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Kitabı oku: «Le Crépuscule des Dieux», sayfa 14

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D'ailleurs, serait-il le premier, à oser une telle aventure?.. et les pensées se succédaient, dans l'esprit du pâle jeune homme.

– Oui, dans son lait, ou dans ses fruits, exclama soudain la Belcredi, du profond de sa méditation.

Ils tressaillirent tous les deux, et se réveillant de leur songe, ils se considéraient stupéfaits, déjà complices et criminels, avec une angoisse d'horreur qui leur brûlait l'âme.

IX

Les cinq premiers jours qui suivirent le retour de Giulia à l'hôtel Beaujon, se passèrent en événements qui exigent une espèce de journal, pour servir à les débrouiller, dans leur succession si précipitée. Ce fut d'abord, l'apparition inopinée du comte Otto, qui survint, comme s'il émergeait de dessous terre, fort tristement, et dit qu'il arrivait de Londres; mais, avec des réponses si rechignées, lorsqu'on en venait à des questions, que le Duc, sans y insister, et jugeant qu'il y avait là-dessous, quelque aventure romanesque, ne songea plus qu'à faire fête à l'enfant prodigue. Il s'épanouissait de joie, entre son fils et sa maîtresse. Et pour dissiper quelque gêne, qui avait paru dans leur maintien, au moment où ils s'étaient revus, le Duc les emmena dîner au cabaret, et s'y égaya vers la fin, jusqu'à frapper de son couteau et de sa fourchette, sur son assiette, en guise d'accompagnement du piano d'un cabinet voisin.

Le lendemain, mardi, au réveil, Charles d'Este reçut des mains du valet qui tirait son rideau, une lettre sous un pli noir, qu'avait apportée, dès le matin, la femme de chambre de Christiane. La vue du billet lui déplut, dans la pensée que c'était encore quelque demande de secours, inspirée par Mme Sophie, pour une chapelle ou pour des pauvres; et le Duc différa de l'ouvrir, jusqu'après quatre heures de l'après-midi. Vers les deux heures, Christiane donna l'ordre que l'on attelât; et après un peu d'attente encore, allant çà et là par la chambre, toute rêveuse, tandis que dans un coin, le père Le Charmel et la princesse de Hanau s'entretenaient à voix basse, elle dit soudainement: Allons!

– Vous voulez toujours, chère enfant, passer par le Père La Chaise? interrogea Mme Sophie.

Elle répondit oui, de la tête; la vieille Louisa parut avec des paquets de voyage, – et debout, restée la dernière, au seuil de la porte, Christiane attachait un long regard sur cette chambre familière, aussi chère à son cœur, qu'une amie aimée. C'était donc vrai: elle quittait Paris, elle s'en allait à Poitiers, dans un cloître de carmélites. Là, tout d'abord, son abjuration, et plus tard, la prise de voile, les vœux solennels, irrévocables… Un silence de mort régnait; le vent soulevait doucement, les cendres amoncelées du foyer, où elle avait brûlé quelques lettres, et les portraits de Hans Ulric; elle éprouvait avec horreur, les plus poignants effets de la tendresse… puis, Christiane descendit.

– Nous avons deux heures à nous, dit la princesse, en tirant sa montre; et personne ne parla plus. Enfoncée derrière les glaces, Christiane jetait un morne regard sur les avenues plantées d'arbres, les équipages, les passants; leur aspect lui offusquait les yeux. Elle baissa le mantelet, et se plongea dans son coin; mais déjà, le coupé s'arrêtait. On était à la porte du cimetière.

– Allez, ma fille, nous vous attendons, dit à mi-voix, le père Le Charmel.

Le monument provisoire des Blankenbourg, que le duc Charles avait acheté, à moitié bâti, de don Lopez Aguillu, riche Brésilien, se trouve au sommet de la colline, non loin du sépulcre de Balzac. Quoiqu'il soit entouré de tombes pressées, dont les dalles et les croix de pierre, bornent la vue de toutes parts, il se fait remarquer de très loin, par sa flèche de marbre évidée, les dorures dont il est chargé, et ses clochetons, fouillés à jour, et flanqués de figures d'anges.

Christiane renvoya Louisa, après avoir pris les bouquets de fleurs, que portait la vieille servante; et mettant la clef à la serrure, elle descendit les deux marches qui précèdent l'étroite chapelle. Quoique ce lieu fût si enfermé, on n'y sentait aucune odeur. Les murailles de stuc, luisantes, éblouissaient de blancheur; quelques vieilles couronnes fanées, jonchaient le dallage de marbre; d'autres pendaient, le long des murs, à des patères de bronze doré. Et dans cet endroit, propre et clair, aucune émotion ne venait à l'âme de la malheureuse: Hans Ulric lui paraissait éloigné d'elle, si proche fût-il, d'une distance comme infinie. Christiane s'agenouilla, et se penchant vers le caveau, elle dit, à plusieurs reprises:

– Adieu… adieu… adieu…

Elle le revoyait dans sa bière, pâle, la tête fracassée, entourée de bandelettes. Il était là, gisant et mort, – et c'est une morte aussi, qui te parle, pensait Christiane, car je me sépare de ce monde, et je vais m'établir dans un lieu de repos, aussi obscur et caché, qu'est le tien. Elle se tut. Une rafale secouait les arbres du cimetière, les guirlandes de perles d'un tombeau voisin, en s'entrechoquant, produisaient un bruit singulier; puis soudain, une averse croula, le ciel entier fondit en eau. – Ah! pensa Christiane, ils doivent avoir froid! Et au même moment, les larmes l'étouffèrent, elle éclata en soupirs et en sanglots.

– O cher, cher, mon cher bien-aimé!..

Et, en s'abattant sur le sol, balbutiante et désespérée:

– Ah! je t'aime, je t'aime, Ulric; prends-moi, étends les bras, mets-moi à tes côtés! Oh! parle-moi… je veux t'entendre… Mais entends-moi, réponds-moi, hélas!.. Je t'en supplie… ouvre les yeux…

Et toute pâmée sur la dalle, avec ses cheveux défaits, ses larmes coulaient abondamment, comme la pluie qui ruisselait, ses sanglots se mêlaient à l'orage; dans sa frénésie de mourir, elle allait se briser la tête à un angle de la muraille… Soudain, elle frissonna, en se voyant seule, enfermée, avec ces deux morts pour voisins. Le sol se déroba sous elle, ses yeux se fermèrent doucement, et la malheureuse s'évanouit…

La pluie avait cessé; Christiane, immobile, se tenait devant le tombeau. Un grondement puissant, continuel, traversé par des rumeurs étranges, des cris indistincts de chariots, montait de l'énorme Paris, qui s'étalait sous ses yeux. Elle contempla un instant, ce sombre charnier où son frère dormirait son éternel sommeil; puis, disant encore:

– Adieu… adieu… Christiane redescendit; Louisa donna au cocher, le nom de la gare d'Orléans… Le train roula et disparut, – et l'on ne devait jamais plus parler de Christiane, dans ce monde.

Le duc Charles sortait de son lit, quand il daigna se ressouvenir de cette lettre différée, et apprit ainsi, la nouvelle… – Voilà donc, dit-il amèrement, le respect et l'amour de ma fille… Et tout de suite, après avoir sonné, pour qu'on lui apportât du lait, dont il faisait, en ce moment, sa seule boisson, il se mit à jouer aux échecs, avec Giulia Belcredi, tandis qu'Otto marchait, de long en large, par la chambre. Soit qu'il y prît vraiment plaisir, soit comme marque de grandeur d'âme, le vieux fou, ce jour-là, ne s'avisa-t-il pas de faire l'amoureux, pressant la Belcredi du genou, par dessous la table, se penchant parfois, et lui parlant bas, avec des roulements de prunelles. Giulia se mourait de peur, de quelque foucade du jeune homme, en le voyant bientôt, rougir, pâlir, la gorge lui enfler, les yeux lui sortir de la tête. Par bonheur, Charles d'Este lui-même, se leva au bout de peu de temps, et laissant les échecs rangés, il proposa qu'on fît un tour au jardin, en se plaignant de la chaleur.

– Buvez donc, si vous avez chaud, dit Giulia.

– Tout à l'heure, répondit le Duc…

Et ils sortirent, sur ce mot. On n'a jamais bien éclairci le bizarre incident qui suivit, qui eut quelque chose de mystérieux, et comme imaginé pour un roman, du moins, tel que l'Italien le raconta plus tard, se vantant fort d'avoir sauvé Son Altesse. A l'en croire, il avait eu soif, dans le temps qu'il accommodait je ne sais quelle tête de cire, au fond du cabinet, contigu à la chambre à coucher du Duc; et par malice de Scapin, qui joue un tour plaisant à son maître, se trouvant seul, dans la chambre déserte, avait eu la pensée de boire à la propre tasse de Charles d'Este; mais, en la portant à ses lèvres, une odeur fétide qui s'en échappait, et la couleur du lait toute changée, l'avaient saisi si fortement que, sans y faire réflexion, le bouffon l'avait été jeter. Si le récit est véritable, et qu'une enquête, ainsi que le pensait le Duc, eût trouvé Otto au bout de l'affaire, outre la folie et la noirceur d'un tel crime hasardé ainsi, c'est encore un excès de péril, qui ne se peut comprendre. Comment quitter le Duc, préparer le poison, (en supposant, comme l'on fit, que c'était du phosphore raclé sur des allumettes de bois,) entrer et jeter ces raclures, sans que Giovan, qui travaillait dans le réduit à côte, eût entendu le plus léger bruit? Et ce subtil Arcangeli, si avisé, si précautionneux qui n'a pas un doute, une hésitation!.. Il est vrai de dire que l'événement, qui lui tomba comme une bombe, à lui et à Emilia, eut de quoi l'occuper tout entier, dès le lendemain même, et ne lui laissa guère le temps d'enfiler des raisonnements.

Le mercredi soir, en effet, entre huit et neuf, Emilia, qui était fort incommodée depuis quelques jours, se sentit prise soudain, des douleurs de l'enfantement. Personne, d'après son rapport même, ne songeait à rien moins, mais on comptait la chose pour le mois suivant; en sorte que Giovan qui soupait, pensa étrangler de saisissement, lorsque Térésina, accourant à lui, s'écria, tout effarouchée, que sa maîtresse allait accoucher.

On dépêcha au médecin, qui arriva presque aussitôt; mais quand ce fut à s'en aller quérir le comte Franz, les questions passèrent de bouche en bouche, par tous les valets de l'hôtel, sans que l'on sût en quel endroit se trouvait le jeune homme, depuis huit jours qu'il n'avait paru. On envoya plusieurs laquais, en divers lieux: d'abord, à l'entresol que le comte avait récemment loué, rue Taitbout, afin d'être libre en ses mouvements, disait-il; ensuite, au cercle Impérial, puis, au club de la rue du Helder. Enfin, vers minuit et demi, dans un claquedent du boulevard, le garçon de jeu répondit que M. le comte, ainsi que M. Romero, étaient allés, une heure auparavant, faire une partie, rue François Ier, chez madame Lyonnette.

Il se trouvait en effet, ce soir-là, chez la nouvelle comtesse d'Œls, – née Léonilde Chaffaroux, de son vrai nom, révélé par les bans de mariage – une assez nombreuse compagnie. Des moyennes-vertus, des filles d'Opéra, Flora Van Bloemen, la chanteuse, une Brésilienne avec son mari, et une douzaine de jeunes gens du monde, brillants par leur esprit, leurs prodigalités, ou leur débauche. C'était Lussan-Biron, le jeune duc, qui mourut à vingt-neuf ans, ne laissant que des dettes immenses, et quatre-vingt-trois costumes de bal masqué, dans sa garde-robe; Schonen le roux; quatre ou cinq fils de banquiers, et non des moindres; le marquis de Courson, M. de Poix, Feuillade, le tenant actuel de Lyonnette; le vieux marquis de Vivarens, et quelques autres.

Vers minuit, survint M. de Villalba, jeune gentilhomme cubain, fort riche, novice, et gros joueur. Il fut tout de suite entouré, et après les premières civilités, Lussan-Biron lui demanda, pour l'avoir rencontré plusieurs fois, au cercle de la rue de la Paix, si la fortune lui était favorable, et s'il se trouvait en perte ou en gain?

– A Enghien? demanda Villalba, qui entendait mal le français, et le baragouinait plus mal encore; puis, voyant tous ces jeunes gens perdre contenance, et rire en-dessous, il s'excusa fort poliment, tandis que le duc répétait sa question.

– Non! non! reprit Villalba, je ne suis pas heureux; j'ai perdu hier, vingt mille francs. Et au même moment, avisant Romero dans le cercle qui l'environnait, il ajouta d'un ton plaisant, que c'était avec ce coquin-là, et lui prit le bras, familièrement.

– Mais il sait très bien le français, chuchota le duc de Lussan à l'oreille de M. de Poix, tandis que Romero répondait en ricanant:

– Bah! bah! vous vous rattraperez…

– J'y compte bien, repartit Villalba; et il fit voir son portefeuille, tout gonflé de billets de banque, non sans répéter plusieurs fois, qu'il avait pris avec lui, cent mille francs.

– Eh bien! mais, qu'à cela ne tienne, dit l'Espagnol, comme par politesse; puisque tel est votre désir, je m'en vais vous donner votre revanche… Franz, allez donc demander des cartes à la maîtresse de la maison.

Le comte d'Œls arriva au bout d'un instant, les yeux perçants, la mine haute et railleuse… – Madame la comtesse s'attendait si peu à ce que l'on voulût jouer, qu'elle n'avait fait préparer que trois ou quatre tables de whist; et il s'excusait, en donnant des ordres. Deux laquais parurent bientôt, maniant et portant à reculons, une laide et sale table de cuisine, sur laquelle M. d'Œls jeta lui-même un tapis vert; après quoi, entra un petit chasseur, qui apportait plusieurs jeux de cartes. Pendant ce temps-là, Romero, avec la craie du billard, dessinait sur le lapis vert, le tableau de trente et quarante, tel qu'il est usité en Allemagne. Les deux joueurs s'assirent face à face, et l'Espagnol disposa devant lui, de l'or et des billets, pour vingt mille francs environ.

– Franz, êtes-vous mon associé? demanda-t-il, tout en distribuant les cartes.

– Je veux bien, répondit le comte.

Alors, tandis que la plupart des assistants se pressaient autour de la table, curieux de voir l'Espagnol tailler une banque, Feuillade s'approchant de Schonen et de Lussan, assis à un coin du salon, demeura debout devant eux, où la conversation, vive et chuchotée, s'engagea sur ce Romero. Schonen l'avait déjà rencontré à Bade, l'y avait vu gagner un soir, plus de quatre cent mille francs. Et telle était d'ailleurs, la renommée de cet illustre aventurier, que, dans les casinos d'Allemagne, il avait obtenu l'étrange faveur de jouer sur un maximum de vingt-cinq mille francs, au lieu de douze mille.

Ils remontèrent vers la table de jeu, afin de ne paraître pas trop longtemps, en conciliabule. La partie commençait à s'animer, et les assistants pariaient pour l'un ou pour l'autre des joueurs.

– Comment! demanda Feuillade à Franz, vous pontez contre la banque, vous, l'associé du banquier?

– Oui, dit le comte, Romero est si peu en veine, ce soir, que je suis forcé de jouer contre mon propre argent, afin de compenser mes pertes.

En effet, au même moment, l'Espagnol frappa du poing la table, et jetant ses cartes dessus, se leva comme un furieux, en protestant qu'il ne jouerait plus. Tout ce que put dire Villalba, ne fit que redoubler sa colère, et ses serments de s'en tenir là. Si bien qu'enfin, le jeune seigneur, encore chaud et alléché du gain, proposa aux autres assistants, un petit baccara tournant, qui commença par des dépôts de dix ou de vingt louis, et où les dames se mêlèrent.

De temps à autre, Villalba, en interpellant l'Espagnol, demeuré debout près de la table, au premier rang des curieux, le pressait de se remettre au jeu. – Non! non! répondait Romero, et le pauvre sot de redoubler: – Allons, voyons, laissez-vous tenter; c'est à vous que la main arrive; allons donc, vous en mourez d'envie!.. Et tant d'autres importunités, que l'Espagnol s'assit enfin, comme vaincu et presque contraint, tandis que M. de Villalba, lui applaudissait, en écolier.

– Je mets trois mille francs, dit Romero. Les tenez-vous?

– Parbleu! dit Villalba.

– Huit, dit Romero.

– J'ai perdu, dit Villalba; doublons la mise.

– Je tiens cent louis, dit le comte Franz.

– Sept, dit Villalba.

– Neuf, dit Romero.

– Bien! doublons la mise.

– J'en donne… Huit, dit Romero.

– Encore perdu! dit Villalba.

– Je tiens deux cents louis, dit le comte Franz.

– Huit, dit Villalba.

– Neuf, dit Romero.

Tous les regards étaient attachés sur les joueurs, ce qui donna moyen à Lussan-Biron de se tourner vers M. de Schonen, comme lui montrant Romero. L'autre cligna des yeux, voulant répondre: Oui! je vois. Une minute après, ils se joignirent; et le duc dit tout bas à Schonen, que Villalba avait perdu la tête, qu'il allait se faire voler, et qu'on ne savait d'où sortait en somme, ce beau fils, avec ses favoris.

– Le fait est, dit Schonen, entraînant Lussan plus loin, que les coups se présentent d'une façon bien extraordinaire.

– Et voilà Franz, reprit le duc, qui tient à présent, sur la main, des coups de cinq cents louis! En ce moment, le grand Feuillade sauta entre Schonen et Lussan, et leur dit à l'oreille, avec émotion:

– Que se passe-t-il donc? Regardez les cartes.

Romero tenait en effet, son jeu en éventail, devant lui, mais on eût dit qu'il s'y trouvait des cartes blanches, et toutes neuves. Le duc examina le talon. Le contraste était saisissant, entre les tranches éclatantes des cartes étalées par l'Espagnol, et la dorure un peu ternie de celles qui restaient sur la table.

– Il faut prévenir la comtesse, puisque M. d'Œls s'est mis au lit, dit alors le duc de Lussan… Feuillade, priez-la de venir dans le salon jaune.

Ils s'y promenèrent en l'attendant, fort animés d'indignation, le monocle collé à l'orbite, et s'interrompant l'un l'autre, en leurs propos. Lyonnette parut aussitôt, avec Feuillade: – Eh bien, qu'est-ce? que me dit-il?.. Ils la prirent dans une embrasure, et lui expliquèrent le cas. La stupeur et les exclamations durèrent un assez long temps; après, grande question sur ce qu'il leur fallait faire? Sûrement, arrêter la partie, mais quel scandale, quel éclat!.. Sans compter qu'ils devraient peut-être, comparaître comme témoins, au tribunal. Feuillade, envoyé près des joueurs, revint tout de suite, en levant les bras. Il fallait se hâter; les coups s'augmentaient toujours. Villalba venait, à l'instant même, de perdre une banque de soixante mille francs; il y avait eu sur la table, à peu près, cent trente mille francs. Le chiffre de la somme les décida. Ils rentrèrent, bien résolus à tout, dans le petit salon de jeu.

Un silence extrême avait succédé au gros coup qui venait de se jouer. On se haussait sur la pointe des pieds pour apercevoir Villalba, qui, pâle et tremblant, tirait les billets de son portefeuille; et tous les visages béants, où perlaient des gouttes de sueur, montraient je ne sais quoi de cruel, des yeux collés sur tant d'argent, des bouches entr'ouvertes de saisissement. Alors, au milieu du profond silence, la voix de Feuillade éclata:

– Ce jeu est trop cher, messieurs, dit-il, ce n'est point ici un tripot.

– C'est mon jeu habituel, répondit Romero.

Mais au même moment, le duc de Lussan-Biron, saisissant le paquet de cartes, sur la table, dit nettement à l'Espagnol:

– Vous avez ajouté des cartes, monsieur, tandis que M. de Schonen couvrait de son chapeau, le panier où l'on jetait les jeux, une fois qu'ils avaient servi.

On peut juger quel étrange coup de théâtre produisirent ces divers mouvements, et le tumulte qui suivit. Romero et Villalba s'étaient levés, avec précipitation; mais l'Espagnol avait fait rafle, prudemment, de tout ce qui se trouvait devant lui, et il se débattait, au milieu de la presse dont il était entouré. Enfin, à force de frapper avec sa canne sur la table, Feuillade obtint un peu de silence; et s'adressant à Lyonnette:

– Combien y avait-il, madame, de jeux de cartes, dans la maison?

Elle en avait fait donner cinq aux joueurs. Là-dessus, Feuillade compta. Il se trouvait des cartes de sept ou huit jeux différents, dans le paquet de l'Espagnol.

– Messieurs, dit Romero, au travers des mille injures qui lui pleuvaient de tous côtés, vous êtes joueurs, vous me comprendrez. J'avais gagné avec ces cartes du cercle Impérial; j'y croyais la veine attachée.

Une grande risée s'éleva, et Feuillade dit, parmi le tumulte:

– Allons, monsieur, il faut rendre l'argent.

Mais, à cette proposition, une espèce de frénésie saisit soudainement l'Espagnol, qui se mit à taper des pieds, à protester, à gesticuler. Puis, s'arrêtant, voilà notre homme qui pâlit, se démène, et fait cent contorsions, comme en proie à un de ces besoins pressants, auxquels on ne croit pas pouvoir résister. L'éclat de rire fut subit et irrésistible. Les femmes battirent des mains, et l'on en voyait de pâmées, qui pouffaient, sans pouvoir s'arrêter. Cependant Villalba, en prenant les gens à part, leur faisait remarquer sa délicatesse, de ne se point mêler à cette scène, tandis que Courson et Vivarens, debout devant le comte Franz, l'engageaient à intervenir auprès de son ami.

– Romero n'est pas mon ami, répondit Franz, avec vivacité.

Et il parut fort soulagé, lorsque l'Espagnol consentit enfin, à ce qu'on exigeait de lui, – non pas à titre de restitution, ajouta le joueur, en prenant un air superbe, et passant à la ronde, un œil de défi, mais par gentillesse gratuite, et parce qu'il voulait bien céder à l'opinion de la galerie. Il rendrait donc les sommes gagnées au baccara, mais il était juste qu'on lui tînt compte de sa perte au trente et quarante… Sur quoi, prenant dans son habit, une liasse de billets de banque, Romero les jeta sur la table, en grommelant de vagues menaces, entre ses dents.

– Franz, dit le marquis de Courson, il faut aussi que vous rendiez ce que vous avez gagné, en vous associant dans la banque.

– Je n'ai rien gagné, dit Franz vivement, et il tira son portefeuille. J'avais apporté trente-cinq mille francs, et voilà tout ce qui me reste: vingt-cinq mille.

Ces messieurs se lancèrent une œillade d'étonnement… Mais au même instant, le duc de Lussan, qui avait compté les billets jetés sur la table par Romero, dit d'une voix mordante et railleuse:

– Il y a là, cinquante mille francs; nous attendons le reste, monsieur Romero.

– C'est tout ce que j'ai sur moi, fit l'Espagnol, avec furie.

Cette réponse excita de nouveau des éclats de dérision, et une bruyante huée, qui recommença à plusieurs reprises. Romero fut pressé, bousculé. On lui mit le poing sous le nez; peu s'en fallut que la Barucci ne le frappât de toutes ses forces. Au milieu de la confusion, quelqu'un, resté inconnu, renversa une des lampes d'applique; et la tapisserie, qui était de Beauvais, à Cupidons chasseurs et à colombes, s'en trouva vilainement gâtée. Les femmes, pour mieux voir, avaient escaladé les fauteuils, autour de la chambre; et là, en pied, elles ricanaient, se démenaient, faisaient tapage, répétant:

– Fouillez-le! Fouillez-le! Le commissaire de police! puis, tout à coup, recommencèrent à applaudir, comme frénétiques. Et un grand battement de mains emplit l'hôtel, pendant quelques instants, les hommes, pour applaudir, aussi, s'écartant tous, et formant un cercle, autour du blême Romero.

Alors Schonen qui, durant cette scène, ne perdait pas de l'œil le misérable, vit sortir, du bas de son pantalon, une liasse de billets de banque; et il s'élança pour les ramasser, tandis que l'Espagnol s'écartait avec précipitation.

– Oh! c'est inutile, dit Feuillade, nous savons maintenant, où est le nid.

– Je vous dis que je me sens malade, cria furieusement, Romero.

– Hé! laissez-le aller, dit le duc de Lussan, avec un ton compatissant. Vous voyez bien que M. Romero a un flux de billets de banque.

L'Espagnol sortit du petit salon, suivi pas à pas, par la foule; et les billets, comme à un enchanteur, apparaissaient, où il marchait. Lussan les ramassait à mesure, et après les avoir comptés, en annonçait l'addition, à voix haute: – Soixante-cinq mille… soixante-dix mille… quatre-vingt mille… Cette sorte de chasse parut, on ne peut plus divertissante; et ne se fit pas, comme on pense bien, sans un feu roulant de quolibets, et la plupart, assez grossiers. Mais, par malheur, l'amusement ne fut pas de très longue durée. Arrivé au bout du salon jaune, Romero s'assit sur un fauteuil, et refusa d'en bouger. Le pauvre sire, pâle et les yeux fermés, paraissait près de se trouver mal.

– Allons! finissons-en, dit Feuillade, entendant trois heures sonner… Il faut que M. Romero ait passé à quelque compère, le reste de l'argent qu'il a gagné. Messieurs, vous êtes tous d'avis de vous laisser fouiller, n'est ce pas?

– Sans doute… sans doute, répondit-on.

Là dessus, Feuillade et Lussan, après avoir eux-mêmes, ouvert leur gilet, et montre le dedans de leurs poches, s'approchèrent du vieux marquis de Vivarens, qui les imita de bonne grâce. Le reste de la compagnie ne se montra pas moins empressée. Et, tout en faisant la cérémonie de retourner son gilet et ses poches, ces jeunes gens étaient en train de plaisanter, sur ce qu'il faudrait contraindre les dames, et principalement, Flora qui était grasse, à se laisser aussi fouiller, quand tout à coup, on entendit les éclats d'une voix furieuse:

– Jamais! jamais!.. disait le comte Franz. On s'efforçait de le calmer, mais lui, tout pâle et les yeux hors de la tête:

– Jamais je ne supporterai que l'on me fasse un tel outrage!

– Puisque j'ai souffert que l'on me fouillât, dit d'un ton piqué, le vieux Vivarens, vous pouvez bien le souffrir aussi.

– Je vous ai montré mon portefeuille, criait Franz; c'est là tout ce que j'ai, tout, absolument.

On entourait le comte; on demeurait en groupe, à l'exhorter, tandis qu'il passait des yeux égarés sur les assistants, en répétant: Jamais! jamais! Enfin, comme on le serrait de moins près, l'on aperçut tout d'un coup, à ses pieds, un paquet de billets de banque.

– Voici des billets, lui dit le duc, en les ramassant, qui viennent de tomber à vos pieds; prenez-les, ils sont à vous.

– Ils ne sont pas à moi, vous pouvez les garder, répondit Franz, qui les repoussa; et il changea tout à fait, de couleur.

Ces vingt mille francs une fois comptés, il n'en manquait plus que trente mille, pour parfaire la somme totale; et peu d'instants après, M. de Poix, qui rôdait dans le petit salon, les découvrit derrière un fauteuil. Alors, Courson prit une plume, et il fit le compte des pertes. On restitua à Villalba, en sus des mille louis qui lui restaient, environ quatre-vingt mille francs, sept mille cinq cents francs à de Poix, cent cinquante louis à Constance Meyer, et enfin, au sieur Romero, à peu près, vingt-cinq mille francs. L'Espagnol, une dernière fois, voulut faire donner parole aux assistants, de ne rien divulguer de l'affaire. Mais chacun lui tourna les épaules, et tous partirent.

Le comte Franz trouva dans l'antichambre, un laquais de l'hôtel Beaujon, qui l'attendait depuis fort longtemps, sans pouvoir percer jusqu'à lui, à travers les portes que Lyonnette avait commandé qu'on fermât, dès le début de cette scène, – et qui lui apprit l'accouchement. Le laquais observa que Franz avait l'air égaré, et qu'il parlait tout seul, en s'en allant à sa voiture. On le vit un moment, rue Taitbout, où sans doute, il se garnit les mains de quelques bons écrins et de sacoches.. Et de là, le diable sait où il disparut, en Belgique probablement, mais onques, nul ne l'a revu, sur le bitume du boulevard. Il est vrai que revenir à Paris, c'eût été se mettre la corde au cou, car Romero, jugé quinze jours après, fut condamné à cinq ans de prison et mille francs d'amende, et le comte Franz, par défaut, à treize mois, comme complice.

Le Duc n'apprit l'événement, que le vendredi, 13 juin, à son réveil. Il avait eu la fièvre, la veille et toute la nuit, par frissons; et en lisant ce beau récit, dont les journaux étaient pleins, il lui prit une pâmoison, qui le fit tomber sur son oreiller. La journée entière se passa, en suspens et en inquiétude. Quoiqu'il y eût déjà grand soupçon d'un anthrax, par la douleur violente qu'il sentait au cou, et l'inflammation qui y paraissait, les médecins, ce premier jour-là, ne parlèrent que d'un simple clou. Mais la nuit se trouva fort mauvaise, et il fallut bien, dès le lendemain, déclarer le péril où se trouvait Charles d'Este.

Il fut pansé. Incontinent après, l'anthrax parut, et l'on fit à la pauvre Altesse, une première incision. Lui-même, il se sentait si mal, et la tête si embarrassée, qu'il craignit les accidents. Et faisant venir son notaire, Me Arrachequesne, Charles d'Este dicta un testament, par lequel, en révoquant et annulant expressément, ses testaments antérieurs, il désignait son fils, le comte Otto, pour son seul et unique héritier.

Jamais Giulia Belcredi ne parut aussi belle, que dans ces jours-là. Quelque soin qu'elle prît de simuler l'affliction, elle marchait environnée de je ne sais quel éclat superbe, qui ornait toute sa personne, et que l'on sentait retenu. Otto était ébloui d'elle; et les amants enhardis à tout, par l'agonie de Charles d'Este, se cherchaient incessamment des prunelles, afin d'avaler par les yeux, un trait délicieux de l'amour l'un de l'autre. Le Duc était trop mal, pour prendre garde à quoi que ce fût, et ses rideaux restaient fermés plus souvent qu'ouverts; mais l'Italien ne bougeait pas de la ruelle, et le tourment que se faisaient les deux amants, pour ne rien laisser échapper devant cet importun témoin, était extrême et délicieux. Cet état si violent, fut d'assez courte durée. Les médecins, pendant ce temps, multipliaient les incisions; la dépuration s'établit: en sorte que, ce faible espoir d'éviter leur crime, qu'avaient eu un moment, Otto et la Belcredi, s'éteignit aussi vite qu'il avait paru.

La convalescence du Duc n'exigea pas moins de plusieurs semaines, pendant lesquelles, le grand lit fut, tour à tour, tendu et détendu, à tous les coins de l'appartement, Charles d'Este étant devenu plus soupçonneux des courants d'air, et plus précautionné pour sa santé, qu'Augusta Linden elle-même. Des pistolets et des poignards, qu'on voyait toujours près de lui, témoignaient de ses autres craintes, à l'égard des pères Jésuites, – ses cruels ennemis, pensait-il, qui, non contents de convertir sa fille, pouvaient bien en vouloir, maintenant, à sa fortune et même à sa vie.

Du reste, l'emploi qu'il faisait du temps, n'était pas pour lui tourner l'esprit aux idylles et aux pastorales. On se rappelle le monstrueux crime, qui fut commis à cette époque, par un scélérat du nom de Hermann, et dont l'horrible découverte retentit dans toute la France, et donna le spectacle nouveau de sept victimes à la fois, égorgées par un seul homme. Tel était le riant poème que, chaque jour, le Duc se faisait lire, et qu'il suivait avec un vif intérêt.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
25 haziran 2017
Hacim:
291 s. 2 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
Come Alive
Madelynne Ellis
Metin
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