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Kitabı oku: «Les rues de Paris, Tome Premier», sayfa 18

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III

Quelques mots encore sur Mathieu de Dombasle écrivain. Son style facile et courant, qui se préoccupe moins de l'élégance que de la netteté, dit bien ce qu'il veut dire et ne manque point d'agrément dans sa simplicité qui le rend intelligible au lecteur le moins lettré. Ces qualités recommandent le Calendrier du Bon Cultivateur, paru pour la première fois en 1821 et que Mathieu de Dombasle affectionnait particulièrement: «C'était sa première publication agricole, dit l'éditeur de la huitième édition; puis il avait trop de foi dans le bon sens des masses pour n'être pas flatté et frappé en même temps du succès d'un livre qui, sans prôneurs, sans aucun patronage, s'était en moins de vingt ans répandu au nombre de plus de vingt mille exemplaires.» Le Calendrier du Bon Cultivateur forme un gros volume in-12 de plus de 600 pages, rempli d'excellents conseils, d'instructions pratiques, disposées avec méthode et dans l'ordre des saisons, ou mieux des douze mois de l'année. Le livre se termine par une sorte de récit en plusieurs chapitres, ayant pour titre: La richesse du cultivateur ou les secrets de Jean Benoit, et dont nous détacherons quelques passages pour faire connaître la manière de l'auteur. L'histoire de Benoit se lit avec un vif intérêt quoique ne rappelant en rien le roman ou la nouvelle, témoin la façon dont l'auteur raconte le mariage de son héros:

«Benoit avait le projet de visiter l'Angleterre parce qu'il avait entendu dire que plusieurs parties de ce royaume sont cultivées avec une grande perfection; mais ayant fait connaissance d'une fille qui était en service chez le même maître que lui, il se détermina à l'épouser. Cette fille venait d'hériter d'un de ses oncles qui lui avait laissé une maison et quelques terres, dans un village du pays de Hanovre. Ils partirent ensemble pour aller cultiver leur petit bien… Comme la femme de Benoit était forte et aussi laborieuse que lui presque, tout cela fut labouré à la bêche et biné de leurs propres mains.»

Voilà qui est simple et primitif. Quoiqu'il en soit, à la fin de l'année, grâce à la vente du lait et du beurre, des grains et des fruits, il restait à l'ami Benoit un bénéfice net de 800 francs. «Il aurait bien pu employer cet argent à acheter des terres, car il y en avait alors à vendre à très bon marché et qui lui auraient bien convenu; mais il s'en garda bien parce qu'il s'était imposé la loi de ne jamais acheter de terres que lorsque celles qu'il avait seraient parfaitement amendées, et lorsqu'il aurait du fumier en abondance pour en amender de nouvelles; il savait bien qu'un jour (arpent) de terre bien amendé en vaut deux, et que les terres sans fumier ne paient pas les frais de culture.»

Benoit employa ses 800 francs à agrandir son étable ce qui lui permit de doubler le nombre de ses vaches et la quantité de ses produits. Bref, au bout de quatre années, il lui fallait une charrue et même deux pour labourer ses terres. Au bout de vingt années, Benoit était devenu presque riche; mais, comme il arrive si souvent dans le monde, en même temps que la fortune le malheur venait frapper à sa porte. Successivement il perdit sa femme et deux enfants déjà grands, sa joie et sa consolation. «Accablé de tous ces malheurs, le pays où il les avait éprouvés lui devint insupportable; il se détermina à vendre tout ce qu'il avait et à revenir dans son pays natal, pour achever ses jours dans la société de quelques parents qu'il y avait laissés.

«Il y a maintenant quatre ans que Benoit revenu en France, s'est fixé à R…79 où il est né; il y a acheté une jolie petite maison et un vaste jardin qu'il cultive lui-même, car il lui serait impossible de demeurer oisif. J'habite dans le voisinage de ce brave homme, et jamais je n'éprouve plus de plaisir que lorsque je m'entretiens avec lui.»

On n'en doute pas d'après le portrait que l'auteur nous fait du digne homme qu'il est difficile de ne pas croire peint d'après nature. Ne serait-ce pas Mathieu de Dombasle qui s'est ainsi pourtrait lui-même à son insu dans cette honnête homme si sympathique? «Benoit a aujourd'hui soixante-quatre ans; mais il jouit d'une santé parfaite qu'il doit à une vie constamment laborieuse; à peine ses cheveux sont-ils gris et il conserve une vivacité qui ferait croire qu'il n'a que vingt ans. C'est un petit homme assez maigre, mais dont la physionomie est remarquable par le feu du génie qui étincelle dans ses yeux, et par un air de franchise qui prévient en sa faveur aussitôt qu'on le voit. Il a conservé toute la simplicité du costume et des mœurs des cultivateurs du pays qu'il a habité si longtemps; mais dans ses vêtements, dans son ameublement, dans toute son habitation, respire la propreté la plus soignée.

«Il parle très peu lorsqu'il se trouve avec des étrangers; mais dans ses entretiens avec les hommes qu'il voit habituellement, il devient très communicatif. On voit surtout qu'il éprouve un vif plaisir à parler d'agriculture: alors il parle beaucoup et longtemps. Cependant on ne se lasse pas de l'entendre, parce qu'il sait beaucoup, qu'il ne parle que de ce qu'il sait bien, et que toutes ses paroles portent le caractère de ce bon sens naturel et de ce jugement exquis et sûr qui ont dirigé toutes les actions de sa vie.»

Aussi, que de progrès réalisés dans tout le voisinage, au point de vue agricole, par la seule influence de sa parole et de son exemple! Mais ce n'est pas de ses conseils seulement qu'il est prodigue: «Il donne beaucoup à ses parents et même à quelques étrangers, mais c'est à la condition qu'ils soient actifs, laborieux et probes; les paresseux et les négligents ne sont pas bien venus près de lui: il dit souvent qu'il ne peut mieux faire que d'imiter la Providence qui ne distribue ses dons qu'à ceux qui s'en rendent dignes par le travail.

Aide-toi et le Ciel t'aidera.

«Des malheurs survenus à un homme industrieux et rangé, sont un titre qui donne des droits certains à sa générosité. C'est ainsi qu'il a sauvé d'une ruine complète un père de famille de son voisinage qui avait éprouvé des pertes énormes dans les invasions… Benoit le connaissait à peine, mais il a un tact sûr pour juger les hommes; il n'hésita pas à lui avancer une forte somme, et il n'a pas lieu de s'en repentir; car la plus grande partie lui est déjà remboursée, et l'état prospère qu'ont repris les affaires de l'homme qu'il a ainsi aidé est un gage certain pour ce qui lui reste dû. Il s'est acquis un ami qui ne peut parler de lui sans verser des larmes d'attendrissement.»

J'ai réservé pour la fin un dernier trait qui achève le portrait: «du brave homme» et qui prouve que Mathieu de Dombasle n'avait jamais oublié les leçons de ses anciens et vénérables maîtres. «Benoit a habité trente ans un pays où le culte catholique n'est pas exercé, et où il n'existe pas de pasteur; cependant il n'a rien perdu de son attachement à la religion, et par sa piété franche et douce, il est aujourd'hui le modèle du canton.»

Faut-il s'étonner ensuite que l'ami Benoit ait conquis à l'auteur tant de sympathies dont témoignent les lettres en fort grand nombre qu'il reçut après la publication de son livre? Entre ces lettres dont beaucoup expriment, avec une affectueuse reconnaissance et parfois une éloquente naïveté, les sentiments dont étaient pénétrés les signataires, je n'aurais que l'embarras du choix. Je me bornerai à une seule citation, tirée d'une lettre datée du 24 mai 1827 et curieuse autant que touchante dans sa simplicité pleine de bonhomie:

«J'ai lu avec beaucoup de plaisir les secrets de votre ami, J. – N. Benoit. Je désirerais bien l'avoir avec moi, pour quelque temps, dans une propriété que j'exploite à un quart d'heure de cette ville, dans une position des plus agréables, où nous ferions quelque chose de beau; le terrain y est très facile. Aimant l'agriculture autant que vous pouvez l'aimer, ainsi que M. Benoit, je désirerais beaucoup être aidé d'un homme entendu tel que lui, je vous prie de lui en faire part et de me dire ce qu'il en pense.»

Pour qu'on pût s'y tromper ainsi certes l'ingénieuse fiction devait s'inspirer beaucoup de la réalité? Mais quel bon sourire dut illuminer la figure de Mathieu de Dombasle quand il lut cette épitre qui témoignait d'une confiance si ingénue et de cette naïve crédulité?

DUPUYTREN

Dupuytren (Guillaume), naquit à Pierre-Buffière, en Limousin, le 6 octobre 1777. Voici sur sa première enfance des détails assez curieux. On raconte qu'une dame, passant en poste dans les rues de la petite ville, avisa un jeune garçon de l'âge d'environ trois ans dont la gentille figure lui plut tout d'abord. Cette dame n'avait point d'enfant, l'idée lui vint d'enlever celui-ci pour en faire son fils adoptif; et en effet, le bambin séduit par les douces paroles de la dame, peut-être affriandé par la vue de quelques bonbons ou gâteaux, monta dans la voiture qui aussitôt s'éloigna de toute la vitesse des chevaux. Il fallut que le père averti, pour ravoir son enfant, poursuivît la dame jusqu'à Tours.

On peut croire cependant que la tendresse du père n'empêchait point de sa part une assez grande négligence, puisque, bon nombre d'années après, nous retrouvons encore l'enfant courant seul les rues de la ville où sa figure intelligente, son air délibéré et surtout la vivacité et l'à-propos de ses réparties frappèrent un capitaine de cavalerie nommé Keffer qui, d'après la légende, le prit en croupe, l'amena à Paris, et le plaça au collége de la Marche dont un sien frère était principal. Des biographes, dont le témoignage paraît plus vraisemblable, disent que le capitaine, avant de se charger de l'éducation du bambin, demanda le consentement des parents qui ne le firent pas attendre. Soit que son protecteur fût mort, soit qu'il se le fût aliéné, le jeune Guillaume, ses classes terminées, revint à Pierre-Buffière, assez incertain sur sa vocation quoiqu'il parût incliner vers la carrière militaire, pourtant sans grand enthousiasme. Mais son père un jour coupa court à ses hésitations en disant:

– Tu seras chirurgien.

Et, chose remarquable! comme si la décision paternelle l'eût soudain éclairé pleinement sur sa vocation, Guillaume ne manifesta plus aucune incertitude. De retour à Paris, il retrouva, au collége de la Marche, sa chambre d'écolier, commença et poursuivit ses études médicales avec une opiniâtre persévérance, s'aidant tout à la fois des livres et des leçons orales des professeurs en renom, Boyer pour l'anatomie, Vauquelin et Bouillon-Lagrange pour la chimie. Constamment, à ce qu'on raconte, il avait à la bouche cette parole: «Que rien n'est tant à redouter pour un homme que la médiocrité.»

Aussi, aiguillonné sans cesse par cette pensée d'ambition qui, à cette époque comme plus tard, fut trop, paraît-il, son mobile, il travaillait avec une ardeur fiévreuse, et lors de la création des écoles de santé (février 1795), il put se présenter pour l'une des six places de prosecteurs mises au concours. Il ne vint qu'au quatrième rang; mais c'était beaucoup déjà pour un adolescent qui comptait dix-huit ans à peine. Néanmoins il s'indigna contre lui-même, ne se pardonnant point de n'avoir réussi qu'à demi; aussi nous le voyons redoubler d'efforts, et, peu d'années après (mars 1801), il était nommé par un vote unanime chef des travaux anatomiques.

«Maître de cette position indépendante, dit le docteur Malgaigne, il ne tarda pas à apporter dans le service des dissections une discipline et une activité jusqu'alors inconnues. En quinze mois, il déposa, dans les cabinets de l'École, quarante pièces anatomiques relatives à toutes les parties des systèmes artériel et veineux. Il poursuivait des recherches d'anatomie normales sur les canaux différents, la rate, etc; il multipliait les vivisections, etc.» En même temps, il professait un cours d'anatomie non sans succès quoiqu'il ne pût se dissimuler qu'il restait inférieur à Bichat et plus tard à Laënnec pour la science pathologique. Cette conviction sans doute contribua à le lancer dans une autre direction. Bien que nommé chirurgien de seconde classe à l'Hôtel-Dieu (1802), il s'était jusqu'alors assez peu occupé de chirurgie lorsqu'il fut amené par les circonstances à se vouer presque exclusivement à cette partie si importante de la science médicale. Devenu par le départ de Giraud, chirurgien-adjoint, il gagna à juste titre la confiance du chirurgien en chef Pelletan, qui se reposa sur lui d'une partie importante du service et lui donna ainsi l'occasion de se produire.

Sa position était déjà assez honorable pour qu'elle lui permît de faire un mariage avantageux; il épousa Mlle de Sainte-Olive qui lui apportait en dot au moins 80,000 francs. Mais il se brouillait en même temps avec Boyer dont il avait demandé la fille, et qui ne lui pardonnait pas une rupture nullement motivée et aggravée par cette circonstance fâcheuse qu'elle avait eu lieu le jour même fixé pour la signature du contrat.

En 1811, Dupuytren obtint, au concours et à l'unanimité des suffrages, la chaire de médecine opératoire vacante par la mort de Sabatier. En 1815, par la retraite un peu forcée de Pelletan, il se trouva chirurgien en chef de l'Hôtel-Dieu, et il se promit bien de ne pas la partager. Le service chirurgical comptait parfois jusqu'à trois cents malades: c'était un travail d'Hercule qui allait peser sur lui seul, il s'y dévoua sans réserve. Tous les jours levé régulièrement à cinq heures, il accomplissait ses visites de 6 à 9 heures, faisait une leçon d'une heure à l'amphithéâtre, donnait ensuite des consultations aux malades du dehors, et quittait rarement l'hôpital avant onze heures; enfin, le soir, il faisait une seconde visite de six à sept heures, et jusqu'en 1825, à peine y manqua-t-il un jour.»

Rallié au gouvernement de la Restauration, il fut, lors de l'assassinat du duc de Berry, l'un des premiers appelé auprès du blessé. Faut-il croire à cette anecdote rapportée par quelques biographes et qui serait une des causes, suivant eux, du peu de faveur dont Dupuytren jouit auprès du roi Louis XVIII qui, comme on le sait, se piquait de littérature. Lorsqu'il arriva près du lit de son neveu, le roi dans la crainte d'être entendu du blessé, dit en latin au chirurgien: Superest-ne spes aliqua salutis? Reste-t-il quelque chance de salut?

Dupuytren, soit qu'il fût préoccupé, soit qu'il eût en effet oublié tout à fait la langue de l'ancienne Rome, n'eût pas l'air de comprendre et ce fut Dubois qui se chargea de la réponse. Aussi, quoique Dupuytren eût été créé baron au mois d'août, trois années s'écoulèrent avant qu'il fût nommé chirurgien consultant. J'ai peine à croire, d'ailleurs, que Dupuytren, pour se concilier de hautes influences, se soit abaissé, lui si peu dévot alors, jusqu'à ce petit et honteux manége que lui prête un biographe et qui n'eût été que de la misérable hypocrisie.

Pendant une messe célébrée à la chapelle du château de Saint-Cloud, Dupuytren laissa tomber avec fracas, au moment de l'élévation, son volumineux Livre-d'Heures garni d'épais fermoirs. Mme la duchesse d'Angoulême dit en levant les yeux:

– Voici M. Dupuytren qui perd ses Heures!

– Mais qui ne perd pas son temps! murmura le duc de Maillé.

Le mot est joli, mais ne paraît point réellement avoir été prononcé, parce que l'occasion n'en fut point donnée par Dupuytren, qui témoigna d'une façon dure, brutale même, son indignation à la personne qui la première, d'après ce qu'il croyait, avait mis en circulation cette petite calomnie. Appelé par cette dame, la duchesse de ***, auprès du lit de sa fille, gravement malade, il entra dans la chambre sans paraître même s'apercevoir de la présence de la mère, sans répondre autrement que par un silence glacial à ses politesses empressées, examina la malade, fit son ordonnance, et sortit comme il était entré, en n'ayant pas l'air de voir la maîtresse de la maison dont les regards, plus encore que les paroles, trahissaient une si terrible anxiété.

Charles X, aussitôt après son avènement, parut empressé de dédommager Dupuytren des procédés de son frère, et tout d'abord il le nomma son premier chirurgien. Il usa également de sa haute influence pour écarter les obstacles qui empêchaient qu'il ne fût reçu à l'Institut où la mort de Percy laissait une place vacante. Dupuytren, pour qui les biographes en général se montrent sévères, prouva qu'il comprenait la reconnaissance et de la façon la plus large; car, après la Révolution de 1830, apprenant que le roi Charles X, dans l'exil, se trouvait à la veille de manquer d'argent, il lui écrivit spontanément:

«Sire, grâce en partie à vos bienfaits, je possède trois millions, je vous en offre un, je destine le second à ma fille, et je réserve le troisième pour mes vieux jours.»

M. Richerand, dans la Biographie universelle, nie d'un ton assez aigre ce trait si honorable pour son confrère: «En remontant à la source de cette anecdote, dit-il, on s'est bientôt convaincu qu'elle n'avait aucun fondement: c'était une de ces rumeurs adroitement propagées et qui n'étaient pas inutiles à sa renommée et à ses succès.»

Pourtant dans sa Notice publiée ultérieurement80, M. Malgaigne maintient le fait en s'appuyant du témoignage si considérable de M. Cruveilhier: «Dupuytren, dit-il, écrivit une lettre ainsi rapportée par M. Cruveilhier.» Or, on ne voit point que celui-ci ait démenti l'affirmation. On ne saurait d'ailleurs suspecter Malgaigne de partialité en faveur de Dupuytren, au contraire, car il dit de lui entre autres choses: «Pour réaliser ces idées de suprématie qu'il nourrissait dès sa jeunesse, il sacrifia son repos, sa santé, quelquefois jusqu'à son orgueil. Toute supériorité naissante lui était importune, et ses élèves les plus distingués étaient ceux dont il prenait le plus d'ombrage. Par ses jalousies, par ses noirceurs, il avait fini par éloigner tous ses amis, tous ses collègues; et comme nul ne se fiait plus à lui, il en vint à son tour à se méfier de tous. Il vit partout des ennemis et sous son toit domestique et dans la foule qui se pressait à ses leçons et dans les journaux qui les répétaient, et dans ceux qui ne les répétaient pas; et n'ayant personne à qui confier ni ses joies ni ses peines, il mena vraiment, au comble de la fortune et de la prospérité, la vie la plus misérable.»

Formidable exemple pour les ambitieux que celui de cet homme en apparence si favorisé de la fortune, riche à millions; ayant la gloire, ayant la célébrité plus grande qu'il ne l'avait rêvée, et avec tout cela malheureux, misérable, comme dit M. Malgaigne qui continue:

«Fier et hautain, il aimait qu'on pliât devant lui-même jusqu'à terre; et cependant par un contraste étrange, il réservait son estime aux caractères indépendants, alors même qu'il les écartait de son entourage, etc.» Il ne se peut guère un jugement plus sévère, et l'on en doit croire assurément l'écrivain dans ce qu'il dit de favorable à Dupuytren auquel comme homme, des biographes accordent davantage. Il faut lire à ce sujet ce que le recueil intitulé: Portraits et histoire des hommes utiles, nous apprend de sa bienveillance, de sa bonté vraiment singulière pour les enfants malades près desquels il oubliait ses brusqueries, laissant sa figure d'ordinaire dure, impassible, rigide, se détendre par le plus paternel des sourires. Au milieu d'eux il oubliait ses hauteurs, son amer dédain des hommes qui paraît avoir eu sa principale source dans ce désenchantement résultant de l'expérience, et aussi et davantage peut-être, dans ce triste scepticisme, dans cette misérable incrédulité, alors comme aujourd'hui trop peu rare chez des praticiens même éminents et qui n'en reste pas moins pour nous une aberration incompréhensible. Car, quoi! ne devraient-ils pas avoir toujours présente à l'esprit cette magnifique profession de foi de l'un des plus illustres patriarches de la science, qui, encore armé du scalpel, devant un cadavre dont le thorax et les flancs étaient ouverts, après avoir fait en quelque sorte toucher du doigt à ses nombreux élèves les merveilles de l'organisme, ne pouvait s'empêcher de s'écrier dans un élan de religieux enthousiasme:

«Ô Éternel, quel hymne je viens de chanter à ta gloire!»

Il ne pensait pas autrement, le savant Ambroise Paré, quand il disait à propos du duc de Guise, je crois: «Je le pansai, Dieu le guérit.»

On a peine vraiment à comprendre le médecin, le chirurgien, sceptique, impie, ou seulement indifférent, à moins que ce ne soit par un prodigieux aveuglement, suite de passions viles, ou de préjugés grossiers inculqués par cette première et inepte éducation qu'on reçoit trop souvent dans les colléges, les facultés, les cliniques et qui ne pouvait qu'être pire à l'époque où Dupuytren commença ses études, et après les avoir terminées, obtint ses diplômes. L'orgueil, la vanité aidant, et aussi la dévorante activité de cette vie qui ne permet guère le repos non plus que la réflexion au médecin en vogue, ses préjugés, son indifférence ou plutôt son hostilité persistèrent longtemps. Mais enfin, il vint un jour, il vint une heure, heure à jamais bénie, où d'autres pensées, des pensées pour lui bien nouvelles, bien inattendues, tout à coup étonnèrent, inquiétèrent ce grand esprit; des sentiments qu'il ne connaissait plus, qu'il n'avait jamais connus peut-être, firent soudain palpiter son cœur et dans des circonstances singulières et providentielles. Mais le fait a été si admirablement raconté par un illustre et à jamais regrettable orateur qu'il y aurait présomption à vouloir refaire ce récit où il semble en quelque sorte s'être surpassé lui-même. Je me trouve trop heureux de pouvoir le reproduire tout au long en remettant sous les yeux du lecteur qui m'en saura gré ces pages incomparables. Mon humble prose ne gagnera pas sans doute à pareil voisinage, mais qu'importe!

«Notre âge se rappelle encore la célébrité dont jouissait, il y a un quart de siècle, un homme qui avait porté dans les œuvres de la chirurgie une intrépidité d'âme aussi rare que la précision de sa main. Cet homme, déjà vieux, vit entrer dans son cabinet une figure simple, grave et douce, qu'il reconnut aisément pour un curé de campagne. Après l'avoir entendu et examiné quelques instants, il lui dit d'un ton brusque qui lui était naturel:

» – Monsieur le curé, avec cela on meurt.

» – Monsieur le docteur, répondit le curé, vous eussiez pu me dire la vérité avec plus de ménagement; car bien qu'avancé dans la vie, il y a des hommes de mon âge qui craignent de mourir. Mais en quelque manière qu'elle soit dite, la vérité est toujours précieuse, et je vous remercie de ne me l'avoir pas cachée.» Puis posant sur la table une pièce de cinq francs préparée d'avance, il ajouta: «Je suis honteux plus que je ne puis le dire de si mal témoigner ma reconnaissance à un homme comme monsieur le docteur Dupuytren: mais je suis pauvre, et il y a bien des pauvres dans ma paroisse; je retourne mourir au milieu d'eux.»

»Cet accent parvint au cœur de l'homme que le cri de la douleur n'avait jamais troublé; il se sentit aux prises avec lui-même; et courant après le vieillard qu'il avait repoussé d'abord, il le rappela du haut de sa porte et lui offrit son secours. L'opération eut lieu. Elle touchait aux organes les plus délicats de la vie; elle fut longue et douloureuse. Mais le patient la supporta avec une sérénité de visage inaltérable, et comme l'opérateur étonné lui demandait s'il n'avait rien senti:

» – J'ai souffert, répondit-il, mais je pensais à quelque chose qui m'a fait du bien.

»Il ne voulait pas lui dire: J'ai pensé à Jésus-Christ, mon Maître et mon Dieu crucifié pour moi; il eût craint de blesser peut-être l'incroyance de son bienfaiteur, et retenant sa foi sous le voile de la plus aimable modestie, il lui disait seulement: J'ai pensé à quelque chose qui m'a fait du bien. À plusieurs mois de là, par un grand jour d'été, le docteur Dupuytren se trouvait à l'Hôtel-Dieu, entouré de ses élèves à l'heure de son service. Il vit venir de loin le vieux prêtre, suant et poudreux, comme un homme qui a fait à pied un long chemin et tenant à son bras un lourd panier.

» – Monsieur le docteur, lui dit le vieillard, je suis le pauvre curé de campagne que vous avez opéré et guéri il y a déjà bien des semaines; jamais je n'ai joui d'une santé plus solide qu'aujourd'hui, et j'ai voulu vous en donner la preuve en vous apportant moi-même des fruits de mon jardin que je vous prie d'accepter en souvenir d'une cure merveilleuse que vous avez faite et d'une bonne action dont Dieu vous est redevable en ma personne.» «Dupuytren prit la main du vieillard; c'était la troisième fois que le même homme l'avait ému jusqu'au fond des entrailles.»

Dès lors, il n'est point douteux que des pensées d'un ordre tout nouveau préoccupèrent souvent l'illustre docteur encore que son caractère ombrageux, concentré, ait retenu toujours peut-être sur ses lèvres le cri de son angoisse intérieure, l'aveu poignant de ses troubles secrets, de ses doutes, de ses perplexités, qui devaient faire explosion, à la grande stupeur de beaucoup de ses contemporains, par un acte de foi solennel autant que sincère. Voici dans quelles circonstances: atteint d'une pleurésie latente, il ne put douter bientôt, à de certains symptômes, que son état ne fût des plus graves. «On lui proposa la ponction; il accepta d'abord, dit M. Malgaigne, et finit par refuser.

» – Que ferai-je de la vie? disait-il, la coupe en a été si amère pour moi!

»Il se regarda donc mourir, conservant la plénitude de son intelligence jusqu'au dernier moment. La veille même de sa mort, il se fit lire le journal:

» – Voulant disait-il, porter là-haut des nouvelles de ce monde. Il expira le 8 janvier 1835, à trois heures du matin.»

Rien de plus dans le récit du docteur. Mais grâce à Dieu, d'après les témoignages les plus authentiques, la mort de Dupuytren n'eut point ce caractère froidement stoïque, sceptique, et les plus précieuses des consolations ne manquèrent pas à son agonie. Écoutons encore le grand orateur.

«Enfin, cet homme illustre, le docteur Dupuytren, se trouva lui-même sur son lit de mort, et du regard dont il avait jugé le péril de tant d'autres, il connut le sien. Cette heure le trouva ferme; il avait eut trop de gloire pour regretter la terre et se méprendre sur son néant. Mais la révélation du peu qu'est la vie ne suffit pas pour éclairer l'âme sur sa destinée, et peut-être est-elle le plus grave péril de l'orgueil aux prises avec la mort. Il faut, à ce moment suprême, reconnaître également la misère et la grandeur de l'homme, et si le génie peut de lui-même s'élever jusqu'à sentir sa misère, il ne peut pas en même temps sentir sa grandeur. Ce double secret ne s'unit et ne se manifeste à la fois que dans une clarté qui vient de plus haut que la gloire. Dupuytren la vit venir. En roulant dans les replis de sa mémoire le spectacle des choses auxquelles il avait assisté, parmi tant de figures qui s'abaissaient sous son dernier regard, il en était une qui grandissait toujours, et dont la simplicité pleine de grâce lui rappelait des sentiments qu'il n'avait éprouvés que par elle. Le vieux curé de campagne était demeuré présent à son âme, et il en recevait, dans ce vestibule étroit de la mort, une constante et douce apparition. Messieurs, je ne vous dirai pas le reste: Dupuytren touchait aux abîmes de la vérité, et pour y descendre vivant, il n'avait plus qu'à tomber dans les bras d'un ami. C'est le don que Dieu a fait aux hommes depuis le jour où il leur a tendu les mains du haut de la croix, le don de recevoir la vie d'une âme qui la possède avant nous et qui la verse dans la nôtre parce qu'elle nous aime. Dupuytren eut ce bonheur. Au terme d'une mémorable carrière, il connut qu'il y avait quelque chose de plus heureux que le succès et de plus grand que la gloire: la certitude d'avoir un Dieu pour père, une âme capable de le connaître et de l'aimer, un Rédempteur qui a donné son sang pour nous, et enfin la joie de mourir éternellement réconcilié avec la vérité, la justice et la paix. Messieurs, la Providence gouverne le monde, et son premier ministre vous venez de l'apprendre, c'est la vertu81

Dans un petit volume où vu son titre82 comme la table des chapitres et aussi le nom de l'auteur, je ne m'attendais certes pas à rencontrer de telles pages, j'ai lu tout un récit ayant pour titre: La mort de Dupuytren. Là se trouvent les détails les plus curieux relatifs soit à la fameuse opération qui sauva la vie au bon curé, soit aux derniers moments du célèbre chirurgien. Ils offrent, par leur caractère de précision, un commentaire intéressant qui complète dans ce qu'il a d'un peu vague, vers la fin, l'admirable récit du père Lacordaire. Aussi quelques citations ne déplairont pas au lecteur. Voici d'abord ce qui a trait à l'opération:

«La maladie était un abcès de la glande sous-maxillaire compliqué d'un anévrisme de l'artère carotide. La plaie était gangrenée en plusieurs endroits… Dupuytren taillait et tranchait avec le couteau et les ciseaux; ses pinces d'acier sondaient le fond de la plaie et ramenaient des fibres qu'il tordait et qu'il attachait ensuite. Puis la scie enleva en grinçant des fragments cariés du maxillaire inférieur. Les éponges, pressées à chaque instant, rendaient le sang qui coulait à flots. L'opération dura vingt-cinq minutes. L'abbé ne fronça pas le sourcil, mais il était un peu pâle.

« – Je crois que tout ira bien, lui dit amicalement Dupuytren. Avez-vous beaucoup souffert?

« – J'ai tâché de penser à autre chose, répondit le prêtre.»

«…Chaque matin, lorsque Dupuytren arrivait, par une étrange infraction à ses habitudes, il passait les premiers lits et commençait la visite par son malade favori. Plus tard, lorsque celui-ci put se lever et faire quelques pas, Dupuytren, la clinique achevée, allait à lui, prenait son bras sous le sien, et harmonisant son pas avec celui du convalescent, faisait avec lui un tour de salle. Pour qui connaissait l'insouciante dureté avec laquelle Dupuytren traitait habituellement ses malades, ce changement était inexplicable.»

Plus inexplicable ou plus admirable, alors que, quelques pages plus haut, l'auteur nous dit: «Poussant jusqu'aux dernières limites ses doctrines de positivisme, Dupuytren s'acharna avec la plus excessive ténacité contre ce qu'il appelait les utopies spéculatives (religieuses), chaque fois qu'il trouva à les combattre sous quelque forme que ce fût. Par degrés son antipathie devint de l'exécration.»

79.Roville.
80.Biographie nouvelle, 1858.
81.Lacordaire: Conférences de Notre-Dame.
82.Quand j'étais étudiant: in-18, par Nadar.