Kitabı oku: «Champavert», sayfa 12
III
PERFIDE COMME L’ONDE
Doute. – Angoisse. – Passion. – Indiscrétion. – Plus de doute! – Ce pauvre Passereau avait pris pour une fille angélique une fille entretenue. – Il était l’ami du cœur et Vogtland le payeur général. – Torture. – La limpidité n’est que de la bourbe. – Abomination.
Voilà Passereau seul, la mort dans l’âme et la lettre fatale à la main: que va-t-il faire? Le doute et le soupçon l’assaillent; tout est perdu! – La conviction est comme un vieil édifice, elle s’écroule dès qu’on y met la hache. – Le colonel Vogtland, quel est-il? quelle liaison a-t-il avec Philogène? pourquoi ce message?.. – Après une longue indécision, une longue lutte, pour sortir de son angoisse, il va briser le cachet de cette lettre qui contient la condamnation sans appel ou l’acquittement solennel de sa maîtresse, ignominieusement suspectée, flétrie sous le poids d’une infâme accusation au secret tribunal de son cœur.
– Moi, briser ce cachet?.. Mais non, je suis fou! s’écrie-t-il; une fois ouverte, qu’en ferais-je si Philogène en sortait glorieuse? Je m’avilirais trop à ses yeux, moi jaloux, indiscret, traître! Car c’est une trahison que de venir rompre un sceau pour entrer botté, éperonné, dans une pudibonde confidence. – Oui! mais si j’étais trompé! qui me le dira?.. qui me dira que je ne suis pas la grossière dupe d’une dévergondée? Faudra-t-il que j’attende qu’on me le crie dans la rue? que j’entende rire sur les portes quand je passerai avec elle à mon bras? que j’entende murmurer autour de moi: – C’est aujourd’hui son étudiant. – Je le préfère à son avant-dernier. – Il faut être sans pudeur, un jeune homme bien né, sortir en plein jour avec une pareille catin, fi donc! – Ah! ce serait atroce! Il faut que je sache ce qu’il en est, il faut que je sache enfin en qui croire!..
– Voyons: – Mais non! n’est-ce pas démence que de vouloir approfondir? – Qui creuse les choses, creuse sa tombe. —
Car, si cette lettre allait me défendre d’avoir de l’amour, de l’estime pour cette femme; si elle allait m’enjoindre, d’une voix haute, de la fouler aux pieds, de la haïr! ah! quel réveil affreux! j’en mourrais!.. Car j’ai besoin de ma Philogène, car j’ai besoin de son amour pour ma vie! c’est toute l’huile de ma lampe; la renverser, c’est l’éteindre! c’est me tuer!..
Passereau, Passereau! que tu es ingrat et cruel pour cette femme! – Pourquoi l’accuser, pourquoi la souiller, pourquoi?.. Sais-tu ce que contient ce billet? – Non! – De quel droit, alors?.. – La passion m’égare …
Oh! non, bien sûr, cette amie douce, bonne, naïve, cette candide enfant, qui m’accable sans cesse d’amour et de sermens, que je comble de soins, de joie, de bonheur, à qui j’ai voué ma jeunesse, ma vie, à qui j’ai juré éternelle foi; oh! non, bien sûr; elle ne saurait, elle n’oserait tromper! Non, non, Philogène, tu es pure et fidèle!
Alors Passereau, s’approchant d’une croisée, fit bâiller la lettre sous ses doigts, et promena dans l’intérieur son œil enflammé, son regard avide. – A chaque mot qu’il déchiffrait, il frappait du pied et poussait de profonds gémissemens.
– Grand Dieu! les pressentimens sont donc ta voix, car ta voix seule ne ment jamais!..
Horreur! horreur!.. Ah! Philogène, c’est bien atroce!.. Moi qui, ce matin encore, aurais répondu de toi sur ma tête et ma vie; moi, qui aurais démenti Dieu! si Dieu t’avait accusée. Ah! c’est abominable! ah! c’est infâme! Mais, prenez garde! on ne sait pas ce qui reste en mon cœur, quand l’amour n’y est plus. Prenez garde!
C’est bon vous, monsieur le colonel; c’est bon, monsieur Vogtland, j’y serai aussi, au rendez-vous! nous y serons tous trois!..
Epuisé, il se laissa choir de sa hauteur sur le canapé, et, la tête cachée dans ses mains, il pleurait à chaudes larmes.
Voici mot à mot ce que contenait ce billet funeste:
«Ma chère Philogène,
«Une mutinerie des sous-officiers de mon régiment me rappelle à l’heure même à Versailles; ne compte pas sur moi pour cette nuit. Il ne me sera pas possible de revenir avant deux ou trois jours: ainsi, dimanche, trouve-toi vers les cinq heures aux Tuileries, sous les marronniers, au sanglier de marbre: sitôt descendu de voiture, je courrai t’y rejoindre, et nous irons dîner ensemble. Trois jours sans te voir, c’est bien long et bien cruel! mais le devoir est là. Aime-moi comme je t’aime.
«Adieu! je te couvre partout de baisers.«Vogtland.»
Est-il possible de trouver rien de moins ambigu et de plus accablant? Après un doute angoisseux, Passereau retrouva une conviction. Il était convaincu!..
Mais ce n’était pas assez que toutes ces souffrances, mais ce n’était pas assez que de savoir et parjure, et basse, et vile celle qu’il avait entourée de soins délicats, et chargé du plus pur amour. Il était destiné, en ce jour, à tomber de chute en chute plus terrible, à tout perdre, à tout jamais, sans retour. Celle qu’il avait crue chaste, innocente, pudique; celle qu’il n’avait abordée qu’en tremblant, celle, dont il se faisait un crime de l’avoir arrachée à sa virginité, d’avoir troublé la limpidité de sa belle âme, devait enfin paraître à ses yeux dans toute sa hideur: libertine, sale, lascive, immonde!
Voulant lui laisser un mot, et fouillant un tiroir pour trouver un encrier, il découvrit: ciel, j’ai honte à le dire! maroquiné, doré, enluminé, un Arétin!..
Je vous laisse à penser quelle fut sa consternation. Il était anéanti. Ses lèvres, retroussées, enflées et pendantes, exprimaient le plus profond dégoût, et sa poitrine, oppressée, jetait des hoquets de vomissement.
Mariette en cet instant rentra, Passereau rengaîna sa douleur.
– Madame, n’est pas encore rentrée?
– Non, ma chère.
– L’équitation lui plaît …
– Elle en raffole.
– Hélas! votre rire fait peine, vous êtes bien chagrin, bien agité; mon cher maître, croyez-moi, si vous souffrez, ne souffrez point pour elle; pauvre jeune homme, si vous saviez?..
Mais quelqu’un est-il venu en mon absence?
– Non: ah! seulement, on a apporté cette lettre de la part du colonel Vogtland.
– Du colonel Vogtland!.. Je ne m’étonne plus du trouble où je vous vois. Pauvre jeune homme, que vous vous êtes trompé grossièrement!
– Adieu, adieu, Mariette!
– Je vous en prie, prenez courage, vous me fendez le cœur!
Lui dirai-je que vous êtes venu?
– Oui, mais pas plus!
Honteux, il se glissa furtivement hors de la maison, comme un paillard qui s’échappe d’un mauvais lieu.
Sur le boulevart, à la station des cabriolets, il retrouva Martinez, se jeta à son cou et l’embrassa au grand étonnement des promeneurs.
– O mon ami, tu disais vrai: – Perfide comme l’onde! – Partons, partons! fouette, fouette, ventre à terre! j’ai besoin de m’étourdir.
IV
ALBERT PATROCINE
Notre écolier a décidément le spleen. – Splénalgie. – Il se fait un climat artificiel, un soleil et du ponche. – Son imagination n’attachant aucune crainte aux approches ni aux suites de la mort ne lui donne pas une sensibilité factice. – Ratiocination. – Arétologie. – Il s’endort.
Rentré chez lui, Passereau retomba dans une torpeur froide et muette. Habituellement, sa belle figure portait l’empreinte d’une mélancolie profonde, mais bienveillante; ici, ce n’est plus cela: son œil, devenu hagard, est englouti sous des sourcils froncés, sa bouche, qui rit d’un rire d’agonie, est close par ses mâchoires qui claquent et s’enchevêtrent; ses nerfs se crispent; il va, il vient; ses doigts crochus tenaillent et brisent tout ce qu’ils rencontrent; il se voûte et se ramasse sur lui-même comme une bête fauve blessée; sa tête, pendante, hoche sans cesse d’une épaule à l’autre, comme la tête de l’aigle presbyte qui cherche à voir la proie qu’il étouffe; toute sa mimique est infernale et farouche.
Soudain, il ouvre les croisées, s’y précipite et s’y penche, ferme brutalement les persiennes, referme les fenêtres et les volets à l’intérieur: le voilà dans les ténèbres profondes, il éclate de joie. Alors, il allume des lampes, des lustres, des girandoles, des flambeaux, des bougies, malgré la chaleur fait un énorme feu dans la cheminée, et sonne. Un des domestiques de l’hôtel accourt.
– Laurent, vous allez faire monter un bol, du sucre, des citrons, du thé et cinq ou six bouteilles de rum ou d’eau-de-vie; et partez de suite chez mon ami Albert le prier de se rendre aussitôt ici, chez moi; dites-lui simplement que je suis dans mon jour à néant.
Ce domestique ne parut point étonné de tout cet apprêt, cette illumination, cette hâte; il fit tout ce qui lui était ordonné, comme une chose d’un service journalier, ordinaire.
Effectivement, tout ceci n’avait rien de neuf: c’était une des mille bizarreries de Passereau, et celle qui se répétait le plus souvent. D’une organisation nerveuse, impressionnable, irritable, dès que l’atmosphère n’était pas élevée, le ciel serein, le soleil éclatant et chaleureux, il souffrait profondément. C’était un climat chaud, un air pur, un sol brûlant qui lui convenaient: c’était Marseille, Nice, Antibe, un soleil espagnol, une vie italienne!.. Aussi, se chagrinait-il d’être contraint à habiter la ville capitalement brumeuse, aqueuse, boueuse, froide, sale, infecte, morfondue, et n’aspirait-il qu’à recevoir ses grades pour l’abandonner à tout jamais; son rêve était de s’expatrier, et d’aller s’établir à la Colombie, à Panama.
Or donc, les jours pluvieux, lourds et bas, les temps de bise, de brouillard, de bruine, il tombait dans le marasme, il soupirait vaguement, il s’ennuyait, il pleurait, dans une apathie désespérante; tout son refrain était: la vie est bien amère et la tombe est sereine; à bas la vie!..
C’est alors qu’il appelait le néant à cor et à cri. – Il n’y a que trois choses à faire, disait-il, en ce moment, trois choses qui, toutes trois, anéantissent: s’enivrer à mort, dormir sans rêve ou se tuer: enivrons-nous et dormons. Pour se tuer, il faudrait faire plus d’efforts que je ne suis disposé à en faire à cette heure; nous verrons plus tard. – Je ne veux plus de ce jour stupide; fermons volets et fenêtres, du feu! des lumières! du maryland et du ponche!.. – Laurent, vous m’entretiendrez de vivres, et viendrez me voir de temps en temps. Sitôt que le soleil reparaîtra, et que la vie sera belle, vous viendrez ouvrir mes croisées et m’avertir.
Quelquefois, le mauvais temps ayant été continu, il était resté près d’un mois ainsi cloîtré, entouré perpétuellement de lampes, de flambeaux, inondé d’un jour splendide artificiel; lisant, écrivant parfois, mais, le plus souvent, dans l’ivresse et le sommeil. Sa porte était condamnée, sauf à Albert, qui, assez volontiers, venait se coffrer avec lui; non pas mu par le même délire, la même souffrance, la même désolation, mais pour l’originalité du fait, pour prendre un peu la vie à rebrousse-poil et parodier celle bourgeoise rectiligne; et par-dessus tout, alléché par le ponche et le cigarret, pour lesquels Albert avait une foi religieuse, une conviction profonde, une considération très distinguée.
Les jours à néant de Passereau n’étaient pas toujours l’effet de brume, de pluie et de temps noir; souvent, comme en ce cas, ils provenaient d’ennui, de contrariété et de chagrin.
Tout à coup, des pas précipités, des roulades, des éclats de rire dans l’escalier annoncèrent la venue d’Albert.
– Bonjour, mon vieux Passereau, nous sommes donc dans un jour à néant? Ce matin, je l’avais pressenti à ta sombre mine: en somme, cela me va assez bien; car, à te dire franchement, quoiqu’il soit dans mon usage de prendre tout assez légèrement, j’ai encore sur l’estomac l’aventure de ce matin; je ne suis pas fâché de la submerger un peu.
– Ah! mon pauvre Albert, si tu as l’aventure de ce matin qui te pèse, moi, j’ai celle de cette après-midi qui me tue!..
– Que veux-tu dire?
– Tu m’avais donné un mois, tu sais? Merci! je te rends trente jours.
– Oh! la délicieuse charge!.. Que penses-tu enfin de la vertu des femmes? que dis-tu de ta sainte Philogène? Oh! délicieux! délicieux! conte-moi cette bouffonnerie?
– Hélas! ne parlons plus de cela, tu me fais mal! Verse-moi du ponche, et toujours!
– Sais-tu, Passereau, que tu n’es pas galant? Tu aurais bien pu m’attendre, au lieu de boire seul; voilà près d’un bol que tu as humé solitairement comme un anachorète.
– La vie est bien amère et la tombe sereine. A boire, à boire! verse donc, je t’en prie, j’ai encore ma raison, je pense encore, je souffre!.. Verse donc, Albert!
– Tu m’affligerais, d’honneur, mon ami, si j’étais affligeable, de te voir prendre les choses si à cœur; après tout, qu’est-ce donc? Une méchante mésaventure, vulgaire, rebattue! Tu veux absolument aimer; renonces-y, je t’en prie; partout tu ne trouveras que des êtres méprisables; partout, sous un émail de candeur, un argile vil et grossier; jeune, des maîtresses décevantes, infidèles, sordides; vieux, des épouses adultères et marâtres. Ne va jamais rôder autour des femmes pour tisser du sentiment, mais seulement par raison joyeuse ou sanitaire; encore, seulement, quand la nature t’y poussera par les épaules.
– Albert, à l’aridité de ton âme, qui ne reconnaîtrait un médecin! Prends ton scalpel, parle muscle et phlébotomie, ou tais-toi, tu me fais pitié!
– En outre, vois-tu? à raisonner rationnellement, c’est absurde que d’exiger d’une femme de la fidélité, de la constance; c’est absurde que d’appeler vertu tout ce qui est antipathique et impossible à sa constitution. Il est dans la nature de la femme d’être légère, volage, étourdie, changeante, elle doit l’être, il le faut, et c’est bien. Il ne faut pas qu’elle s’appesantisse, qu’elle analyse, qu’elle pense, qu’elle alambique; il faut qu’elle soit toujours et toujours étourdie, entraînée d’une chose à l’autre, pour passer légèrement sur les souffrances départies à sa misérable condition et pour qu’elle n’entrevoie pas l’abjection où l’a refoulée la société.
– La vie est bien amère et la tombe sereine! Verse à boire, Albert, verse, enfin je chancelle; verse, je sens la réalité qui s’en va.
– Tu seras toujours un bien malheureux sire, si tu ne veux jamais t’arrêter aux superficies; si tu veux toujours creuser et fouiller. Les excavations de la pensée et de la raison, sont funestes, elles sont toujours suivies d’éboulement. On ne peut vivre et penser, il faut renoncer à l’un ou à l’autre. Qui pourrait supporter l’existence, si, comme toi, il réfléchissait éternellement? car il en faut si peu pour pousser à la mort, regarder le ciel, une étoile, se demander ce que c’est: alors notre misère, notre bassesse, notre intelligence, plate et bornée, paraissent dans toute leur splendeur. On se prend en pitié, en dégoût; las et honteux de soi, dont on était stupidement orgueilleux, on appelle à son secours le néant, plus incompréhensible encore …
Il faut s’arranger de manière à ce que tout passe sur soi comme sur une cuirasse. Il faut prendre tout gaîment, il faut rire.
– De pitié!
– Il faut rire de tout, voler de fleur en fleur, de plaisir en plaisir, de joie en joie …
– Qu’est-ce d’abord qu’une joie et qu’un plaisir? je ne sais pas.
– Il faut satisfaire sa fantaisie.
– Je la satisferai!
– Jouer, dépenser, paillarder, mentir, être insouciant, paresseux, charlatan.
– Du ponche, du ponche, Albert! verse donc! – Assez, assez de morales! – Crois-moi, la mort habite dans mon sein; je ne suis pas fait pour la vie.
– Mais, n’est-ce pas pitié que de voir un jeune homme au plus brillant de sa carrière, doué d’une intelligence supérieure, dont la pensée peut embrasser le monde et ses sciences, s’abâtardir, s’accroupir, s’abrutir, s’anéantir, à propos d’une coquinerie de fille, n’est-ce pas une pitié? Réveille-toi donc, Passereau!
– La mort habite dans mon sein, je ne suis pas fait pour la vie, t’ai-je dit.
– Manque-t-il de filles pour te venger? manque-t-il de places sur la terre, si tu es mal en celle-ci? Va-t-en, voyage, vois tout, entends tout, effleure tout, goûte de tout, et si dans ta course tu n’as rien trouvé qui t’allèche, pas de ciel qui t’agrée, pas d’être qui te charme et t’attache, si tu n’as pas trouvé une plage belle où déployer ta tente, reviens; alors, seulement, il sera temps de t’anéantir, tu feras bien, j’applaudirai!
– La vie est bien amère et la tombe sereine! Verse, Albert! du ponche! du ponche! que je dorme, encore un verre de néant. Ai-je toujours ma tenace raison, dis-le moi?
– Pas aux yeux des hommes.
– Enfin!..
Alors Passereau se traîna tant bien que mal jusqu’à son lit et s’y abattit lourdement; Albert paracheva un bol entamé et se retira en faisant des enjambées diagonales, et se colportant raide et perpendiculaire comme la tour de Pise ou la flèche de Saint-Séverin.
V
INCONGRUITÉ
Réveil. – Le bon roi Dagobert mettait sa culotte à l’envers. – C’est une chose infâme qu’un parapluie! – De torrente in viâ bibet. – Su majestad christianisima el verdugo. – Absurdités! – Autres absurdités. – Encore des absurdités. – Toujours des absurdités!
Le lendemain matin, de très bonne heure, quelques bougies brûlaient encore d’une façon sinistre; blême et décomposé, Passereau pestait et jurait sur son lit, pendu au cordon de la sonnette. – Tubœuf! ce malencontreux ne montera pas! – S’il lui faut des aubades, on lui en donnera! – Mais, tubœuf, est-il défunt? suis-je le clocheteur des trépassés? – Tribunal de Dieu! le maroufle fait l’amour dans les bras de quelque dinde!
En criant ainsi, comme un fanatique, zingh! zingh! zingh! il tirait à tour de bras la sonnette, tant et si bien que le fil d’archal en péta, et que le cordon lui resta à la main comme un tronçon d’épée à la main d’un champion.
– Mon Dieu, monsieur Passereau, quelle impatience ce matin!
– Laurent, tu me fais damner, tribunal de Dieu! depuis trois heures que je sonne, que faisais-tu? attendais-tu la résurrection de la potence? – Vite, prépare mes vêtemens, il faut que je sorte.
– Je ne vous aurais pas cru si matinal, après la cérémonie d’hier soir. Il fait un très mauvais temps, il pleut à seaux, vous ne pouvez sortir.
– Mes vêtemens, te dis-je, il faut que je m’en aille! ferait-il un temps à ne pas mettre la mythologie à la porte.
Laurent fut obligé d’habiller Passereau, il était tellement absorbé, préoccupé, qu’il ne voyait ce qu’il faisait.
– Je vous demande pardon, monsieur, mais, comme votre tête, votre pantalon me semble à l’envers.
– C’est une distraction royale et Mérovingienne!
– Hélas! mon cher maître, vous me fâchez, vous avez l’air plus triste et plus inquiet que jamais. Vous êtes dans vos humeurs noires.
– Très foncées.
– Rentrerez-vous déjeûner, monsieur?
– Je ne sais trop.
– Je vous atteste qu’il fait une giboulée à donner une pleurésie à l’univers.
– Qu’il en crève!
– Attendez un peu, ou prenez au moins une voiture ou un parapluie.
– Un parapluie!.. Laurent, tu m’insultes. Un parapluie! sublimé-doux de la civilisation, blason parlant, incarnation, quintessence et symbole de notre époque! Un parapluie!.. misérable transsubstantiation de la cape et de l’épée! – Un parapluie!.. Laurent, tu m’insultes! Adieu!
Battu par un grain de vent et par une pluie tombant sans interruption, vrai stoch-fisch détrempé aux frais du ciel, voilà notre carabin, heurtant à l’huis clos d’une maison bordant la ruelle étriquée et déserte de Saint-Jean ou Saint-Nicolas, en contrebas des boulevarts Saint-Martin. Le pauvre diable ruisselait l’eau comme un pot qu’on renverse. Il avait traversé la ville, lui, si hydrophobe, tête basse, sans faire nulle attention aux douches qui l’arrosaient. Les passans riaient aux éclats de le voir ainsi patrouiller, avec la componction et l’impassibilité d’un derviche, il n’entendait rien; il traversait à pied ferme les torrens et les gaves qui se trouvaient en son itinéraire, quitte à en avoir jusqu’à la bifurcation du torse, et quelquefois, il déclamait avec transport ces vers si connus d’Hernani:
Ah! quand l’amour jaloux bouillonne dans nos têtes,
Quand notre cœur se gonfle et s’emplit de tempêtes,
Qu’importe ce que peut un nuage des airs
Nous jeter en passant de tempête et d’éclairs!
Après qu’il eut eu une assez longue entrevue avec la porte, on ouvrit enfin.
– Que demande monsieur?
– El señor Verdugo.
– Plaît-il?
– Ah! pardon; M. Sanson est-il visible?
– Oui, il est à déjeûner, entrez.
– Monsieur, agréez mes salutations.
– Je suis votre serviteur. Quelle affaire urgente vous amène près de moi par un ouragan pareil?
– Urgente, vous l’avez dit.
– Voyons!
– Je vous demande bien pardon de la hardiesse que je prends de venir moi-même vous troubler en votre retraite, et vous demander un service dans la dépendance de vos fonctions.
– Dans la dépendance de mes fonctions, monsieur? je n’en rends que de cruels.
– Cruels aux lâches, doux aux forts!
– Au fait.
– Je venais vous prier, mais c’est bien exigeant de ma part, moi, à vous tout-à-fait inconnu; du reste, je suis prêt à payer le coût et les épices qui vous seront dus.
– Expliquez-vous enfin?
– Je venais vous prier humblement, je serais très sensible à cette condescendance, de vouloir bien me faire l’honneur et l’amitié de me guillotiner?
– Qu’est cela?
– Je désirerais ardemment que vous me guillotinassiez!
– C’est pousser loin la plaisanterie; êtes-vous venu, jeune homme, m’insulter jusque chez moi?
– Loin, bien loin cette pensée; je vous en prie, écoutez-moi, la démarche que je fais auprès de vous est grave et sérieuse.
– Si je ne craignais d’être impoli, je vous dirais tout cru que vous me semblez en démence.
– Je le semblerais à beaucoup d’autres, monsieur. Je jure par toutes vos œsophagotomies que j’ai mes saines et entières facultés; seulement, le service que je vous prie de me rendre n’est point dans nos mœurs, c’est-à-dire dans les mœurs de la foule, et quiconque ne fait pas strictement ce que fait la foule est un fou.
– Vous êtes honnête, je le vois. Je veux bien croire que vous n’avez eu nulle intention de m’insulter, ni de me faire ressouvenir de ma fatale mission que j’oubliais. – Je veux bien croire que vous n’êtes point en démence.
– Vous me rendez justice.
– N’êtes-vous pas artiste? A votre costume …
– Je le suis si vous l’êtes, car nous sommes un peu confrères: mes études ne sont pas sans de nombreux rapports avec les vôtres; comme vous, je suis chirurgien, mais vous êtes mon maître en amputation; mes opérations sont moins solennelles et moins sûres que les vôtres, et c’est ce qui m’amène auprès de vous.
– Vous me faites honneur.
– Non, car de vous à moi, il y a la distance et le rapport d’une filature à une quenouille: j’opère naïvement de mes mains, et vous, monsieur, grand industriel, vous amputez à la mécanique.
– Vous me faites honneur. Mais, enfin, en quoi puis-je être votre serviteur?
– Je désirerais, comme j’ai déjà pris la licence de vous le dire, que vous me guillotinassiez.
– Allons, parlons sérieusement, ne revenez plus là-dessus, c’est une mauvaise pasquinade.
– Veuillez croire que c’est le motif unique et sérieux de ma visite.
– Plaisant original!
– Sans plus d’exorde, voilà le cas. Depuis long-temps je voulais trancher mon existence qui me lasse et m’importune, mon leurre était encore acharné de quelque espoir, je remettais de jour en jour; enfin, misérable porte-faix des misères humaines, je romps sous le fardeau, et viens le déposer.
– Vous, sitôt las de la vie! et pourquoi, mon ami?
– La vie est facultative, on peut la tolérer à certaines conditions, à la condition du bonheur, et l’on peut, certes, à bon droit, la trancher quand elle ne nous apporte que souffrances; on m’a imposé l’existence sans mon gré, comme on m’a imposé le baptême; j’ai abjuré le baptême; aujourd’hui, je revendique le néant.
– Seriez-vous isolé, sans parens?
– J’en ai trop.
– Êtes-vous sans fortune?
– Le veau d’or n’est pas mon Dieu.
– N’avez-vous pas quelque amour pour la science?
– La science n’a que de faux-semblans, la science est vaine.
– Vous n’avez donc ni passion, ni amie?
– A tout jamais, j’ai perdu l’un et l’autre.
– Ce n’est pas à vingt ans qu’on perd l’amour, et la perte d’une amie, quelque grande qu’elle soit, n’est pas irréparable.
– Je suis blasé.
– Votre œil luit et votre cœur bat, vous ne l’êtes pas.
– J’ai vu tout au clair.
– L’amour même?
– L’amour! – Mais qu’est-ce donc que l’amour? – On l’a poétisé à l’usage des niais. – Un grossier besoin périodique, une loi criarde de la nature, de la nature éternelle qui reproduit et multiplie, un penchant brutal, un charnel croisement de sexe, un spasme! rien de plus! Passion, tendresse, honneur, sentiment, tout se résume en cela.
– Quel odieux langage!
– Hier, je ne parlais pas ainsi; hier, j’étais encore abusé, mais bien des voiles sont tombés de mon front depuis hier; personne n’a été plus que moi plein d’illusions et de croyances, personne n’a été plus sentimental que moi. – Plus le rêve a été grand et beau, plus le plat réveil est douloureux. – Hier j’étais sensible, aujourd’hui je suis féroce. – J’aimais de toutes les puissances de mon être une femme. Je croyais qu’elle avait pour moi de l’amour, elle me jouait! Je la croyais candide, elle était vile et basse! Je la croyais naïve, céleste, pure, elle était prostituée! ô rage! Et l’amour seul, l’amour pour cette femme me retenait en ce monde!
– Je conçois votre chagrin, mais tout cela n’a rien de grave. C’est une des mille aventures de jeune homme qui vous arriveront; ne prenez pas l’habitude de vous tuer à chaque. Je ne vois rien là-dedans qui puisse vous entraîner au suicide. Je sais qu’une déception est souvent bien douloureuse; mais un jeune homme, fort et penseur comme vous, doit surmonter de plus grandes adversités. Ceci n’est qu’un enfantillage, et si l’on doit revivre après cette vie de ce monde éteinte, assurément, vous seriez très honteux, quand vous auriez retrouvé l’existence et le sang-froid, de vous être sacrifié pour si bas et pour si peu.
– Comme je vous le disais tout à l’heure, ce n’est pas seulement depuis cette catastrophe que j’ai résolu de quitter la vie; l’amour seulement retardait l’accomplissement de mon dessein. Je ne dis pas même que si j’eusse mieux rencontré, que si j’eusse trouvé une femme digne et fidèle, que mon projet ne se serait pas à la longue évanoui. Mais, aujourd’hui, tout est changé, j’ai juré d’en finir; un serment est irrévocable.
– Vous voyez bien que j’avais raison de vous croire en démence.
– En démence!.. Dites-moi donc alors, vous qui avez la raison en partage, ce que nous faisons sur cette terre? à quoi bon? pourquoi y sommes-nous? et que sommes-nous, nous-mêmes, misérables orgueilleux sinon les passibles moyens de la reproduction et de la destruction.
– Vous êtes en démence!
– Mais tout ceci n’est que digression, revenons au sujet de ma visite: – Je vous supplie donc de nouveau d’obtempérer à ma demande, je vous tiendrai compte de tous vos frais.
– Quelle demande? Décidément que désirez-vous?
– Peu de chose, je voudrais simplement que vous me guillotinassiez.
– Jamais, mon ami, ceci est pure extravagance. Alors même que je le voudrais, je ne le pourrais. – Hélas! que Dieu me garde de vous faire jamais la moindre écorchure.
– Pourquoi cela, n’avez-vous pas le droit et la liberté de faire ce que bon vous semble? La société vous a donné un instrument, n’en êtes-vous pas l’absolu ménétrier? Peut-elle vous défendre de rendre service à un ami?
– Il est vrai que la société m’a donné héréditairement un échafaud, ou plutôt que mon père m’a légué une guillotine pour tout meuble et immeuble patrimonial; mais la société m’a dit: – Tu ne joueras de ton instrument que pour ceux que nous t’enverrons.
– C’est elle qui m’envoie.
– Non pas.
– Si, c’est mon dégoût pour elle.
– Vous venez droit à moi, mon cher, ce n’est pas cela; vous avez pris la grande route au lieu du chemin de traverse; retournez-vous-en et passez par les gendarmes, les cachots, les geôliers et les juges.
– Décidément, vous ne voulez pas me faire cette amitié? vous êtes malgracieux pour moi. Mais, tribunal de Dieu! je ne demande pas absolument que vous me fassiez cela en plein jour, en plein Paris, en pleine Grève: que ce soit une affaire privée, un tripot de ménage; là, dans un coin de votre jardin, n’importe, où vous voudrez. Vous le voyez, je suis accommodant.
– Non, c’est impossible: tuer un innocent!
– Mais n’est-ce pas l’usage?
– Je ne suis point un assassin.
– Que vous êtes cruel de refuser une chose qui vous coûte si peu!
– Je ne suis point un meurtrier.
– Peut-être, vous ai-je offensé, mais c’est bien malgré moi: vous n’êtes point un coupe-jarret, je le sais; votre humanité, votre philanthropie sont célèbres.
– Si vous désiriez sincèrement la mort, le suicide est facile; la première arme venue, un pistolet, votre scalpel …
– Non, je n’aime pas cela, on n’est pas assez garanti du succès: le bras peut se déranger et frapper maladroitement; on se défigure, on se charcute; enfin, on rate son coup, comme on dit.
– J’en suis fâché.
– Mais votre moyen est si prompt et si sûr; je vous en prie, en compensation de tant de gens que vous décollez de force, je vous en supplie, décapitez-moi amicalement.
– Je ne puis.
– Mais c’est absurde.
– Ne soyez pas injurieux!
– C’est bien: vous ne voulez pas de bon gré, vous me tuerez de force! S’il ne faut que passer par les gendarmes et les juges, j’y passerai!
– Alors, je serai votre serviteur très humble.
– Vous ne voulez pas, c’est bien! – Pourquoi? – Parce que je suis innocent: belle raison infirmante! – Après tout, si ce n’est qu’un crime qu’il faut! un crime, c’est chose facile et simple. – C’est bien!.. – Nous ne manquons pas de Kotzbue en France, ce sont les Carle Sand qui manquent!
Gloire à Carle Sand!..
Monsieur l’exécuteur des hautes œuvres, jusqu’au revoir, dans un mois au plus tard. – Tenez-vous prêt, faites refourbir le coutelas par le taillandier, je n’aimerais pas qu’on me manquât.
– Dieu vous garde de moi, jeune homme!
– Si la France a ses plats écrivains vendus à l’étranger, ses plats détracteurs de sa jeune génération, ses Kotzbue!.. elle aura aussi son vengeur, son Carle Sand.
Gloire à Sand!!!