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Kitabı oku: «Les Rues de Paris, tome troisième», sayfa 19

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Vosges (place des): Autrefois Place Royale, commencée eu 1604 par l'ordre de Henri IV, et terminée en 1612. Au milieu de la place ou plutôt du jardin, se voit une statue équestre de Louis XIII qui rappelle en partie celle que le cardinal de Richelieu fit ériger, le 27 septembre 1639, en l'honneur du roi. «Elle était élevée sur un piédestal de marbre blanc, dit Saint-Victor. Le prince y était représenté le casque en tête, vêtu à la romaine, retenant d'une main la bride de son cheval et étendant l'autre en signe de commandement.»

Sur les diverses faces du piédestal on lisait de longues inscriptions en français et en latin, et entre autres un curieux sonnet de Desmarets de Saint-Sorlin qui n'y fut gravé, il est juste de le dire, qu'après la mort du roi et de son ministre.

 
Que ne peut la vertu? Que ne peut le courage?
J'ai dompté pour jamais l'hérésie et son fort;
Du Tage impérieux j'ai fait trembler le bord,
Et du Rhin jusqu'à l'Ebre accru son héritage.
 
 
J'ai sauvé par mon bras l'Europe d'Esclavage;
Et si tant de travaux n'eussent hâté mon sort,
J'eusse attaqué l'Asie, et d'un pieux effort
J'eusse du saint Tombeau vengé le long servage.
 
 
Armand, le grand Armand, l'âme de mes exploits,
Porta de toutes parts mes armes et mes lois,
Et donna tout l'éclat aux rayons de ma gloire.
 
 
Enfin il m'éleva ce pompeux monument
Où, pour rendre à son nom mémoire pour mémoire,
Je veux qu'avec le mien il vive incessamment.
 

La grille qui entoure la place ne fut placée qu'en 1685. On la dut à la libéralité des propriétaires des 35 pavillons qui composent ce quadrilatère et qui souscrivirent chacun pour une somme de 1,000 livres. Au commencement de XIXe siècle, Saint-Victor écrivait: «Ces maisons, regardées naguère comme les plus grandes et les plus superbes de Paris, servaient autrefois de demeure à ce qu'il y avait de plus illustre à la cour et à la ville, elles sont aujourd'hui presque abandonnées ainsi qu'une partie de celles qui les environnent, ou du moins elles sont devenues l'asile de la médiocrité ou même de l'indigence.»

Il n'en est plus ainsi maintenant, et il ne faut pas être pauvre pour habiter même l'étage le plus élevé de l'un de ces pavillons.

W

Watt (rue de): James de Watt, né à Greenock en Écosse, le 19 juin 1736, mourut le 25 août 1819. «On l'a surnommé, dit un biographe, le Christophe Colomb de la mécanique.»

Watteau, (rue): Antoine Watteau, né à Valenciennes, en 1684, mourut à Paris en 1721. Le fameux connaisseur Mariette a dit de ce maître: «Quoique la vie de Watteau ait été fort courte, le grand nombre de ses ouvrages pouvait faire croire qu'elle aurait été très-longue, au lieu qu'il montre seulement qu'il était très-laborieux. En effet, ses heures même de récréation et de promenade ne se passaient point sans qu'ils étudiât la nature et qu'il la dessinât dans les situations où elle lui paraissait plus admirable.»

La nature cependant qu'il nous montre d'habitude est une nature toute de convention; Taillasson a donc eu raison de dire: «Il a surtout bien saisi l'esprit des hommes qui portaient ces costumes, leur gaîté de comédie, leur finesse recherchée, leur sensibilité de masque; se revêtant d'habits de bal, ils prenaient aussi une âme de bal; c'est cette âme que Watteau a parfaitement sentie.»

Waterloo (passage): Je comprends qu'à Londres, une rue, un passage, un pont, porte ce nom si pénible à des oreilles françaises, je ne le comprends pas à Paris.

X

Xaintrailles (rue): Bien placée entre la rue de Domrémy et la place Jeanne d'Arc.

Z

Zacharie (rue): S'appelait autrefois sac-à-lie.

Zouaves (sentier des): Conduit à Vanves et… à la gloire.

VARIA

HOSPICE DES ENFANTS TROUVÉS

Nous voyons dans les historiens que, de toute ancienneté «on avait senti la nécessité de créer un asile pour ces pauvres et innocentes victimes. Ce fut encore l'Église qui en donna les premiers exemples: l'Évêque et le chapitre de Notre-Dame destinèrent à cet usage une maison située au bas du port l'Évêque, et l'on mit dans l'église une espèce de berceau où l'on plaçait ces enfants pour exciter la pitié et la libéralité des fidèles, coutume qui s'est conservée jusqu'aux temps qui ont précédé la Révolution… Par un arrêt du 13 août 1552, le Parlement ordonna que les enfants seraient mis à l'hôpital de la Trinité, et que les seigneurs de Paris contribueraient d'une somme de 960 livres par an, répartie entre eux à proportion de l'étendue de leur justice.» (Saint-Victor.)

Malgré ce sage réglement, trop peu observé sans doute, par suite de nouveaux abus, la position des enfants redevint des plus fâcheuses. Le chapitre de Notre-Dame s'en émut et offrit derechef pour les recevoir deux maisons situées au port St-Landry et dans lesquelles ils furent transférés en 1530. Mais cet asile même devint bientôt insuffisant, et le nombre des enfants abandonnés, s'augmentant sans cesse, beaucoup se trouvaient dans un état qui fait frémir l'humanité; «et le détail qu'en donne l'auteur de la Vie de St-Vincent de Paul est si horrible qu'on serait tenté de le soupçonner d'exagération.»

Ce qu'on ne peut révoquer en doute, c'est le zèle admirable que déploya cet homme apostolique pour remédier aux abus et assurer, par un établissement fixe et durable, l'avenir des pauvres orphelins. On ne peut se rappeler, sans un attendrissement profond les paroles si naïvement éloquentes qu'il adressait aux dames dont il sollicitait le zèle et la charité en faveur de ces pauvres petits malheureux.

«Or sus, Mesdames, s'écria-t-il, voyez si vous voulez délaisser à votre tour ces petits innocents, dont vous êtes devenues les mères suivant la grâce, après qu'ils ont été abandonnés par leurs mères suivant la nature.»

«Les nobles et pieuses Françaises, dit St-Victor, ne répondirent à ce discours que par des sanglots; et le même jour, dans la même église, au même instant, l'hôpital des Enfants-Trouvés fut fondé et doté.»

L'asile fut d'abord établi dans une maison voisine de la porte St-Victor, puis dans le château de Bicêtre cédé à cet effet par la reine Anne d'Autriche. Mais l'air trop vif qu'on respirait dans une situation d'ailleurs assez éloignée de la ville, parut nuisible aux enfants ramenés dans l'intérieur, près de St-Lazare. Puis, leur nombre augmentant toujours, on fit choix, au faubourg St-Antoine, d'un local plus vaste avec ses dépendances et qui devint l'hôpital définitif. Une succursale avec chapelle fut en outre établie, vers 1672, vis-à-vis de l'Hôtel-Dieu.

Pour suffire aux dépenses de toute nature, la charité privée vint en aide; puis l'hospice eut des revenus fixes provenant d'une donation de 4,000 livres de rente annuelle faite par le roi Louis XIII et d'une autre donation de 8,000 livres due à Louis XIV. En outre, par un arrêt du parlement, la taxe à payer par les seigneurs haut-justiciers de Paris pour l'entretien des enfants recueillis dans leur ressort fut convertie en une rente annuelle de 15,000 livres réparties en proportion de l'étendue de fiefs. Dans l'hospice comme dans la succursale, les enfants étaient reçus en tout temps, à toutes les heures du jour et de la nuit, sans questions et sans formalité. «Ces pauvres orphelins, dit l'historien déjà cité, confiés aux sœurs de la charité, étaient élevés avec un soin paternel dans l'amour du travail et dans la piété; et on les y gardait jusqu'à ce qu'ils fussent en âge de faire leur première communion et d'apprendre un métier.»

Cet état de choses subsista jusqu'à la Révolution. On sait que maintenant l'hospice des Enfants-Trouvés, c'est-à-dire assistés, comme on l'appelle aujourd'hui, est établi rue d'Enfer, 74. Les bâtiments, occupés jadis par la succursale place du parvis Notre-Dame, servent de pharmacie centrale pour tous les hospices de Paris. Dans une autre aile sont installés les bureaux de l'administration de l'Assistance publique.

Lors des terribles évènements, dont Paris fut le théâtre, dans les derniers jours de mai dernier (1871), l'hospice des Enfants-Trouvés de la rue d'Enfer faillit lui aussi être la proie des flammes. Ici se place tout naturellement un admirable épisode:

Les insurgés s'étaient établis à l'hospice des Enfants-Trouvés de la rue d'Enfer. Voyant les troupes de Versailles dans Montrouge, les fédérés allaient incendier l'hospice, qui renferme ordinairement cinq cents enfants, et qui contenait en plus une division des Jeunes Aveugles qu'on y avait transportés. Le directeur de l'établissement, M. Morisot, avait dû se dérober par la fuite aux menaces de mort des envahisseurs. Sa noble femme, ayant entendu l'ordre de mettre le feu à l'hospice, se jeta courageusement au-devant du capitaine qui donnait cet ordre aux ambulancières de la Commune; elle le supplia avec larmes de ne pas commettre une telle barbarie et d'épargner d'innocentes victimes qui n'offraient aucune résistance et n'avaient ni armes ni défenseurs. «Ce sont vos enfants, s'écria-t-elle, les enfants du peuple que vous vouez sans raison à la mort la plus cruelle!» Ces généreuses paroles émurent le capitaine, qui retira l'ordre d'incendie.

Mais bientôt il paya de sa vie cet acte d'humanité: Mme Morisot le vit fusiller sur la barricade voisine. Effrayée de cet horrible spectacle et voyant d'ailleurs que la flamme qui consumait un couvent placé tout auprès menaçait de les envahir, elle rassembla à la hâte les sœurs et les employés de l'établissement: tous se décidèrent à fuir. Une petite porte du jardin donnait sur le boulevard, encore au pouvoir des troupes de la Commune, et, pour le traverser, il fallait affronter une pluie de balles! N'importe, l'armée française était de l'autre côté. Toute la colonie se mit en marche pour tenter ce dangereux passage. Mme Morisot marchait en tête, tenant de chaque main un de ses propres enfants; trois autres de la maison se cramponnaient par derrière aux plis de sa robe; les bonnes sœurs portaient les infirmes et les malades dont plusieurs étaient atteints de la petite vérole. Venaient ensuite les nourrices avec leurs nourrissons suspendus au sein; il y avait même un enfant d'un jour, déposé la veille dans cet asile créé par la charité de saint Vincent de Paul. La colonne fugitive, composée de huit cents personnes, traversa lentement le boulevard; toutefois aucune ne fut atteinte par les projectiles.

Les héroïques soldats de l'ordre pleuraient attendris en recevant ces orphelins, ces aveugles, ces malades et ces religieuses dévouées, qui venaient chercher un refuge dans leurs rangs libérateurs.

BASTILLE (PLACE DE LA)

Ce nom lui vient de la forteresse qui s'y élevait et dont Hugues Aubriot, prévôt de Paris, posa la première pierre, le 22 avril 1370. Elle servit pendant plusieurs siècles de prison d'État où furent enfermés beaucoup de personnages considérables et aussi nombre d'inconnus, des écrivains célèbres comme des gazetiers anonymes.

Peu d'années avant la Révolution, l'avocat Linguet fut envoyé à la Bastille où, pour occuper ses loisirs, il se mit à rédiger ses Mémoires. Un matin qu'il était dans le feu de la composition, la porte de la chambre s'ouvre et donne passage à un personnage dont la figure longue, maigre, pâle, n'était rien moins que gaie avec un costume à l'avenant.

– Qui êtes-vous? Que voulez-vous? Pourquoi venir me déranger? demande l'avocat brusquement et avec un accent marqué de mauvaise humeur.

– Pardon, monsieur, répond le nouveau venu du ton le plus poli, je regrette de venir si mal à propos et d'interrompre votre travail. Je ne voulais que vous être agréable et utile en me mettant à votre disposition; je suis le barbier de la Bastille.

– Alors, c'est différent, reprend Linguet d'un air moins rogue, mon cher, puisque vous êtes le barbier de la Bastille, faites-moi le plaisir de la raser.

Lors de la démolition de la forteresse, qui eut lieu à la suite du 14 juillet 1789, la plus grande partie des matériaux servit à la construction du pont de la Concorde, et ne pouvait recevoir un plus utile emploi.

On a vu, pendant de longues années, au sud-est de la place, le modèle en plâtre d'un éléphant colossal, destiné à orner la fontaine projetée pour la place et qui devait être coulé en bronze avec les canons pris dans la campagne de Friedland. Ce monument n'a point été exécuté, et l'on a fini par démolir l'éléphant où toute une colonie de rats avait élu domicile. La place a pour seul ornement aujourd'hui la colonne en bronze, érigée en souvenir des victimes de juillet 1830. Une statue en bronze doré, de feu Dumont, surmonte cette colonne; elle représente le Génie de la Liberté tenant un flambeau d'une main, des fers brisés de l'autre et agitant ses ailes.

Cette statue dansante est d'un effet médiocre et l'allégorie de tout point fausse et menteuse; car l'histoire impartiale aujourd'hui sait reconnaître que la Restauration fut une ère de vraie liberté au dedans comme de glorieuse indépendance au dehors. Nul n'ignore, par exemple, la fière attitude de notre diplomatie vis-à-vis de l'Angleterre, lors de l'expédition d'Alger.

L'ÉGLISE DES CARMES

I

CE QUI SE PASSAIT AUX CARMES LE 2 SEPTEMBRE 1792.

Le lendemain du 10 août 1792, commencèrent les arrestations des prêtres qui avaient refusé le serment. Dès le 11, cinquante étaient arrêtés et amenés au comité de la section du Luxembourg; de là, ils furent transférés, vers dix heures du soir, dans le couvent des Carmes-Déchaux d'où les religieux avaient été chassés.

Les jours suivants, après des perquisitions faites dans les rues de Vaugirard, Cassette et des Fossoyeurs (Servandoni), principalement habitées par des ecclésiastiques, beaucoup de prêtres encore furent arrêtés et conduits aux Carmes. Entre eux se trouvait Monseigneur Dulau, archevêque d'Arles. Des visites eurent lieu ensuite dans la banlieue, notamment dans les séminaires d'Issy et de Vaugirard, et d'autres prisonniers vinrent rejoindre les premiers. Par suite de ces arrestations successives, au bout d'une semaine, le nombre des prêtres incarcérés s'élevait à plus de cent cinquante.

Les premiers jours, ils eurent beaucoup à souffrir, manquant des choses les plus nécessaires, n'ayant pour lit qu'une chaise ou même le pavé nu de l'église, «jusqu'à ce qu'enfin, dit l'abbé Barruel, les fidèles eurent la permission de leur porter les objets de première nécessité… Aussitôt on les vit apporter à l'envi dans l'église des Carmes des lits et du linge et une abondante nourriture.

«… Dès lors, on eût pris le lieu qui renfermait les prisonniers pour une véritable catacombe des anciens jours. Qu'on se représente une église d'une grandeur très-médiocre et, dans tout son contour, sur le pavé de la nef, même sur celui des chapelles, jusque sur le marchepied des autels, des matelas serrés les uns contre les autres. C'était là qu'ils dormaient plus tranquillement que leurs persécuteurs ne le firent jamais sur le duvet. Quand l'aurore venait leur annoncer un nouveau jour, le cœur élevé vers le ciel, ils fléchissaient ensemble les genoux! ils adoraient ce Dieu qui les avait choisis pour lui rendre témoignage; ils le remerciaient de la force céleste dont il les animait; la seule grâce qu'ils demandaient encore était de le confesser jusqu'à la fin68…»

Et cependant voici, d'après le récit d'un prisonnier, ce qu'était cette prison: «L'air était entièrement corrompu… Pendant notre courte absence, on brûlait des herbes fortes et des liqueurs spiritueuses qui rendaient l'air moins contagieux, mais non moins désagréable. Quel moyen de purifier parfaitement un air méphitisé par la respiration de cent vingt personnes, dont une grande partie étaient des vieillards infirmes et couverts de plaies, et qui n'avaient pas même d'endroits assez séparés pour les plus pressants besoins. Cette contagion devint insupportable dans les derniers jours, où notre nombre monta jusqu'à cent soixante et un. Il n'y avait plus d'espace suffisant pour que chacun pût se placer. Une partie étaient obligés de rester sur les lits des anciens qui restaient toujours tendus autour de la prison. Les jeunes ne plaçaient les leurs que le soir après le dernier rappel. La prison était tellement garnie de matelas qu'il restait à peine une voie étroite pour que les sentinelles pussent se promener parmi nous et remplir leur consigne69

Les prisonniers avaient aussi beaucoup à souffrir parfois de leurs gardes, soldatesque brutale et fanatiquement révolutionnaire. Monseigneur l'archevêque d'Arles en particulier était l'objet de leurs dérisions et de leurs insultes, à ce point qu'un jour l'un de ces misérables vint s'asseoir auprès du vénérable prélat, et, après l'avoir outragé par les plus grossières invectives, furieux de lui voir toujours la même et radieuse sérénité, il lui lança en plein visage la fumée de sa pipe. Le prélat se contenta de détourner doucement la tête, et sur son visage on ne vit pas d'autre expression que celle de la résignation touchante mêlée de commisération.

Messeigneurs les évêques de Beauvais et de Saintes se trouvaient aussi parmi les prisonniers. «Lorsqu'ils arrivèrent, dit un témoin oculaire, un grand nombre de nous se levèrent pour les recevoir au milieu de la nuit… Il y eut un combat entre notre dévouement à leurs Grandeurs et leur zèle à refuser toute distinction. Ils voulaient être parmi nous comme nos frères et nos égaux, nous voulûmes les honorer comme nos pères et nos modèles!»

Cependant au dehors l'agitation allait grandissant et prenait pour les prisonniers un caractère de plus en plus menaçant. On savait que les Prussiens avaient investi Verdun et des rumeurs sinistres commençaient à circuler à cette occasion dans le peuple, ou mieux la populace abusée par d'odieux calculs, fanatisée par de détestables menées la surexcitant dans le sens de ses mauvaises passions. Le 1er septembre, au comité de défense générale, on entendait Danton s'écrier: «Mon avis est que, pour déconcerter les mesures de nos adversaires et arrêter l'ennemi, il faut faire peur aux royalistes (ou alliés). Oui, vous dis-je, leur faire peur

Il tint le même langage à la Commune, et ce fut comme le mot d'ordre auquel d'autres firent écho, et qui fut répété partout ailleurs, avec ou sans commentaires. Maintenant, laissons la parole à l'historien le plus récent et le mieux informé, à ce qu'il semble, de cette terrible époque. Nous nous réservons d'ailleurs de compléter par quelques épisodes le récit dramatique et rapide de M. Mortimer-Ternaux, forcé d'être court et de résumer.

«… À peine le massacre des prêtres amenés de la mairie est-il achevé qu'une voix se fait entendre: – Il n'y a plus rien à faire ici, allons aux Carmes! C'était là qu'étaient enfermés les principaux ecclésiastiques mis en arrestation par le comité de surveillance.

«Le matin, le démagogue Joachim Ceyrat, depuis le 10 août, juge de paix et président de la section du Luxembourg, était venu faire l'appel nominal des prisonniers, renfermés au nombre de 150 environ aux Carmes de la rue de Vaugirard. Après cet appel, ils avaient été tous réunis dans le jardin de l'ancien couvent. C'est là que les trouvent les assassins.

«Le premier qu'ils rencontrent est l'abbé Girault, si profondément occupé à lire qu'il ne les a pas entendus entrer. Ils l'écharpent à coups de sabre. Puis, frappant de droite et de gauche tous ceux qui se trouvent à leur portée, ils se précipitent vers l'oratoire placé au fond du jardin, demandant à grands cris l'archevêque d'Arles. Celui-ci s'avance à leur rencontre, écartant ceux de ses compagnons qui veulent le retenir.

« – Laissez-moi passer, leur dit-il; puisse mon sang les apaiser!

« – C'est donc toi, vieux coquin, qui est l'archevêque d'Arles? dit l'un des chefs des assassins.

« – Oui, messieurs, c'est moi, répond le prélat.

« – C'est toi qui as fait verser le sang de tant de patriotes à Arles?

« – Je n'ai jamais fait de mal à qui que ce soit.

« – Eh bien! moi, je vais t'en faire, réplique le misérable; et il assène un coup de sabre sur le front de l'archevêque. L'infortuné en reçoit un second sur le visage, puis un troisième et un quatrième. Étendu sur le sol, il est achevé d'un coup de pique.

«Des coups de fusil, tirés à bout portant sur les groupes voisins, abattent un grand nombre de prêtres. Une poursuite furieuse commence dans le jardin, d'arbre en arbre, de buisson en buisson. Traqués comme des bêtes fauves, un grand nombre d'ecclésiastiques tombent sous les balles des assassins. Quelques-uns cependant parviennent à s'échapper en escaladant les murs, et trouvent un refuge dans les cours et maisons du voisinage.

«Mais bientôt les assassins voient que cette chasse au prêtre n'est pas le meilleur moyen d'avancer la besogne dont ils sont chargés. Les chefs donnent l'ordre de rassembler tous les prisonniers dans l'église; on y apporte jusqu'aux blessés. Un commissaire de la section du Luxembourg, porteur de la liste dressée quelques heures auparavant par Ceyrat, procède à l'appel nominal. On force chaque prêtre dont le nom est prononcé, à descendre l'escalier qui conduit au jardin: sur les dernières marches, les assassins les attendent et les tuent.

«Après l'archevêque d'Arles, les principaux ecclésiastiques renfermées aux Carmes étaient deux frères du nom de Larochefoucauld, l'un évêque de Saintes, l'autre évêque de Beauvais. Ce dernier avait eu la cuisse cassée par une balle à la première décharge faite dans le jardin et avait été transporté dans l'église où il gisait sur un mauvais matelas. L'évêque de Saintes n'avait pas quitté son frère; on l'appelle, il donne un dernier baiser au blessé et va courageusement à une mort qui rachètera, il l'espère du moins, la vie de celui qu'il laisse mourant.

«Mais à peine l'évêque de Saintes a-t-il succombé sous le fer des assassins qu'on appelle l'évêque de Beauvais. Le malheureux prélat se soulève sur son lit de douleur et dit aux sicaires qui l'entourent:

« – Je ne refuse pas d'aller mourir comme les autres, mais, vous voyez, je ne puis marcher; ayez, je vous prie, la charité de me soutenir et d'aider vous-mêmes à me porter où vous voulez que j'aille.

«On satisfait à son désir, on le porte à la place même où vient d'être assassiné l'évêque de Saintes; on le jette tout sanglant sur le cadavre de son frère qu'il étreint en expirant.

«À quelques pas de là, dans l'église de Saint-Sulpice, siégeait l'assemblée de la section du Luxembourg, sous la présidence de Joachim Ceyrat. L'égorgement durait encore, quand plusieurs citoyens viennent demander aide et assistance pour les victimes et s'offrent à arrêter l'effusion du sang.

«Mais Ceyrat répond: – Nous avons bien d'autres choses à penser, il faut laisser faire; d'ailleurs, tous ceux qui sont aux Carmes sont coupables. (Coupables! et de quoi!) Un des commandants de la force armée de la section70 ne se paie cependant pas de cette réponse, rassemble une centaine de gardes nationaux et se dirige avec eux vers la rue de Vaugirard. Mais il était trop tard; quand ils arrivèrent tout était consommé71

Maintenant, quelques épisodes. Dans l'oratoire, où plusieurs de ses confrères s'étaient réfugiés, un prêtre se précipite en criant:

– Voici les Marseillais!

– Messieurs, dit alors l'abbé Després, nous ne pouvons être mieux qu'au pied de la croix pour faire à Dieu le sacrifice de notre vie.

À ces mots tous se mettent à genoux et se donnent mutuellement l'absolution. «Ce fut dans cette position que les assassins les trouvèrent, dit M. Sorel. Que se passa-t-il alors? Dieu seul le sait! Mais le nombre des cadavres qui jonchèrent le sol, le sang qui ruissela partout le long des murs, prouvèrent suffisamment avec quelle rage ces malheureux sans défense avaient été assaillis72

… Quand vint le tour de l'abbé Galais (lors du massacre dans l'église), celui qui, depuis deux jours, s'était fait l'économe des autres détenus et n'avait pas eu le temps de régler ses comptes, il prit son portefeuille et s'adressant au commissaire Violette:

– Monsieur, lui dit-il, je n'ai pu voir le traiteur pour lui solder notre dépense. Je ne crois pas pouvoir déposer en des mains plus sûres ce que nous lui devons. Je vous prie donc de lui remettre ces 325 livres73.

Puis il ajouta: – Je suis trop éloigné de ma famille, et d'ailleurs elle n'a pas besoin de moi. Voici mon portefeuille et ma montre, veuillez en consacrer la valeur au soulagement des pauvres.

Le seul laïque, avait-on écrit, qui se trouvât parmi les prêtres, était M. Régis de Valfons, arrêté avec l'abbé Guillaume, prêtre de St-Roch, son confesseur et son ami. On l'engageait à décliner ses qualités qui pouvaient le sauver peut-être; il s'y refusa, répondant aux bourreaux qu'il n'avait d'autre profession que celle de catholique romain, et demandant pour toute grâce de mourir à côté du saint prêtre auquel il devait les sentiments dont il était pénétré.

Mais M. de Valfons n'était pas le seul laïque mêlé aux prisonniers. Le document dont nous avons déjà parlé nous en fait connaître un autre plus intéressant encore peut-être, le jeune Dereste. «Furieux que le père, écrivain royaliste, leur eût échappé, les factieux firent tomber sur le fils, âgé de quinze ans, les coups qu'ils voulaient lui porter. Mais le fils se montra digne du père… En proscrivant la vertu, les impies en firent paraître une nouvelle. – Je suis bien aise d'être ici, répétait le généreux enfant, puisque j'y suis dans la place de mon papa.»

La mort de l'évêque de Beauvais mit fin au massacre général, après lequel la plupart des meurtriers, Maillard à leur tête, retournèrent à l'Abbaye, en chantant ou plutôt hurlant des refrains révolutionnaires. Les autres assassins restèrent dans l'église ou dans les salles à boire, avec les individus du poste, le vin que le traiteur voisin avait été forcé de livrer pendant le massacre, et qui probablement ne lui fut jamais payé.

Vers neuf heures, ceux qui se trouvaient dans l'église entendirent un léger bruit venant d'une chapelle latérale. Aussitôt, comme les bêtes de proie quand elles flairent une piste, ils dressent l'oreille, et, armés de flambeaux, se hâtent d'accourir. Là, ils aperçoivent le pauvre abbé Dubray qui, caché jusqu'alors entre deux matelas, mais près de suffoquer, s'était vu forcé de faire un mouvement pour respirer. Des hurlements de joie saluent cette découverte. On arrache l'infortuné prêtre de son asile et on le traîne au milieu du sanctuaire où un coup de sabre lui fend le crâne. Ce fut la dernière victime.

Le nombre total des prêtres, massacrés aux Carmes seulement, est évalué à 115 ou 120. Il n'a pu être absolument fixé, parce qu'un certain nombre de prisonniers échappèrent, les uns, grâce à l'intervention d'amis puissants, qui les avaient fait sortir à l'avance; d'autres moins nombreux se sauvèrent en escaladant les murs du jardin. De ces derniers fut l'abbé Frontault, comme lui-même le raconte: «Les tambours qui battaient la générale, le son du tocsin, le bruit du canon d'alarme, nous annoncèrent bientôt que le peuple était en fureur, qu'il demandait des victimes, et que nous étions celles qu'on lui destinait. La tranquillité de la prison n'en fut pas troublée un moment. Chacun rentra dans son cœur, rappela sa foi, demanda la grâce de Dieu, lui offrit sa vie et continua en paix ses exercices. La récréation après le repas ne se ressentit pas de la froideur de la mort qui s'avançait. La même gaieté et la même sérénité régnèrent dans la conversation.

«… Vers quatre heures du soir, un bruit épouvantable, des hurlements furieux, tels que les pousseraient des tigres affamés, pénétrèrent tout à coup dans notre enceinte. La nature parla un moment: des cris de: nous allons périr! se font entendre. Mais la grâce triomphe bientôt: le plus morne silence annonce que chacun se prépare et se dépouille pour aller au bûcher ou monter à l'échafaud. Je me réunis à plusieurs qui, les yeux fixés sur une image de la sainte Vierge, attendaient de son intercession la force et le courage de verser leur sang en esprit de foi et de religion. Au même instant, nous jugeons par les cris redoublés des cannibales que la garde est forcée. Leurs blasphèmes affreux nous rappellent que c'est en haine de Dieu et de sa religion que nous allons être immolés. Je cours au devant des bourreaux; je les vois, la rage les transporte; la soif du sang les précipite sur nous; un d'eux me touche déjà de son arme tranchante; j'allais périr; mais le mouvement qu'il fait pour frapper son coup plus vigoureusement m'en laisse faire un autre, qui met entre lui et moi un mur de séparation. Il lui importait peu quelle victime frapper. Il m'abandonne et je franchis précipitamment le jardin où j'étais tombé.»

Quelques-unes des victimes durent la vie aux septembriseurs eux-mêmes, pris tout à coup d'un sentiment d'humanité qui ressemblait à un remords. Une dizaine de prêtres à peine restaient à égorger; parmi eux un ecclésiastique tout jeune encore, à la figure noble et sympathique.

Un des assassins s'approche:

– Tiens-tu beaucoup à la vie? lui dit-il.

– Sans craindre la mort, s'il dépendait de moi, je l'éviterais volontiers, pourvu…

– C'est bien, suis-moi!

Et l'égorgeur, subitement attendri, l'entraîne dans un endroit connu de lui seul, où il le fait cacher et où déjà se trouvaient deux autres pauvres prêtres, épargnés par lui. Le soir, il revint avec des habits de gardes nationaux qui permirent à tous d'échapper.

Mais ces traits d'humanité si inattendus furent rares, et les monstres ne faisaient pas grâce aisément. Au reste, il faut dire que les affidés de Maillard, quoique d'affreux scélérats, n'étaient que des meurtriers en sous-ordre, payés pour le crime, de misérables instruments. Les vrais coupables, dit M. Mortimer-Ternaux, ce furent Marat, Danton, Robespierre, Manuel, Hébert, Billaud-Varennes, Panis, Sergent, Fabre d'Églantine, Camille Desmoulins et une douzaine d'autres individus plus obscurs, membres du Comité de surveillance ou seulement du Conseil général de la Commune. Quant aux mobiles qui les poussèrent à ces horribles attentats, pour les uns, ce fut le désir de se perpétuer dans la dictature, pour les autres, un moyen de ne pas rendre certains comptes, en imposant à tous silence par la terreur.

L'heure des justices d'ailleurs ne se fit pas attendre; l'année n'était pas écoulée, que tous ou presque tous, ils avaient été rendre compte au Juge infaillible, guillotinés les uns par les autres, comme a dit un vigoureux poète, dans sa langue originale:

68.Barruel: Histoire du Clergé pendant la Révolution.
69.Extrait d'une lettre intéressante de l'abbé Frontault, l'un des prêtres échappés au massacre, et publiée tout récemment dans les Études religieuses, historiques et littéraires (Décembre 1867).
70.Il se nommait Tanche.
71.Mortimer-Ternaux. —Histoire de la Terreur, t. III.
72.Sorel. – Le Couvent des Carmes et l'ancien séminaire de St-Sulpice.
73.Le sieur Violette, paraît-il, peu digne de cette confiance, ne remit rien au pauvre traiteur.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
25 haziran 2017
Hacim:
390 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
Metin
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