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Kitabı oku: «Champavert», sayfa 11

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XI
DÔOU

Seigneur, les morts ne vous loueront point.

Ma vertu est séchée comme un test, et ma langue s’est affichée à mon palais, et m’a amené en la poudre de mort.

La Bible.

Toute la nuit, on chercha vainement Dina par la ville.

Au point du jour, les paysans qui descendaient leur lait et leurs denrées à la ville, aperçurent, en traversant le pont de pierre, un cadavre de jeune femme, arrêté par ses longs cheveux roux sur les rochers et les brisans, qui, en cet endroit, effleurent la surface de la Saône.

Jean Ponthu, le batelier, le recueillit dans sa barque et l’apporta sur le rivage au lieu nommé la Mort qui trompe; le peuple s’ameuta à l’entour, tout plein de regrets; il contemplait sa fatale beauté; ses deux petites mains, meurtries, étaient liées sur le dos par une grosse corde.

Tout à coup, une voix, partie de la foule, cria: – Ne la reconnaissez-vous pas? c’est Dina, la rousse! Dina la belle juive! la fille de Judas, le lapidaire, qui demeure là derrière, dans la Juiverie.

Toute la journée, il y eut foule dans la maison d’Israël Judas. Dina était exposée sur son lit, vêtue de ses vêtemens de fête, et parée de ses joyaux, suivant le rituel hébraïque. Léa, sa pauvre mère, mourante, était assise au pied du lit, jetant des hurlemens; Judas, accoudé dans son fauteuil, son pourpoint lacéré et la tête couverte de cendres, muet, dévorait sa douleur.

Un rabbin priait.

XII
GOUDOUMAR! GOULLAMAS!

Qui est celui qui enveloppe sentence de paroles sans science?..

La Bible.

Sur le midi, à la maison de ville, sous le vestibule, à la porte d’un bureau des échevins, un homme hâlé et trapu, portant le costume des patrons du port, tempêtait et battait des valets qui voulaient le repousser.

– Holà! messieurs les garçons, quel bruit faites-vous donc à cette porte? cria une voix de l’intérieur.

– Messire, c’est un patron, un batelier, qui veut forcément entrer, malgré votre consigne!

– Eh! oui, margobleu! c’est Jean Ponthu, le passeur! Voilà deux heures qu’on me fait attendre; je crois qu’on se fiche de la procession de Genève, mille-dieux!

Alors, distribuant quelques coups de poings, Jean Ponthu repoussa la valetaille, ouvrit brutalement la porte, et se jeta dans le bureau.

– Monsieur le batelier, vous êtes un croquant, un maroufle! Faire un pareil vacarme en cet hôtel, vous mériteriez que je vous envoyasse coucher à la cave.

– Monseigneur …

– C’est bien, que me voulez-vous?

– Je viens faire déclaration d’un noyé que j’ai pêché ce matin au pont de pierre, et réclamer les deux pistoles de récompense.

– Le cadavre a-t-il été reconnu?

– Oui, messire, c’est une jeune fille, nommée Dina, enfant d’un nommé Israël Judas, un lapidaire.

– Une juive?

– Oui, messire, une hérétique, une huguenote … une juive …

– Une juive!.. Tu vas pêcher des juifs, maroufle! et tu as le front, après cela, de venir demander récompense? – Holà! valets! holà! Martin! holà! Lefabre!.. mettez-moi ce butor à la porte, ce paltoquet!

Qui pêche un hérétique, monsieur le batelier, pêche un chien.

XIII
GOLGOTHA

Et l’ensevelit en la vallée de la terre de Moab contre Phogor, et nul n’a cogneu son sépulchre jusques aujourd’hui.

La Bible.

Vers deux heures du matin, un cercueil blanc, porté par quatre hommes, et suivi d’un convoi peu nombreux, silencieusement traversait la ville.

De loin en loin, on entendait quelques châssis se hisser, le grincement des birloirs et le bruit des cadoles, et l’on voyait quelques têtes empaquetées se pencher sur la rue.

C’étaient de bons bourgeois ou des commères qui, éveillés par le bruit des pas, accouraient aux fenêtres et jetaient des propos en l’air.

– Qu’est-ce donc, mon épouse, un enterrement d’hérétique; si je ne me trompe? Il me semble voir un cercueil blanc!..

– C’est à coup sûr une jeune fille, pauvre enfant, sitôt!.. – Heureux! qui meurt avant d’avoir connu le monde.

Puis ces bons bourgeois poussaient de gros soupirs, et rebaissaient leurs châssis.

– Maître Bonaventure Chastelart, n’est-ce pas un convoi de huguenots qui passe?

– Non, voisin, car il n’y a ni torches ni flambeaux, et d’ailleurs ce n’est point ici la route pour aller à l’hôpital; ce n’est rien, sinon que quelque chienne de juiferesse qu’on traîne à la Madeleine ou à Bêchevilain.

Dès que le jour poignit, on distingua, sur la rive gauche du Rhône, au-delà de la plaine, une caravane qui chevauchait; un jeune homme allait en tête, accompagné de quelques fringans cavaliers; les valets et les mulets chargés de valises se tenaient à l’arrière.

Arrivés vers un champ nommé la Madeleine, sépulture des suppliciés, Golgotha des Israélites, le cavalier qui caracolait en avant dit à un vieillard qui creusait une fosse:

– Brave homme, quelle heure peut-il être maintenant?

– Trois heures environ; vous êtes aux portes de la ville.

– Merci, mon brave! Mais pour qui donc cette fosse que vous creusez si matin avec tant de hâte?

– Seigneur, c’est pour enterrer une belle enfant retrouvée hier dans la Saône.

– Bien jeune?

– Dix-sept ans, seigneur.

– Mais ce champ, brave homme, n’est pas une terre sainte?

– Seigneur, c’est vrai, mais c’est le cimetière des meurtriers et des juifs.

– Des Israélites!.. Sauriez-vous le nom de cette jeune femme?

– Si je ne me trompe, c’est Dina, fille d’un nommé Israël Judas, lapidaire.

– Dina!.. enfer! ma fiancée!!!..

– Au reste, seigneur, voici le convoi, là-bas, qui s’avance; voyez-vous ce cercueil blanc?

Aymar resta un moment morne et froid! puis appelant un des cavaliers: – Carle, mon ami, lui dit-il, tout à l’heure tu prendras mon manteau, et le porteras à mon père, comme on porta la robe sanglante de Joseph à son père Jacob; tu lui diras que tu as vu ma fiancée; car la voici qui s’avance, regardez!..

Eh! toi, vieillard, élargis cette fosse!.. dit-il en jetant sa bourse au fossoyeur; puis il cria contre le ciel, et d’une voix retentissante:

– Dina!.. Israël!.. éternité!..

Et se déchargea dans la tête les pistolets de ses arçons.

PASSEREAU L’ÉCOLIER

PARIS

 
......... – Le mur
Le soutient; à le voir, on dirait à cour sûr
Une pierre de plus, sur les pierres gothiques
Qu’agitent les falots en spectres fantastiques.
Il attend. —
 
Alfred de Musset.
 
......Et qu’elle meure, comme
Il est vrai qu’elle va causer la mort d’un homme.
 
Alfred de Musset.
 
Amours, fléau du monde, exécrable folie,
Toi qu’un lien si frêle à la volupté lie,
Quand par tant d’autres nœuds tu tiens à la douleur,
Si jamais, par les yeux d’une femme sans cœur,
Tu peux m’entrer au ventre et m’empoisonner l’âme,
Ainsi que d’une plaie on arrache une lame,
– Plutôt que comme un lâche on me voit en guérir —
Je l’en arracherai, quand j’en devrais mourir.
 
Alfred de Musset.

Et comment le faut-il cet or, Mademoiselle? le faut-iltaché de sang, ou taché de larmes? faut-il le voler engros avec un poignard? ou en détail, avec une charge, une place, ou une boutique?

Gérard.

I
CARABINS

L’un y croit, l’autre n’y croit pas. – Trouvailles d’Albert chez Estelle. – Le vicomte de Bagneux immoral par hygiène. – Il déjeûne aux frais de la noblesse. – Autre controverse, même thèse. – Philogène. – Inventaire des deux carabins.

– Heureusement, mon cher Passereau, que je ne crois point à la vertu des femmes: – Sans cela, d’honneur! j’aurais eu un nez de carton d’une belle corpulence.

– Que tu es lycéen, mon cher Albert! – Déjà, j’avais eu quelques lointains soupçons: ma vierge ne me paraissait pas très immaculée; sa respectable mère m’avait tout le faux air d’une appareilleuse; et puis j’avais remarqué que le frontal ou coronal de son crâne était peu développé ou déprimé, que la distance occipitale de ses oreilles était énorme, et que son cervelet, siége certain de l’amour physique, comme tu sais, formait une protubérance extraordinaire: elle avait en outre les yeux fendus à la manière des Vénus antiques, et les narines ouvertes et arquées, infaillible signalement de luxure.

C’était donc ce matin, à sept heures; après avoir tambouriné fort long-temps sur la porte, on m’ouvre, effarée, et l’on se jette dans mes bras et l’on me couvre la figure de caresses: tout cela m’avait fort l’air d’un bandeau de Colin-Maillard dont on voulait voiler mes yeux. – En entrant, un fumet de gibier bipède m’avait saisi l’olfactif. – Corbleu! ma toute belle, quel balai faites-vous donc rissoler? il y a ici une odeur masculine!..

– Que dis-tu, ami? ce n’est rien, l’air renfermé de la nuit peut-être! Je vais ouvrir les croisées.

– Et ce cigarre entamé?.. Vous fumez le cigarre?.. Depuis quand faites-vous l’Espagnole?

– Mon ami, c’est mon frère, hier soir, qui l’oublia.

– Ah! ah! ton frère, il est précoce, fumer au berceau, quel libertin! passer tour à tour du cigarre à la mamelle; bravo!

– Mon frère aîné, te dis-je!

– Ah! très bien. Mais, tu portes donc maintenant une canne à pommeau d’or? La mode est surannée!

– C’est le bâton de mon père qu’hier il oublia.

– A ce qu’il paraîtrait, hier, toute la famille est venue? – Des bottes à la russe!.. Ton pauvre père, sans doute hier aussi les oublia, et s’en est retourné pieds nus? le pauvre homme!..

A ce dernier coup, cette noble fille se jeta à mes genoux, pleurant, baisant mes mains, et criant:

– Oh! pardonne-moi! écoute-moi, je t’en prie! Mon bon, je te dirai tout; ne t’emporte point!

– Je ne m’emporte point, madame, j’ai tout mon calme et mon sang-froid; pourquoi pleurez-vous donc?.. Votre petit frère fume, votre père oublie sa canne et ses bottes, tout cela n’est que très naturel; pourquoi voulez-vous que je m’emporte, moi? Non, croyez-moi, je suis calme, très calme.

– Albert, que vous êtes cruel! De grâce, ne me repoussez pas sans m’entendre, si vous saviez? – J’étais pure quand j’étais sans besoin. – Si vous saviez jusqu’où peut vous pousser la faim et la misère?..

– Et la paresse, madame.

– Albert, que vous êtes cruel!

A ce moment, dans un cabinet voisin, partit un éternûment formidable.

– Ma belle louve, est-ce votre père qui oublia hier cet éternûment, dites-moi? – De grâce, ayez pitié, il fait froid, il s’enrhume, ouvrez-lui donc!

– Albert, Albert, je t’en supplie, ne fais pas de bruit dans la maison; on me renverrait; je passerais pour une Ceci! Je t’en prie, ne me fais pas de scène!

– Calmez-vous, señora: – Ne craignez pas de scène: quand je fais du drame, je choisis mes héros. – Mais ce cher collaborateur doit avoir froid, c’est impoli, laissez-moi lui ouvrir? – Monsieur l’aventurier, rentrez, je vous prie, que je ne vous gêne en rien! A rester ainsi tout nu, dans une pièce froide, par un temps d’épizootie, morbleu! monsieur, il y a de quoi gagner le troussegalant.

– De quel droit, monsieur le carabin, venez-vous dès l’aurore troubler les gens honnêtes?

– Dès l’aurore … au doigt de roses; monsieur fait de la poésie, un peu classique, dommage! De quel droit, disiez-vous?.. J’allais vous le demander. – Mais, en tout cas, vous êtes fort heureux de sortir aussi vif de cette tour de Nesle.

– Barbedieu! que dites-vous?

– Rien.

– Albert, vous êtes un infâme de me traiter ainsi!

– La belle, vous êtes ce matin assez mal embouchée. – Or donc, monsieur l’intru, sans crainte habillez-vous: tout à l’heure, vous me demandiez qui j’étais; dites-moi d’abord qui je suis, et je vous dirai à tous deux qui vous êtes? Notre trinité n’a pas la mine très sainte; et nous avons tous trois, quoique très honnêtes au fond, l’air de fort mauvais drôles. – Vous, d’un coureur de nuit, madame d’une catin, et moi, de ce qu’à la cour on nomme un courtisan, et Shakspeare un Pandarus. Mais, pour vous rassurer, quant à moi, n’en croyez rien: je suis comme Lindor, un simple bachelier, Albert de Romorantin, ma famille est connue. J’avais cru que madame avait quelque pudeur au front, je lui avais apporté de l’amour; mais je me suis trompé, c’est de l’or qu’il lui faut, n’est-ce pas?

Ce brave inconnu n’était qu’un petit homme laid et grisonnant, l’air peu terrible, et, sur ma foi, très bien couvert.

– Mon cher jeune homme, me dit-il alors, votre franchise me plaît, vos manières sont distinguées, je vois que vous êtes de famille: quoique en droit, vous m’avez bien traité, soyons amis; je suis, moi, murmura-t-il bas à mon oreille, le vicomte de Bagneux. Hier, j’ai rencontré madame et l’ai suivie, et je suis monté chez elle. Je ne l’aurais pas fait, vieux comme je suis, si mon docteur Lisfranc ne m’avait spécialement ordonné l’accointance pour dissiper une oppression et des congestions sanguines.

– Le docteur Lisfranc, mon professeur de clinique, ah! bravo! – Madame, je le remercierai de votre part; c’est lui, vous le voyez, qui vous envoie si noble clientelle. – Ainsi donc, monsieur, vous préfériez l’amour aux eaux de Barège?

– Oui, pour cette saison. – Mais, mon cher étudiant, sans doute, comme moi, vous êtes encore à jeun; voulez-vous accepter à déjeûner au Palais-Royal? je vous l’offre de tout cœur!

– A un galant homme je ne saurais refuser, monsieur, je suis votre commensal.

Estelle pleurait.

– Partons de suite, mon jeune ami.

– Mais avez-vous soldé madame? – Sur les ponts publics on ne paie pas, en femmes, c’est le contraire, ce sont les banales qu’on paie.

– Albert, vous êtes infâme!

– Adieu, ma petite concubine, je ne vous en veux pas de l’aventure, dit le vicomte à Estelle d’un air de protection.

– Adieu, bouton de rose! lui dis-je à mon tour; adieu, vierge sans tache, ange de candeur et de franchise; adieu, timide jouvencelle, adieu, belle de nuit!

– Riez, foulez-moi sous vos pieds, Albert! je suis bien coupable; mais soyez généreux, vous reviendrez ce soir, est-ce pas? je vous conterai tout, je vous dirai pourquoi …

– Peste soit!

– Vous reviendrez, Albert, je vous en prie!

– Mon ange, quand j’aurai quelque argent, dites-moi votre tarif?

Alors, Estelle tomba sans connaissance: nous sortîmes.

– Que j’ai fait un déjeûner délicieux avec ce galant homme! j’en suis encore tout égrillard, je sens encore ma raison endommagée par le vin d’Espagne.

– Albert, tu t’adresses à la première fille, tu vas chercher de l’amour dans la rue, et puis, tu te plaindrais?

– Non, non, je ne me plains pas, mon cher Passereau!

– Je ne suis plus étonné de ta méchante opinion sur les femmes, si tu les juges toutes par de pareilles … C’est absolument comme si on estimait le beau climat de la France, par le ciel pleurnicheur de Paris.

– Non, non! ce n’est point par des particularités que j’ai arrêté dans mon esprit leur valeur intrinsèque, c’est par des études en masse; je sais à quoi m’en tenir. J’en ai connu, comme toi, de pyramidalement vertueuses; je sais de quelle étoffe est la vertu, j’en connais la chaîne et la trame; j’en ai fait de la charpie.

– Si je pouvais penser que tu crusses tout cela, je me fâcherais! mais tu parles des lèvres, ou, du moins, c’est ton déjeûner qui parle. Puis, c’est du bon ton de faire le roué; c’est un vieil usage de calomnier les femmes, on les calomnie. – Charles IX haïssait les chats antipathiquement: alors, courtisans, valets, pas jusqu’au plus mince bourgeois qui, pour se donner un air royal, une pente, un galbe de cour, ne se trouvât mal à l’aspect d’un matou. Puis, les chats sont traîtres, infidèles, assassins, que sais-je? dit l’adage, devenu populaire comme le capitaine Guilheri, ou Marlborough. – Henri III déteste le sexe, il lui faut des mignons! Vite, tout le monde comme il faut veut aussi des mignons, cela sied bien; tous, jusqu’au porte-faix qui, le dimanche, a le sien et crie contre les filles; mais Henri III, c’est déjà loin et vieux. La calomnie contre les femmes, comme le madrigal, est passé de mode, cela sent la province, vois-tu?

– O illusions! illusions! Mon pauvre Passereau, que tu es novice: pauvre garçon, cela me fait de la peine. La moindre truande que tu rencontres, aussitôt tu en fais un astre, une perle, une fleur! tu la purifies, tu la sanctifies. Tu es vraiment bien amusant. O illusions! illusions!

– Quand ce seraient des illusions, je te supplierais de ne pas me les enlever, ce serait me tuer! Eh! qu’est-ce donc la vie sans cela? une éponge pressée, un squelette à jour, un néant douloureux.

– Goguenard!

– Vois-tu? ce sont les premières liaisons à l’entrée de la vie qui donnent pour toujours la direction à notre cœur, à nos pensers. Tu méprises les femmes, parce que tu n’as connu que des femmes méprisables, ou qui t’ont paru telles. Le ciel a voulu que je ne rencontrasse partout sur mon chemin que des âmes choisies, pleines de gloire et de vertu; je juge l’inconnu par le connu. Si je m’abuse, est-ce un mal? Laisse-moi mon erreur: mais franchement, tiens, dis-le-moi; crois-tu que ma Philogène ne soit pas une personne simple et naïve, une amie dévouée, une amante fidèle? Oh! je mettrais ma main au feu …

– Non, non, Passereau, ne mets rien au feu! Depuis combien de temps es-tu lié avec Philogène?

– Depuis deux mois environ.

– Bien, je te donne encore un mois, et tu m’en diras de bonnes; c’est la durée ordinaire, trois mois.

– Albert, tu m’offenses!

– Adieu, Passereau, dans un mois!..

Toute cette conversation, mot à mot, avait été tenue, en descendant la rue Saint-Jacques, par deux écoliers; non pas des capettes de Montaigu, mais deux fringans jeunes hommes, vêtus élégamment, gros livre sous le bras, sortant de l’amphithéâtre.

L’un, Passereau, celui le bien pensant, avait l’air rêveur et calme, et portait un costume imité des étudians d’Allemagne: les cheveux longs comme Clodion le Chevelu, la petite casquette, le col renversé, la fine et courte redingote noire, les éperons et la pipe de Nuremberg; l’autre, Albert le Bavard, l’expansif, le gesticulateur; son chapeau gris sur l’oreille, son foular rouge autour du cou, sa lévite de velours noir, à boutons de métal, sa fleur à la bouche et sa marche balancée lui donnaient cet aspect, cette tournure, cet air crâne et gracieux, qu’on appelle cancan, et que possèdent à un point merveilleux les majos andalous.

II
MARIETTE

Passereau rencontre une salamandre. – Morale de la salamandre; elle prouve que les femmes perdent les jeunes hommes, et en font des saltimbanques. – Mariette la suivante. – Passereau fait le gentil. – Lourdes plaisanteries scolastiques. – Premiers soupçons. – Message du colonel Vogtland. – Altercation avec un porte-faix très ému. – Autre morale.

Les deux écoliers se séparèrent brusquement de la sorte: par raison inverse, tous deux se prenaient, au fond du cœur, en pitié, et réciproquement se traitaient de fou; chacun s’en allait par son chemin, la larme à l’œil, pour l’aveuglement de son ami; tous deux, ils étaient de bonne foi, chose rare par la saison!

Sur le quai, Passereau sauta dans un cabriolet public.

– Où allez-vous, monsieur?

– Rue de Ménilmontant.

– Baste! la course est loin!

– Moins loin que Saint-Jacques de Compostelle.

– Ou Notre-Dame-du-Pilier.

Alors, faisant claquer son fouet pour le départ, le cocher se mit à fredonner ces deux vers du bolero du Contrabandista:

 
– Tengo yo un caballo bayo
Que se muere por la yegua.
 

Aussitôt, Passereau ajouta les deux suivans:

 
– Y yo como soy su amo
Me muero por la mozuela.
 

Le cocher resta surpris de la réplique:

– Señor, vous êtes Espagnol?

– Non.

– Vous en avez tout l’air.

– On me le dit souvent.

Passereau avait l’aspect étrange et le teint méridional; la garde bourgeoise lui trouvait même l’air dangereux pour une monarchie; et, dans les temps de troubles civils, plusieurs fois il avait été arrêté et emprisonné pour crime de promenade et port illégal de tête basanée.

– Au moins, señor, vous avez habité l’Espagne, vous hâblez castillan.

– Ni l’un ni l’autre.

– Qui n’a pas vu l’Espagne est aveugle, qui l’a vue est aveuglé. – Señor, avez-vous le désir d’y faire un voyage?

– J’en brûle, mon brave, mais je n’ose: j’ai peur d’y laisser le reste de ma raison, j’ai peur d’y tuer l’amour de la patrie. Je sens qu’après avoir été l’hôte de Cordoue, de Séville, de Grenade, je ne pourrai plus vivre ailleurs. España! España! España! comme la tarentule, ta morsure rend fou!..

Mais, vous, mon brave, vous êtes Espagnol, et vous avez quitté l’Espagne?

– Non, señor, je suis don Martinez de Cuba.

Ce Martinez, c’était l’homme incombustible, qu’au jardin de Tivoli on avait, pendant quelque temps, montré dans un four. Après avoir promptement rassasié la curiosité de la ville, il fallait vivre; le pauvre homme s’était fait conducteur de carrosse.

Et Passereau se trouva fort émerveillé de rencontrer en si mauvais point cette célèbre salamandre.

– Pardonnez mon indiscrétion; mais, señor estudiante, vous paraissez penseur et triste comme un amoureux. Votre figure est empreinte d’un chagrin plus profond que celle du caballero desamorado. Vous me navrez de vous voir ainsi.

– Amour! amour! – Me muero por la Mozuela!

– Prenez garde, mon cher jeune homme, prenez garde! écoutez-moi: les conseils d’un misérable sont quelquefois bons à suivre. Sur une chose aussi fragile, aussi mobile, aussi perfide que la femme, ne mettez pas trop d’amour, vous vous perdriez! Ne laissez point prendre en votre cœur la haute place à cette passion, vous vous perdriez! ne la construisez point des ruines des autres, vous vous perdriez! ne faites pour elle abnégation de rien de ce qui peut vous charmer et vous attacher à la vie, au premier choc vous tomberiez à plat. Les femmes ne valent pas de sacrifice. – Aimez comme vous chantez, comme vous montez à cheval, comme vous jouez, comme vous lisez, mais pas plus. Ne comptez sur elles pour rien de stable, de noble et de pur, vous seriez trop amèrement déçu. Pardonnez-moi si je vous dis tout cela: ce n’est pas pour arracher vos illusions de jeunesse et vous faire vieux et blasé, c’est pour vous sauver bien des traverses, bien des abîmes. En ce cas, les conseils d’un misérable sont souvent dignes d’être entendus et suivis, surtout quand ce misérable a été fait misérable par celles en qui vous déposez votre seule foi et votre vie; on se fait son destin. – Comme vous, j’ai cru, je me suis donné, je me suis perdu! j’ai été jeune et brillant comme vous: prenez garde! ce sont elles qui m’ont fait exilé, bateleur et valet.

– Oh! ne craignez pas cela pour moi, mon brave: quand l’amour, seul câble qui amarre encore ma barque au rivage, sera rompu, tout sera dit; je me tuerai!.. – Ami, arrêtez! arrêtez! nous allons passer la maison: C’est ici, là, à cette porte, s’écria alors Passereau, glissant un écu dans la main de l’incombustible et se jetant hors du cabriolet.

-Viva Dios! Señor estudiante, es V. m. d. muy dadivoso, muy liberal! Dios os guarde muchos años.

Caballero, vous vous souviendrez bien de Martinez le Calesero et du numéro de son carrosse?

– Si, si!

Le seigneur étudiant entra dans la maison désignée, et Martinez, tout jovial, s’en retournait chantant moitié castillan, moitié gitano, ce bizarre couplet:

 
Cuando mi caballo entró en Cadiz
Entró con capa y sombrero,
Salieron a recibirloLos perros del matadero,
Ay jaleo! muchachas,
Quien mi compra un jilo negro.
Mi caballo esta cansado…
Yo me voy corriendo.
 

Avec la gravité d’un sénateur ou d’un huissier agréé près le tribunal, Passereau, tête baissée, monta l’escalier.

– Ah! c’est vous, beau carabin!

– Bonjour, ma petite Mariette.

– Bonjour.

– Ta maîtresse est sortie?

– Ma maîtresse, n’est-elle pas un peu la vôtre? Dites notre maîtresse: elle part à l’instant, vous avez du malheur.

– Où va-t-elle donc à cette heure?

– Au manége, prendre sa leçon.

– La belle est écuyère? j’ignorais.

– Elle monte à ravir, dit-on.

– Tu ris, mauvaise! tu feras donc toujours la soubrette de comédie?

– Du reste, mon bel ami, elle ne tardera pas, sans doute, à rentrer; sa leçon d’hier a été longue, celle d’aujourd’hui, je présume, sera courte. – Entrez l’attendre dans le boudoir.

– D’accord; mais viens m’y faire compagnie, seul je m’ennuierais fort dans un boudoir, et puis, c’est anti-canonique. – Mais viens donc, coquette! qu’as-tu peur?

– Vous êtes un carabin.

– Les carabins sont connus pour leur philogynie: je n’ai jamais mangé de femme vivante.

– Pouah!

– Assieds-toi plus près, je t’en prie; à la bonne heure! causons: tu sais qu’il y a long-temps que je raffole de toi.

– Honneur sans profit: madame a l’usufruit de cet amour.

– Vois-tu, Mariette, après l’Europe, l’Asie, l’Afrique, l’Amérique, l’Océanie et Philogène ta maîtresse, c’est toi, la septième partie du monde, que je préfère.

– Honneur sans profit: la septième partie du monde aurait grand besoin aussi d’un Christophe Colomb.

– Ehontée! – Mais, laisse donc que je baise ta belle épaule, ton épaule d’ivoire! et ton sein, vrai Parnasse à double cime, mais Parnasse romantique.

– Monsieur, c’est en vain qu’au Parnasse un téméraire

– Comment, mademoiselle, nous savons notre anti-phlogistique Boileau!.. Mais, laisse donc, que crains-tu? puérilité! Ma bonne amie, tu n’ignores pas combien j’aime ta maîtresse? sache donc que lorsque j’aime une femme, qu’elle a reçu mon amour, que j’ai reçu sa foi, et qu’ainsi que Philogène elle m’est fidèle.

– Ou qu’elle prend sa leçon au manége.

– Je lui garde la stricte fidélité qu’elle me garde.

– Ah! ah! ceci n’est pas rassurant. O mon honneur! ô ma vertu! au secours! laissez-moi! – Monsieur Passereau, je descends un instant; si quelqu’un venait à sonner, veuillez ouvrir et faire attendre.

– J’ouvrirai; serait-ce le tonnerre en personne.

Sitôt seul, la physionomie de l’écolier changea subitement d’expression; elle redevint grave et sombre suivant sa coutume, mais plus grave et plus sombre encore; sans doute, les malignités que Mariette, tout en folâtrant, avait lancées sur sa maîtresse, l’avaient blessé au vif, et, malgré lui, éveillé le soupçon en son esprit confiant. – Jamais tombe n’avait contenu un corps plus morne que ce boudoir. – Soudain, s’arrachant à cette immobile concentration, à cette vie interne, paraissant chasser de la main quelque chose invisible qui l’obsédait, il se leva, le fantôme! et sa figure s’illumina subitement, comme une lanterne sourde qu’on ouvre tout à coup dans la nuit. Alors, il se précipita dans le salon, courut à une miniature de femme, appendue au miroir, et la couvrit de baisers. Après avoir long-temps arpenté le parquet à grands pas, enfin il s’arrêta au piano, se prit à préluder avec frénésie et à chanter, à demi voix, l’Estudiantina:

 
Estudiante soy señora,
Estudiante y no me pesa,
Por que de la Estudiantina
Sale toda la nobleza.
Ay si, ay no.Morena te quiero yo,
Ay no, ay siMorena muero por ti!
 
 
Rosita del mes de mayo
Quien te ha quitado el color?
Un estudiante pulido,
Con un besito de amor.
Ay si, ay noMorena te quiero yo,
Ay no, ay siMorena muero por ti!
 
 
Con los estudiantes, madre!
No quiero ir a paseo,
Porque al medio del camino
Suelen tender el manteo.
Ay si, ay noMorena te quiero yo,
Ay no, ay si
Moreno muero por ti!
 

Bahoum! bahoum! bahoum!..

– Carajo! quel butor enfonce ainsi la porte?

Brave homme, quel charivari faites-vous donc? ne voyez-vous pas la sonnette?

– Monsieur, j’ai sonné dix minutes.

– Fable! mon ami, je n’ai rien entendu.

– Pour moi, j’ai fort bien ouï que vous chantiez du latin. – Est-ce vous, monsieur, qui êtes mademoiselle Philogène? c’est que c’est une lettre de la part du colonel Vogtland.

– Du colonel Vogtland? donne-moi cela!

– On m’a bien recommandé de ne la remettre qu’à elle-même.

– Ivrogne!

– Ivrogne? c’est possible. – Mais, je suis Français, département du Calvados; je suis pas décoré, mais j’ai de l’honneur. Zuth et bran pour les Prussiens! et voilà!

– Va-t-en, mouvais drôle.

– Ah! faut pas faire ici sa marchande de mode! pas d’esbrouffe, ou je repasse du tabac!

– Va-t-en!

– Ce que j’en dis, c’est par hypothèque; seulement, tâchez d’avoir un peu plus de circoncision dans vos paroles, et n’oubliez pas le pourboire du célibataire.

– Un pourboire?.. malheureux! pour aller te mettre encore l’estomac en couleur, ou te parcheminer les intestins? – Va-t-en, tu es soûl.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
04 ağustos 2017
Hacim:
232 s. 4 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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