Читайте только на Литрес

Kitap dosya olarak indirilemez ancak uygulamamız üzerinden veya online olarak web sitemizden okunabilir.

Kitabı oku: «Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 1», sayfa 7

Yazı tipi:

La campagne que Bussy fit en 1646 marque l'époque la plus brillante de sa vie militaire. Il servit dans l'armée de Flandre, d'abord commandée par Gaston, duc d'Orléans, oncle du roi, et ensuite par le duc d'Enghien. Trois maréchaux de France se trouvaient à cette armée; et Bussy y donna de telles preuves de talent et de valeur, qu'il mérita les éloges du duc d'Enghien. Aussi n'eut-il rien de plus pressé que d'écrire à sa cousine une lettre datée du camp de Hondschoote, lettre qu'il a insérée en entier dans son Discours à ses Enfants. «J'écrivis alors, leur dit-il, le détail de la campagne à votre tante de Sévigné, mes enfants, dans une lettre moitié vers et moitié prose; et comme elle lui plut, je crois que vous serez bien aise de la voir177

Dans cette lettre, il raconte en vers la prise de Courtray et de Berg-Saint-Winox, qui fut bientôt suivie de celle de Mardick, de Furnes, de Dunkerque. Mais comme c'est au siége de Mardick que Bussy se distingua principalement, et qu'il reçut les éloges du duc d'Enghien, c'est aussi à ce siége qu'il s'arrête le plus longtemps.

 
Mais enfin Saint-Winox, privé de tout secours,
Ne dura pas plus de deux jours:
Et de là de Mardick nous fîmes l'entreprise.
Si je voulais tous faire le portrait
Des hasards que courut le prince avant la prise,
Je n'aurais jamais fait.
Ce fut là que, pour mon bonheur,
L'ennemi rasant la tranchée,
Devant ce prince j'eus l'honneur
De tirer une fois l'épée.
Ce fut en cette occasion
Qu'il fit lui-même une action
Digne d'éternelle mémoire;
Et que, m'ayant d'honneurs comblé,
Il se déchargea de la gloire
Dont il se trouvait accablé.
 

«Je ne vous saurais dire, ma chère cousine, combien monsieur le Duc prôna le peu que je fis en cette sortie; mais ce qui la rendit plus considérable, ce furent les choses qu'il y fit et la mort ou les blessures de gens de qualité qui s'y trouvèrent: et tout cela me fit honneur, parce que je commandais.»

Il termine ainsi sa lettre:

 
Sans les eaux, le froid et le vent,
Seules ressources de l'Espagne,
Mon prince aurait poussé plus avant sa campagne;
Et moi je finirais mes récits de combats
Et l'éloge de son altesse,
En vous parlant de ma tendresse,
Si je n'étais un peu trop las178.
 

Madame de Sévigné, lorsqu'elle se rendait en Bretagne, n'était pas toujours condamnée au triste séjour des Rochers; et une de ses lettres à sa fille nous apprend qu'elle faisait avec son mari de fréquents voyages dans toute la province, et allait souvent à Nantes, qui était alors comme aujourd'hui, dans cette partie de la France, la ville la plus populeuse, la plus riche et la plus agréable à habiter. Madame de Sévigné trouvait que l'air de cette ville mêlé à celui de la mer avait l'inconvénient de la brunir, et de gâter son beau teint179: elle préférait l'air de l'Ile-de-France, c'est-à-dire celui de Paris. Ceci rappelle le mot si connu de madame de Staël, exilée dans son château de Coppet, sur les bords du lac de Genève, devant qui l'on vantait ce lac et ses magnifiques points de vue: «J'aimerais mieux, répondit-elle, le ruisseau de la rue du Bac.» C'est un des plus noirs et des plus infects de la capitale de la France.

CHAPITRE IX.
1647-1648

Bussy retourne en Bourgogne.—Mort de sa femme: sincère dans l'expression de ses regrets.—Il retourne à la cour.—Est bien reçu du prince de Condé, qui l'emmène en Catalogne.—Madame de Sévigné, restée aux Rochers, accouche d'un fils.—Lettre de madame de Sévigné à Bussy sur ce sujet.—Réponse de Bussy.—Madame de Sévigné recommande Launay-Lyais à Bussy.—Empressement que celui-ci met à lui répondre favorablement.—Le prince de Condé échoue devant Lérida.—Il répare par une nouvelle campagne en Flandre l'échec fait à sa gloire.—Prend Ypres.—Envoie Bussy à la cour pour annoncer son succès, et lui donne ainsi les moyens de terminer une nouvelle aventure.

Après la campagne, Bussy retourna en Bourgogne; et bientôt après ce retour, vers le milieu du mois de décembre 1646, il eut la douleur de perdre sa femme. Il en avait eu trois filles, et point d'enfant mâle. «Elle m'aimait fort, dit-il; elle avait bien de la vertu, et assez de beauté et d'esprit.» Il ajoute qu'il fut extrêmement affligé de cette perte; et on doit le croire, car l'hypocrisie de sensibilité n'était pas son défaut: il montre au contraire le plus souvent, en écrivant, de la sécheresse de cœur et quelquefois de la dureté180.

Toutefois, sa douleur ne l'empêcha pas d'aller à la cour; il fut bien reçu du duc d'Enghien, devenu prince de Condé par la mort de son père, qui eut lieu à la même époque. Le nouveau prince de Condé fut nommé vice-roi de Catalogne, et chargé de commander l'armée qui devait combattre les Espagnols de ce côté. Il emmena Bussy, que rien ne retenait à Paris: il n'y avait pas trouvé sa cousine; elle était encore restée aux Rochers. Cette fois elle avait un motif pour ne pas entreprendre dans la mauvaise saison un voyage alors long et difficile, à cause du mauvais état des routes et le peu de perfection des voitures; et ce motif, après trois ans de mariage passés sans enfant, lui était trop agréable pour qu'elle regrettât les amusements de la capitale, auxquels d'ailleurs il lui était impossible de prendre part. Lorsque Bussy, au commencement de février, alla loger au Temple chez son oncle le grand prieur181, elle se trouvait vers la fin de sa première grossesse, et le mois suivant elle donna un héritier au nom de Sévigné. La joie de cette jeune femme éclate avec une vivacité singulière dans la lettre suivante, qu'elle écrivit à Bussy, le 15 mars 1647.

LETTRE DE MADAME DE SÉVIGNÉ A BUSSY

«Je vous trouve un plaisant mignon de ne m'avoir pas écrit depuis deux mois! Avez-vous oublié qui je suis et le rang que je tiens dans la famille? Ah! vraiment, petit cadet, je vous en ferai bien ressouvenir: si vous me fâchez, je vous réduirai au lambel. Vous savez que je suis sur la fin d'une grossesse, et je ne trouve en vous non plus d'inquiétude de ma santé que si j'étais encore fille. Eh bien! je vous apprends, quand vous en devriez enrager, que je suis accouchée d'un garçon, à qui je vais faire sucer la haine contre vous avec le lait; et que j'en ferai encore bien d'autres, seulement pour vous faire des ennemis. Vous n'avez pas eu l'esprit d'en faire autant: le beau faiseur de filles!

«Mais c'est assez vous cacher ma tendresse, mon cher cousin; le naturel l'emporte sur la politique. J'avais résolu de vous gronder sur votre paresse, depuis le commencement jusqu'à la fin; je me fais trop de violence, et il en faut revenir à vous dire que M. de Sévigné et moi vous aimons fort, et que nous parlons souvent du plaisir qu'il y aurait d'être avec vous182

Bussy reçut cette lettre à Valence, lorsqu'il était en route pour se rendre à l'armée de Catalogne. Elle lui plut tant, il la trouva si spirituelle, qu'il l'inséra en entier dans ses Mémoires183, ainsi que la réponse qu'il y fit, datée de Valence le 12 avril 1647.

LETTRE DE BUSSY A MADAME DE SÉVIGNÉ

«Pour répondre à votre lettre du 15 mars, je vous dirai, madame, que je m'aperçois que vous prenez une certaine habitude de me gourmander, qui a plus l'air de maîtresse que de cousine. Prenez garde à quoi vous vous engagez: car enfin, quand je me serai une fois bien résolu à souffrir, je voudrai avoir les douceurs des amants aussi bien que les rudesses. Je sais que vous êtes chef des armes, et que je dois du respect à cette qualité; mais vous abusez un peu de mes soumissions...........

«Au reste, ma belle cousine, je ne vous régale point sur la fécondité dont vous me menacez; car depuis la loi de grâce, on n'en a pas plus d'estime pour une femme; et quelques modernes même, fondés en expérience, en ont fait moins de cas. Tenez-vous-en donc, si vous m'en croyez, au garçon que vous venez de faire; c'est une action bien louable, et je vous avoue que je n'ai pas eu l'esprit d'en faire autant: aussi envié-je ce bonheur à M. de Sévigné plus que chose au monde.

«J'ai fort souhaité que vous vinssiez tous deux à Paris quand j'y étais; mais maintenant que j'en suis parti, je serais bien fâché que vous y allassiez, c'est-à-dire que vous eussiez des plaisirs sans moi: vous n'en avez déjà que trop en Bretagne184

Madame de Sévigné avait recommandé à Bussy un gentil-homme breton, nommé Launay-Lyais, volontaire dans les troupes qu'il commandait. Bussy, empressé à saisir toutes les occasions de faire sa cour à sa cousine, termine sa lettre en lui parlant de son protégé. «Il est honnête homme, dit-il, et ma chère cousine me l'a recommandé: je vous laisse à penser si je le servirai.» Il se garde bien de dire qu'il trouvait Launay-Lyais d'une vanité ridicule185. Un honnête homme recommandé par madame de Sévigné devait être à ses yeux un homme sans défaut.

La campagne de Catalogne fut bien loin d'être aussi glorieuse que celle de Flandre: le vainqueur de Rocroi, de Fribourg, de Nordlingen, celui qui le premier donna Dunkerque à la France, échoua devant la petite ville de Lérida, et fut obligé de faire retraite avec son armée186.

Il alla tenir les états de Bourgogne à Dijon187, et bientôt après il répara l'échec que Lérida avait fait à sa gloire, par une nouvelle campagne en Flandre. Il prit Ypres le 27 mai, et chargea Bussy, qui ne l'avait point quitté, d'en aller porter la nouvelle à la cour188. Condé voulait par là non-seulement favoriser Bussy auprès des ministres et de la reine régente, mais encore lui donner les moyens de terminer une affaire qu'il croyait utile à sa fortune. Étrange aventure, qui doit être racontée en détail: elle fera le sujet du chapitre suivant.

CHAPITRE X.
1645-1649

Bussy veut se remarier.—Il fait connaissance avec un nommé Le Bocage, qui lui indique une jeune veuve, belle et riche.—Il la voit, elle lui plaît.—On lui persuade que les parents de la veuve s'opposent à son mariage, mais qu'elle lui est favorable.—Il se décide à l'enlever.—Il confie son projet au prince de Condé, qui lui fournit les moyens de l'exécuter.—Abus de la puissance des nobles à cette époque.—Fréquence des enlèvements.—On ignore si Bussy était encore dans l'erreur relativement aux sentiments de cette veuve pour lui.—Quelle était cette veuve et sa famille.—Elle avait perdu sa mère dans un âge tendre.—Tristesse qu'elle en ressent.—Elle épouse M. de Miramion.—Devient veuve à seize ans.—Accouche d'une fille.—Madame de Miramion veut se faire religieuse.—Ses parents s'y opposent.—Ils veulent la marier.—Elle demande du temps pour s'y décider.—Bussy forme le projet de l'enlever et d'en faire sa femme.—Ses motifs.—Mesures qu'il prend.—Accompagné d'une escorte, il arrête sa voiture à Saint-Cloud, et se saisit d'elle et de sa belle-mère.—Efforts qu'elle fait pour lui résister.—Il l'emmène avec sa belle-mère.—Il dépose cette dernière en chemin.—Madame de Miramion, dans la forêt de Livry, s'échappe.—Est reprise.—Bussy la conduit dans le château de Launay.—Fermeté de madame de Miramion à l'égard de ses ravisseurs.—Son frère arrive à Sens pour la délivrer.—Bussy la fait reconduire dans cette ville, et s'évade avec son escorte.—Suite de cette affaire.—La justice informe contre Bussy.—Madame de Miramion, interrogée, refuse de le charger.—Le prince de Condé intervient pour faire suspendre les poursuites.—Mauvaise pensée de Bussy contre le frère de madame de Miramion.—Il y résiste.—On cesse les poursuites.—A quelle condition?—Longtemps après, Bussy demande audience à madame de Miramion.—Elle la lui accorde.—Son entrevue avec elle.—Il la sollicite pour obtenir sa protection dans un procès.—Elle lui accorde sa demande.—Éloge de madame de Miramion.—Nombre de ses bonnes œuvres—Ce qu'en dit madame de Sévigné.—L'action de Bussy ne diminue pas son intimité avec madame de Sévigné.—Elle lui donne occasion d'aller demeurer avec elle sous le même toit.

Bussy, qui n'avait que des filles, désirait contracter un second mariage, espérant par là obtenir un héritier de son nom. Ses parents le pressaient vivement de prendre ce parti. Il cherchait à trouver une femme qui eût de la jeunesse et de la beauté et en même temps de la fortune. Cette dernière condition lui paraissait essentielle pour soutenir dignement son rang à la cour et pour satisfaire ses inclinations pour le plaisir et ses goûts dispendieux. Il s'entretenait fréquemment sur ce sujet avec son oncle le grand prieur du Temple, chez lequel il logeait quand il venait à Paris. Ce fut chez lui qu'il fit connaissance d'un vieux bourgeois nommé Le Bocage, propriétaire d'un domaine considérable, voisin de la commanderie de Launay. Cette commanderie, située dans la commune de Saint-Martin-sur-Oreuse, près de Sens189, servait au grand prieur de maison de campagne pendant la belle saison; son neveu Bussy allait souvent l'y voir, et y séjournait quelquefois plusieurs semaines. C'est par ce voisinage de campagne que s'était formée la liaison entre Le Bocage, Christophe de Rabutin et le comte de Bussy. Instruit du désir que ce dernier avait de trouver une femme riche, Le Bocage lui proposa une veuve jeune, belle, d'une piété et d'une douceur angéliques, et de plus millionnaire190.

Le Bocage ne la connaissait point personnellement; mais il avait un ami dans lequel la veuve avait, disait-on, beaucoup de confiance: c'était son confesseur, un père de la Merci, nommé le père Clément, moine corrompu, qui cherchait à séduire sa pénitente, et à la livrer à Bussy pour en tirer de l'argent191. Bussy eut une conférence avec lui, et par son moyen il parvint à voir deux fois à l'église la jeune veuve, dont la figure lui parut ravissante. Il n'avait pu ni s'approcher d'elle ni lui parler. Cependant le père Clément l'assura qu'il lui avait plu; mais en même temps il l'avertit qu'elle n'osait rien résoudre sans le consentement de ses parents; et ils voulaient absolument qu'elle épousât un homme de robe. Il conseilla donc à Bussy de ne risquer aucune démarche, et de le laisser faire. Il devait s'adresser à ses principaux parents pour qu'ils consentissent à ce mariage; et en cas de refus il se chargeait de persuader à la jeune veuve d'user du droit qu'elle avait de disposer d'elle-même. Pour cette négociation il demandait de l'argent à Bussy, sous prétexte de séduire les personnes de service auprès de la veuve; et Bussy, complétement sa dupe, lui remit ainsi successivement une somme de deux mille écus. Comme le temps d'entrer en campagne approchait, le père Clément engagea Bussy à ne pas différer son départ pour l'armée. Bussy partit en effet le 6 mai 1648, mais après avoir obtenu de son négociateur la promesse qu'il l'instruirait de tout. Il reçut de lui, trois semaines après son départ, une lettre qui l'instruisait que les parents de la jeune veuve lui étaient contraires, qu'elle n'avait pas la force de leur résister; mais qu'elle désirait que par une violence apparente Bussy lui arrachât un consentement qui se trouverait conforme au vœu secret de son cœur192. Le moine perfide n'avait pu réussir dans ses projets de séduction. Aussitôt qu'il avait essayé d'entamer sa négociation, madame de Miramion l'avait congédié, et avait pris un autre confesseur. Pour s'en venger, il voulut mettre à profit l'audace et la crédulité de Bussy: il lui persuada qu'il avait toujours comme confesseur la confiance de la jeune veuve; et, quelque invraisemblable que fût la fable qu'il imagina pour engager Bussy à l'enlever, Bussy le crut, et se détermina à suivre le conseil qui lui était donné. L'autorité des intendants et des commissaires du roi avait été créée par Richelieu pour s'opposer aux désordres des nobles, qui regardaient comme un des priviléges de leur caste de pouvoir se mettre au-dessus des lois. Cette autorité nouvelle n'était pas tellement affermie, qu'il lui fût toujours possible de prévenir ou de punir les abus auxquels elle était chargée de s'opposer; et les guerres civiles de la Fronde, en affaiblissant le ressort du gouvernement, permirent à la noblesse de retomber dans la licence des anciens temps, qui lui était d'autant plus chère qu'elle lui semblait un signe certain de son antique indépendance. Durant ces temps de trouble, ou pendant les espèces d'interrègne de la régence, les exemples de violence de la part de personnages puissants envers des femmes de la classe inférieure ou de celles qui dans la classe bourgeoise se trouvaient dépourvues de famille et d'appui, étaient d'autant plus fréquents qu'ils restaient presque toujours impunis193. Comme Bussy avait alors toute la faveur du prince de Condé, il lui fit le récit de son affaire, et ne lui cacha rien de ses projets. Cette aventure plut au jeune prince, qui offrit à Bussy de lui donner une commission pour se rendre à Paris, et même de lui remettre le commandement de Bellegarde, une de ses places en Bourgogne, pour se retirer après l'enlèvement. Bussy lui en témoigna sa reconnaissance, accepta la commission, mais refusa l'offre qui lui était faite de la place de Bellegarde; il dit qu'il lui suffisait d'avoir la faculté de conduire sa belle prisonnière à Launay. Cette commanderie avait en effet une espèce de château fort très-ancien, pourvu de hautes et épaisses murailles: on y pénétrait après avoir passé plusieurs ponts-levis.

Aussitôt que Bussy se fut acquitté de la commission que le prince de Condé lui avait donnée, et qu'il eut terminé toutes ses affaires en cour, il se rendit chez son négociateur, qui lui confirma tout ce qu'il lui avait écrit, et qui l'encouragea dans la résolution qu'il avait prise d'enlever la veuve à sa famille; ne doutant pas, disait-il, que quand elle s'en trouverait séparée, elle ne consentit de son plein gré à épouser Bussy. Rien n'était plus facile à Bussy que de s'assurer avant l'événement des sentiments de la veuve à son égard; et c'est peut-être pour s'excuser de ce que sa présomption ne lui a pas permis le plus léger doute, et par la honte que sa vanité lui faisait éprouver d'avoir été dupe d'une ruse grossière, que, dans ses Mémoires, il affirme que son négociateur n'avait dans cette affaire d'autre intérêt apparent que l'avantage et la satisfaction des parties, et que par cette raison il ne pouvait douter de la sincérité de ses paroles194. Il est vrai que le caractère dont ce négociateur était revêtu et la nature de ses relations avec la jeune veuve devaient écarter de lui toute défiance. Ainsi, tandis que l'innocente beauté n'avait jamais rien su, ni des prétentions de Bussy sur elle, ni du désir qu'il avait de l'épouser; que personne ne l'en avait entretenue; qu'elle n'en avait été instruite ni directement ni indirectement; que jusqu'à l'approche du jour fatal où on attenta à sa liberté elle avait ignoré le danger qui la menaçait, Bussy croyait fermement qu'elle avait donné son consentement à ce projet d'enlèvement, et qu'elle en avait été informée depuis longtemps.

Le nom de famille de cette jeune veuve était Marie Bonneau. Elle était fille de Jacques Bonneau, seigneur de Rubelle, riche bourgeois d'Orléans, et de Marie d'Ivry195. Enfant précoce, elle aimait sa mère avec une énergie et une raison au-dessus de son âge, et comptait à peine neuf ans lorsqu'elle la perdit. Cette violence faite à un premier sentiment, cette première idée de la mort et d'une éternelle séparation, firent sur elle une impression si profonde et si durable, qu'elle résista à tous les efforts que l'on fit pour l'effacer. Les plaisirs se pressaient en vain autour d'elle, ils ne pouvaient expulser de son cœur une douleur qui en avait pénétré la substance, ni dissiper une mélancolie qui lui était chère. Une de ses tantes s'était chargée de continuer son éducation: quoique sœur d'un évêque, cette tante trouvait que les idées religieuses prenaient trop d'empire sur sa pupille, et elle la conduisait sans cesse dans le monde, au bal et à la comédie. Partout l'éclat de ses charmes, plus encore que ses grandes richesses, attirait sur ses pas une foule de jeunes gens qui briguaient l'honneur d'obtenir sa main. Elle épousa, dans le mois de mai 1645, Jean-Jacques de Beauharnais, seigneur de Miramion, conseiller au parlement de Paris, dont la fortune égalait la sienne196. Il n'avait pas vingt-sept ans, était beau, bien fait, du caractère le plus heureux. Moins que sa tante, il la gênait pour ses exercices de piété. Une union si bien assortie lui fit éprouver un bonheur qu'elle n'avait connu que dans son enfance: elle aimait, elle était aimée; Dieu s'y trouvait, et sa mère entre elle et Dieu. Elle ne formait plus qu'un seul vœu: c'était de mériter, par l'innocence du cœur et la pureté de l'âme, que les bénédictions versées sur elle dans cette vie ne pussent nuire aux espérances qu'elle avait conçues pour la vie à venir. Six mois (seulement six mois!) s'écoulèrent dans les délices d'une telle existence. Au bout de ce temps, son mari fut atteint d'une fluxion de poitrine, et mourut, la laissant enceinte.

Elle accoucha d'une fille, si languissante et si faible en naissant, que les soins les plus assidus ne pouvaient que faiblement la disputer à la mort. La religion et la tendresse maternelle empêchèrent madame de Miramion de succomber à son désespoir. Elle passa les deux premières années de son veuvage dans la retraite la plus austère, toujours au pied des autels ou du berceau de sa fille. Née le 2 novembre 1629, madame de Miramion n'avait que seize ans et demi lorsqu'elle devint veuve et mère197. Ses parents, dont elle était tendrement aimée, craignaient qu'elle ne se fît religieuse: ils désiraient la conserver au milieu d'eux; et son extrême jeunesse leur fit espérer que le moyen qu'ils avaient employé efficacement une première fois leur réussirait une seconde. Ils laissèrent d'abord un libre cours à sa douleur; et, croyant que le temps y avait apporté quelque diminution, ils la pressèrent de contracter un nouveau mariage. Des partis brillants se présentèrent, et lui étaient chaque jour proposés. Plusieurs de ceux qui la recherchaient regrettaient, en la voyant si belle, qu'elle fût si riche, et que la fortune fût un obstacle à leurs désirs, ou un motif de suspecter la sincérité de leur amour. Quant à ses résolutions, elles n'étaient pas douteuses: elle ne laissait échapper aucune occasion de les exprimer de manière à faire renoncer ceux qui la recherchaient au projet qu'ils avaient conçu. Elle se reprochait souvent, en leur présence, les passions qu'elle faisait naître involontairement, et en témoignait son chagrin. Attaquée de la petite vérole, elle regretta que cette maladie ne lui eût pas enlevé ses attraits, dont sa piété lui faisait détester le pouvoir. Cependant, vivement touchée de l'attachement et du désintéressement de ses parents, elle n'osait fermer sa porte aux prétendants qu'ils introduisaient auprès d'elle. Son humilité lui faisait penser aussi qu'elle n'était pas encore digne de se consacrer à Dieu: elle semblait hésiter, et suppliait qu'on lui donnât du temps pour se décider. En attendant, elle multipliait les prières et les actes de dévotion, dans l'espérance que Dieu parlerait à son cœur, et lui révélerait sa volonté. Pourtant on se flattait d'obtenir son consentement pour lui faire épouser M. de Caumartin, et ce seul espoir comblait de joie deux familles riches et puissantes qui désiraient vivement cette alliance198.

Telle était celle que Bussy, sans la connaître, se proposait d'enlever pour en faire sa femme, persuadé qu'elle se trouverait honorée de lui appartenir et charmée de paraître à la cour, où sa naissance et le rang de ses parents ne l'appelaient pas. Assuré de la protection du vainqueur de Rocroi, il regardait un enlèvement comme sans conséquence envers une femme qui, malgré sa richesse, n'était à ses yeux qu'une bourgeoise. Rubelle, frère aîné de madame de Miramion, alors âgé de vingt-cinq ans, était seul, dans toute sa famille, capable d'inspirer quelque crainte à Bussy, si Bussy, réputé brave parmi les braves, eût été accessible à une crainte de cette nature. D'ailleurs, il convoitait les richesses de notre jeune veuve, il était épris de ses charmes, il croyait lui plaire; ses motifs étaient purs, son but honorable: il n'y avait donc pas à balancer. Sa résolution fut irrévocablement prise, et il se disposa à l'exécuter.

Les préparatifs ne furent pas tenus tellement secrets qu'il n'en transpirât quelque chose. Madame de Miramion fut avertie par plusieurs personnes qu'on voulait l'enlever; mais comme on ne lui nommait pas celui qui avait le projet de se porter à cet excès d'audace, et que parmi tous ceux qui aspiraient à sa main, et qu'elle connaissait bien, pas un seul ne pouvait être soupçonné de songer à une action aussi coupable, elle n'ajouta aucune foi aux propos qu'on lui tint à ce sujet, et ne prit aucune précaution199.

Bussy savait qu'elle s'était retirée à Issy avec sa belle-mère, chez de Choisy, conseiller d'État, grand-père du mari qu'elle avait perdu200. Les affidés dont Bussy l'avait entourée lui apprirent que le 7 août elle devait aller au mont Valérien, pour y faire ses dévotions. Bussy dressa ses plans en conséquence: il disposa d'abord quatre relais de Saint-Cloud au château de Launay, trajet d'environ vingt-cinq lieues. Il assembla une forte escorte, composée de Rabutin son frère, d'un gentil-homme de ses amis, qui avait fait sous ses ordres deux campagnes comme volontaire, et de trois autres gentils-hommes de ses vassaux et dans sa dépendance. Ces cinq cavaliers étaient suivis de deux ou trois serviteurs, comme eux bien montés et bien armés201.

Madame de Miramion, l'esprit uniquement occupé de l'acte pieux qu'elle allait accomplir, partit d'Issy à sept heures du matin, le jour précis qui avait été indiqué à Bussy. Elle avait avec elle sa belle-mère; et de plus, selon l'usage des dames riches et d'un rang distingué de cette époque, de ne jamais se montrer en public sans être suivies d'une partie de leurs familiers, elle était accompagnée d'un écuyer âgé, et de deux demoiselles, pour parler le langage de ce temps, c'est-à-dire de deux femmes attachées à son service. L'une d'elles était une gouvernante entre deux âges, l'autre une jeune femme de chambre, nommée Gabrielle. Un seul domestique se trouvait derrière. L'escadron de Bussy était posté sur la route qui conduit de Saint-Cloud au mont Valérien, vis-à-vis le pont202; lorsque le carrosse de madame de Miramion l'eut passé, il fut arrêté, et en même temps deux cavaliers se présentèrent aux portières pour abaisser ce qu'on nommait alors les mantelets, ou les rideaux de cuir qui les fermaient. Madame de Miramion voulut repousser les agresseurs en les frappant avec son sac, et en criant au secours! de toutes ses forces. Mais ses cris et les faibles armes qu'elle employait étaient également impuissants. Pourtant les cavaliers, ne pouvant parvenir à abaisser les mantelets, tirèrent leur épée pour couper les courroies qui les attachaient aux portières. Madame de Miramion, avec un courage au-dessus de son sexe, chercha à leur arracher leurs armes, et s'ensanglanta les mains. Pendant ce combat si inégal, l'escadron avait forcé le cocher de repasser le pont, et d'entrer dans le bois de Boulogne203. Là les attendait une voiture plus légère, attelée de six chevaux. Bussy voulut y faire entrer madame de Miramion: il ne put y parvenir, ni de gré ni de force. Elle se cramponnait si fortement dans son carrosse, qu'il était impossible de l'en arracher sans lui faire une trop grande violence et sans la blesser. Elle poussait d'ailleurs des cris aigus, et il était urgent, pour le succès de l'entreprise, de mettre promptement fin à cette lutte. Bussy fit alors dételer les deux chevaux du carrosse de madame de Miramion, et ensuite atteler à ce même carrosse les six chevaux de sa voiture. Deux palefreniers s'emparèrent du cocher et des deux chevaux de madame de Miramion, et furent chargés de les conduire à Paris, et de les retenir en captivité jusqu'à nouvel ordre.

L'escadron, divisé en deux, se plaça de chaque côté du carrosse, et l'on se mit à courir au grand galop à travers la plaine Saint-Denis, jusqu'à la forêt de Livry. Madame de Miramion ne cessait de crier à tous les passants qu'on l'enlevait de force: elle disait son nom, et suppliait, les larmes aux yeux, qu'on allât avertir sa famille à Paris. Mais le nuage du poussière produit par tant de chevaux la dérobait en partie aux yeux de ceux à qui elle s'adressait; le vent, le bruit, et la rapidité de la marche, étouffaient ses cris et emportaient ses paroles.

Dans la forêt de Livry, il fut impossible à l'escorte de se tenir sur les côtés du carrosse; une portion courut devant, et l'autre derrière. Madame de Miramion crut qu'en se jetant par la portière dans un taillis épais, elle ne serait pas aperçue, et pourrait peut-être se cacher et se sauver. L'exécution suivit la pensée: elle se précipita dans les ronces et les épines, et se fourra au milieu des plus épais buissons, sans songer qu'elle se mettait le visage tout en sang; mais elle fut bientôt poursuivie par ses ravisseurs; et, s'apercevant qu'elle ne pouvait pas leur échapper, elle voulut au moins éviter qu'ils ne la touchassent. Elle courut donc de toutes ses forces vers son carrosse, et s'élança dedans avant qu'on pût l'atteindre.

Bussy fit faire halte dans la partie la plus solitaire de la forêt de Livry. Tous les hommes de l'escorte prirent à la hâte quelques rafraîchissements, et on en fit prendre également à toutes les personnes qui se trouvaient dans la voiture. Mais ce fut en vain qu'on pressa madame de Miramion d'imiter leur exemple: elle déclara qu'elle était résolue à n'accepter aucune nourriture tant qu'on ne lui aurait pas rendu sa liberté.

Bussy, qui n'était pas encore revenu de l'erreur où l'avaient plongé les rapports du père Clément, étonné et inquiet de la résistance de madame de Miramion, se flattait que ce n'était qu'une feinte: il espéra qu'elle se calmerait s'il la débarrassait de la présence de sa belle-mère et de son vieil écuyer. En conséquence il les força tous deux à mettre pied à terre; il expulsa aussi du carrosse la vieille gouvernante. Il aurait voulu ne laisser auprès de sa captive que la demoiselle Gabrielle; mais il se vit forcé de souffrir que le laquais qui se trouvait derrière, et qu'il voulait renvoyer, continuât à accompagner sa maîtresse, parce qu'il se montra résolu à se faire tuer, plutôt que de la quitter. Bussy fit aussi abaisser les mantelets de la voiture, afin qu'on ne pût ni voir la belle éplorée, ni entendre ses cris, si elle en poussait encore.

177.Discours du comte BUSSY DE RABUTIN à ses Enfants, 1694, in-12, p. 223.—Œuvres mêlées de messire ROGER DE RABUTIN, t. III des Mémoires de BUSSY DE RABUTIN, 1721, in-12, t. I, p. 123; et de l'édit. in-4o, t. I, p. 153.
178.BUSSY, Discours à ses Enfants, p. 231.
179.SÉVIGNÉ, lettre du 30 août 1671, t. II, p. 173, édit. M., et t. II, p. 207, édit. de G. de S.-G.
180.BUSSY, Mémoires, édit., in-12, t. I, p. 125, ou de l'édition in-4o, t. I, p. 156.
181.BUSSY, Mém., in-12, t. I, p. 128; de l'in-4o, t. I, p. 157.
182.SÉVIGNÉ, Lettres, édit. 1820, in-8o, t. I, p. 6, no 4, en date du 15 mars 1647, et t. I, p. 7 de édit. 1823, in-8o.
183.BUSSY, Mémoires, t. I, p. 128 et 129 de l'édit. in-12, et de l'in-4o, t. I, p. 159 et 160.
184.SÉVIGNÉ, Lettres, édit. 1820, t. I, p. 7, no 5, en date du 12 avril 1647; et dans l'édit. 1823, t. I, p. 8.—BUSSY, Mémoires, t. I, p. 128 et 129.
185.BUSSY, Mémoires, t. I, p. 193.—Voyez ci-après, chap. XIV, p. 206.
186.BUSSY, Mémoires, t. I, p. 135 de l'édit. in 12, et de l'in-4o, 1696, t. I, p. 168.
187.Ibid., t. I, p. 151 et 157.
188.Ibid., t. I, p. 156.
189.ROGER DE RABUTIN, comte DE BUSSY, Mémoires, t. I, p. 152 et suiv.—Carte de Cassini, no 48.
190.BUSSY, Discours à ses Enfants, 1694, in-12, p. 232, ou Œuvres mêlées, t. III des Mémoires, p. 289.
191.TALLEMANT DES RÉAUX, Mémoires, t. V, p. 371, édit. in-8o, t. IX, p. 234, édit. in-12.
192.BUSSY, Mém., t. I, p. 155 de l'édit. in-12, et de l'in-4o, t. I, p. 194.
193.CHAVAGNAC, Mémoires, in-12, t. I, p. 100.
194.BUSSY, Mémoires, t. I, p. 155.
195.L'abbé DE CHOISY, Vie de madame de Miramion, 1706, in-4o, p. 6, ou 1707, in-12.
196.L'abbé DE CHOISY, Vie de madame de Miramion, p. 10.—Mémoires complets et authentiques du duc DE SAINT-SIMON, 1829, in-8o, t. I, p. 351.
197.Vie de madame de Miramion, in-4o, p. 11.
198.TALLEMANT, Mém., t. V, p. 372, édit. in-8o t. IX, édit. in-12.
199.Vie de madame de Miramion, p. 12.
200.L'abbé DE CHOISY, Vie de madame de Miramion, p. 10, 12 et 19, édit. in-4o.—BUSSY, Mémoires, t. I, p. 160, de l'édit. in-12; t. I, p. 200, de l'édit. in-4o.
201.CHOISY, Vie de madame de Miramion, p. 13, in-4o.
202.BUSSY, Mémoires, t. I, p. 160.
203.BUSSY, Mémoires, t. I, p. 160 à 200.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
30 haziran 2018
Hacim:
581 s. 2 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain