteur, et leur donnent de l’agrément. C’est d’abord l’Histoire de Moçaïlama et de la Prophétesse, rapportée à l’occasion des parfums, ces puissants adjuvants en amour, et auxquels les Orientaux attachent une extrême importance. L’imposteur Moçaïlama, le faux Mahomet, celui qui dénatura nombre de passages du Koran, pour nuire à son rival, mais qui ne put jamais faire un miracle134, veut avoir Chedja-el-Temimia, la Prophétesse, qui lui dit qu’il ne pourra la posséder que s’il la met en pâmoison. Il la fait entrer sous sa tente, où de l’ambre, du musc, des roses, des fleurs d’oranger, de la jonquille, du jasmin, des jacinthes, des œillets, chargent l’air de leurs effluves, et où de plus du neddé (mélange de benjoin et d’ambre), brûlant dans des cassolettes, fait une fumée assez intense pour se mêler à de l’eau et la pénétrer. La Prophétesse est suffoquée, nous n’avons pas de peine à le croire, et Moçaïlama vient à bout de ses désirs.

Il s’agit d’un autre genre de pâmoison dans l’Histoire de Bahloul et Hamdouna, si joli conte que nous en donnerons une analyse détaillée. Bahloul était le poète, c’est-à-dire le bouffon, d’Abdallah-ben-Mahmoud, un des fils d’Haroun-er-Reschid, calife en l’an 178 de l’hégire. Bahloul avait épousé deux femmes, qui lui faisaient subir le martyre, et Mahmoud lui demande, pour s’amuser, des nouvelles de son ménage. – «Je ne suis bien ni avec l’une ni avec l’autre,» répond le malheureux.» Le Calife veut qu’il lui récite des vers sur ses infortunes conjugales. Bahloul chante:

 
«Par suite de mon ignorance, j’ai épousé deux femmes.
Et de quoi te plains-tu, ô mari de deux femmes?
Je me disais: «Je serai entre elles deux un agneau favori.
Je prendrai mes ébats sur les mamelles de mes deux brebis;»
Et je suis une brebis entre deux femelles de chacal.
Les jours succèdent aux jours, les nuits aux nuits,
Et leur joug m’oppresse également jour et nuit.
Si je suis aimable avec l’une, l’autre s’emporte;
Et ainsi je ne puis échapper à ces deux furies.
Si tu veux vivre en homme généreux, le cœur libre
Et les mains ouvertes, reste célibataire.
Si tu ne le peux, ne prends qu’une femme:
Une femme à elle seule peut satisfaire deux armées!»
 

Le Calife rit de cette poésie à se renverser en arrière, et, pour le plaisir qu’il a eu, fait cadeau à Bahloul d’une robe lamée d’or. Hamdouna, fille de Mahmoud et épouse du Grand Vizir, aperçoit le bouffon, du haut des terrasses du palais, et dit à sa négresse: «Par le Dieu de la Mecque! voilà Bahloul revêtu d’une belle robe dorée; de quel stratagème pourrai-je me servir pour la lui prendre?» La négresse a beau lui dire que Bahloul est bien plus rusé qu’elle: «Il faut que cela soit,» dit Hamdouna, et elle lui envoie sa négresse. «Oh! Bahloul,» dit-elle en l’apercevant, je crois que tu es venu ici pour m’entendre chanter,» car elle avait pour le chant un talent merveilleux; puis elle lui fait servir des gâteaux et des sorbets. «Je ne sais pourquoi je me figure,» ajoute-t-elle, «que tu te dépouilleras volontiers de ta robe pour m’en faire don. – Oh! maîtresse,» répond Bahloul, «j’ai fait serment de ne la donner qu’à celle à laquelle j’aurai fait ce que l’homme fait à la femme. – Tu sais donc ce que c’est, ô Bahloul? – Celui-ci prend, celui-là donne,» dit le bouffon; «celui-ci vend, celui-là achète; pour moi, toutes ces choses sont sans attrait: ma seule pensée est l’amour et la possession des belles femmes.» Or Hamdouna était éblouissante, par sa taille et par l’harmonie de ses formes. Elle veut que Bahloul lui dise des vers; il lui en récite qu’il improvise, passionnés, lubriques; elle commence à s’émouvoir.

«Lorsque Hamdouna eut entendu ces paroles, elle se pâma. Tantôt elle se disait: «Je me donnerai à lui;» et tantôt: «Je ne lui céderai pas.» Pendant cette incertitude, la jouissance se fit pressentir… Elle ne résista plus alors et se rassura en se disant intérieurement: «Si ce Bahloul, après avoir joui de moi, vient à le divulguer, personne n’ajoutera foi à ses paroles.» Elle dénoua sa ceinture et se jeta, en tremblant de toutes ses forces, sur un lit de soie dont le dessus était comme une voûte élevée, puis elle leva ses robes, et tout ce qu’elle avait de beauté se trouva entre les bras de Bahloul.»

La suite fait songer à l’un des Contes de Pogge135. – «O maîtresse!» dit Bahloul, «mes reins me font souffrir et ne me permettent pas de monter sur ta poitrine; mais toi, place-toi sur moi, agis comme l’homme, puis prends la robe et laisse-moi partir.» Hamdouna y consent volontiers, mais lorsque après elle réclame la robe, Bahloul se plaint de ne l’avoir pas possédée, ayant été plutôt possédé par elle. Après la seconde fois: – «Et la robe?» demande Hamdouna. – «La première a été pour toi, la seconde pour moi,» dit Bahloul; «la troisième sera pour la robe.» Hamdouna, bonne fille, se laisse faire encore, et définitivement Bahloul lui donne la robe; mais il trouve moyen de la lui reprendre. Conduit à la porte par la négresse, il y revient frapper, et demande à boire. La négresse lui apporte de l’eau dans une tasse de porcelaine; après avoir bu, il laisse tomber la tasse, qui se brise. Survient le Grand Vizir, mari de Hamdouna, qui lui dit: «Que fais-tu donc là, Bahloul? – La négresse m’a apporté à boire,» répond-il; «j’ai par malheur brisé la tasse, et, pour m’en punir, elle m’a pris la belle robe d’or que le Calife m’avait donnée.» Le Grand Vizir gronde Hamdouna et la négresse, et leur ordonne de rendre la robe à Bahloul. «Hamdouna s’écria alors, en frappant ses mains l’une contre l’autre: – «Qu’as-tu donc fait, ô Bahloul?» Celui-ci répondit: – «J’ai parlé à ton mari le langage de ma folie; parle-lui, toi, celui de la raison.» Et elle s’extasia de la ruse qu’il avait employée, puis elle lui rendit sa robe, et il partit.»

Une troisième histoire, celle du Nègre Dorérame, semble tirée des Mille et une Nuits. – «Le sommeil ne m’arrive pas; je désire parcourir la ville,» dit à ses grands officiers le roi Ali-ben-Dirème. On se met en marche, bien armés, et le chaouch en tête: il est possible qu’on en ait besoin. La petite troupe fait la rencontre d’un homme qui se lamente; le roi le questionne. Sa maîtresse lui a été enlevée, et il est sûr que c’est pour le compte de Dorérame, un grand vilain nègre qui est l’amant de la femme du premier vizir, à qui elle donne beaucoup d’argent et qui, non content de cela, veut encore toutes les femmes des autres. Une vieille entremetteuse lui en fournit tant qu’il veut, et les entraîne dans sa maison de réprobation, de malheur et de débauche. Pas moyen de les ravoir avant que le Nègre en soit rassasié, et il en a là des quantités, toutes belles comme la lune. Le roi veut connaître cette maison dont il entend parler pour la première fois, et le premier vizir, qui est présent, fait triste mine. L’homme affligé les y mène; mais les portes sont solides et les murailles d’une hauteur formidable. En faisant monter le vizir sur les épaules du chaouch, et l’homme affligé sur celles du vizir, Ali-ben-Dirème pénètre seul dans l’enceinte, le sabre au poing, et, circulant par les chambres, finit par trouver le Nègre et ses amis de même couleur, tous parfaitement ivres, au milieu d’un vrai sérail. Le Nègre est près de la plus belle, sans doute celle que pleure son amant; mais elle lui résiste et, pour gagner du temps, lui chante des vers. Pendant ce temps-là, les autres se divertissent à tour de rôle avec leurs préférées, et Ben-Dirème assiste à leurs ébats, caché derrière une porte. Deux jeunes femmes s’éloignent, ayant quelque tendre confidence à se faire, et, comme elles se mettent toutes nues pour s’entretenir plus à l’aise, il se revêt des robes de l’une d’elles, puis, en se cachant la figure, demande où le Nègre met les clefs de la maison; il finit par le savoir; revient dans la grande salle et, s’étant emparé des clefs, court ouvrir à ses compagnons. Ils le suivent en silence, et l’homme affligé reconnaît en effet sa femme dans celle qui résistait au Nègre. Elle lui chantait toujours des vers:

 
O hommes, écoutez mes conseils au sujet de la femme,
Car son besoin de jouissance est écrit entre ses deux yeux.
Ne vous fiez pas à ses promesses, fût-elle la fille d’un sultan.
La malice des femmes est incommensurable; à la combattre
Serait inhabile le roi des rois, quelle que fût sa puissance.
O homme, garde-toi bien de l’amour des femmes!
Ne dis pas: «Une telle est ma bien-aimée;»
Ne dis pas: «Une telle est la compagne de ma vie.»
Si je te trompe, repousse ma parole mensongère.
Tant qu’elle sera au lit avec toi, tu auras son amour,
Mais l’amour de la femme ne dure qu’un instant.
Quand tu es étendu sur sa poitrine, tu es son bien-aimé;
Tant que dure le coït, tu as son amour, pauvre fou!
Mais ensuite tu deviens pour elle un ennemi.
Cela n’est susceptible ni de doute ni d’incertitude.
La femme reçoit l’esclave dans la couche du maître,
Et ses serviteurs se rassasient d’elle impudemment.
Certes, ce n’est pas qu’une pareille conduite soit louable,
Mais la vertu des femmes est fragile et changeante.
 

Elle allait peut-être elle-même montrer sa propre fragilité, car le Nègre devenait pressant, quand la petite troupe fait irruption dans la salle. Aussitôt les compagnons de Dorérame, tout épuisés qu’ils sont de leurs nombreuses fatigues et alourdis par le vin, veulent se défendre; le chaouch en coupe un en deux, d’un revers de sabre. – «Ton bras n’est pas desséché,» dit Ben-Dirème. Il en assomme un autre: «Ton bras n’est pas desséché,» répète le roi. En peu de temps les nègres sont mis hors de combat; le roi leur fait à tous couper la tête, sauf à Dorérame, réservé à un plus cruel supplice: il est pendu, après qu’on lui a coupé le nez, les oreilles et les parties génitales que, par un raffinement habituel aux Arabes, on lui met dans la bouche. Ben-Dirème veut savoir ce que le Nègre mangeait, pour être si ardent, si insatiable de femmes, et on lui apprend qu’il faisait sa nourriture habituelle de jaunes d’œufs frits dans la graisse et nageant dans le miel, de pain blanc, de vin vieux et musqué. Tel était le régime succulent par lequel il s’entretenait toujours en état de plaire.

129.Le Couvent hospitalier, conte tiré du Livre de l’Origine des Proverbes populaires, d’Aloyse Cynthio degli Fabritii (XVIe siècle). Littéralement traduit pour la première fois, texte Italien en regard. Paris, Liseux, 1885, in-16.
130.«Sachez que cette Satyre est écrite de la propre main de l’Auteur et qu’il n’en existe pas d’autre copie; il est mort il y a quelques jours, de quelle façon, je ne le dis point.»
131.Le Jardin parfumé du cheikh Nefzaoui, manuel d’Érotologie Arabe (XVIe siècle). Traduction revue et corrigée. Paris, Liseux, 1886, in-8o.
  La Notice qu’on va lire a été imprimée en Appendice aux Kama Sutra de Vatsyayana, parus précédemment: Les Kama Sutra de Vatsyayana, manuel d’Érotologie Hindoue, rédigé en Sanscrit vers le cinquième siècle de l’ère Chrétienne; traduit sur la première version Anglaise (Bénarès, 1883) par Isidore Liseux. Paris, Liseux, 1885, in-8o.
132.En voici le titre, suivant la disposition de cette édition autographiée:
OUVRAGEdu Cheikh, l’imam, le savant, letrès érudit, le très intelligent, le trèsvéridiqueSIDI MOHAMMED EL NEFZAOUIque Dieu très élevé lui fasse miséricorde par sa puissance!Amen!Traduit de l’Arabepar Monsieur le baron R***Capitaine d’État-Major1850  Autographié, en 1876, à 35 exemplaires, avec 15 figures hors texte et de nombreuses vignettes dans le texte. C’est un in-8o ainsi composé:
  Faux-titre, titre et épigraphe: 5 ff. non chiffrés;
  Notice sur le Cheikh Nefzaoui: 6 ff. chiffrés I à VI;
  Texte: 283 pp. de 33 lignes à la page.
  Postface de l’Éditeur: pp. I à XI.
  Errata: 1 f. non chiffré.
  Table des matières: 3 pp. non chiffrées.
  Ce volume se paye (quand on le trouve) de 5 à 600 francs.
133.Essai de philosophie morale, Berlin, 1749.
134.D’après les historiens Arabes, quand Mahomet crachait dans l’œil d’un borgne, il rendait la vue au malade; si Moçaïlama tentait la même expérience, l’homme devenait aveugle.
135.D’un paysan qui portait une oie à vendre; facétie LXIX, tome Ier, éd. Liseux, 1878, 2 vol. in-18.