Читайте только на Литрес

Kitap dosya olarak indirilemez ancak uygulamamız üzerinden veya online olarak web sitemizden okunabilir.

Kitabı oku: «Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 1», sayfa 6

Yazı tipi:

Ces derniers mots ayant réveillé dans le cœur de Bussy une faible espérance, il essaya de nouveau tout ce que les prières et les larmes ont de plus touchant, tout ce que les protestations d'une ardente passion ont de plus persuasif. Tout fut inutile. Mademoiselle de Romorantin se montra inflexible, et la fermeté de ses paroles ne permit plus de douter de la fixité de ses résolutions.

Bussy s'attacha alors à celle qui avait conçu pour lui l'amour le plus passionné; mais celle-ci devint excessivement jalouse de mademoiselle de Romorantin, quoique Bussy se réduisit à l'égard de cette dernière aux termes de la simple amitié. Elle voulut exiger qu'il ne la vît point et qu'il cessât d'aller chez madame du Hallier. Bussy ne voulut point céder à cette exigence. Elle prit d'autres résolutions, et fit entendre à mademoiselle de Romorantin qu'elle savait que Bussy lui avait parlé de son amour, qu'il avait offert de lui en faire le sacrifice, et qu'elle n'avait pas voulu l'accepter. Mademoiselle de Romorantin, sans se déconcerter, lui dit qu'elle ne savait pas si Bussy était discret; mais qu'elle avait peine à croire qu'il fût menteur, et qu'elle lui parlerait de cette affaire148. Alors la dame, prévoyant que sa ruse serait bientôt découverte, se repentit de l'avoir employée. Elle en fit l'aveu à Bussy, en fondant en larmes. Bussy lui dit qu'il n'y avait pas d'autre moyen de réparer sa faute que d'aller faire à mademoiselle de Romorantin la confidence de sa liaison avec lui et de toutes ses faiblesses, et de lui demander pardon de l'offense que les tourments de la jalousie lui avaient fait commettre. La dame suivit d'autant plus volontiers ce conseil, qu'elle y vit un moyen d'empêcher Bussy de tromper mademoiselle de Romorantin sur la nature de leur liaison, et de mettre l'orgueil de sa rivale dans l'intérêt de sa passion. La confession qu'elle fit donna ensuite lieu à un entretien entre Bussy et mademoiselle de Romorantin, qui nous prouve combien à cette époque il y avait dans la haute classe de liberté dans le commerce entre les deux sexes, et jusqu'où pouvait aller la licence des entretiens avec les nobles demoiselles et les dames auxquelles on devait le plus de respect149.

Ce fut la dernière conversation que Bussy eut avec mademoiselle de Romorantin. Le lendemain, elle partit avec sa mère. Bussy nous dit qu'il ne l'a pas revue depuis, et il n'en fait plus mention dans ses Mémoires. Nous savons cependant par d'autres qu'elle tint tout ce que le récit de Bussy pouvait faire présumer d'elle. Peu de mois après avoir quitté Châlons, elle épousa (le 4 novembre 1639) Claude de Pot, seigneur de Rhodes, grand maître des cérémonies de France. Elle devint veuve en 1650, fut mêlée à toutes les affaires de la Fronde, eut des liaisons particulières avec le garde des sceaux Châteauneuf, et de plus intimes encore avec le duc de Beaufort, et mourut à Paris, le 15 juillet 1652, à l'âge de trente-trois ans, laissant la réputation d'une des femmes les plus galantes et les plus intrigantes de son temps150.

Le départ de mademoiselle de Romorantin causa une grande joie à la maîtresse de Bussy, qui crut être par là délivrée de tout motif de tourment. Elle se trompait. La jalousie s'attache à l'amour comme l'envie au bonheur, pour en troubler toutes les jouissances; et lorsque la destinée se complaît à écarter les causes qui pourraient alimenter ces deux passions haineuses, elles s'en créent d'imaginaires, qui produisent des angoisses aussi douloureuses que si elles étaient réelles.

Le père de Bussy n'ignorait pas la liaison amoureuse de son fils à Châlons. Il lui écrivit qu'il y avait dans cette ville une fille riche, qui donnerait en dot à son mari quatre cent mille francs, et qu'il ferait bien de ne pas laisser échapper une aussi belle fortune; que c'était une occasion de mettre à profit le talent de plaire aux dames, qu'il paraissait avoir acquis. Bussy trouva l'avis de son père fort bon, résolut de le suivre, et chercha à se dégager des liens qui l'enchaînaient.

D'après les dispositions où se trouvait Bussy, ce fut avec satisfaction qu'il vit arriver le temps d'entrer en campagne: il se rendit à l'armée devant Thionville, qu'assiégeait M. de Feuquières.

L'hiver suivant (en 1640), Bussy fut envoyé en garnison à Moulins, où il eut une nouvelle intrigue avec une comtesse qu'il eut à disputer au marquis de Mauny, fils du maréchal de la Ferté, et au fils d'Arnauld d'Andilly, alors militaire, depuis abbé, le même qui fut lié avec madame de Sévigné, et dont nous avons les Mémoires.

Quelque forts que fussent les attachements de Bussy, jusqu'ici aucun n'avait duré plus longtemps que son séjour dans la ville où il les contractait; lorsqu'il cessait d'y être en garnison ou qu'il fallait se rendre à l'armée, il reprenait sa liberté, et il n'était plus question de rien. Il n'en fut pas de même de l'amour qu'il éprouva pour une de ses parentes. Il venait de passer cinq mois en captivité à la Bastille; on l'avait rendu responsable de la conduite de son régiment, qui à Moulins avait pratiqué le faux saunage, et donné lieu à de grandes plaintes de la part de l'administration des gabelles. Cette rigueur, qui était méritée, puisque son absence des lieux où son devoir l'obligeait à résider était la principale cause du désordre, lui parut injuste. Il vint à la cour en 1642, dans l'intention de quitter le service; et, en attendant quelque occasion favorable d'y rentrer, il résolut de chercher fortune par un mariage. Ennemi de toute contrainte, il eût désiré rester garçon; mais il voulut satisfaire son père, qui désirait fortement le voir établi. «J'aurais voulu, dit-il, de ces mariages de riches veuves qui s'entêtent d'un beau garçon, et qu'on m'eût pris avec mes droits, sans demander autre chose.» Son nouvel amour vint fort mal à propos contrarier les desseins de son père et ses propres résolutions. Sa parente était fort belle, mais n'avait point de fortune. «Croyant d'abord, dit-il, m'amuser, en attendant que j'eusse rencontré quelque bon parti, je finis par en devenir amoureux. Dans les commencements de ma passion, je fus assez mon maître pour ne la vouloir point épouser, ne désirant pas me ruiner pour l'amour d'elle; et quand l'amour m'eut mis en état de ne plus songer à mes intérêts, je songeai aux siens, et je ne voulus pas la rendre malheureuse en l'épousant malgré mon père, ni la ruiner pour l'amour de moi… Et sur cela j'admire la bizarrerie de mon amour, qui n'avait d'autre but que soi-même; car je ne voulais ni débaucher ma maîtresse ni l'épouser.»

La parente de Bussy répondait sans aucun détour à sa tendresse, et se livrait avec lui à d'innocentes caresses avec la plus intime confiance et le plus entier abandon. Il arriva un jour que, dans un de ces entretiens qui les rendaient si heureux, Bussy, emporté par son désir amoureux, parut vouloir oublier ses généreuses résolutions; et elle, se sentant aussi incapable d'opposer aucune résistance, prit une attitude suppliante, et lui dit: «Vous êtes le maître, mon cousin, si vous le voulez absolument; mais vous ne le voudrez pas si vous désirez me donner la plus grande marque d'amour qui soit en votre pouvoir…» Et cette marque d'amour, si difficile à donner dans un tel moment, il la lui donna151. Ce fut un beau trait de Bussy, et peu d'accord avec la conduite de toute sa vie. Il nous montre qu'il a du moins une fois éprouvé ce sentiment si rare qui rend l'âme, plus que les sens, avide des jouissances qu'il procure, et qui ne s'empare du cœur que pour en chasser tous les penchants impurs et n'y plus laisser de place qu'aux vertus généreuses.

Cependant l'amour que Bussy inspirait à sa parente ne paraît pas avoir été égal à celui qu'il ressentait pour elle. Dès qu'elle eut appris que le père et la mère de Bussy, inquiets de la liaison de leur fils avec elle, s'étaient hâtés d'arrêter son mariage avec Gabrielle de Toulongeon, elle rompit tout commerce avec son cousin, et son attachement sembla cesser dès qu'elle eut perdu l'espoir de devenir sa femme. Bussy en fut surpris, et profondément affligé. Son père, craignant qu'il n'en tombât malade, l'emmena avec lui en Normandie, afin de chercher à le distraire.

Les préliminaires du mariage de Bussy traînaient en longueur, et six mois s'étaient écoulés depuis sa rupture avec sa cousine, lorsque, au moment où il s'y attendait le moins, il la rencontra à Dijon avec sa sœur. Cette sœur était mariée, et c'était chez elle que s'était formée et entretenue leur liaison. Toutes deux témoignèrent leur surprise et leur joie en revoyant Bussy. Il resta huit jours à Dijon, par suite de cette rencontre; et il y serait demeuré plus longtemps, sans la crainte d'exciter la jalousie de mademoiselle de Toulongeon. Il avait alors moins d'amour pour sa cousine, et en même temps moins de respect; de son côté, elle avait moins d'abandon et plus de réserve. «Je prenais d'autorité, dit-il, ces faveurs qu'elle accordait autrefois à mes prières; si elle m'avait laissé faire alors, je ne l'aurais pas tant ménagée que je faisais: mais elle n'avait garde de se remettre à ma discrétion, ne doutant pas que je n'en abusasse.»

Bussy épousa, peu de temps après, mademoiselle de Toulongeon152, et fut près d'un an sans entendre parler de sa cousine. Il la revit à Paris, plus belle, plus séduisante qu'elle n'avait jamais été, mais engagée, ainsi que lui, dans les liens du mariage153. «Je ne voulus pas, dit-il, perdre mes services passés: je lui rendis donc quelques soins; et comme je ne craignais rien, je ne perdis pas mes peines. Depuis ce temps-là je n'ai point douté que la hardiesse en amour n'avançât fort les affaires. Je sais bien qu'il faut aimer avec respect pour être aimé; mais assurément pour être récompensé il faut entreprendre, et l'on voit plus d'effrontés réussir sans amour, que de respectueux avec la plus grande passion du monde154.» Mais pour Bussy, plus que pour tout autre, la possession devenait promptement un remède à l'amour; et cette femme qui avait été pour lui l'objet d'une affection si forte et si pure, qui lui avait inspiré des sentiments si délicats et si tendres, cessa promptement de lui plaire. Il trouva qu'elle manquait entièrement de ces manières agréables, de ce je ne sais quoi qui nous enchaîne et qu'on ne peut exprimer. «Plus on connaissait ma cousine, dit-il, moins on avait d'amour pour elle; et son corps, son esprit et sa conduite lui faisaient perdre les amours que son visage lui avait attirés155

Il est probable que le prompt refroidissement que Bussy ressentit pour cette cousine provenait de l'amour dont il s'était épris pour une autre cousine, non aussi belle peut-être, mais plus spirituelle et plus aimable. Cet amour dura plus longtemps que tous les autres, précisément parce qu'il ne put jamais se satisfaire. L'époque où Bussy se mit à rechercher les bonnes grâces de la marquise de Sévigné coïncide en effet avec celle de sa rupture avec la comtesse des environs de Moulins, et avec la fin de sa liaison avec cette parente dont nous venons de parler. Ce fut entre 1642 et 1644, pendant les deux années que Bussy resta sans emploi, qu'il fit marcher de front le plus d'aventures galantes, au milieu desquelles vint se placer son mariage. Lui-même nous apprend que ce ne fut qu'après que sa cousine Sévigné fut mariée qu'il devint amoureux d'elle156. Le père de Bussy, qui convoitait les grands biens de mademoiselle de Rabutin-Chantal, aurait voulu que son fils l'épousât; mais celui-ci, préoccupé de son amour pour son autre parente, seconda mal les projets paternels. Sa cousine Chantal était d'ailleurs alors fort jeune; et son caractère jovial et folâtre, l'habitude qu'il avait de la voir, la familiarité avec laquelle il s'était accoutumé avec elle, la lui faisaient considérer comme une enfant. Il n'ouvrit les yeux sur tous les agréments dont elle était pourvue que lorsqu'elle fut mariée, et qu'il eut été témoin de ses succès dans le monde: alors il regretta le trésor qu'il avait laissé échapper, et résolut de le ravir à celui qui s'en était rendu possesseur. C'était cependant son ami, mais un ami qui n'était pas plus scrupuleux que lui sur ces matières.

D'après ce que nous savons de la vie de Bussy jusqu'à cette époque, on ne peut s'empêcher de reconnaître que ses avantages personnels, son amabilité, l'expérience qu'il avait acquise des faiblesses du cœur chez les femmes, l'assurance que lui donnaient de nombreux succès en amour, et son immoralité même, ne le rendissent un séducteur des plus dangereux. Madame de Sévigné n'avait que dix-huit ans lorsque Bussy commença contre elle son plan d'attaque. Il connaissait la tendresse qu'elle avait pour son mari; et dans les premiers temps de son mariage, n'espérant pas pouvoir la distraire de ce sentiment, il chercha seulement à lui rendre sa présence agréable, et à obtenir sa confiance: il y réussit. Il était en même temps le confident de l'époux. Celui-ci lui racontait ses prouesses amoureuses, et madame de Sévigné les chagrins qu'elle en ressentait. Cependant à cette époque même Bussy acheta la charge de lieutenant de la compagnie des chevau-légers du prince de Condé, et rentra au service. D'un autre côté, le marquis de Sévigné emmena sa femme à sa terre près de Vitré en Bretagne. Bussy se vit donc forcé de se séparer de sa cousine. Cette absence ne fit qu'accroître sa passion naissante. Les procédés du marquis de Sévigné envers sa femme augmentaient dans Bussy l'espoir qu'il avait de se faire aimer. Aussi, pour ne pas se laisser oublier, il eut grand soin d'entretenir avec sa cousine un commerce de lettres.

CHAPITRE VIII.
1644-1646

La vie des particuliers est subordonnée aux événements publics.—Des causes de la guerre qui forçaient Bussy, ainsi que toute la jeune noblesse, à s'éloigner tous les ans de la capitale pendant la belle saison.—Le marquis de Sévigné n'obtient la lieutenance de la ville de Fougères qu'après son mariage.—Lettre de Montreuil à madame de Sévigné, qui le prouve.—Le marquis de Sévigné conduit sa femme à sa terre des Rochers.—Description de cette terre, du château, des pays qui l'environnent, et de ses habitants.—Monsieur et madame de Sévigné y passent une année entière.—Bussy, après la campagne, se rend à sa terre de Forléans.—Il revient à Paris, et, en commun avec Lenet, il écrit une épître en prose et en vers à madame de Sévigné.—Dévouement de Lenet pour la maison de Condé.—Bussy se brouille avec Lenet.—Pourquoi on doit se défier du jugement qu'il en porte.—Bussy part pour l'armée, et s'y distingue; il écrit à madame de Sévigné.

Cette mystérieuse providence qui régit les États, les élève ou les abaisse, les trouble ou les calme, accroît leur prospérité ou les précipite vers leur chute, entraîne aussi dans leurs révolutions les destinées des individus, et y subordonne leur existence. De même que la connaissance des faits généraux de l'histoire ne peut résulter que de celle des faits particuliers à ceux qui y jouent les principaux rôles, la vie des personnes les plus étrangères à l'ambition et au tourbillon des affaires a besoin, pour être comprise, qu'on la replace au milieu des grands événements qui se sont passés de leur temps.

A l'époque du mariage de madame de Sévigné, l'Angleterre était agitée par cette terrible lutte qui devait la première donner l'exemple d'une tête royale tombant sous la hache du bourreau. Déjà la reine d'Angleterre, fille de Henri IV, avait été obligée de s'enfuir, et de chercher un refuge à Paris. La maison d'Autriche, que le génie de Richelieu avait comprimée, crut trouver par la mort de ce grand ministre une occasion favorable de ressaisir l'influence qu'elle avait perdue. L'Espagne, malgré l'épuisement de ses finances et le peu de talent de ceux qui la gouvernaient, aspirait toujours, comme sous Charles-Quint, à la domination de l'Europe; et ces hautes prétentions s'y perpétuaient comme par tradition. De même que dans un grand seigneur déchu l'orgueil de la naissance et le souvenir de sa fortune lui inspirent des projets et lui font conserver une attitude au-dessus de sa condition présente, ainsi, voulant mettre à profit la faiblesse et la confusion inséparables des premiers moments d'une minorité, l'Espagne avait, malgré les négociations de paix qu'on continuait à Munster, recommencé la guerre contre la France; mais elle rencontra Condé et Turenne, et devant ces deux jeunes et grands capitaines la réputation des guerriers de Charles-Quint et des bandes espagnoles s'éclipsa pour toujours.

C'est cette guerre qui forçait toute la jeune noblesse de voler aux frontières, et de quitter après chaque hiver les délices de la capitale ou de la cour. C'est aussi la même cause qui arrachait chaque année Bussy à ses intrigues amoureuses, et le forçait, par le changement de résidence, à en renouer tous les ans de nouvelles. Le marquis de Sévigné ne paraît pas avoir éprouvé ni le même besoin de gloire ni la même ambition; il chercha, au contraire, à s'éloigner du théâtre des combats, et sollicita la lieutenance de Fougères, petite ville de Bretagne, assez rapprochée de sa terre des Rochers. Une lettre de l'abbé de Montreuil à la marquise de Sévigné, qu'elle reçut à Paris, au retour d'un de ses voyages de Bretagne, semble prouver que le marquis de Sévigné n'obtint le commandement de Fougères que par suite et en considération de son mariage.

LETTRE DE L'ABBÉ DE MONTREUIL A LA MARQUISE DE SÉVIGNÉ

«Comme votre mérite ne saurait demeurer plus longtemps en un même lieu sans éclat, il court un bruit que vous êtes à Paris. Je ne le saurais croire: c'est une des choses du monde que je souhaite le plus, et ces choses-là n'arrivent point. J'envoie pourtant au hasard savoir s'il est vrai, afin qu'en ce cas je ne sois plus malade. Ce ne sera pas le premier miracle que vous aurez fait; dans votre illustre race, on les sait faire de mère en fils. Vous savez que madame de Chantal y était fort sujette; et tous les honnêtes gens qui vous voient et qui vous entendent demeurent d'accord que monsieur son fils, qui était votre père, a fait un grand miracle. Je vous supplie donc, si vous êtes de retour, de ne vous point faire celer, afin que j'aie le plaisir de me porter bien et l'honneur de vous voir. C'est une grâce que je crois mériter autant qu'autrefois, puisque je suis aussi étourdi, aussi fou, et disant les choses aussi mal à propos que jamais. Je ne songe pas qu'encore que je ne sois pas changé, vous pourriez bien être changée et, au lieu de la lettre monosyllabe que je reçus de vous l'an passé, dans laquelle il y avait oui, m'en envoyer une de même longueur, où il y aurait non. Je suis, avec tout le sérieux et le respect dont je suis capable (le premier n'est pas grand, l'autre si),

«Votre très-humble serviteur, DE MONTREUIL.»

POST-SCRIPTUM. «J'ai oublié à mettre des madame dans ma lettre; et à présent que vous êtes lieutenante de Fougères, c'est une grande faute. Tenez donc, en voilà trois; distribuez-les aux endroits qui vous sembleront en avoir plus de besoin, madame, madame, madame157

Cette lettre justifie un peu l'épithète de fou qu'on avait donnée à Montreuil dans la société. Mais c'est là un rôle que la jeunesse avisée se plaît souvent à jouer auprès des jeunes femmes, pour accroître encore le privilége qui lui est accordé de se montrer indiscrète. Le marquis de Sévigné, pressé sans doute d'aller exercer sa nouvelle charge, conduisit au printemps de l'année 1645 sa femme en Bretagne, à sa terre des Rochers, située à une lieue et demie au sud-est de Vitré. Ce lieu, où depuis madame de Sévigné a fait des séjours si fréquents et si prolongés, où elle a écrit un si grand nombre de ses lettres, est dans un vallon au fond duquel coule un bras de rivière, un des affluents de la Vilaine. On s'y rend de Vitré par une chaussée pavée en grosses et larges pierres, qui annoncent la richesse et la puissance des anciens seigneurs. Le pays est ombragé de hêtres, de chênes, de châtaigniers, qui croissent avec vigueur sur les flancs des murs de terre qui entourent les propriétés dans cette partie de la Bretagne. Le château est situé sur un vaste plateau, d'où la vue ne s'étend pas à une demi-lieue. Cette vue est bornée par un terrain inégal et ondulé, et par des champs subdivisés en une multitude de clôtures formées par des haies, entourées de fossés, de parapets et d'épines, et bordées encore par d'immenses bouquets d'arbres qu'on ne prend jamais soin d'émonder. D'aucun côté on n'aperçoit de rochers, ce qui semble démontrer que le nom de ce domaine a une autre étymologie que la signification habituelle du mot qui sert à le désigner158.

Le château, qui subsiste encore, avait lorsque madame de Sévigné s'y transporta pour la première fois déjà près de trois cents ans d'antiquité. L'escalier en limaçon est pratiqué dans une tour, et le corps de logis est flanqué de deux autres tours, bordées toutes deux de têtes gothiques, de figures grossières, depuis la naissance du toit jusqu'au sommet. L'aspect du sol est en harmonie avec celui de cet antique édifice; et un académicien, qui le visita en 1822, nous dépeint les champs qui l'environnent, enclos, couverts de genêts, n'offrant que des landes stériles ou les traces d'une agriculture négligée; et une race d'habitants à membres courts et trapus, le teint jaune, les yeux noirs, les cheveux longs et tombants, revêtus d'un manteau de chèvre ou de brebis. Ils logent dans des maisons aussi mal soignées que leur corps; hommes, femmes et enfants couchent au-dessous les uns des autres dans des armoires à grands tiroirs, souvent en face de la vache ou du mouton qui passent la tête par le treillis mitoyen, entre la portion d'habitation destinée à l'étable et celle qui forme leur unique chambre159.

Ce séjour était bien triste et bien sauvage pour une jeune femme habituée aux bosquets de Livry, aux magnifiques hôtels de la capitale, aux salons somptueux du Louvre, du Luxembourg, du Palais-Royal et du Temple. Mais madame de Sévigné s'y trouvait avec un époux qui ne lui avait donné alors aucun sujet de plainte, qu'elle aimait avec tendresse; et tous deux étaient uniquement occupés à jouir de ces premiers temps de l'hymen, si remplis de bonheur et d'espérances. Ils passèrent dans leur terre non-seulement le printemps, l'été et l'automne, mais encore tout l'hiver.

Bussy, qui pendant cette dernière saison était revenu à Paris pour y résider, fut fort déconcerté de n'y pas retrouver sa cousine. Il avait été en Nivernais pour y recevoir, en sa nouvelle qualité, les hommages de la province; sa femme l'accompagnait. Il la conduisit à la terre de Forléans, près de Semur, en Bourgogne. Ce domaine, situé à une lieue de Bourbilly, avait appartenu au père de madame de Sévigné, et depuis était passé à la branche cadette des Rabutins160. Bussy y demeura avec sa femme; mais il en repartit promptement, et se rendit en toute hâte à la cour, dès qu'il sut que, par la protection du prince de Condé (le père du duc d'Enghien, depuis le grand Condé), il venait d'être fait conseiller d'État161. Lenet, alors son ami, procureur général au parlement de Dijon, qui a joué un rôle assez important, quoique secondaire, dans la Fronde, et dont nous avons des Mémoires, venait d'obtenir la même faveur par le même canal162. Lenet, comme Bourguignon, était fort lié avec la marquise de Sévigné. Se trouvant à Paris pour le même motif que Bussy, il fut, ainsi que lui, étonné et contrarié d'apprendre que, elle et son mari, fussent restés en Bretagne. Cette conformité de regrets des deux amis leur fit composer en commun une lettre en vers, que les deux époux reçurent à leur terre des Rochers. Pour l'esprit et la facilité, cette épître ne le cède en rien à celles de Chaulieu et de la Fare, et n'offre pas plus d'incorrection et de négligences.

 
Salut à vous, gens de campagne,
A vous, immeubles de Bretagne,
Attachés à votre maison
Au delà de toute raison:
Salut à tous deux, quoique indignes
De nos saluts et de ces lignes.
Mais un vieux reste d'amitié
Nous fait avoir de vous pitié,
Voyant le plus beau de votre âge
Se passer dans votre village,
Et que vous perdez aux Rochers
Des moments à nous autres chers.
Peut-être que vos cœurs tranquilles,
Censurant l'embarras des villes
Goûtent aux champs en liberté
Le repos et l'oisiveté;
Peut-être aussi que le ménage
Que vous faites dans le village
Fait aller votre revenu
Où jamais il ne fût venu:
Ce sont raisons fort pertinentes
D'être aux champs pour doubler ses rentes;
D'entendre là parler de soi
Conjointement avec le roi.
 
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
 
Certes ce sont là des honneurs
Que l'on ne reçoit point ailleurs?
Sans compter l'octroi de la fête;
De lever tant sur chaque bête;
De donner des permissions;
D'être chef aux processions;
De commander que l'on s'amasse
Ou pour la pêche ou pour la chasse;
Rouer de coups qui ne fait pas
Corvée de charrue ou de bras163.
 

Cette lettre fut écrite la veille même du jour où Bussy partit de Paris pour se rendre à l'armée, à la fin de mars 1646164. Bussy, un an avant, avait, en commun avec Jumeaux, écrit une autre lettre en vers à Lenet. Dans cette lettre, datée du camp d'Hailbron, il l'appelle son bon ami165, et dans ses Mémoires il lui reproche de l'avoir délaissé dans sa disgrâce, sans qu'il lui eût fourni aucun sujet de plainte166: mais le refroidissement de leur amitié a dû commencer lorsque Bussy eut abandonné le parti du prince de Condé, auquel Lenet resta attaché dans la bonne comme dans la mauvaise fortune. Jeune et sans expérience, Lenet se jeta dans les intrigues de la Fronde; et, comme beaucoup d'autres, ne sachant pas prévoir les événements, il ne les appréciait qu'après qu'ils étaient accomplis, et ne s'apercevait des fautes qu'il commettait qu'après qu'il n'était plus temps de les réparer. Il faut que, même bien après ces temps de trouble, il se soit mêlé à quelques intrigues qui lui attirèrent la disgrâce du roi; car en 1669 il fut exilé à Quimper-Corentin, et en s'y rendant il passa deux jours au château de Riée, en Poitou, chez le comte d'Hauterive, qui chercha, mais en vain, à le réconcilier avec Bussy, son ami167. Lenet plaisait beaucoup à madame de Sévigné; et lorsqu'il mourut, elle le regretta vivement168. Il fut un de ceux qui, par sa gaieté, souvent grotesque, contribuèrent aux joies de sa jeunesse169. «Vous aurez vu Larrei (écrit-elle à sa fille, de cette même solitude des Rochers où quarante-trois ans auparavant elle avait reçu l'épître en vers dont nous venons de citer quelques passages); c'est, je crois, le fils de feu Lenet, qui était attaché à feu M. le Prince, et qui avait de l'esprit comme douze. J'étais bien jeune quand je riais avec lui170.» Et dans une autre lettre à Bussy, postérieure encore à celle dont nous venons de faire mention, elle dit: «J'ai vu ici M. de Larrei, fils de notre pauvre ami Lenet, avec qui nous avons tant ri; car jamais il ne fut une jeunesse plus riante que la nôtre de toutes les façons171.» Madame de Sévigné ignorait encore alors que Bussy avait été tout à fait brouillé avec Lenet, ou peut-être pensait-elle que la mort de ce dernier avait dû effacer le souvenir de ses torts, s'il en avait eu. Dans tous les cas, elle dut être désagréablement affectée de la réponse qui lui fut faite par Bussy, qui lui disait que ce Lenet, avec qui ils avaient tous deux tant ri, était homme sans jugement et sans probité172. L'orgueil excessif de Bussy lui inspirait de la haine et de la rancune contre ceux qui l'avaient offensé, ou dont il croyait avoir à se plaindre; et il faut se tenir en garde contre le venin âcre et mordant de sa plume, souvent calomniatrice. Toutefois, Gourville, dans ses Mémoires, donne des détails sur la manière dont Lenet gérait les affaires du prince, qui paraissent appuyer la plus grave des accusations de Bussy contre lui173.

Le dévouement de Lenet pour la maison de Condé, qui avait produit sa rupture avec Bussy, était dans les mœurs du temps. Lorsque après la paix de Bordeaux, en 1650, Lenet se présenta devant la reine pour lui offrir ses respects, Anne d'Autriche, qui en traitant avec les révoltés n'avait cédé qu'à la nécessité, ne put en le voyant s'empêcher de dire, de manière à être entendue: «Que ne devrait-on pas faire à des gens qui sortent d'une ville rebelle, et s'en vont tout droit à Stenay vers madame de Longueville et M. de Turenne?» (Tous deux étaient alors dans le parti opposé au gouvernement.) Lenet eut le courage de relever ces paroles, et de supplier la reine de ne pas confondre avec des brouillons, qu'on ne peut assez châtier, ceux qui, accablés d'obligations, ne sauraient prendre un autre parti que de servir les princes à qui ils sont redevables. Il lui rappela l'exemple de Marie de Médicis, persécutée par Richelieu, et termina en disant: «Songez, madame, que par le discours qu'il vous a plu de faire vous permettez à toutes vos créatures de vous abandonner, si jamais vous venez à être persécutée sous le nom du roi votre fils.» Sa réponse fut approuvée de toute la cour; et mademoiselle de Montpensier, alors dans le parti de Mazarin, lui en témoigna son admiration. «J'aime, dit-elle, les gens qui ne ménagent ni biens, ni vie, ni fortune, pour sauver ceux à qui ils se sont donnés174.» Ces sentiments étaient alors ceux de tous les gens d'honneur. La dette de la reconnaissance ne peut admettre aucun doute; tandis que dans les conflits politiques il est facile de faire plier la raison d'État au gré de ses intérêts et de ses passions. Nous aurons bientôt occasion de voir que c'étaient ces habitudes, ces préjugés d'honneur, ces grandes inégalités des rangs et des conditions, la subordination établie en raison de la dépendance, qui rendaient les partis si faciles à former, si faciles à apaiser. Toutes leurs forces se trouvaient concentrées sur un petit nombre de têtes principales. Elles étaient donc en peu de temps réunies, et aussi, par la même raison, promptement dispersées.

Madame de Sévigné, dans une de ses lettres à Bussy, dit que Larrei l'avait étonnée en lui contant comme son père avait dissipé tous ses grands biens, et qu'il n'en avait rien eu175. Bussy lui répondit: «Lenet était né sans biens; il en avait volé à Bordeaux en servant M. le Prince; il en mangea une partie, et M. le Prince lui reprit l'autre176.» Il est difficile de croire qu'un homme qui devint procureur général au parlement de Dijon, puis fut nommé par la régente, en 1649, intendant de justice, de police et de finances à Paris, fût né sans biens, ou qu'il n'ait pu en acquérir légitimement. Au reste, ces explications entre Bussy et sa cousine, sur un ami de leur jeunesse, avaient lieu vingt ans après la mort de ce dernier, qui précéda de beaucoup la leur. Lenet mourut à Paris, le 3 juillet 1671.

148.BUSSY, Supplément aux Mémoires, partie I, p. 17.
149.Ibid., p. 18.
150.NEMOURS, Mémoires, t. XXXIV, p. 460.—MOTTEVILLE, Mémoires, t. XXXVIII, p. 173.—PETITOT, Introduction aux Mémoires sur la Fronde, t. XXXV, p. 145.—RETZ, Mémoires, I. XLV, p. 37, 105, 115, 147, 157, 186, 187, 192.—JOLY, Mém., t. XLVII, p. 105.—LORET, Muse historique, 15 octobre 1650, t. I, p. 63.—SÉVIGNÉ, lettre en date du 25 février 1685, t. VII, p. 34.
151.BUSSY-RABUTIN, Mémoires, t. I, p. 91.—Ibid., in-4o, t. I, p. 112.
152.BUSSY, Mémoires, t. I, p. 91 à 93, édit. in-12; de l'in-4o, t. I, p. 114.
153.Ibid., p. 93; de l'in-4o, p. 115.
154.Ibid., p. 93.
155.Ibid., p. 94.
156.BUSSY, Histoire amoureuse des Gaules, t. I, p. 25 de l'édit. 1754, et p. 33 de l'édit. de Liége.
157.MONTREUIL, Œuvres, édit. 1671, p. 4; édit. 1656, p. 5.
158.NICOT, Thresor de la Langue Françoyse, 1606, in-folio, p. 572 et 673, aux mots Roc ou Rochier.—TALLEMANT DES RÉAUX, Historiettes, t. II, p. 425.
159.DUREAU DE LA MALLE, Lettres sur les Rochers de madame de Sévigné; Paris, 1822, in-8o, p. 6, 7 et 9.
160.XAVIER GIRAULT, Notice sur la Famille de Sévigné, dans les Lettres inédites de Sévigné, édit. 1819, in-12, p. LV; édit. des mêmes Lettres inédites, in-8o, p. XL.; Lettres de Sévigné, 1823, in-8o, t. I, p. CI.—M. GIRAULT cite Courte Hist. de Bourgogne, t. V, p. 526.
161.BUSSY, Mémoires, édit. in-12, t. I, p. 104 et 106; édit. in-4o, p. 132.
162.PETITOT, Notice sur Lenet, dans la Collection des Mémoires sur l'Hist. de France, t. LIII, p. 6.—Cf. Revue de Paris du 28 décembre 1844.
163.Supplément aux Mémoires et Lettres de M. le comte de Bussy, t. I, p. 35.—Collection des Mémoires sur l'Histoire de France, t. LIII, p. 4.
164.BUSSY, Mémoires, édit. in-12, t. I, p. 166.
165.BUSSY-RABUTIN, Mém., t. I, p. 97; Supplément, partie I, p. 27.
166.SÉVIGNÉ, Lettre du 5 juin 1689, t. VIII, p. 485, édit.—M. BUSSY, Lettre à Corbinelli, du 12 février 1678, t. V, p. 312; Notice sur Lenet, t. LIII, p. 22 des Mémoires sur l'Hist. de France.
167.SÉVIGNÉ, Lettres, 2 août 1671, t. II, p. 168.
168.BUSSY, Lettres, t. V, p. 114, en date du 8 novembre 1669.
169.SÉVIGNÉ, Lettres à Lenet, publiée par M. Vallet de Viriville, dans la Revue de Paris, 28 décembre 1844.
170.SÉVIGNÉ, lettre en date du 5 juin 1689, no 1070, t. VIII, p. 485.
171.SÉVIGNÉ, lettre en date du 12 juillet 1691, p. 1182, t. IX, p. 457.
172.SÉVIGNÉ, Lettres, t. IX, p. 491; Lettre de Bussy, en date du 9 août 1691.
173.GOURVILLE, Mémoires, dans PETITOT, t. LII, p. 442.
174.LENET, Mémoires, dans PETITOT, t. LIV, p. 139.
175.SÉVIGNÉ, Lettres, t. IX, p. 457.
176.SÉVIGNÉ, Lettres, t. IX, p. 481; lettre de Bussy, en date du 9 août 1691.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
30 haziran 2018
Hacim:
581 s. 2 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
Metin
Ortalama puan 4, 78 oylamaya göre
Ses
Ortalama puan 4,2, 769 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 4,7, 410 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 4,9, 170 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 4,4, 66 oylamaya göre