Kitabı oku: «Les rues de Paris, Tome Premier», sayfa 21
III
Maintenant avant de terminer, quelques détails biographiques qui complèteront notre travail.
François de Salignac de Lamotte-Fénelon, d'une famille ancienne et illustre, naquit au château de Fénelon, en Périgord (6 août 1651). C'est là qu'il fut élevé sous les yeux de son père également vertueux et instruit et qui ne se sépara pas sans quelque regret de l'enfant ou plutôt de l'adolescent; car celui-ci avait quinze ans lorsqu'il fut envoyé à Paris qu'habitait son oncle, le marquis de Fénelon, pour achever ses études philosophiques et commencer le cours de théologie conformément à sa vocation. Mais l'oncle du jeune Salignac, après l'avoir gardé quelque temps dans son hôtel, craignit pour lui les séductions ou tout au moins les distractions du monde, et il crut prudent de le faire entrer au séminaire de Saint Sulpice, dirigé alors par le savant et vertueux M. Tronson. Fénelon, dans cette sainte retraite, employa les belles années de sa jeunesse aux études théologiques les plus sérieuses et par sa piété comme par son savoir il se montra digne au bout de quelques années de recevoir les ordres sacrés. Dans la ferveur de son zèle, il voulait d'abord se consacrer aux missions lointaines, mais contrarié dans ce dessein par la faiblesse de sa santé comme par l'opposition de sa famille, il se dévoua à un apostolat plus modeste mais non moins utile, l'instruction des Nouvelles Catholiques ou protestantes converties. Les dix années, consacrées par lui à cet obscur ministère, le préparèrent à la composition de son premier ouvrage: de l'Éducation des Filles, destiné à la duchesse de Beauvilliers, mère d'une famille nombreuse, et femme du duc de Beauvilliers, devenu l'intime ami de Fénelon.
Aussi lorsque en 1689, de Beauvilliers, par les conseils et l'influence de Madame de Maintenon, eut été nommé gouverneur du duc de Bourgogne, fils du Dauphin et petit fils de Louis XIV, il proposa et fit agréer comme précepteur l'abbé de Fénelon. Grâce aux soins assidus et au zèle éclairé de ces deux vertueux amis, secondés par des hommes de bien, choisis par eux, le jeune prince, dont le tempérament violent, les passions précoces, l'orgueil en particulier de bonne heure étrangement développé, pouvaient faire tout craindre, devint par degrés moins indomptable, et après quelques années, étonnant la cour par ses vertus, il promettait dans l'avenir un roi modèle. Au témoignage des contemporains et de Saint-Simon en particulier, la transformation tenait du miracle, et jamais on ne vit mieux qu'en cette circonstance l'influence de l'éducation, d'une éducation forte et chrétienne, sur la nature la plus rebelle.
Après les cinq années qu'il avait passées près du jeune prince, Fénelon fut nommé à l'archevêché de Cambrai (1694). Ce choix, tout spontané de la part du roi, prouvait le cas qu'il faisait du précepteur pour lequel d'ailleurs il se sentait plus d'estime que de sympathie. On a dit que les grandes manières de Fénelon, la supériorité de son génie, mises en relief par une élocution facile et brillante, gênaient Louis XIV qui, dans la conversation, s'étonnait qu'on eût un avis trop différent du sien et qu'on ne lui laissât pas toujours l'honneur du premier rôle. Nous doutons que cette explication soit la vraie: ne faudrait-il pas plutôt attribuer les sentiments du roi, sa froideur persévérante qui devint de l'antipathie, à une autre cause, à certain passage d'une lettre écrite, paraît-il, à Madame de Maintenon et dans laquelle, par une regrettable exagération, Fénelon allait jusqu'à dire «qu'il (le Roi) n'avait aucune idée de ses devoirs.» Ce jugement, qui semblait si dur, excessif dans sa forme brève et absolue, dut choquer horriblement Louis XIV, et sans l'excuser, on comprend qu'une telle parole ait eu peine à s'effacer de son souvenir.
Par malheur, comme nous l'avons dit plus haut, l'affaire du Quiétisme, les ménagements de l'évêque de Cambrai pour Madame Guyon et enfin la publication du livre des Maximes des Saints, dénoncé avec tant de véhémence par Bossuet comme la quintessence de l'hérésie, ajoutèrent coup sur coup aux préventions du roi que l'apparition du Télémaque, bientôt après, acheva d'irriter. De ce jour la disgrâce de Fénelon fut complète et sans nul espoir de retour, d'autant plus que Madame de Maintenon, autrefois son amie, n'avait pas été la dernière à l'abandonner. Fénelon souffrit de tout cela, mais surtout de se voir éloigné et presque séparé de son élève le duc de Bourgogne qui le récompensait de son dévouement par une affection tendrement filiale. Au milieu de ces tribulations déjà si pénibles, il eut à supporter une épreuve encore d'un autre genre mais cruelle aussi. Son palais épiscopal devint la proie des flammes et, dans l'incendie, Fénelon perdit sa bibliothèque, ses nombreux manuscrits et des papiers précieux. Admirable pourtant fut sa résignation et aux compliments de condoléance de ses amis, il se contenta de répondre:
«Il vaut mieux que le feu ait pris à ma maison qu'à celle d'un pauvre laboureur.»
Cette parole était digne de celui qu'on voyait dans son zèle apostolique si plein de condescendance et de sollicitude pour les faibles et les petits et qui s'en allait courir les champs, pendant toute une nuit, pour aider un brave paysan à retrouver sa vache égarée. Touchant épisode qui a si heureusement inspiré la muse d'Andrieux!
La charité de Fénelon eut à s'exercer sur un plus vaste théâtre. «Les malheurs de la guerre, dit Villemain, d'après le cardinal de Beausset, amenèrent les troupes ennemies dans le diocèse de Cambrai: ce fut, pour le saint évêque, l'occasion d'efforts et de sacrifices nouveaux. Sa sagesse, sa fermeté, la noblesse de son langage inspiraient aux généraux ennemis un respect salutaire aux malheureuses provinces de Flandre. Eugène était digne d'entendre la voix du grand homme dont il connaissait et admirait le génie.»
Pendant le désastreux hiver de 1709, Fénelon trouvait de nouvelles ressources pour nourrir l'armée française en même temps qu'il faisait de son palais un hôpital pour les malades et les blessés.
Ce zèle patriotique et chrétien fut apprécié de Louis XIV qui n'en conserva pas moins contre le prélat ses préventions devenues incurables. Vers cette même époque cependant, vu l'âge avancé du roi, une catastrophe imprévue pouvait faire espérer à Fénelon un autre et meilleur avenir. Le grand Dauphin mourut, et son fils, le duc de Bourgogne, l'élève de Beauvilliers et de Fénelon, «se vit tout à coup rapproché du trône et du roi dont il était le confident et l'appui.» C'est alors que l'archevêque de Cambrai, dans la joie d'entrevoir la réalisation possible de ses espérances, écrit à St-Simon ces graves paroles qui résument en peu de mots tous les devoirs de la royauté: «Il ne faut pas que tous soient à un seul; mais un seul doit être à tous pour faire leur bonheur.»
Le duc de Bourgogne, devenu roi, aurait-il répondu à l'attente de ses généreux amis, et, avec les intentions les meilleures et de hautes vertus, devait-il triompher de cette timidité et de cette indécision, venant du scrupule, qui l'avaient fait échouer comme général à la tête de l'armée? Dieu le sait qui ne permit pas que se fit l'expérience! Car, peu de temps après, le jeune prince succomba presque subitement aux atteintes d'une maladie dont sa femme, la princesse de Savoie, fut également victime.
La douleur de Fénelon fut profonde et de celles pour lesquelles il n'est point de consolations humaines; car il aimait le prince non pas seulement comme son élève, j'allais dire son enfant, mais avec toute l'ardeur de son patriotisme intelligent dont témoignent ses divers mémoires au duc de Beauvilliers et ses écrits politiques. Puis coup sur coup, il se voyait enlever par la mort ses amis les plus chers, ce qui lui faisait écrire avec désolation: «Je ne vis plus que d'amitié et ce sera l'amitié qui me fera mourir.»
Parole prophétique, car la mort du duc de Beauvilliers, arrivée sur ces entrefaites, acheva de briser son cœur et, quatre mois après, Fénelon, que rien ne rattachait plus à la terre, allait rejoindre au ciel tous ceux qu'il avait aimés. «Sa mort comme sa vie fut celle d'un grand et vertueux évêque, dit Villemain qui ajoute: Quoique Fénelon ait beaucoup écrit, il ne paraît jamais chercher la gloire d'auteur; tous ses ouvrages furent inspirés par les devoirs de son état, par ses malheurs et ceux de sa patrie. La plupart échappèrent à son insu de ses mains et ne furent connus qu'après sa mort… On peut remarquer, d'après ses lettres au duc de Bourgogne et la sévérité de ses jugements sur quelques généraux, que Fénelon avait beaucoup de douceur dans le caractère et beaucoup de domination dans l'esprit. Ses idées étaient absolues et décisives, habitude qui semble tenir à la promptitude et à la force de l'esprit.»
Cette tendance a dû contribuer à l'éloignement de Louis XIV pour Fénelon et n'était pas faite pour rapprocher de lui Bossuet, génie dominateur et inflexible, avec des formes moins conciliantes.
Un contemporain de Fénelon, un maître dans l'art de peindre avec la plume, nous a laissé de l'illustre prélat un portrait remarquable par la vigueur comme par la délicatesse de la touche, et d'autant plus intéressant pour nous que le peintre, on le sait, assez peu des amis de Fénelon, ne cherchait point à flatter son modèle: «Ce prélat était un grand homme maigre, bien fait, avec un grand nez, des yeux d'où le feu et l'esprit sortaient comme un torrent et une physionomie telle que je n'en ai jamais vu qui lui ressemblât, et qui ne pouvait s'oublier quand on ne l'aurait vue qu'une fois; elle rassemblait tout, et les contraires ne s'y combattaient point; elle avait de la gravité et de l'agrément, du sérieux de la gaîté, elle sentait également le docteur, l'évêque et le grand seigneur. Tout ce qui y surnageait, ainsi que dans toute sa personne, c'était la finesse, l'esprit, les grâces, la douceur et surtout la noblesse: il fallait faire effort pour cesser de le regarder. Tous ses portraits sont parlants, sans toutefois avoir pu attraper la justesse de l'harmonie qui frappait dans l'original, et la délicatesse de chaque caractère que ce visage rassemblait; ses manières y répondaient dans la même proportion avec une aisance qui en donnait aux autres, et cet air et ce bon goût, qu'on ne tient que de l'usage de la meilleure compagnie et du grand monde, qui se trouvait répandu de soi-même dans toutes ses conversations.» (Saint-Simon).
NICOLAS FLAMEL
«Flamel l'aîné, écrivain, qui faisait tant d'aumônes et hospitalités, et fit plusieurs maisons où gens de métiers demeuraient en bas, et du loyer qu'ils payaient étaient soutenus pauvres laboureurs en haut.»
Voilà ce qu'un auteur à peu près contemporain, Guillebert de Metz, qui écrivait vers 1430, nous dit de ce personnage singulier, «complexe, comme s'exprime M. Vallet de Viriville, et qui par un côté appartient à la biographie et par l'autre touche au roman et à la légende.»
On n'est fixé ni sur le lieu ni sur la date de sa naissance, qui, selon toute probabilité et par induction, d'après des faits authentiques, ne saurait remonter au-delà de 1330. Ce qui n'est pas douteux, c'est que Flamel exerça de bonne heure la profession d'écrivain-libraire, laquelle, avant la découverte de l'imprimerie, regardée comme une profession libérale, ne donnait pas moins de considération que de profit. La calligraphie, à cette époque, était à son apogée; le roi (Charles V) et ses frères, Jean, duc de Berry, et Philippe, duc de Bourgogne, ainsi que leur neveu, Louis, duc d'Orléans, faisaient exécuter à l'envi ces magnifiques manuscrits qui sont encore de nos jours l'ornement de nos plus riches bibliothèques. Les docteurs si nombreux de l'Université, d'autre part, multipliaient avec non moins de zèle les livres originaux.
Flamel qui, paraît-il, exerçait sa profession plutôt en commerçant, en industriel, qu'en artiste, visant surtout à l'utile, se trouvait déjà dans une position fort satisfaisante, lorsqu'il épousa, par intérêt, sans doute, autant que par amour, une bourgeoise de Paris, la dame Pernelle, deux fois veuve, et qui, possédant quelque bien, accrut l'actif de la communauté, tant par son apport que par ses talents de ménagère, sobre, laborieuse, active, économe, le modèle du genre en un mot.
Les époux habitaient d'abord deux modestes échoppes d'écrivain adossées à l'église Saint-Jacques-la-Boucherie. Ces échoppes, rebâties et agrandies, devinrent des maisons, et vis-à-vis, sur un terrain vague acheté par l'écrivain-juré, s'éleva une autre maison plus grande, un véritable hostel tout enrichi au dehors d'histoires (sculptures) et devises peintes ou gravées. Dans cet hostel, en sa qualité de calligraphe agrégé et émérite, Me Flamel instruisait dans son art des écoliers externes; d'autres y demeuraient en bourse, c'est-à-dire comme pensionnaires. L'argent ainsi lui venait de tous les côtés à la fois, car les manuscrits, copiés par ses élèves les plus habiles, tout probablement se vendaient à son profit, au moins pour une partie. Riches de plus en plus, les deux époux s'honorèrent d'ailleurs par le bon emploi de leur fortune, en faisant construire une arcade au charnier ou cimetière des Innocents, ainsi que le petit portail de l'église en face de leur maison.
Quelques années après, Flamel devenu veuf, et qui avait hérité de sa femme, les époux s'étant fait donation mutuelle, était réputé le bourgeois le plus riche de Paris, et cette fortune considérable il ne cessait de l'accroître par son industrie. Il continuait aussi ses libéralités dont le sentiment religieux paraît avoir été le premier, le principal, sinon le seul mobile. Il fit élever une seconde arcade au charnier des Innocents, aida à la construction de nombreuses églises, monastères, maisons de charité, etc., et fit don en outre de dix-neuf calices aux églises ou chapelles. Sans doute un peu de vanité se mêlait à tout cela puisque sur tous ces calices on voyait son chiffre, en même temps que, sur la plupart des monuments, il avait soin de se faire représenter en image ou statue, ainsi que feue Pernelle, son épouse. Mais on ne peut douter cependant, qu'à part quelque ostentation peut-être, la piété, comme nous l'avons dit, ne fût son grand mobile; cette conviction résulte en particulier pour nous de la lecture de son remarquable testament, commençant ainsi:
«Par devant, etc… a comparu, Nicolas Flamel, sain de corps et pensée, bien parlant et de bon et vrai entendement, et comme il disait et comme de prime face apparaît, attendant et sagement considérant qu'il n'est chose plus certaine que la mort, ni chose moins certaine que l'heure d'icelle, et pour ce que, en la fin de ses jours, il ne fit et ne soit trouvé importunité sur ce, non voulant de ce siècle trépasser en l'autre intestat, pensant aux choses celestiaux et pendant que sens et raison gouvernent sa pensée; désirant pourvoir au salut et remède de son âme, fit, ordonna et avisa son testament ou ordonnance de dernière volonté, au nom de la glorieuse trinité du Père, du Fils, et du Saint-Esprit, etc.»
Suivent les dispositions testamentaires qui sont toutes relatives à des legs pieux et fondations, et ne contiennent pas moins de seize pages petit texte dans le livre de Piganiol de la Force87, où le testament est cité textuellement et tout au long. Nous savons par là le chiffre de la fortune de N. Flamel, chiffre que la rumeur populaire avait singulièrement exagéré. En effet, «tous les legs désignés pour une fois payés, dit l'abbé Vilain, se réduisent à 1,440 livres parisis ou 1,800 livres tournois, somme qui dans ce temps-ci serait représentée par celle de 12,234 livres 15 sols, et somme qui ne fut payée qu'en sept ans. Quant aux fondations perpétuelles, il resta pour leur acquit à peine 300 livres parisis de rente.»
Il y a loin de là, sans doute, à l'énorme richesse que la crédulité populaire attribuait à Nicolas Flamel et dont la source, au dire de tous ou de la plupart, ne pouvait être qu'étrange et mystérieuse. Cette réputation, non seulement survécut à Flamel, mais elle ne fit que s'accroître et pendant longtemps, plus de deux siècles après, même les érudits et les autres discutaient sur l'origine de cette fortune, attribuée par les uns à la découverte d'un trésor caché, par d'autres à celle de la pierre philosophale ou transmutation des métaux d'or pur. Cette opinion même prévalut, appuyée qu'elle était de passages significatifs tirés d'un petit livre sur la science hermétique qu'on disait, mais à tort, écrit par Flamel. Nous voyons qu'en 1742, un écrivain, homme de sens et de mérite, Piganiol de la Force, incline à ce sentiment insinué sinon formulé dans son second volume, quoique plus tard ébranlé, ainsi qu'il l'avoue, par la publication du savant ouvrage de l'abbé Vilain: Histoire critique de Nicolas Flamel, etc., il paraisse hésitant et même tout près de se rétracter: «Ce judicieux auteur (l'abbé Vilain), écrit Piganiol, a fait voir par un inventaire très-exact de tout ce que Flamel a eu de biens, que ce prétendu philosophe ne jouissait pas d'une fortune aussi immense que le veulent les alchimistes, et que les dépenses qu'on lui attribue n'étaient pas aussi considérables pour être au-dessus des facultés d'un écrivain (calligraphe) qui était fort occupé dans sa profession et qui, par conséquent, gagnait beaucoup.»
C'est l'opinion, aujourd'hui généralement adoptée et que formulait récemment M. Vallet de Viriville: «L'idée qu'on se fait, d'après ces renseignements authentiques, au sujet de Nicolas Flamel, n'est déjà plus celle d'un bourgeois vulgaire. On y voit: un homme sagace, habile au gain, amoureux de sa renommée, imitant la dévote et vaniteuse ostentation des princes de son temps, mais mêlant à ces travers le zèle du bien, du juste et de l'utile.»
Flamel mourut en 1418; il fut enterré dans l'intérieur de l'église Saint-Jacques-la-Boucherie, à laquelle (n'ayant point d'enfants), il avait légué la meilleure part de sa fortune.
En outre des constructions, dont nous avons parlé, Flamel, ayant acquis du prieuré de Saint-Martin-des-Champs, dans le faubourg, un grand terrain, «fit construire en ce lieu, dit M. de Viriville, divers édifices d'un caractère mixte; c'étaient à la fois des institutions utiles, des maisons de rapport et des établissements de charité.» Le produit des locations du rez-de-chaussée, notamment, servait à l'entretien de pauvres laboureurs auxquels l'âge ne permettait plus le travail et qui se trouvaient logés à l'étage supérieur. En récompense de cette charité, on ne leur demandait que de réciter tous les jours un Pater et un Ave Maria à l'intention des pécheurs trépassés. Aussi, sur la façade de la principale maison, dite du Grand Pignon, qui subsiste encore rue Montmorency, 51, on lisait en gros caractère cette inscription véritablement touchante:
«Nous, hommes et femmes, laboureurs demeurans ou porche (sur le devant) de ceste maison, qui fut faicte en l'an de grâce mil quatre cens et sept (1407), sommes tenus, chascun en droit soy, dire tous les jours une patenostre et j. Ave Maria en priant Dieu que de sa grâce face pardon aus povres pecheurs trespassez. Amen.»
LA FONTAINE (JEAN DE)
I
Papillon du Parnasse et semblable aux abeilles,
À qui le bon Platon compare nos merveilles,
Je suis chose légère et vole à tout sujet:
Je vais de fleur en fleur et d'objet en objet;
À beaucoup de plaisirs je mêle un peu de gloire.88
A dit La Fontaine de lui-même. Et ailleurs:
J'aime le jeu, l'amour, les livres, la musique,
La ville et la campagne, enfin tout; il n'est rien
Qui ne soit souverain bien,
Jusqu'au sombre plaisir d'un cœur mélancolique89.
Tel fut en effet notre poète quoique d'abord des pensées très différentes aient paru le préoccuper. Né à Château-Thierry (Marne), le 8 juillet 1621, à l'âge de dix-neuf ans, il se crut appelé à la vie religieuse, et voulut entrer à l'Oratoire. Mais, après un séjour de dix-huit mois dans la maison, il reconnut qu'il se trompait sur sa vocation et rentra dans le monde. Son père, qui exerçait à Château-Thierry la charge de maître particulier des eaux et forêts, lui céda son emploi en le mariant avec Marie Héricart, fille d'un lieutenant au baillage de la Ferté-Milon, personne qui joignait à la beauté beaucoup d'esprit90. D'après ce qu'affirment les biographes, La Fontaine, n'eut pour ainsi dire point de part à ces deux engagements: on les exigea de lui, et il s'y soumit plutôt par indolence que par goût. Aussi n'exerça-t-il sa charge pendant plus de vingt ans qu'avec indifférence.
Et cette indifférence s'accrut avec le goût de plus en plus vif pour la poésie qu'avait éveillé chez La Fontaine, dit-on, l'audition d'une pièce de vers de Malherbe, déclamée avec emphase par un officier en garnison à Château-Thierry. Cette lecture provoqua chez lui une véritable explosion d'enthousiasme. Non-seulement il lut et relut les vers de Malherbe; mais il les apprit par cœur et s'efforça dans ses premiers essais de l'imiter. «Par bonheur, d'utiles conseils lui ouvrirent les yeux, et l'un de ses parents nommé Pintrel, dit Montenault, homme de bon sens qui n'était point sans goût, mit entre ses mains Horace, Virgile, Térence, Quintilien, comme les vraies sources du bon goût et de l'art d'écrire… À ces livres, La Fontaine joignit ensuite la lecture de Rabelais, Marot, Boccace, l'Arioste.» Pour ces derniers il eût pu mieux choisir et l'influence pernicieuse que ces lectures exercèrent sur le poète n'est que trop visible dans certains de ses ouvrages.
C'est à peu près vers cette époque qu'il faut placer un évènement raconté par les contemporains, Louis Racine, d'Olivet, etc et qui prouve, avec la bonhomie originale de La Fontaine, l'influence toute puissante de cet absurde préjugé du faux point d'honneur qui, à cette époque et sous le règne précédent surtout, fit tant de victimes. Dans la circonstance par bonheur, il n'y eut pas de sang répandu, et la querelle finit par un déjeuner où les amis, le verre en main, fêtèrent la réconciliation.
Le poète était fort lié avec un ancien capitaine de dragons retiré à Château-Thierry, nommé Poignant, homme franc et loyal, et déjà plus jeune. Tout le temps que Poignant n'était pas au cabaret, il le passait chez La Fontaine, et par conséquent, en l'absence de celui-ci, auprès de sa femme.
«Comment, lui dit un voisin médisant, souffres-tu que le capitaine s'installe ainsi chez toi chaque jour?
– Et pourquoi n'y viendrait-il pas? répond La Fontaine, c'est mon meilleur ami.
– Ce n'est pas ce que dit le public; on prétend qu'il ne va chez toi que pour madame de La Fontaine.
– Sottises! mais d'ailleurs que puis-je faire à cela?
– Demander satisfaction l'épée à la main pour le tort qui t'est fait dans l'opinion.
– J'aviserai, dit La Fontaine.
Le lendemain, dès quatre heures du matin, il frappait chez Poignant qu'il réveille.
– Lève-toi vite, dit-il, et sortons ensemble pour une affaire importante.
– Laquelle? demande Poignant.
– Tu le sauras, répond La Fontaine, quand nous serons dehors.
Poignant, assez surpris, se lève, s'habille et suit La Fontaine qui, après l'avoir conduit dans un lieu écarté, lui dit de l'air le plus tranquille:
– Mon ami, il faut nous battre.
– Comment! qu'est-ce que cela veut dire? répond Poignant de plus en plus étonné. Entre nous d'ailleurs la partie n'est pas égale; je suis, un vieux soldat et toi tu n'as jamais tiré l'épée.
– N'importe, le public veut que je me batte avec toi; ainsi en garde.
Bon gré, mal gré alors, Poignant tire son épée, et dès les premières passes, il fait sauter à dix pas celle de La Fontaine. Alors l'ayant désarmé, il lui demande l'explication de sa conduite et La Fontaine s'empresse de le satisfaire.
– Ce sont propos absurdes! dit alors Poignant, et mon âge, mon humeur, comme l'estime que j'ai pour ta femme, l'amitié que j'ai pour toi devaient écarter toute inquiétude, mais puisqu'il est ainsi je proteste que je ne mettrai plus les pieds dans ta maison.
– Au contraire, répond La Fontaine en lui serrant la main, j'ai fait ce que le public voulait; maintenant je veux que tu viennes chez moi tous les jours sans quoi nous nous battrons encore.»
La Fontaine, venu à Paris en 1654, fut présenté par un de ses parents, Jannart, oncle de sa femme et favori de Fouquet, au surintendant des finances alors tout puissant. Fouquet, qui par goût et sans doute aussi par calcul, se plaisait au rôle de Mécène, fit au poète peu connu encore, une pension dont La Fontaine «tenait compte par une autre pension en vers qu'il lui payait exactement par quartier.» Lors de la disgrâce de Fouquet (1661), disgrâce méritée, La Fontaine auquel la reconnaissance faisait illusion, éleva généreusement la voix en faveur de son protecteur, et composa l'élégie intitulée aux Nymphes de Vaux, «alors, dit Walckenaer, toute l'animosité qui existait contre le surintendant se calma.» Jannart, enveloppé dans la disgrâce de Fouquet, fut exilé à Limoges et La Fontaine le suivit par dévouement pour son ami, disent les biographes; mais peut-être aussi par d'autres motifs, parce qu'il était peu pressé de retourner près de sa femme pour laquelle il s'était déjà refroidi sans avoir été jamais fort épris d'ailleurs. De Limoges, il lui écrit:
«Vous ne jouez ni ne travaillez, ni ne vous souciez du ménage, et hors le temps que vos bonnes amies vous donnent par charité, il n'y a que les romans qui vous divertissent. Considérez, je vous prie, l'utilité que ce vous serait si, en badinant, je vous avais accoutumée à l'histoire soit des lieux, soit des personnes; vous auriez de quoi vous désennuyer toute votre vie.»
Mais, outre que ces remontrances sont faites sur un ton assez peu affectueux, La Fontaine, dans cette même correspondance, par une étrange indiscrétion, fait à sa femme des confidences qui ne sont pas de nature à la flatter. Pendant son voyage, «il avait trouvé, dit-il, trois femmes dans la diligence: Parmi ces trois femmes, il y avait une Poitevine qui se qualifiait comtesse; elle paraissait assez jeune et de taille raisonnable, témoignait avoir de l'esprit; déguisait son nom et venait plaider en séparation contre son mari: toutes qualités d'un bon augure, et j'y eusse trouvé matière de cajolerie si la beauté s'y fût rencontrée; mais je vous défie de me faire trouver un grain de sel dans une personne à qui elle manque.»
Se peut-il rien de plus déplacé que ce langage? Mais il semble que La Fontaine n'en eût pas conscience, et ce même homme «le plus singulier qui peut-être ait existé» d'après Walckenaer, fait preuve, bientôt après, d'une sensibilité des plus touchantes. En passant à Amboise où Fouquet avait été renfermé d'abord, La Fontaine voulut voir la chambre qu'avait habitée le prisonnier; «triste plaisir, je vous le confesse, mais enfin je le demandai. Le soldat, qui nous conduisait, n'avait pas la clef; au défaut je fus longtemps à considérer la porte et me fis conter la manière dont le prisonnier était gardé. Je vous en ferais volontiers la description; mais ce souvenir est trop affligeant… Sans la nuit on n'eut jamais pu m'arracher de cet endroit.»
À son retour de Limoges, La Fontaine se rendit à Château-Thierry; il y retrouva la duchesse de Bouillon, Marie-Anne Mancini, nièce de Mazarin, à laquelle il avait été présenté naguère et qui devint dès lors une de ses plus zélées protectrices. «C'était, dit Walckenaer, une brune piquante, plus jolie que belle, vive et même un peu emportée, aimant les plaisirs et animant la conversation par une gaîté spirituelle et des saillies inattendues; elle avait un goût décidé pour la poésie et même elle faisait des vers. Le désir de lui plaire et d'amuser son imagination libre et badine lui inspira, dit-on, ses plus jolis contes, mais malheureusement aussi les plus licencieux.»
Qu'une femme et une jeune femme, appartenant à la société la plus élevée, ait pris plaisir à ces tristes produits de la verve libertine du poète et n'ait pas craint d'encourager, d'applaudir ce qu'elle eût dû avoir honte seulement d'écouter, c'est ce qu'on a peine à comprendre. Lorsque la duchesse de Bouillon revint à Paris, elle emmena avec elle La Fontaine qu'elle fit connaître aux membres de sa famille comme à plusieurs personnages importants. La même année (1665), le poète, âgé de 44 ans, publia son premier recueil de Contes et Nouvelles en vers où, quoi qu'on ait dit, le mérite de la forme, mérite fort exagéré, ne suffit pas à racheter l'indignité du fond.