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Kitabı oku: «Les Rues de Paris, tome troisième», sayfa 6

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VILLE-HARDOUIN

La famille de Ville-Hardouin, une des plus illustres de la Champagne, habitait le château de ce nom, à une demi-lieue de l'Aube, entre Arcis et Bar. C'est là que naquit Geoffroy vers 1164, d'autres disent 1167. Lorsque Foulques, curé de Neuilly, prêcha la quatrième croisade, Geoffroy, chef de la famille, remplissait les fonctions de maréchal de Champagne et son noble caractère lui avait conquis l'estime universelle. L'un des premiers, il prit la croix à l'exemple du jeune et brillant Thibaut, comte de Champagne, son suzerain et chef désigné de la croisade. Mais Thibaut ne devait pas voir la Terre Sainte. Pendant qu'il faisait ses préparatifs de départ, tombé malade, il se mit au lit et, peu de temps après, il serrait pour la dernière fois la main au maréchal de Champagne qui nous a raconté cette mort prématurée en quelques lignes émues.

La croisade perdait ainsi son chef et plusieurs semblaient découragés; mais Ville-Hardouin, non moins éloquent et insinuant que brave, diplomate autant que guerrier, sut réunir en faisceau toutes les volontés déjà détournées de leur but. Envoyé en ambassade à Venise, il se concilia la sympathie du doge et des sénateurs, et obtint, avec les navires de transport nécessaires aux croisés, des secours considérables en hommes et chevaux. Le doge Dandolo lui-même, vieillard presque octogénaire, voulut commander les troupes de la République, et prit en grande affection le maréchal ce qui aplanit bien des difficultés. On sait que, par un concours inattendu de circonstances et certaines ambitions aidant, la croisade, détournée de son premier but, aboutit à la prise de Constantinople et à la fondation d'un empire latin dans cette ville en faveur de Baudouin, comte de Flandre. Après un règne fort court, celui-ci eut pour successeur son frère Henri, gendre du marquis de Montferrat, Boniface, qui avait été le chef de la croisade en remplacement de Thibaut, et au lendemain de la victoire, avait obtenu pour sa part la royauté ou principauté de Thessalonique. Il tenait Ville-Hardouin en très haute estime, et l'appelant dans son royaume, il lui fit don de plusieurs cités formant ensemble un domaine considérable où le maréchal de Champagne mourut en 1213.

«Ce serait ici le lieu, dit excellemment Du Cange dans son Éloge de Ville-Hardouin21, d'étaler les belles qualités qui le firent admirer et le rendirent recommandable même parmi les étrangers: sa piété envers Dieu, sa prudence et sa dextérité dans les affaires qui le firent réputer, en plusieurs occasions où il porta la parole, comme le mieux disant, le plus éloquent et le plus judicieux de son temps, son courage et son adresse dans la conduite des armées, sa fidélité inviolable envers ses princes, et tant d'autres vertus qui éclatent dans toute la suite de l'Histoire qu'il a dressée non tant de cette fameuse conquête, comme de ses belles actions, lesquelles toutefois il a décrites avec tant de retenue et de candeur qu'il est aisé de juger qu'il en a plus passé sous silence qu'il n'en a mis au jour. Mais il suffit que lui-même ait dressé matière à ses louanges et qu'à l'exemple de ces grands capitaines des siècles passés qui ont mieux aimé rédiger eux-mêmes les principales actions de leur vie que d'en laisser la charge à des écrivains ignorants, il ait laissé à la postérité de quoi relever sa mémoire par ce monument qui durera plus que le marbre et le bronze.»

Citons, comme un spécimen du langage de Ville-Hardouin, ce passage relatif à la prise de Constantinople. Il suffira de modifier non le style, mais l'orthographe, pour qu'il soit intelligible à la plupart des lecteurs. «… Et les autres gens, qui furent espandus parmi la ville, gagnèrent. Et fut si grand le gain fait que nul ne vous en saurait dire la fin, et d'or et d'argent, et vaisselemente, et de pierres précieuses, et de corps saints (reliques), et de draps de soie, et de robes vaires (multicolores), grises et hermines, et tous les chers avoirs qui oncques furent trouvés en terre. Et bien témoigne Geoffroy de Ville-Hardouin, le maréchal de Champagne, à son escient et pour vérité, que, puis que le monde fut estoré (créé), ne fut tant gagné en une ville. Chacun prit hôtel tant comme lui plut, car il y en avait assez.

«Ainsi se hébergèrent les pèlerins (croisés) et les Vénitiens. Et fut grande la joie de l'honneur et de la victoire que Dieu leur avait donnée. Et bien en durent Notre-Seigneur louer, car ils n'avaient pas plus de vingt mille hommes d'armes, et par l'aide de Dieu, en avaient pris plus de trois cent mille, et en la plus forte ville du monde qui grande ville fut et la mieux fermée.

«Lors fut crié par tout l'ost, de par le marquis de Montferrat, qui sire (chef) était de l'armée et des autres barons: que tous les avoirs qu'ils avaient gagnés fussent apportés ensemble, si comme ils l'avaient assuré et juré et fait sous peine d'escommuniement. Et furent nommés le lieu en trois églises; et le mit-on en la garde des Français et des Vénitiens et des plus loyaux qu'on put trouver. Lors commencèrent à apporter le gain et mettre ensemble. Les uns apportèrent bien, les autres mauvaisement; car convoitise, qui est racine de tous maux, ne leur laissa (permit). Ainsi commencèrent d'ici en avant les convoiteux à retenir des choses et Notre Sire les commença moins à aimer qu'il n'avait devant fait. Ha! comme ils s'étaient loyalement maintenus jusqu'à ce point! Et Notre Sire leur avait bien montré, car de toutes leurs affaires les avait Dieu exaucés et honorés sur toutes les autres gens. Et maintes fois ont mal les bons pour les mauvais.»

Au fond, ce qui ressort le plus clairement de ce récit, c'est que la grande cité prise par les croisés fut entièrement pillée. C'était le droit de la guerre à cette époque. Il faut se féliciter que le progrès des mœurs condamne de plus en plus aujourd'hui ces façons d'agir, et que les nations civilisées soient unanimes à considérer le pillage d'une ville, d'une capitale en particulier, comme un procédé sauvage, un abus odieux de la victoire qui ferait honte à Attila lui-même. Revenons au Chroniqueur.

Voici, pour terminer, le dramatique récit de la mort du marquis du Montferrat, tué malheureusement dans une rencontre: «Et quand le marquis fut à Messinople (Mosynopolis) ne tarda plus que six jours qu'il fit une chevauchée par le conseil des Grecs de la terre, en la montagne de Messinople, plus d'une grande journée loin. Et comme il eut été en la terre et vint au partir, les Bougres (Bulgares) se furent assemblés de la terre; et virent que le marquis était avec peu de gens; et vinrent de toutes parts et l'assaillirent à l'arrière-garde. Et quand le marquis ouït le cri, si sali (sauta) en un cheval tout désarmé une glave22 en sa main. Et quand il vint là où ils étaient assemblés, à l'arrière-garde, si leur courut sus et les cacha (rejeta) une grande pièce arrière. Là fut féru d'une sagette (flèche) parmi le gros du bras et sous l'épaule mortellement, si qu'il commença moult à répandre de sang. Et quand sa gent virent ce si se commencèrent fort à esmayer (effrayer) et à déconfire et mauvaisement maintenir. Et cil (ceux) qui furent entour le marquis le soutinrent. Et il perdit moult de sang. Si commença à pâmer. Et quand ses gens virent qu'ils n'avaient nulle aide de lui si se commencèrent à déconfire (débander) et à lui laisser. Ainsi furent déconfits par cette mésaventure et cils qui restèrent avec lui furent morts. Et le marquis eut la tête coupée; et la gent du pays envoyèrent à Johannis (roi des Bulgares) la tête et ce fut une des plus grandes joies qu'il eut oncques. Hélas! quel dommage en eut l'Empereur et tous les latins de la terre de Roumanie, de tel homme perdre par telle mésaventure, un des meilleurs chevaliers et des plus vaillants et des plus larges (généreux) qui fut au remanant (reste) du monde. Et cette mésaventure si advint en l'an de l'Incarnation mil deux cent sept.»

Ce récit termine l'Histoire de la Conquête de Constantinople, par Ville-Hardouin. La première édition imprimée parut à Venise en 1573; la seconde, faite d'après celle-ci sans doute, fut publiée à Paris en 1585.

SAINT VINCENT DE PAUL

I

Cet homme de Dieu qu'on pourrait appeler, si l'expression ne semblait hasardée, un saint surtout moderne, naquit, le 24 avril 1576, à Ranquine, petit hameau du canton de Pouy, près de Dax (Landes). Son père se nommait Guillaume de Paul et sa mère Bertrande de Moras. «Ses premières années, dit Godescard, se passèrent à garder le troupeau de son père qui, apercevant en cet enfant de bénédiction les dispositions les plus rares, se détermina à le faire étudier et le mit en pension chez les cordeliers d'Acqs.» Abelly, le bon évêque, de Rodez, contemporain et ami de Vincent de Paul, et auteur d'une vie du Saint qui passe pour un des chefs-d'œuvre du genre, Abelly dit mieux encore: «Quoique les perles naissent dans une nacre mal polie et souvent toute fangeuse, elles ne laissent pas que de faire éclater leur vive blancheur au milieu de cette bourbe qui ne sert qu'à en relever le lustre et faire mieux connaître leur valeur. La vivacité d'esprit dont Dieu avait doué notre jeune Vincent, commençant à paraître parmi ces bas emplois où il était occupé, elle en fut d'autant plus remarquée; et son père reconnut bien que cet enfant pouvait faire quelque chose de meilleur que de mener paître les bestiaux!»

Ses progrès furent tels qu'au bout de quatre années, il entrait comme précepteur chez M. de Commet, avocat de la ville. Son séjour dans cette maison fut assez court malgré la grande estime qu'on lui témoignait; il en sortit à l'âge de vingt ans pour se rendre à Toulouse où il fit son cours de théologie. Sous-diacre et diacre en 1598, il fut ordonné prêtre deux ans après.

En 1605, il dut faire un voyage à Marseille pour y recevoir une somme de 1500 livres qu'un ami lui avait léguée. Or, voici ce qui au retour lui arriva et ce qu'il nous a raconté lui-même avec une singulière vivacité de style et un rare bonheur d'expressions:

«Je m'embarquai, dit-il, pour Narbonne, pour y être plutôt et pour épargner, ou pour mieux dire, pour n'y jamais être et pour tout perdre. Le vent nous fut autant favorable qu'il fallait pour nous rendre ce jour-là à Narbonne, qui était faire cinquante lieues, si Dieu n'eût permis que trois brigantins turcs, qui côtoyaient le golfe de Lyon pour attraper les barques qui venaient de Beaucaire, ne nous eussent donné la chasse et attaqués si vivement que, deux ou trois des nôtres étant tués et le reste blessé, et même moi qui eus un coup de flèche qui me servira d'horloge tout le reste de ma vie, n'eussions été contraints de nous rendre à ces félons. Les premiers éclats de leur rage furent de hacher notre pilote en mille pièces, pour avoir perdu un des principaux des leurs, outre quatre ou cinq forçats que les nôtres tuèrent; cela fait, ils nous enchaînèrent, et après nous avoir grossièrement pansés, ils poursuivirent leur pointe faisant mille voleries, donnant néanmoins liberté à ceux qui se rendaient sans combattre, après les avoir volés; et enfin chargés de marchandises, au bout de sept ou huit jours, ils prirent la route de Barbarie, tanière et spélonque de voleurs sans aveu du Grand-Turc, où étant arrivés il nous exposèrent en vente avec un procès-verbal de notre capture, qu'ils disaient avoir été faite dans un navire espagnol, parce que sans ce mensonge nous aurions été délivrés par le consul que le roi tient dans ce lieu là, pour rendre libre le commerce aux Français… Les marchands nous vinrent, sur la place, visiter tout de même qu'on fait à l'achat d'un cheval ou d'un bœuf, nous faisant ouvrir la bouche pour voir nos dents, palpant nos côtes, sondant nos plaies, et nous faisant cheminer le pas, trotter et courir, puis lever des fardeaux, et puis lutter pour voir la force d'un chacun et mille autres sortes de brutalités.

«Je fus vendu à un pêcheur qui fut contraint de se défaire bientôt de moi, pour n'avoir rien de si contraire que la mer; et depuis, par le pêcheur à un vieillard, médecin spagirique, souverain tireur de quintessences, homme fort humain et traitable lequel, à ce qu'il me disait, avait travaillé l'espace de cinquante ans à la pierre philosophale. Il m'aimait fort et se plaisait à me discourir de l'alchimie, et puis de sa loi, à laquelle il faisait tous ses efforts pour m'attirer, me promettant force richesses et tout son savoir. Dieu opéra toujours en moi une croyance de délivrance par les assidues prières que je lui faisais, et à la Vierge-Marie, par la seule intercession de laquelle je crois fermement avoir été délivré. L'espérance donc et la ferme croyance que j'avais de vous revoir, Monsieur, me fit être plus attentif à m'instruire du moyen de guérir la gravelle, en quoi je lui voyais journellement faire des merveilles; ce qu'il m'enseigna et même me fit préparer et administrer les ingrédiens.

«Je fus donc avec ce vieillard depuis le mois de septembre 1605 jusqu'au mois d'août 1606, qu'il fut pris et mené au Grand-Sultan, pour travailler pour lui, mais en vain; car il mourut de regret par les chemins. Il me laissa à un sien neveu, vrai anthropomorphite, qui me revendit bientôt après la mort de son oncle… Un renégat de Nice, en Savoie, ennemi de nature, m'acheta et m'emmena en son temar (lisez timar), ainsi s'appelle le bien que l'on tient comme métayer du Grand-Seigneur, car là le peuple n'a rien, tout est au Sultan: le temar de celui-ci était dans la montagne, où le pays est extrêmement chaud et désert. L'une des trois femmes qu'il avait était Grecque chrétienne, mais schismatique; une autre était Turque, qui servit d'instrument à l'immense miséricorde de Dieu pour retirer son mari de l'apostasie, et le remettre au giron de l'Église, et me délivrer de mon esclavage. Curieuse qu'elle était de savoir notre façon de vivre, elle me venait voir tous les jours aux champs, où je fossoyais; et un jour elle me commanda de chanter les louanges de mon Dieu. Le ressouvenir du Quomodò cantabimus in terrâ alienâ des enfants d'Israël, captifs en Babylone, me fit commencer, la larme à l'œil, le psaume Super flumina Babylonis, et puis, le Salve Regina et plusieurs autres choses, en quoi elle prenait tant de plaisir que c'était merveille. Elle ne manqua pas de dire à son mari, le soir, qu'il avait eu tort de quitter sa religion, qu'elle estimait extrêmement bonne, pour un récit que je lui avais fait de notre Dieu, et quelques louanges que j'avais chantées en sa présence: en quoi elle disait avoir ressenti un tel plaisir qu'elle ne croyait point que le paradis de ses pères et celui qu'elle espérait fût si glorieux, ni accompagné de tant de joie, que le contentement qu'elle avait ressenti pendant que je louais mon Dieu; concluant qu'il y avait en cela quelque merveille. Cette femme, comme un autre Caïphe, ou comme l'ânesse de Balaam, fit tant par ses discours que son mari me dit dès le lendemain qu'il ne tenait qu'à une commodité que nous nous sauvassions en France; mais qu'il y donnerait tel remède que dans peu de jours Dieu en serait loué. Ce peu de jours dura dix mois qu'il m'entretint en cette espérance, au bout desquels nous nous sauvâmes avec un petit esquif, et nous rendîmes, le 28 juin 1607, à Aigues-Mortes, et tôt après en Avignon, où M. le vice-légat reçut publiquement le renégat, avec la larme à l'œil et le sanglot au cœur, dans l'église de St-Pierre, à l'honneur de Dieu et édification des assistants23

Cette narration est parfaite à tous égards. Nous y regrettons cependant une lacune, relative à la bonne créature qui fut l'instrument de la délivrance de saint Vincent de Paul. On aimerait à savoir ce qu'elle devint, heureux d'apprendre qu'elle ne demeura point sur la terre infidèle et fut récompensée de sa charité par la grâce de la conversion.

Vincent, après un voyage fait à Rome, sa dévotion satisfaite, revint en France. Arrivé à Paris, il se logea dans le faubourg St-Germain, non loin de l'hôpital de la Charité dont il allait souvent servir et consoler les malades. Dans le même hôtel, habitait un juge du village de Sore, dans le district de Bordeaux. Certain jour que ce juge était sorti, une somme de 400 écus lui fut dérobée. On ne découvrit l'auteur du vol que cinq ou six années après, parce qu'arrêté pour un autre méfait, il avoua son premier crime, en proclamant l'innocence de Vincent de Paul trop injustement accusé. En effet, le juge, exaspéré de sa perte, n'avait pas craint d'accuser le saint prêtre qu'il décriait, par cette calomnie, auprès de toutes ses connaissances et amis. «Le Saint, dit l'hagiographe, se contenta de nier le fait, en ajoutant: «Dieu sait bien la vérité.» Mais, d'ailleurs, il ne lui échappa aucune plainte contre son accusateur.

Après avoir été quelque temps curé de Clichy, Vincent quitta cette paroisse pour se charger de l'éducation des enfants de M. de Gondi, comte de Joigny, général des galères de France. Il était depuis peu dans cette maison quand il fut averti que ce seigneur devait provoquer en duel un de ses ennemis. Suivant l'usage des temps chevaleresques, M. de Gondi voulut entendre la messe avant d'aller se battre. Vincent, ayant quitté l'autel, aborde le comte à la sortie de la chapelle, et lui dit: «Souffrez, monsieur, souffrez que je vous dise un mot en toute humilité. Je sais de bonne part que vous avez dessein d'aller vous battre en duel. Mais je vous dis, de la part de mon Sauveur, que je vous ai montré maintenant et que vous venez d'adorer, que si vous ne quittez ce mauvais dessein, il exercera sa justice sur vous et sur votre postérité.»

Étonné d'abord de ce langage qui ménageait si peu son orgueil, le comte, qui dans le fond du cœur était chrétien, se sentit touché, et en remerciant l'homme de Dieu, déclara renoncer à son coupable projet. Quelque temps après, Vincent donna la mission à Folleville, sur les terres de la famille de Gondi, dans le diocèse d'Amiens, et les résultats furent admirables. Cette même année, de l'aveu de son guide, Bérulle, il quitta la maison du comte de Joigny pour aller desservir la cure de Châtillon-les-Dombes, dans la Bresse. «On ne saurait croire tout le bien que fit cet homme apostolique pendant le court espace de temps (cinq mois) qu'il resta chargé de cette paroisse où, dans l'intérêt des pauvres et des infirmes, il institua une confrérie de charité devenue le modèle de toutes celles qui s'établirent par la suite en France.» Cédant aux instances de la comtesse de Joigny, Vincent de Paul revint dans cette maison vers la fin de 1617; mais à la condition que, chargé seulement de la haute surveillance de l'éducation des enfants, il aurait toute liberté de se livrer à son goût pour les missions, ce qu'il fit dans les diocèses de Sens, Soissons, Beauvais. Pendant les loisirs que lui laissait l'intervalle entre les missions, il eut la pensée de visiter les prisons où les forçats étaient détenus avant de partir pour les ports de mer et fut grandement contristé de ce qu'il trouva: «Il vit, dit un biographe, des malheureux renfermés dans d'obscures et profondes cavernes, mangés de vermine, atténués de langueur et de pauvreté et entièrement négligés pour le corps et pour l'âme.»

Vincent s'occupa avec zèle de l'une et de l'autre. Par les aumônes qu'il recueillit, il améliora fort la situation matérielle des pauvres prisonniers, et, par ses instructions pleines de simplicité et d'onction, il n'aida pas moins au soulagement de leurs maux spirituels. Le changement qui s'opéra chez ces malheureux fut tel qu'il frappa tous les yeux; le comte de Joigny en entretint le roi Louis XIII qui voulut que Vincent de Paul fût établi aumônier général des galères (8 février 1619). Deux années après, Vincent partit incognito pour Marseille afin de s'assurer par lui-même de l'état des forçats sur les galères, et se dérober en même temps aux honneurs qu'on ne pouvait manquer de rendre à sa dignité.

II

En 1623, à la suite d'une mission, il établit à Mâcon deux Confréries de Charité pour l'assistance des pauvres et des malades, mais non sans grande difficulté d'abord comme on voit par une lettre écrite à mademoiselle Legras qui fut sa principale et zélée auxiliaire dans ses œuvres: «Quand j'établis la Charité à Mâcon, dit-il, chacun se moquait de moi; on me montrait au doigt par les rues, croyant que je n'en pourrais jamais venir à bout; et quand la chose fut faite, chacun fondait en larmes de joie; et les échevins de la ville me faisaient tant d'honneur au départ que, ne le pouvant porter, je fus contraint de partir en cachette, pour éviter cet applaudissement; et c'est là une des charités les mieux établies.»

L'année suivante, il fonda la congrégation des Prêtres de la Mission. «L'on peut dire avec vérité que cette Congrégation a été en son commencement comme le petit grain de sénevé de l'Évangile, qui, étant la moindre entre toutes les semences, devient un arbre sur les branches duquel les oiseaux peuvent se poser.» Ces prêtres furent aussi appelés Lazaristes par suite du don que fit à la compagnie naissante le prieur de Saint-Lazare, Adrien Lebon, de sa maison et de tous ses biens pour concourir à l'instruction et au soulagement, suivant le but de l'institution, des peuples de la campagne. À la première ouverture que Lebon lui fit à ce sujet, Vincent n'en pouvait croire ses oreilles. «J'avais, dit-il, dans une de ses lettres, les sens interdits comme un homme surpris du bruit d'un canon, lorsqu'on le tire proche de lui sans qu'il y pense; il reste comme étourdi de ce coup imprévu et moi, je demeurai sans parole, si étonné d'une telle proposition que lui-même s'en apercevant me dit: Quoi! vous tremblez?»

En effet, dans sa modestie, Vincent était comme épouvanté de la proposition «si fort au-dessus, dit-il, de lui et des prêtres de sa compagnie, qu'il se ferait scrupule d'y penser.» Il fallut deux années au prieur de Saint-Lazare pour triompher des scrupules de Vincent et ce ne fut qu'au mois de janvier 1632 que le vénérable bienfaiteur eut la joie de mettre les Prêtres de la Mission en possession de ses biens. De Lestocq, curé de saint Laurent, écrivait à ce sujet: «Dans les visites que nous avons rendues plus de trente fois, l'espace de plus d'un an, à M. Vincent, nous avons eu mille peines à l'ébranler et à le disposer à accepter Saint-Lazare.» Vincent de Paul avait coutume de répondre à ceux qui le pressaient de profiter de son crédit dans l'intérêt de sa Congrégation: «Pour tous les biens de la terre je ne ferai jamais rien contre Dieu ni contre ma conscience. La compagnie ne périra pas par la pauvreté; je crains plutôt que, si la pauvreté lui manque, elle ne vienne à périr.» Aussi vit-on, certain jour, Vincent de Paul refuser une somme de 600,000 mille francs qu'on lui offrait pour construire une nouvelle église. Il répondit «que les pauvres étaient trop nombreux en ce moment et que les premiers temples que demande Jésus-Christ sont ceux de la charité et de la miséricorde.»

Dès l'année 1634, il avait établi la Congrégation des Filles de Charité, dites aussi sœurs de saint Vincent de Paul. «Ces filles, disait admirablement le saint, n'ont ordinairement pour monastères que les maisons des malades, pour cellule qu'une chambre de louage, pour chapelle que l'église de leur paroisse, pour cloître que les rues de la ville ou les salles des hôpitaux, pour clôture que l'obéissance, pour grille que la crainte de Dieu, et pour voile qu'une sainte et exacte modestie.» «Et cependant, comme dit très-bien la Biographie de Michaud, elles se préservent de la contagion du vice, et font germer partout sous leurs pas la vertu.» Mêlées au monde, elles sont demeurées les fidèles servantes de Dieu et n'ont point jusqu'ici dégénéré de la ferveur de leur première et sainte institution.

Une des dernières fondations de saint Vincent de Paul, et qui n'est pas la moins touchante, fut celle relative aux Enfants-Trouvés dont Abelly nous dit: «On a remarqué qu'il ne se passe aucune année qu'il ne se trouve au moins trois ou quatre cents enfants exposés tant en la ville qu'aux faubourgs; et, selon l'ordre de la police, il appartenait à l'office des commissaires du Chatelet de lever ces enfants… Ils les faisaient porter ci-devant en une maison qu'on appelait la Couche, en la rue Saint-Landry, où ils étaient reçus par une certaine veuve qui y demeurait avec une ou deux servantes, et se chargeait du soin de leur nourriture; mais ne pouvant suffire pour un si grand nombre, ni entretenir des nourrices pour les allaiter ni nourrir et élever ceux qui étaient sevrés, faute d'un revenu suffisant, la plupart de ces pauvres enfants mouraient de langueur en cette maison, ou même les servantes, pour se délivrer de l'importunité de leurs cris, leur faisaient prendre une drogue pour les endormir, qui causait la mort à plusieurs. Ceux qui échappaient à ce danger étaient ou donnés à qui les venait demander, ou vendus à si vil prix, qu'il y en a eu pour lesquels on n'a payé que vingt sous… Et on a su qu'on en avait acheté pour servir aux mauvais desseins de personnes qui supposaient des enfants dans les familles ou (ce qui fait horreur) pour servir à des opérations magiques et diaboliques.» Saint Vincent, touché de si grandes misères, dans sa tendre compassion, avait recueilli un grand nombre de ces malheureuses victimes du vice et de la misère, placées par lui dans diverses maisons. Tout à coup il apprend que, par des motifs trop longs à développer ici, on voulait abandonner les orphelins. L'homme de Dieu, sous le coup de son émotion, convoque une assemblée générale des dames qui l'aidaient dans ses bonnes œuvres et, après avoir exposé nettement la situation, il conclut en ces termes:

«Or, sus, Mesdames, la charité et la compassion vous ont fait adopter ces petites créatures pour vos enfants; vous avez été leurs mères selon la grâce, depuis que leurs mères selon la nature les ont abandonnées: voyez maintenant si vous voulez aussi les abandonner. Cessez d'être leurs mères pour devenir à présent leurs juges: leur vie et leur mort sont entre vos mains: je m'en vais prendre les voix et les suffrages; il est temps de prononcer leur arrêt et de savoir si vous ne voulez plus avoir de miséricorde pour eux. Ils vivront si vous continuez d'en prendre un charitable soin; et au contraire, ils mourront et périront infailliblement si vous les abandonnez: l'expérience ne permet pas d'en douter.»

À ces mots sortis du plus profond des entrailles et prononcés avec un accent qu'on ne peut rendre, un frémissement parcourt l'assemblée, les sanglots éclatent, des larmes coulent de tous les yeux et il est résolu à l'unanimité que la bonne œuvre sera continuée. Les orphelins étaient sauvés!..

Quelques années après, eut lieu la création du vaste hospice de la Salpêtrière pour lequel la reine, Anne d'Autriche, avait donné l'enclos et la maison de ce nom où plus de cinq mille mendiants furent admis et pourvus de toutes les choses nécessaires à la vie. Combien d'autres et excellentes œuvres dues à l'initiative de cet homme apostolique qui savait si bien concilier le zèle avec la tolérance, ou mieux la charité!

Franchement opposé à la secte janséniste, «il sut, dit un de ses historiens, sans jamais franchir les bornes d'une juste modération, s'arranger si bien qu'il écarta l'erreur de tous les lieux dont la garde était commise à ses soins.»

Saint Vincent de Paul parlait avec une merveilleuse onction, et l'on a vu, par nos citations, comment il écrivait. Collet nous apprend que, de son temps il existait encore plus de sept mille lettres du saint dont il a écrit la vie. Vincent de Paul fut lié avec tous les personnages illustres et vénérables de son temps, saint François de Sales, Olier, le cardinal de Bérulle, Bossuet, etc., Anne d'Autriche qui, veuve de Louis XIII et devenue régente, nomma Vincent président du tribunal de conscience. On sait que l'homme de Dieu avait assisté le roi à son lit de mort (1643).

Saint Vincent de Paul fut longuement éprouvé par la maladie, ainsi que nous l'apprend l'évêque de Rodez: «Pour ne pas ennuyer le lecteur par le récit de toutes les autres maladies que Dieu a envoyées de temps en temps à M. Vincent pour exercer sa vertu, il suffira de dire qu'il y a peu d'infirmités et d'incommodités corporelles qu'il n'ait éprouvées, Dieu l'ayant ainsi voulu afin qu'il fût capable de compatir à celles du prochain… Mais pour venir à la plus grande et à la plus fâcheuse de toutes les incommodités de M. Vincent, que l'on peut appeler une espèce de martyre, qui a enfin terminé sa vie… il faut savoir qu'il a porté l'incommodité de l'enflure de ses jambes et de ses pieds l'espace de quarante-cinq ans; et elle était quelquefois si forte, qu'il avait grand peine de se soutenir ou de marcher, et d'autres fois, si enflammée et si douloureuse, qu'il était contraint de se tenir au lit… sur la fin de l'année 1659, il fut obligé (à cause de son infirmité), de célébrer en la chapelle de l'infirmerie; mais les jambes lui ayant enfin manqué tout à fait en l'année 1660, qui fut sa dernière, il ne put plus dire la sainte messe, mais il continua de l'entendre jusqu'au jour de son décès quoiqu'il souffrît une peine incroyable pour aller de sa chambre à la chapelle, étant contraint de se servir de potences (béquilles) pour marcher.» Pendant les quatre dernières années de sa vie, par suite de ses infirmités et de l'âge, il ne pouvait plus du tout sortir. Après de cruelles souffrances, supportées avec une admirable résignation, il expira dans la maison de Saint-Lazare, à l'âge de quatre-vingt-cinq ans, (27 septembre 1660). «Il est mort sans fièvre et sans accident extraordinaire, ayant cessé de vivre par une pure défaillance de la nature, comme une lampe qui s'éteint insensiblement quand l'huile vient à lui manquer… Ayant rendu le dernier soupir, son visage ne changea point, il demeura dans sa douceur et sérénité ordinaire, étant dans sa chaise en la même posture qu'il eût sommeillé.» (abelly). Les grands et le peuple, la cour et la ville, disent les biographes, les magistrats et les religieux versèrent des larmes à la nouvelle de sa mort. Jamais on n'avait entendu un concert si unanime de louanges. Et ce concert il s'est continué jusqu'à nos jours; ce grand homme de bien est vénéré, malgré sa qualité de saint24, même des incroyants, de ceux tout au moins qui, victimes de l'erreur, auraient honte de l'injustice et de la grossière impiété.

21.En tête de son édition de la Chronique de Ville-Hardouin.
22.Espèce d'épieu à bout ferré.
23.Lettre écrite à M. de Commet (24 juillet 1607).
24.Il fut canonisé, en 1737, par Clément XIII qui fixa sa fête au 19 juillet.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
25 haziran 2017
Hacim:
390 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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