Kitabı oku: «Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome IV», sayfa 7
AMOURS DE LOUIS LE GRAND ET DE MADEMOISELLE DU TRON46
PRÉFACE DES ENTRETIENS
Vénus, reine des amours; Cupidon son fils, ayant jeté ses flèches et son flambeau par terre
Vénus. – Que fais-tu donc, mon fils, dans ce lieu solitaire, et quelle est donc la cause de ton chagrin? La terre, l'air et l'onde se plaignent de toi tous les jours: les élémens ne font que murmurer depuis que tu n'animes plus le cœur des amans. La voix des oiseaux, le chant des Syrènes, tout languit ici bas, et les eaux du beau séjour où tu es coulent plus doucement, et disent, par leur muet langage, que toutes choses périssent si tu ne les soutiens.
L'Amour, en fureur, voulant rompre son arc et son flambeau. – Ah! Madame, je me désespère, et je ne veux plus servir le monde: je perds courage depuis qu'un grand Héros, autrefois favori des Dieux, n'est plus sensible à mes traits. C'est en vain que je frappe; son cœur s'endurcit de plus en plus; et Louis le Grand47, ce redoutable vainqueur, qui triomphe si facilement de toutes les beautés du tendre empire, semble avoir formé le dessein de ne plus aimer; j'en suis si chagrin, que j'ai résolu de briser mes armes et d'éteindre mon flambeau pour jamais.
Vénus. – Hélas! mon enfant, que veux-tu faire? que deviendra l'Univers? C'est toi qui par tes soins empressés fournis de matière à tout ce qui l'anime, et sans ton secours la nature seroit aux abois.
L'Amour. – Je me soucie peu d'elle, après l'affront que j'ai reçu ce matin du Dieu des combats: Mars m'a reproché, d'un air peu agréable, que ce monarque n'étoit plus occupé que des lauriers qu'il lui donnoit, et que mon règne étoit achevé.
Vénus. – Mars n'a pas lieu présentement de parler si haut; mais en vérité, mon fils, j'ai honte de tes foiblesses. Si le Roi n'aime plus, à qui en est la faute? toi qui fais toutes choses, n'as-tu pu faire durer sa passion pour toujours?
L'Amour. – Mes grandes occupations, Madame, en sont peut-être la cause: Il est vrai que j'ai négligé la revue de son cœur, pour courir à des conquêtes plus nouvelles, où l'on m'appelle incessamment.
Vénus. – Allez, mon enfant; Mars se raille de vous mal à propos. Le Roi est plus sensible qu'il n'a jamais été. Mercure nous dit l'autre jour au palais de Jupiter, que le prince est fortement occupé d'une passion naissante qui le charme tendrement.
L'Amour. – Il est donc piqué? Ma foi, je ne croyois pas que mes traits lui fussent encore si redoutables.
Vénus. – Quoi! l'amour ignore ce que l'amour fait? ah! l'étrange surprise! je vois bien que toutes choses dégénèrent: c'est le vrai moyen de faire périr la nature et l'univers, et de les ensevelir dans un éternel silence.
L'Amour. – Ne craignez rien, aimable reine de Cythère, il ne tiendra qu'à moi de le faire renaître; j'y vais travailler de ce pas avec des soins assidus et dignes de vous. Calmez vos chagrins, et n'en doutez aucunement; ma gloire y est intéressée.
Vénus, baisant son fils. – Adieu, mon cher fils; reprens promptement tes flèches et ton flambeau, ne vois-tu pas que tout se ressent de ton inquiétude, et que tu es l'âme et le soutien de toutes choses? vole donc vite dans les airs: on t'attend au palais de Louis, pour un dessein nouveau.
ENTRETIEN I
Le Roi48, Mademoiselle du Tron49, la marquise de Maintenon50, Monsieur Bontems51, gouverneur de Versailles, étant tous dans le parc de Meudon
Le Roi, la tête nue à Mlle du Tron. – Hé bien, Mademoiselle, que dites-vous de la nouvelle acquisition52 que j'ai faite pour monsieur le Dauphin?
Mlle du Tron, d'un ton précieux. – Je dis, Sire, qu'elle est incomparable et digne du choix de Votre Majesté.
Le Roi. – Voilà qui est fort obligeant, Mademoiselle; mais encore, n'en dites-vous rien de plus? n'ai-je pas bien fait de changer Choisy pour Meudon avec la marquise de Louvois53, moyennant le prix que j'en ai donné de retour?
Mlle Du Tron, en riant. – Admirablement, Sire; Choisy n'est point à comparer aux beautés de Meudon, et je trouve que Votre Majesté a gagné à cet échange, quoiqu'elle l'ait bien payé.
Le Roi, la regardant d'un air gracieux. – Vous plairez-vous, Mademoiselle, dans cet agréable séjour?
Mlle Du Tron, d'une manière tout engageante. – Il n'y a pas lieu, Sire, d'en douter; s'il m'appartenoit, j'aimerois passionnément un lieu si rempli de charmes, où tout ne respire que le plaisir.
Le Roi. – Vous pouvez, ma belle, compter qu'il sera à vous, si je suis assez heureux pour vous plaire.
Mlle Du Tron, avec fierté. Qui, moi, Sire? je n'ai pas assez de mérite et de vanité pour aspirer à la conquête du plus grand Roi de l'Univers.
Le Roi, en lui baisant la main. – Que ces douceurs sont charmantes, Mademoiselle, et en même temps dangereuses pour le cœur d'un mortel! vous joignez aux charmes que le ciel vous a donnés, un esprit tout divin.
Mlle Du Tron. – Sire, Votre Majesté me raille agréablement; mais je n'ose, par respect, lui dire que la sincérité est plus agréable et embarrasse moins une fille comme moi, qui vient de province, que ces délicatesses obligeantes et ces agrémens que suggère la politesse de la cour.
Le Roi. – Je vous trouve, Mademoiselle, plus de grâces et plus de charmes que n'en ont toutes celles de ma cour, que l'artifice seul soutient; cette aimable innocence qui règne chez vous, fait ressentir un des plus grands plaisirs de la vie.
Mlle du Tron, en rougissant. – Ah! Sire, vous désarmez de tous côtés, et je ne trouve plus d'armes pour me défendre; vous combattez si bien tout ce que je dis à Votre Majesté, qu'il faut céder et se rendre.
Le Roi, à M. Bontemps. – En vérité, Monsieur, vous avez une aimable nièce; elle a l'esprit aussi joli que le corps, et j'éprouve que tout ce qu'elle dit va droit au cœur.
M. Bontemps. – Sire, ma nièce vous est infiniment redevable, et Votre Majesté a de grandes bontés pour elle; qu'en dites-vous, Madame?
Mme de Maintenon, d'une manière inquiète. – Je ne m'étonne point, Monsieur, de voir l'encens du Roi donné à mademoiselle du Tron; ce grand monarque aime toutes les jolies femmes, et se fait un plaisir de le leur faire connoître.
Le Roi, l'interrompant. – Il est vrai, Madame, que de tout ce qui est au monde, c'est ce que je trouve de plus beau et de plus engageant; si c'est un crime que d'aimer, tous les hommes en sont coupables, et seront malheureux pour avoir suivi un chemin si doux.
M. Bontemps. – Sire, je crois, sans déguiser ma pensée, que c'est le moindre de tous les crimes que celui de l'amour. Hé! qui peut justement condamner un penchant que la nature donne à tout ce qui respire?
Mme de Maintenon. – Monsieur, vous appuyez les inclinations du Roi avec un peu trop de complaisance. Savez-vous que la flatterie est un péché mortel, et qu'il ne faut jamais dire plus qu'on ne pense.
M. Bontemps. – Madame, je ne tais point mes sentiments, et j'ai toujours cru que les péchés d'amour étoient bien pardonnables.
Mme de Maintenon. – Ce n'est pas ce que nos Révérends Pères Jésuites disent; car ils comptent au rang des plus grands crimes la galanterie et les amusements de Cour. Oui, ces Saints Pères disent que Dieu y est offensé mortellement et que l'on se ferme par cette voie peu conforme à la morale de Notre Seigneur, la porte du paradis.
M. Bontemps, en riant. – Quoi, Madame, croyez-vous entièrement toutes les idées du péché que ces religieux nous donnent? Ah! croyez-moi, ces bonnes âmes en font un nombre que l'on ne peut condamner avec justice, et qu'en particulier ils approuvent eux-mêmes.
Le Roi, en frappant sur l'épaule à M. Bontemps. – Ma foi, Monsieur, vous êtes admirable en conclusions, et vous avez raison; ces bons Pères ne suivent pas toujours la morale qu'ils nous présentent54.
M. Bontemps. – Sire, souvenez-vous que la chair est foible et sujette à rebellion; la volonté peut être, mais…
Le Roi. – Ce n'est pas ce que madame de Maintenon dit; la bonne chrétienne veut que les sens obéissent à la volonté et à la raison, qui sont les tyrans de l'homme; cette dernière ne conclut rien, quoiqu'elle s'oppose à tout d'une manière sévère.
Mme de Maintenon. – Ah! mon illustre Prince, décidez-vous de la sorte des facultés des créatures, qui rendront compte des biens qu'elles ont reçus du Créateur, qui ne les a créées que pour sa gloire?
Le Roi, riant, à M. Bontemps. – Ne trouvez-vous pas, Monsieur, que madame de Maintenon est extrêmement savante? Elle se perd avec un saint plaisir dans la contemplation des mystères divins, qui la ravissent en admiration.
Mme de Maintenon, en soupirant. – Hélas! mon cher Monarque, je souhaiterois n'avoir plus aucuns sentimens pour la terre qui m'éloignassent du ciel; mais la foiblesse humaine est si grande, que l'on ne triomphe pas toujours de soi et de la pente naturelle qui vous mène vers le vice.
Le Roi, s'éclatant de rire. – Oh, la belle âme! Oh, la divine personne, qui est élevée jusques aux cieux par de saints et pieux transports, qui la distinguent des autres femmes!
Mme de Maintenon, quittant le Roi. – Je vois bien qu'il faut céder à Votre Majesté: mais, mon Prince, ne raillez pas davantage les personnes qui font tous leurs efforts pour parvenir à l'Eternité.
Le Roi. – Très-volontiers, Madame; adieu, je vous la souhaite.
ENTRETIEN II
Monseigneur le Dauphin55, et la princesse de Conti56
Monseigneur. – Ne trouvez-vous pas, Madame, ce lieu tout charmant? Pour moi j'y vois des beautés mille fois plus grandes qu'à Choisy, particulièrement pour la chasse, qui est ce que j'aime le plus.
La princesse de Conti. – Je ne sais, Monseigneur, quel plaisir vous prenez dans un exercice si pénible et si peu profitable: la défaite de vos ennemis vous seroit mille fois plus glorieuse que celle des bêtes, à laquelle vous ne remporterez pas grands lauriers.
Monseigneur. – Je l'avoue, Madame, j'irois les combattre si l'on étoit sûr des victoires; mais depuis que j'ai été sur le Rhin57 à me morfondre, où je n'ai eu nul avantage, la guerre ne me plait plus; et je trouve beaucoup plus de charmes à courir des loups58 que j'arrête quand je veux. Dernièrement, dans la forêt de Saint-Germain mes gens prirent deux louves qui peuploient ces bois de petits loups, et, sans le malheur qui m'arriva, j'aurois pris le mâle: le maraut se sauva dans une île où l'on ne put le trouver.
La Princesse de Conti. – Voilà qui est fâcheux, mon Prince; mais parlons un peu du grand chemin que le Roi fait faire depuis Versailles jusqu'à Meudon; qu'en dites-vous? La pieuse Maintenon n'en paroît pas trop contente.
Monseigneur. – Parbleu, Madame, la vieille bigotte a bien d'autres choses en tête que le chemin de Meudon! Depuis que le Roi a fait jouer les comédiens à Trianon59 pour la nièce du gouverneur de Versailles, elle est devenue jalouse comme un diable.
La princesse de Conti. – Ah! la vieille proscrite! l'amour l'inquiète-t-il encore? mais je crois que le Roi ne sera jamais aimé de mademoiselle du Tron, quoiqu'il fasse tout son possible pour parvenir à cette conquête: la belle est prévenue d'un amant.
Monseigneur. – Qui est donc le galant de cette aimable fille?
La princesse de Conti. – Monseigneur, c'est le duc de ***60 qui en est passionnément amoureux; et qu'elle aime plus que sa vie. Voilà une copie d'une lettre en vers, qu'on prétend qu'elle lui a écrite, qui est la plus tendre et la plus spirituelle du monde.
Monseigneur. – Voyons les beaux sentiments de mademoiselle du Tron.
La princesse de Conti. – Ils sont délicats et fort tendres.
Monseigneur. – C'est ce que je demande.
(La princesse de Conti lit:)
Lettre en vers de mademoiselle du Tron au duc de *** à l'armée 61
Ma vertu, cher amant, ne me pouvoit permettre
Le funeste plaisir de t'écrire une lettre;
Et malgré mon amour, mon devoir inhumain,
M'a cent fois arraché la plume de la main.
Mais quoi? le mal me presse, et si je l'ose dire,
Il faut absolument ou mourir ou t'écrire.
Dans cette extrémité, mon courage se rend;
Et si je fais un mal, j'en évite un plus grand:
Car enfin je veux vivre, et l'amour m'y convie
Puisque tu reviendras me faire aimer la vie,
Et que je ne sçaurois abandonner le jour,
Sans quitter mon amant et perdre mon amour.
Dis-moi donc, notre Roi veut-il, sans résistance,
Sur tous ses ennemis exercer sa vengeance?
Trouve-t-il tant d'attraits dans ces travaux guerriers?
N'est-il pas encor las de cueillir des lauriers?
Son bras victorieux, pendant une campagne,
Fait plus qu'en soixante ans n'a pu faire l'Espagne.
N'est-ce donc pas assez? veut-il que malgré moi,
J'ose me repentir d'avoir un si grand Roi;
Et que mon cœur, outré de dépit et de rage,
Autant que les Anglois déteste son courage?
Je regrette souvent le règne des Césars,
Qui se plaisoient bien moins de vivre au Champ de Mars.
Et, dans le grand désir de revoir ce que j'aime,
Je fais presque des vœux contre la France même.
Mais toi, mon cher amant, ne me déguise rien;
La guerre te plaît-elle, et t'y trouves-tu bien?
Défaire un escadron, forcer une muraille,
Prendre une ville, un fort, gagner une bataille,
Cela te charme-t-il? et ce funeste honneur
Te plait-il aux dépens de tout notre bonheur?
Aimes-tu les lauriers qui me coûtent des larmes?
Ce qui fait tous mes maux a-t-il pour toi des charmes?
Et quand tu fais trembler un peuple malheureux,
Ne te souvient-il pas que je tremble plus qu'eux?
Que malgré tous les maux que leur fait ton courage,
Je suis plus misérable et perds bien davantage?
Arrête donc, cruel, il ne t'est pas permis
De me faire du mal plus qu'à tes ennemis.
Hélas! je le sçay bien, tu n'as plus de tendresse,
Tu ne me connois plus, la gloire est ta maîtresse:
Elle occupe aujourd'hui ma place dans ton cœur
Et je mérite moins qu'un fantôme d'honneur:
Les blessures d'amour te semblent méprisables,
Et celles du Dieu Mars te sont plus agréables.
Autrefois tu jurois qu'il te seroit bien doux
De pouvoir quelque jour mourir à mes genoux.
Mais la guerre en trois mois t'a fait changer de stile;
Tu ne veux plus mourir qu'aux pieds de quelque ville,
Et le feu de l'amour qui t'a brûlé longtems,
Cède à ce noble feu qui fait les conquérans.
Tu te ris de mes yeux et de leur doux langage,
Et crois qu'être amoureux ce n'est pas être sage.
Ingrat! seroit-il vrai, ne m'abusé-je point?
Serois-tu devenu tigre jusqu'à ce point?
M'aurois-tu violé cette foi tant jurée?
Ce feu, que je croyois d'éternelle durée,
Seroit-il en trois mois étouffé dans ton sein?
N'as-tu pu sans le perdre aller jusques au Rhin?
Je pourrois bien courir sur la terre et sur l'onde,
Et porter mon amour de l'un à l'autre monde,
Sans qu'il se puisse éteindre ou bien qu'il s'altérât?
Mais ai-je le malheur d'adorer un ingrat?
Sans doute que tu crois que c'est une bassesse,
Que d'être au Champ de Mars, songer à sa maîtresse,
Et que d'y conserver de l'amour dans le cœur,
Ce n'est pas le moyen d'acquérir de l'honneur:
Ah! que tu connois mal le chemin de la gloire!
Quoi? tous les conquérans dont nous parle l'histoire,
Et dont on vante tant le courage et le bras,
Ont-ils cessé d'aimer au milieu des combats?
Regarde un Alexandre, un César, un Pompée:
Ces grands hommes jamais ont-ils tiré l'épée,
Sans songer qu'il falloit par mille beaux exploits
Mériter la beauté qui leur donnoit des loix?
Apprens donc que l'amour renverse des murailles,
Ravage des Etats, remporte des batailles.
Si dans le Champ de Mars tu veux être vainqueur,
Tu te dois efforcer de mériter mon cœur.
C'est l'unique moyen de gagner la victoire,
Que de m'avoir toujours présente en ta mémoire.
Mais pourquoi te donner ces conseils superflus?
Mon triste cœur me dit que tu ne m'aimes plus,
Qu'en vain de quelque espoir se flatte une insensée,
Que Casal et Namur occupent ta pensée,
Que, fatiguant sans cesse, et la nuit et le jour,
Tu n'as guère de temps pour penser à l'amour;
Et que, blessé peut-être, et mourant de foiblesse,
Tu n'es point en état d'aimer une maîtresse;
Que le sang et le meurtre ont changé ton esprit,
Que ton cœur est de fer, que rien ne l'attendrit.
Ah Ciel! qu'à m'affliger je suis ingénieuse,
A m'entendre, on diroit que je crains d'être heureuse.
Non, toutes ces raisons pour lui ne valent rien;
Je ne crains point cela d'un cœur comme le tien;
Et j'ai de ta constance une trop belle idée,
Pour croire que déjà tu m'ayes oubliée.
D'un feu trop violent j'eus soin de t'enflammer,
Pour croire que déjà tu cesses de m'aimer.
Il est certain moment où, seul devant la tente,
Tu fais quelques soupirs pour ta fidèle amante;
Et, malgré les appas que la guere a pour toi,
Tu souhaites la paix peut-être autant que moi;
Tu voudrois quelquefois aller comme un tonnerre
Ravager la Hollande et terminer la guerre;
Et le mortel regret d'avoir quitté mes yeux
Contre les Hollandois te rend plus furieux.
Rapporte donc à moi ta plus louable envie;
Conserve bien tes jours pour conserver ma vie,
Et, quoique ta valeur te porte à tout oser,
Ne t'expose jamais de peur de m'exposer.
Monseigneur. – Il faut avouer, Madame, que voilà quelque chose de bien écrit et de bien tendre. C'est en vain que le Roi tente d'attendrir un cœur si pénétré de passion; elle n'aimera jamais Sa Majesté, quelque protestation qu'elle lui en fasse.
La princesse de Conti. – J'en doute fort; mais que deviendra notre vieille dévote, si le Roi continue d'aimer cette belle fille?
Monseigneur. – Ma foi, Madame, je n'en sais rien; ses affaires sont en mauvais état; n'en parlons pas, la voici avec son Maure qu'elle aime beaucoup.
ENTRETIEN III
La marquise de Maintenon et son Maure
La Mise de Maintenon. – Page, va voir où est le Roi. Je suis en peine de ce que Sa Majesté fait.
Le Maure. – J'y cours sans différer d'un moment.
Mme de Maintenon, après le retour du Maure. – Hé bien que fait le Prince? à quoi s'occupe-t-il?
Le Maure. – Madame, il est dans un salon, avec le gouverneur de Versailles et sa nièce.
Mme de Maintenon. – Hélas, mon enfant, ce n'est pas pour les beaux yeux de M. Bontemps que ce grand Monarque a tant de complaisance; il a une autre idée qui lui fait trouver ces moments agréables. Sexe inconstant et volage, qui n'aime que les nouveautés; vieux pécheur62, est-ce encore à toi de sentir les appétits de la chair, qui es tout ruiné et rendu incapable de satisfaire une jeune coquette comme est la du Tron?
Le Maure. – Madame, je ne saurois qu'y faire; mais le Roi est de fort belle humeur.
Mme de Maintenon. – C'est ce qui me chagrine. – Maure, va dire à Sa Majesté que je viens de recevoir une lettre de l'armée du maréchal de Boufflers63 qui se trouve fort embarrassé dans Namur à repousser les ennemis.
Le Maure. – Madame, je n'ose.
Mme de Maintenon. – Tu n'es qu'un animal; j'y vais moi-même.
Le Maure seul. – Allez-y si vous voulez, vieille médaille; le Roi se moquera de vous et aura raison.
ENTRETIEN IV
Le Roi, Madame de Maintenon, et M. Bontemps
Mme de Maintenon. – Sire, voici des nouvelles, mais non pas des meilleures. Que dites-vous du mauvais état de nos affaires? Un exprès est venu ce matin, qui m'a dit que Casal et Namur64 sont assiégés par les ennemis, et que nos généraux commencent à perdre courage.
Le Roi. – Parbleu, Madame, je n'y puis que faire; je suis si las de la guerre que je voudrois n'y avoir jamais songé. Les inquiétudes d'amour sont mille fois plus douces que celles de Mars, qui ne fait que des impressions de sang et de carnage, qui ne donne point de repos; et, pour être partout où l'on donne une bataille, cela n'est point de mon goût.
Mme de Maintenon. – C'est donc pour cela, Sire, que vous avez toujours des retours de cette passion qui rejaillissent incessamment, quelques prières que je fasse à saint Benoît65 pour la continence de Votre Majesté? O sang rebelle et désobéissant au Souverain: quand triompherons-nous de vous?
M. Bontemps. – Madame, ces petits emportements sont pardonnables à notre grand Monarque; c'est dans les bras de Vénus qu'il se délasse des travaux de la guerre et des soins de son royaume, qui fatiguent Sa Majesté nuit et jour.
Mme de Maintenon, peu contente et montrant un chapelet. – Monsieur, ne flattons pas les Princes dans leurs défauts, par politique et par intérêt. Voilà où mon Prince doit appliquer tous ses soins, à dire souvent son chapelet et bien prier Dieu.
Le Roi, d'un ton méprisant. – Madame, cessez de me rompre la tête de vos dévotions outrées. Allez seulement porter une chandelle de Saint-Cyr à votre bon saint Hilaire, afin qu'il vous rende plus discrète.
(Madame de Maintenon s'en va.)
Mlle du Tron a-t-elle existé? Nous connaissons sous ce nom, mais avec l'orthographe du Tronc et du Troncq:
1o Du Troncq, dont parle Dangeau (Mémoires, mardi 19 octobre 1706): «Le Roi depuis quelques jours a fait brigadiers le comte de Melun et du Troncq, qui se sont signalés en Italie.» – Ce même du Troncq (Dangeau, 8 mars 1718), figure dans une liste de promotions au grade de maréchal de camp.
2o N… du Tronc, femme de Savary, sieur de Saint Just, sur laquelle on trouve le couplet suivant dans le Recueil de Maurepas, t. XI, p. 325, année 1709:
Chanson sur l'air: ne m'entendez-vous pas?2e coupletDe Saint Just à ParisLa Savary fait coursePour attraper la bourseDu beau Towienski;Mais Luxembourg l'a pris. Le beau Towienski était un polonais, alors de passage à Paris, qui avoit obtenu, d'après le chansonnier, les bonnes grâces de la duchesse de Luxembourg.
S'il s'agit de Mlle du Tronc, aimée de Louis XIV, elle pouvoit avoir en 1709 de 30 à 31 ans, soit 16 à 17 ans en 1695.
L'abbé de Choisy, dans son Histoire de la comtesse des Barres, raconte que, lorsqu'il alla sous son déguisement, s'établir dans le Berry, il acheta les glaces de la marquise du Tronc, morte dans son château, à trois ou quatre lieues de Bourges.
Alexandre Bontemps fut en outre secrétaire général des Suisses et des Grisons, gouverneur de la ville de Rennes, intendant des châteaux, parcs, domaines et dépendances de Versailles et de Marly. C'est à lui qu'est adressée, dans les termes les plus respectueux, la première lettre de Ch. Perrault (Œuvres diverses), qui lui demande une place pour son livre dans la Bibliothèque du palais de Versailles et surtout la fondation d'une Bibliothèque dans la ville.
Alexandre Bontemps eut trois enfants, un fils aîné, Louis, qui eut encore plus de titres et dignités que son père; Alexandre-Nicolas, qui fut premier valet de chambre de la garde-robe; Marie-Madelaine qui épousa le riche Lambert de Thorigny, président en la Chambre des comptes, dont l'hôtel étoit et est encore un des plus riches de l'île St-Louis. – Voy. l'Erratum à la fin de ce pamphlet.
«Perrillet. – Ne t'aperçois-tu pas d'un certain jeune abbé qui vient fréquemment au logis, et que…
«Colombine. – Qui? l'abbé Goguette? ah! Monsieur, n'en prenez point d'ombrage… Je me connois un peu en gens. Premièrement, c'est un garçon de qualité qui a dix mille écus de rente en bons bénéfices, et qui est bien aise de manger son revenu avec quelque sorte d'éclat. Il voit tout ce qu'il y a de jolies femmes à Paris. Il joue gros jeu; son train est leste; il a une belle maison, des meubles magnifiques, et un cuisinier qui dame le pion au vôtre. Ha! le joli homme d'abbé que c'est! Je voudrois que Madame vous eût dit comme il fait bien les choses.
«Perrillet. – Ouf!.. est-ce que ma femme sait cela?
«Colombine. – Bon, ils ne bougent d'ensemble… Rêvez-vous de croire que cet abbé soit amoureux parce qu'il fait de la dépense? Non moins que cela. C'est qu'il a de l'ambition: et, comme dans le monde on ne parvient à rien sans l'estime et l'approbation des femmes, il fait de son mieux pour les mettre de son parti. Il les promène, il les régale, aujourd'hui à l'Opéra, demain à la Comédie. De l'air qu'il s'y prend, c'est un drôle qui s'avancera en fort peu de temps et qui se va mettre dans une grande réputation.
«Perrillet. – Mais, Colombine, crois-tu qu'il ne se feroit pas autant de réputation en donnant une partie de son bien aux pauvres qu'en le mangeant avec les femmes?
«Colombine, riant. – Et d'où venez-vous, Monsieur? est-ce qu'on se fait abbé pour donner l'aumône? je pense que vous perdez l'esprit. N'est-ce pas une assez belle charité de faire vivre de pauvres diables de parfumeurs qui ne gagnent rien avec les femmes et qui mourroient de faim sans messieurs les abbés?»
Cette cruelle satire est anonyme; elle n'en fut pas moins jouée à l'hôtel de Bourgogne, vingt ans après le Tartufe, qui eut tant de peine à paroître.
Le duc de Bourbon, né le 12 octobre 1668, marié le 24 juillet 1685, à Mlle de Nantes, légitimée de France.
Le duc de Villeroy étoit très-âgé; il était marié depuis 1662; son fils ne prit le titre de duc qu'en 1696.
Le duc de Roquelaure, marié aussi, avait épousé, le 20 mai 1683, Marie-Louise de Laval-Montmorency.
Le duc de Luxembourg, né le 18 février 1662, épousa, le 28 août 1686, Marie-Thérèse d'Albert, fille aînée du duc de Chevreuse, qui mourut le 17 septembre 1694. Le duc étoit donc veuf à l'époque où se place ce récit; il se remaria le 15 février 1696, et épousa Mlle de Gillier de Clérembault.
A l'armée du Rhin, comme on le voit dans la pièce de vers qui suit:
… N'as-tu pu, sans le perdre, aller jusques au Rhin?… Tu voudrois quelquefois aller, comme un tonnerre,Ravager la Hollande et terminer la guerre.
[Закрыть]
«Le 1er de ce mois, les alliés donnèrent un autre assaut général avec 20,000 hommes…; les brèches étoient si grandes qu'il pouvoit y monter un bataillon de front… Le carnage fut si grand qu'il n'y en a point eu de pareil en Europe depuis plus d'un siècle, puisque les ennemis eurent, dans cet assaut, 9,000 hommes tués ou blessés et les nôtres 3,000. Mais comme la garnison se trouva réduite à 5,000 hommes, dont il ne restoit que 2,300 en état de combattre, et que tous les ouvrages étoient presque entièrement renversés, on jugea à propos de capituler. Les articles furent arrêtés le 2 avec l'Electeur de Bavière. Ils contiennent en substance que la place seroit rendue le 5, en cas qu'elle ne fût pas secourue auparavant, et que la garnison sortiroit par la brèche, pour être conduite à Givet sous Charlemont, avec six pièces de canon, deux mortiers, armes et bagages, enseignes déployées, tambour battant, et toutes les autres conditions les plus honorables. La garnison est sortie aujourd'hui, mais le maréchal de Boufflers a été arrêté par ordre du prince d'Orange, au préjudice de la capitulation. Les ennemis ont demeuré soixante-sept jours devant la place, et on n'a jamais vu une plus courageuse défense.»
«Du camp de Cambron le 10 septembre.» – Le maréchal de Boufflers fut transféré le 8 à Maëstricht; la ville lui fut donnée pour prison.
– «De Versailles, le 9 septembre: Le Roi, pour tesmoigner de la satisfaction qu'il eut de ses services dans la vigoureuse défense de Namur, l'honora du titre de duc.»
– Ce triste événement est resté complètement et sans doute volontairement ignoré de l'abbé de La Brizardière dans son «Histoire de Louis le Grand depuis le commencement de son règne jusques en 1710»; il n'en dit mot.
Il est intéressant de remarquer que, dans cette guerre, Catinat compta parmi ses adversaires un Simiane établi en Savoie, le marquis de Pianezza, qui, après une vie aventureuse, servit plus tard en France avec le titre de maréchal de camp.