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Kitabı oku: «Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 2», sayfa 12

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En effet, madame de Grignan, si elle avait revu le mont Saint-Michel lorsque sa mère lui écrivait cette lettre, ne lui aurait pas trouvé un aspect aussi imposant qu'au temps de sa jeunesse. A cette époque ses deux cimes étaient couronnées de deux majestueuses constructions, la plus haute par l'abbaye, la moins élevée par le château; mais ce château avait été rasé en 1669. Ce mont Saint-Michel n'aurait pas non plus retrouvé en 1689 madame de Grignan, âgée de quarante-trois ans, aussi fraîche et aussi belle que mademoiselle de Sévigné l'était en 1661, quoiqu'elle n'eût à cette époque que treize ans. Sa mère ne la flattait pas, lorsqu'elle lui disait qu'elle était alors déjà remarquable par ses naissants attraits. Voici de quelle manière s'exprimait, dans une lettre adressée à un ami, un conseiller au parlement qui se trouvait à Fontainebleau le 3 novembre 1661331:

«J'ai eu l'avantage d'être un mois durant voisin de madame de Sévigné, dont la maison n'est qu'à deux lieues de nous. Cette favorable conjoncture me l'a bien mieux fait connaître par elle-même, que par ce grand et légitime bruit que son mérite fait dans le monde. Je ne vous en dirai rien du tout et je vous renvoie, ou à la connaissance que vous en avez, ou à la foi publique… Mademoiselle sa fille est une autre merveille, dont je ne vous dirai rien non plus:

 
Vous la verrez, si vous ne l'avez vue,
Vous la verrez, de mille attraits pourvue,
Briller d'un éclat sans pareil;
Et vous direz, en la voyant paraître:
C'est un soleil qui ne fait que de naître
Dans le sein d'un autre soleil.
 

«Le lieu où ces déités me sont apparues est une maison située à une lieue de Vitré, grande et belle pour ses bâtiments et ses jardins, où madame de Sévigné passe de temps à autre quelques mois, et où, dans un fond de province, on trouve la même politesse que dans l'Ile de France.

«J'ai encore à vous rendre compte du pèlerinage que j'ai fait au mont Saint-Michel… Ce mont est une chose singulière, où il y a une fort belle abbaye; et c'est tout vous dire que madame de Sévigné avait eu la même curiosité huit ou dix jours avant moi, et en avait été fort satisfaite; ce qui me donna lieu de lui en écrire, à mon retour, une lettre que je ne mets ici que pour vous servir de description de cette montagne.»

L'emphatique description que l'anonyme adresse à madame de Sévigné se termine ainsi:

 
Vous l'avez vu, madame, et savez si je mens.
Vous avez triomphé de la roche superbe;
Vos beaux pieds l'ont foulée, ainsi qu'on foule l'herbe:
Elle fléchit pour vous son invincible orgueil;
Et, sentant sur sa croupe une charge si belle,
Elle vous caressa par un muet accueil;
Puis de votre départ voyant l'heure cruelle,
Dans ses concavités elle en pleura le deuil.
Elle ne le dit pas; et je le dis pour elle332.
 

CHAPITRE XVI.
1661

Les peuples ressentent bien plus leurs maux après les dissensions civiles que pendant qu'elles durent.—Situation de la France après le traité des Pyrénées.—Misère du peuple.—Abus et confusion des pouvoirs.—Vénalité, immoralité, désordre des finances.—Craintes et regrets que cause la mort de Mazarin.—Personne ne pouvait remplir sa place.—On redoute les inclinations martiales de Louis XIV.—La France ressentait le besoin de la paix.—Corneille se rend l'organe de l'opinion publique.—Citation d'un passage de la Toison d'Or.—Le roi se résout à gouverner par lui-même.—Personne ne croit que cette résolution sera de longue durée.—Des espérances que faisaient naître ses actes.—Madame de Sévigné croit que le cardinal de Retz succédera au cardinal Mazarin.—Louis XIV ne rappelle point le cardinal de Retz, et se montre aussi contraire aux jansénistes que l'avait été Mazarin.—Arnauld d'Andilly était le seul de ce parti qui fût aimé du roi et de la reine mère.—Madame de Sévigné était liée avec ses deux fils, l'abbé Arnauld et Pomponne; détails sur ce dernier.—Il était ami de Fouquet.—Pomponne ne pouvait obtenir de l'avancement, parce qu'il appartenait à la secte des jansénistes.—Madame de Sévigné espère que Fouquet succédera à Mazarin.—Fouquet avait aussi cette espérance.—Le voyage du monarque et de sa cour en Bretagne est résolu.—Madame de Sévigné apprend dans sa terre des Rochers que Fouquet est arrêté, et que le roi a résolu sa mort.

Les maux qu'amènent à leur suite la guerre civile et la guerre étrangère ne sont jamais mieux sentis qu'après la cessation des causes qui les produisent. Dans les temps de violentes agitations, l'esprit, fortement préoccupé des événements, soutient les forces et le courage, et donne l'énergie nécessaire pour supporter les plus grands revers, les plus désastreuses calamités; mais quand le calme est rétabli, chacun regarde autour de soi, se ressouvient avec tristesse des maux passés, ressent avec douleur ceux qui l'affligent encore, et mesure avec effroi, par la pensée, les malheurs dont le présent menace l'avenir.

Tel était le sentiment qui prévalait en France après la mort de Mazarin. Le monarque et sa cour se plongeaient dans les plaisirs; les courtisans, les ambitieux, les intrigants étaient pleins de joie et d'espérance; mais le peuple était dans l'abattement, les gens de bien et les hommes réfléchis s'abandonnaient à leurs sombres prévisions.

Les abus dominaient partout; partout la vénalité et l'anarchie des pouvoirs; les manufactures et le commerce languissaient; le bas peuple, accablé d'impôts, était exposé à des vexations de toute espèce. La noblesse, qui conférait alors les priviléges, la puissance, l'exemption des charges publiques, était usurpée sans aucun titre, ou acquise à prix d'argent, ou conférée gratuitement, sans aucun service. Les juges, choisis par l'intrigue ou par la corruption, sans probité comme sans savoir, faisaient le mal au nom des lois et avec les formalités qu'elles prescrivent. Les fraudes et les subtilités de la chicane étaient encouragées, et une multitude de procès interminables dévoraient le patrimoine des familles. Dans le clergé, une licence de mœurs déplorable ou un rigorisme excessif. Les gens puissants, habitués à arracher les grâces au pouvoir par des compromis et des intrigues, se créaient des droits imaginaires sur tout ce qui était à leur bienséance. Les gouverneurs des villes de guerre négligeaient de faire exécuter les réparations les plus urgentes aux places dont la défense leur était confiée, et ils gardaient le produit des taxes qui leur avaient été abandonnées pour subvenir à cette dépense; puis ils cherchaient à couvrir leurs malversations par la crainte, et devenaient autant de petits tyrans des territoires soumis à leur commandement. Les marches des troupes et l'indiscipline des soldats occasionnaient des ravages continuels dans les campagnes. Les finances étaient dans un désordre inextricable; toutes les ressources se trouvaient épuisées. Le payement des sommes les plus légitimement dues était suspendu ou ajourné; on manquait souvent d'argent pour les dépenses journalières les plus urgentes, tandis que les financiers, les gens de cours enrichis, étalaient un luxe insolent. Comme il arrive toujours, le déréglement des mœurs accompagnait le désordre de l'État333. Le jeu était devenu une passion générale et effrénée334; la licence et le libertinage avaient pénétré dans toutes les classes, et profanaient par de honteux scandales l'austérité des cloîtres335.

On avait détesté Mazarin surtout à cause de son avarice, du trafic honteux des places, des charges et des honneurs, et des immenses revenus que lui donnaient les bénéfices ecclésiastiques et les abbayes qu'il avait accumulés sur sa tête; mais quand il ne fut plus, on reconnut qu'au lieu d'être la cause des calamités dont on se plaignait, il avait cherché à les prévenir, et qu'elles étaient dues principalement aux obstacles qu'on avait opposés à l'autorité royale, dont il était le dépositaire. La paix, qui était son ouvrage, était le premier pas et le plus important pour la réparation des malheurs publics. Dès qu'on le vit exercer enfin le pouvoir sans contrôle, on comprit que le plus sûr moyen qu'il avait de l'affermir dans ses mains était de faire cesser les abus, de rétablir l'ordre, de travailler sincèrement à la prospérité du royaume, de gouverner en vue du bien public; on savait qu'il en avait la volonté, et l'on avait commencé à s'apercevoir qu'il s'y appliquait avec succès. Ce ne fut donc pas sans une peine profonde que ceux même qui s'étaient montrés autrefois les plus contraires à Mazarin virent que la France venait d'être privée d'un homme d'État capable de réparer les maux dont elle souffrait. On s'inquiétait de voir le royaume dans une situation si déplorable, sans une seule tête qui pût le diriger. Bien loin d'avoir aucune confiance dans un roi si jeune, si entièrement livré à sa passion pour les plaisirs, on redoutait ses inclinations guerrières, et les fautes où il serait entraîné dès qu'il cesserait d'être dirigé par la prudence d'un ministre qui avait su capter sa confiance et résister à ses passions. On craignait l'influence qu'allait exercer sur lui le génie belliqueux des Condé et des Turenne et de toute cette jeune noblesse, qui ne connaissait d'autre occupation que la guerre, qui n'avait aucun autre moyen de se rendre nécessaire336. Corneille se fit généreusement l'organe de l'opinion publique à cet égard. Dans cette même pièce de la Toison d'Or, qui lui avait été commandée pour flatter le jeune monarque, il osa faire comparaître la France, exposant elle-même, dans un dialogue avec la Victoire, les funestes effets de la guerre et de l'indiscipline militaire.

 
A vaincre tant de fois mes forces s'affaiblissent,
L'État est florissant, mais les peuples gémissent;
Leurs membres décharnés courbent sous mes hauts faits,
Et la gloire du trône accable les sujets337.
 

Cependant, aussitôt après la mort de Mazarin, le roi avait déclaré ses intentions de gouverner par lui-même; il travaillait en effet exactement avec les ministres qu'il s'était choisis, mais personne ne croyait à la constance de cette résolution338. Depuis la mort de Henri IV on était habitué à voir la souveraineté ne s'exercer que par délégation, et par l'intermédiaire des ministres. Louis XIV lui-même, depuis sa majorité, n'avait montré ni les désirs ni les dispositions propres à changer cet état de choses. On l'avait vu si fortement enclin à l'amour, si occupé à jouir des avantages et des priviléges de la royauté, qu'on ne pouvait penser qu'il voulût jamais consentir à en accepter les charges, ni qu'il lui fût possible de s'astreindre à la contention d'esprit et à l'ennui journalier qu'entraîne le détail d'affaires difficiles et compliquées, dont la décision seule devait consumer la plus grande partie des heures qu'il était habitué à donner à la chasse, aux ballets, aux carrousels, aux conversations galantes. Aussi son changement de vie, la fermeté de ses volontés, l'application qu'il mettait à s'instruire sur toutes les parties du gouvernement, ne produisirent aucun changement sur l'opinion qu'on s'était formée de lui: on attribuait sa conduite à une sorte de présomption orgueilleuse et au plaisir que sa vanité lui faisait éprouver d'exercer une autorité dont il avait été si longtemps privé. On s'attendait de jour en jour à voir cesser cette ardeur de jeune homme; on croyait qu'il se lasserait bientôt de vouloir faire le capable, comme le disait sa mère; et qu'il ne tarderait pas à se décharger sur un premier ministre d'un fardeau beaucoup trop pesant pour ses mains jeunes et inexpérimentées. On ne savait pas que Mazarin depuis longtemps avait pris la peine d'exposer lui-même au jeune monarque toutes les affaires difficiles, et de lui communiquer les motifs des décisions; qu'il l'initiait à tous les secrets de sa politique; qu'il l'engageait sans cesse à vouloir s'appliquer aux détails de la haute administration; qu'il lui répétait: «qu'il n'avait besoin que de vouloir pour devenir le plus glorieux roi qui eût jamais existé339.» Comme Louis XIV avait assez de jugement pour reconnaître la supériorité de son ministre, et qu'il le laissait agir, ou avait conçu une faible idée de sa capacité. Cependant Mazarin avait déclaré «qu'on ne le connaissait pas, et qu'il y avait en lui de l'étoffe pour faire quatre rois et un honnête homme340

Mais, dans l'ignorance où l'on était à cet égard, on blâmait ou on approuvait le gouvernement, selon les espérances que ses actes faisaient naître de voir la place de Mazarin occupée par celui que les vœux et les prédilections de chacun y appelaient.

Madame de Sévigné, dont les amitiés étaient franches, vives et constantes, n'était pas entièrement désintéressée à cet égard. Après la mort du premier ministre, la noblesse s'était flattée d'y voir arriver le maréchal de Villeroi ou le grand Condé341; mais lorsqu'on vit que ni l'un ni l'autre n'était admis au conseil, on prêta au roi un autre projet, et le bruit courut que le cardinal de Retz allait prendre le timon des affaires. Il avait de nombreux amis; il était le seul des ennemis de Mazarin que ce ministre eût paru redouter, le seul qu'il eût persécuté jusqu'à la fin. L'intérêt que l'on portait à cet illustre exilé s'augmentait encore de toute l'aversion qu'avait fait naître son heureux rival; et si Retz, après avoir été si longtemps en butte à une injuste animadversion, ne redevenait pas sur-le-champ en faveur, si le besoin qu'on avait de ses talents ne le faisait pas nommer ministre, du moins on ne doutait pas que comme archevêque de Paris on ne se hâtât de le rappeler, afin de rétablir la paix et le bon ordre dans l'administration ecclésiastique du premier diocèse du royaume.

On se trompait; le roi se montra encore plus que Mazarin opposé à Retz, à ses amis les jansénistes, dont les opinions, depuis la publication des lettres de Pascal, faisaient cependant chaque jour des progrès parmi ce qu'il y avait de plus recommandable et de plus estimable dans la haute société. Un des plus fervents de la secte, un des frères de l'intraitable docteur Arnauld, avait, ainsi que nous l'avons dit, conservé l'affection particulière de Louis XIV et de la reine mère. Il la devait aux services qu'il avait rendus à l'État pendant sa longue vie politique; au respect qu'inspirait son âge, aux ouvrages par lesquels il avait honoré et illustré sa laborieuse retraite; à cette aménité de caractère, à ces formes flatteuses et polies qu'un long usage de la cour et du grand monde lui avait données. Un savant, un sage, un saint octogénaire, avec le doux langage et les manières gracieuses d'un courtisan, voilà ce qu'était Arnauld d'Andilly.

Un de ses fils, Simon de Pomponne, par son esprit, son aptitude aux affaires, paraissait destiné à le reproduire. Comme son frère aîné, l'abbé Arnauld, dont nous avons parié précédemment, Pomponne était au nombre des amis les plus intimes de madame de Sévigné. Elle avait eu occasion de le connaître et de le voir souvent dans sa jeunesse à l'hôtel de Rambouillet, où il était admis, et chez la princesse Palatine, ainsi que chez madame du Plessis Guénégaud342. L'intimité de Pomponne et de madame de Sévigné s'était accrue par les sentiments d'amitié et de reconnaissance qui les unissaient tous deux à Fouquet. Simon de Pomponne, d'abord nommé intendant à Casal, en 1642, avait obtenu deux ans après d'être admis dans les conseils du roi. Il fut successivement chargé des négociations de Piémont et du Montferrat, et de l'intendance des armées de Naples et de Catalogne; mais lorsqu'en 1649 il demanda le consentement royal pour la charge de chancelier du duc d'Anjou, il lui fut refusé. Malgré l'appui de Fabert et les sollicitations de ses nombreux et puissants amis, Pomponne ne put vaincre la résistance de Mazarin, qui lui opposa toujours, comme un obstacle insurmontable pour un tel emploi, les opinions religieuses professées par son père et par toute sa famille343. Par les mêmes motifs, le roi, depuis la mort du premier ministre, malgré l'estime qu'il avait conçue pour Pomponne, malgré la bonne opinion qu'il avait de ses talents, s'abstenait de lui donner de l'avancement.

Madame du Sévigné se trouvait donc contrariée et affligée de voir s'évanouir les espérances que la mort de Mazarin lui avait fait concevoir pour l'élévation du cardinal de Retz et de ses autres amis; surtout sachant que la cause des empêchements qu'ils éprouvaient était due à ces opinions religieuses qui lui étaient communes avec tous ceux qu'elle aimait et qu'elle estimait le plus. D'un autre côté, l'amitié, mêlée d'amoureuse tendresse, qu'avait pour elle le surintendant, lui donnait lieu de croire que les changements nécessités par la perte du premier ministre seraient utiles à tous ceux qu'elle voudrait protéger, et par suite à l'établissement de ses enfants, surtout de sa fille, qui déjà commençait à être l'objet de ses pensées principales et de ses plus chères affections. Elle avait écrit au surintendant à l'occasion des affaires et du mariage de son cousin germain M. le marquis de la Trousse344; et si Fouquet cherchait à prolonger ce commerce de lettres au delà de ce qui était nécessaire, c'est qu'il est présumable que madame de Sévigné ne désirait pas qu'il cessât, et qu'elle sut y répandre ce charme et ces agréments qui naissaient sans effort sous sa plume.

Des trois ministres que Louis XIV avait choisis, Lyonne, Le Tellier et Fouquet, ce dernier était le seul qu'on croyait digne d'occuper la place de premier ministre. A la cour et dans tout le royaume, il comptait autant d'amis et de partisans que Mazarin avait eu d'ennemis ou d'antagonistes déclarés ou cachés. Fouquet était personnellement aimé et protégé par la reine mère; le roi semblait se plaire à travailler avec lui, et lui confiait les affaires les plus secrètes. Jamais il ne lui refusait d'audiences particulières lorsqu'il lui en demandait, et il lui en demandait souvent345. Aussi, lorsqu'on sut que Fouquet, afin d'être compris dans la promotion des chevaliers de l'Ordre qui allait avoir lieu, venait de vendre sa charge de procureur général, et que par son conseil toute la cour allait faire le voyage de Nantes pour la tenue des états de Bretagne, on ne douta pas qu'il ne fût arrivé au plus haut degré de la faveur, et qu'il ne devint très-prochainement premier ministre346.

Madame de Sévigné, alors aux Rochers, crut que les espérances qu'elle avait conçues étaient au moment de se réaliser. Madame de La Fayette et ses autres correspondances de Paris la confirmaient dans sa croyance, en lui annonçant que le roi allait bientôt se rendre, avec ses ministres, en Bretagne. Dans son château, peu éloigné de Nantes, madame de Sévigné attendait avec une agréable anxiété les nouvelles qui devaient lui arriver de cette ville. Elles arrivèrent en effet, mais elles lui apprirent que le surintendant était enfermé dans une étroite prison; que le roi, furieux contre lui, voulait sa mort; que tous ses affidés étaient arrêtés ou en fuite, tous ses amis dans la stupeur; que les scellés allaient être apposés sur tous ses papiers; que Pellisson, son premier commis, était conduit à la Bastille347.

CHAPITRE XVII.
1661

Aveux qu'a faits Louis XIV sur l'arrestation et le procès de Fouquet.—Cet événement mal jugé par les historiens.—Ce fut la fin du ministérialisme.—De la connaissance approfondie de l'affaire de Fouquet dépend l'intelligence complète du règne de Louis XIV.—Nomination de Fouquet à la surintendance des finances avec Servien.—Fouquet reste le seul surintendant.—Fonctions et attributions d'un surintendant.—Ordre qui était établi dans les finances.—Trois trésoreries de l'épargne.—Contrôleur ou teneur du registre des fonds.—Ordonnances de payement.—Billets de l'épargne.—Assignations et réassignations.—De quelle manière s'y prenaient les financiers et les traitants pour s'enrichir aux dépens de l'État et des particuliers.—Lorsque Fouquet parvint aux finances, il n'y avait ni crédit ni ressources.—Il emprunte sur son crédit.—Subvient à toutes les dépenses.—Fait disparaître tout contrôle.—Le désordre se met dans la comptabilité.—Fouquet lui-même ne connaît pas sa position; mais il est le seul maître des revenus de l'État.—Dispose d'énormes richesses.—Fait bâtir des palais.—Étale le luxe le plus prodigieux.—Fait des pensions aux hommes puissants.—Rivalise en influence Mazarin.—Colbert signale dans un mémoire ses malversations, et dresse un plan pour le perdre.—Fouquet intercepte la lettre.—Emploi qu'il fait de la connaissance de ce secret pour se maintenir.—Mazarin, ayant besoin d'argent pour conclure la paix, écrit à Colbert de se raccommoder avec Fouquet.—Ce que Colbert lui répond.—Défiance du surintendant depuis cette époque.—Il fortifie Belle-Isle.—Projet de résistance mis sur le papier, et retrouvé derrière une glace à Saint-Mandé.—Mazarin connaissait les grands talents de Fouquet, et ne voulait pas en priver son roi.—Comparaison de Mazarin et de Richelieu, de Louis XIII et de Louis XIV.—Richelieu força le roi à supporter son joug, Mazarin fit aimer le sien.—Instructions que Mazarin donne à Louis XIV, et comment il lui apprit à régner.—Aveux et recommandations de Mazarin à Louis XIV.—Position à l'égard de son roi, différente de celle de Richelieu.—Mazarin était moins le dominateur du monarque que son tuteur et son protecteur.—Tout le gouvernement, toute la cour étaient en lui.—Louis XIV, plein de reconnaissance pour Mazarin, accomplit toutes ses volontés, et suit tous ses conseils.—Mazarin avait conseillé à Louis XIV d'employer Fouquet.—Colbert est nommé pour tenir le livre des fonds.—Le roi déclare à Fouquet qu'il veut être instruit exactement sur ses finances.—Fouquet présente au roi des comptes simulés.—Il est démasqué secrètement par Colbert.—Le roi, s'apercevant de son système de déception, est résolu à le perdre.—Il dissimule avec lui.—Précautions qu'il avait à prendre.—Louis XIV se décide à différer l'arrestation de Fouquet.

Dans ses admirables Instructions au Dauphin, Louis XIV a dit que de toutes les affaires qu'il avait eues à traiter, l'arrestation et le procès du surintendant était celle qui lui avait fait le plus de peine et causé le plus d'embarras348. Et cependant les historiens n'en parlent que brièvement, et s'étonnent que le roi ait déployé dans cette circonstance un appareil de puissance tout à fait inutile; qu'il ait usé d'une dissimulation peu digne de la majesté royale. C'est que jusque ici on a considéré la chute de Fouquet plutôt comme un incident que comme un événement grave; on n'y a vu qu'un acte violent de despotisme envers un homme auquel ses grandes qualités personnelles, les amis qu'il s'était faits dans la prospérité, le courage qu'il a montré dans l'adversité, ont attaché un intérêt puissant.

Il y a tout autre chose dans le procès de Fouquet. Par les résultats qui en devaient être la suite, ce ne fut pas seulement un mémorable exemple des revers de la fortune donné par la chute d'un ministre; ce fut une véritable révolution, ce fut l'anéantissement du ministérialisme en France et le rétablissement de l'autorité royale dans toute sa plénitude. Ce fut la chute d'un gouvernement qui depuis plus d'un demi-siècle ne put jamais s'établir et se maintenir qu'en s'appuyant sur l'oligarchie nobiliaire, ou sur le frêle soutien de la faveur, que les courtisans et les familiers travaillaient toujours à lui enlever; consumant ainsi en efforts pour son existence les forces dont il avait besoin pour agir; faisant souvent le mal sans volonté, et renonçant au bien par impuissance. L'anéantissement de ce pouvoir, superposé à la couronne, concentra l'autorité dans le monarque seul, dont le droit et la puissance étaient hors de toute contestation, et qui loin d'avoir dans ses propres agents des ennemis, qui s'opposaient à lui ou cherchaient à le renverser, n'y trouvait plus que des instruments dociles, empressés, dévoués, qu'il pouvait déplacer, écarter, briser, selon qu'il le jugeait utile ou convenable à ses desseins. Alors on eut en France un roi et un gouvernement fort; c'est ce qu'on n'y avait pas vu depuis Henri IV. Mais rien ne nous montre mieux la fermeté, l'habileté et les lumières qui étaient nécessaires dans le souverain pour fonder ce gouvernement, que le procès de Fouquet. L'intelligence complète du règne de Louis XIV et du caractère de ce monarque dépend de la connaissance exacte de la situation des affaires lorsqu'il commença à gouverner par lui-même. On ne peut l'acquérir qu'en se faisant une idée précise de l'administration du surintendant, et en recherchant avec soin toutes les causes qui ont préparé sa chute, toutes les circonstances qui l'ont hâtée et aggravée.

Nous avons déjà dit comment, en 1652, Fouquet, d'abord accolé à Servien, était devenu, par le fait, le seul surintendant des finances, quoique les lettres patentes qui le reconnaissent comme tel ne lui aient été délivrées qu'en 1659, après la mort de son collègue349. Mais pour concevoir de quelle manière Fouquet, par le moyen de cette charge, qui ne lui conférait aucune part à la direction du gouvernement, put acquérir une puissance qui rivalisait avec celle du premier ministre, il est nécessaire de faire connaître quelle était à cette époque l'organisation des finances en France, et surtout le mode de comptabilité du trésor public ou de l'épargne, comme on disait alors.

Un surintendant général des finances n'était point un comptable, mais un ordonnateur. Il ne recevait aucun fonds, ne dépensait aucune somme; mais il ordonnançait toutes les recettes et toutes les dépenses. Il n'était point justiciable des cours souveraines sagement instituées pour examiner, juger et arrêter les comptes de tous les comptables publics; il ne devait justifier de sa gestion qu'au roi. Le surintendant général n'était astreint dans sa gestion à aucune loi, à aucune règle particulière, qu'à celles qu'il plaisait au roi de lui imposer. Le compte qu'il rendait était un compte de clerc à maître, un compte de conscience350.

Cependant il ne faut pas croire que les finances du royaume et la gestion du surintendant fussent sans contrôle. Ce contrôle se trouvait dans les comptes des trésoriers de l'épargne, et dans la tenue du registre des fonds. Il y avait trois trésoriers de l'épargne, qui géraient à tour de rôle pendant un an, et qui rendaient leurs comptes à la cour des comptes séparément, et par exercice. Aucune somme ne pouvait être reçue ou payée pour le roi ou pour l'État, ou par le roi et par l'État, sans qu'il en fût fait écriture sur les registres du trésor de l'épargne. Ce trésorier ne recevait et ne payait que d'après les ordonnances du surintendant; ses registres ne faisaient connaître que la date de ces ordonnances, et les différends fonds sur lesquels elles étaient assignées. Mais près de lui se trouvait celui qui était chargé de tenir le registre des fonds sur lequel étaient enregistrées jour par jour toutes les sommes versées à l'épargne ou payées par elle, en vertu de toutes les ordonnances de recettes et de dépenses, avec les origines et les motifs de toutes ces ordonnances, ou de tous les payements et de tous les versements. Ce registre des fonds n'était point produit à la cour des comptes; il restait secret entre le roi et le surintendant. Les ordonnances de ce dernier étaient les seules pièces que les trésoriers de l'épargne eussent à produire pour la régularisation de leurs comptes, et le registre des fonds servait en même temps à contrôler leur gestion et celle du surintendant. Le teneur du registre des fonds et les trois trésoriers de l'épargne étaient nommés par le roi, et par conséquent indépendants du surintendant.

Rien ne semblait mieux imaginé pour que le roi ou son gouvernement, sans être gêné par la cour des comptes dans l'emploi des revenus de l'État, sans lui révéler des secrets qu'elle ne devait pas connaître, pût la faire servir à faire régner l'ordre dans les finances; et aucun moyen ne paraissait plus simple, ni plus propre à se garantir des inconvénients qui pouvaient résulter, dans la comptabilité, de la négligence ou de l'erreur, ou à prévenir les abus, plus grands encore, de la collusion et de l'improbité. Il est vrai que si cet ordre de choses eût été maintenu, toute confusion eût été impossible; et quelque multipliés, quelques compliqués que fussent d'ailleurs les comptes particuliers, quelque nombreuses que fussent les différentes espèces de dépenses et les diverses natures de recettes, le souverain eût toujours pu connaître l'état au vrai de ses finances, la grandeur de ses charges et l'étendue de ses ressources. Mais ce n'était pas là ce que voulaient les financiers. Examinons comment ils parvinrent à échapper aux entraves qu'on avait mises à leurs fraudes et à leur rapacité.

Toute ordonnance de payement, ou commandement fait à un trésorier de l'épargne de payer une somme au nom du roi ou de son conseil, devait être signée ou contre-signée par le surintendant. Mais cela ne suffisait pas encore pour qu'elle pût être payée. Dans cet état, une ordonnance de payement n'était qu'une reconnaissance de la dette, qu'un ordre général portant que telle dépense était faite; elle devait être soldée par l'épargne. Pour que l'argent fût délivré à la personne ainsi reconnue créancière de l'État, il fallait encore qu'il fût mis au bas de cette ordonnance un ordre particulier du surintendant, qui assignait sur un fonds spécial351 le payement de la somme qui y était mentionnée. Le trésorier de l'épargne ne pouvait et ne devait vous payer qu'autant qu'il avait des valeurs appartenant au fonds sur lequel le payement de l'ordonnance était assigné; et comme il n'en avait presque jamais, vu les retards qui avaient lieu dans la perception des diverses branches de revenu public, au lieu d'argent il donnait en échange de l'ordonnance un billet de l'épargne, qui était une sorte de mandat sur le traitant, le fermier de l'impôt, ou tel autre débiteur, envers l'épargne, du fonds sur lequel le payement de l'ordonnance était assigné. Par ce mandat, le trésorier de l'épargne déclarait qu'il tiendrait compte à celui-ci de la somme payée par lui sur le fonds qui se trouvait désigné, et qu'on lui en fournirait quittance.

Pour la facilité des affaires et des payements, on subdivisait le plus souvent le montant d'une même ordonnance en plusieurs billets de l'épargne; et comme il y avait plusieurs espèces de fonds ou plusieurs sources de revenus publics, il y avait aussi plusieurs espèces de billets de l'épargne. Par la même raison, ainsi qu'il y avait des revenus ou des fonds encore intacts, ou dont les rentrées étaient certaines et prochaines au moment de l'émission des billets qui les concernaient, on en trouvait d'autres dont les rentrées étaient incertaines et éloignées; d'autres qui se trouvaient entièrement épuisés, sans qu'on pût en avoir la preuve qu'au moment de la reddition du compte. Il en résultait qu'il y avait des billets de l'épargne dont la valeur était au pair avec l'argent; d'autres, plus ou moins au-dessous du pair; d'autres, absolument sans valeur, quoique cependant tous ces billets, et les ordonnances qu'ils représentaient, émanassent des mêmes autorités, fussent revêtus des mêmes signatures. Mais les billets sans valeur pouvaient redevenir tout à coup supérieurs à ceux dont la valeur était incertaine; et voici comment:

331.SÉVIGNÉ, t. VIII, p. 463, édit. de Monmerqué, note a.
332.SÉVIGNÉ, Lettres, édit. de Monmerqué, 1820, in-8o, t. VIII, p. 463. M. Monmerqué a trouvé une copie de cette lettre dans le ms. no 902, in-fol., t. IX, p. 484, de la Bibliothèque de l'Arsenal.
333.LOUIS XIV, Mémoires historiques, Œuvres, t. I, p. 9 à 57.
334.GOURVILLE, t. LII, p. 331, 332, 334.—GRAMONT, Mémoires, t. LVII, p. 89.
335.MONTPENSIER, Mém., t. XLII, p. 480.
336.MONTPENSIER, Mém., t. XLII, p. 426.
337.La Toison d'Or, prologue, scène 1, vers 30-23, Théâtre de PIERRE CORNEILLE, revu et corrigé par l'auteur, 1692, in-12, t. IV, p. 246.
338.LOMÉNIE DE BRIENNE, Mém. inéd.; t. II, p. 156, 157; CHOISY, Mém., t. LXIII, p. 209, 211, 223.
339.MAZARIN, Lettres, 1745, in-12, t. I, p. 2, 15, 27 (lettres au Roi, des 29, 30 juin et 2 juillet 1659).
340.CHOISY, Mém., t. LXIII, p. 192.
341.DESORMEAUX, Hist. de Condé, t. IV, p. 189.—MONGLAT, t. LI.
342.Recueil de quelques Pièces nouvelles et galantes, Cologne, Pierre Marteau, 1667, 2e partie, p. 79 à 80.—MONMERQUÉ, Biographie universelle, t. XXXV, p. 32, article Pomponne.
343.Lettres et pièces tirées des manuscrits de POMPONNE, à la suite des Mémoires de Coulanges; Paris, J.-J. Blaise, 1820, p. 376.
344.SÉVIGNÉ, t. I, Lettres, p. 59 (lettre en date du 11 octobre 1661).
345.Louis XIV, Instructions au Dauphin, t. I, p. 103 des Œuvres (année 1661).
346.CHOISY, Mém., t. LXIII, p. 111.
347.LA FONTAINE, lettre à de Maucroix, Œuvres, t. VI, p. 484.—LORET, liv. XII, p. 142, 143 et 154.—RACINE, Fragments historiques, dans les Mémoires sur la Vie de J. Racine, 1747, in-12, part. 2, p. 22.
348.LOUIS XIV, Instructions au Dauphin, dans les Œuvres, t. I, p. 101 à 113.—MOTTEVILLE, t. XL, p. 139.
349.FOUQUET, Défenses, édit. Elzev., 1665, in-18, t. II, p. 58, 60, 81, 91.—MONGLAT, Mém., t. L, p. 398; t. LI, p. 70.—LORET, Muse historique, liv. IV, p. 20; liv. X, p. 29 (lettres du 8 février 1653 et du 22 février 1659).
350.PELLISSON, 2e Discours pour Fouquet, t. II, p. 120 des Œuvres diverses, 1735, in-12 (Lettres et Provisions de MM. Servien et Fouquet, de la surintendance des finances, en date du 8 février 1653); dans FOUQUET, Défenses, t. II, p. 353.—Ibid., t. I, p. 50; t. II, p. 58.
351.PELLISSON, Œuvres diverses, t. II, p. 144, 145, 150.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
30 haziran 2018
Hacim:
570 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain