Kitabı oku: «Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 2», sayfa 2
CHAPITRE II.
1655-1656
Succès de Turenne.—Tranquillité de la capitale.—Ballets royaux.—Le goût des spectacles se répand jusque dans les colléges des jésuites.—On mêlait les concerts aux sermons.—Pièce de Quinault qui renferme tous les genres.—Mariages et visites de princes étrangers; fêtes à cette occasion.—Le roi recevait des fêtes et en donnait.—Il dansait dans les ballets.—Carrousel pendant le carême.—Les ducs de Candale et de Guise s'y font remarquer.—Goût pour les devises, partagé par madame de Sévigné.—Elle ne quitte point Paris ni les environs.—Le maréchal de La Meilleraye ouvre les états généraux de Bretagne.—Mariage de mademoiselle de La Vergne avec le comte de La Fayette.—Madame de Sévigné se livre aux plaisirs du monde, et résiste à toutes les séductions.—Occupations de mademoiselle de Montpensier pendant son exil.—Madame de Sévigné va lui rendre visite à son château de Saint-Fargeau.
La victoire d'Arras et la continuité des succès de Turenne pendant toute la campagne34 firent naître dans la capitale et dans tout le royaume une sécurité que ne purent troubler ni les écrits que Retz publia pour sa défense, ni les résistances de son vicaire Chassebras, secrètement appuyées par les solitaires de Port-Royal et par leurs nombreux amis35.
On se livra aux plaisirs et à la joie que le retour du jeune roi dans la capitale, après ses campagnes, ne manquait jamais de ramener; et ce fut avec une chaleur, une unanimité qui surpassèrent encore celles de toutes les années précédentes36. Les occasions ne manquèrent pas: l'entrée dans Paris du comte d'Harcourt, qui ressembla à une pompe triomphale; les fiançailles du fils du duc de Modène avec une des filles de Martinozzi, nièce du cardinal37; l'arrivée de ce même duc et celle du duc de Mantoue38; du duc François, frère du duc de Lorraine; de la princesse d'Orange39; le mariage d'une des demoiselles de Mortemart40 avec le marquis de Thianges; celui de la Ferté; celui de Loménie de Brienne41, fils du ministre d'État, avec la seconde fille de Chavigny, fournirent des occasions fréquentes au roi et à Mazarin de donner des festins et des fêtes et d'en recevoir42. Non-seulement le jeune monarque ne dédaignait pas d'accepter des invitations qui lui étaient faites, mais il dansait et jouait dans les ballets qui faisaient partie des fêtes qu'on lui donnait, comme dans ceux qu'il faisait représenter à sa cour. Il y fit jouer trois nouveaux ballets, qui tous furent d'une richesse d'exécution que l'on crut ne pouvoir jamais être égalée43. Cependant le dernier, intitulé Psyché, surpassa les deux autres en magnificence. Un essaim de beautés y figuraient avec le roi et l'élite des meilleurs artistes: Fouilloux et Menneville, qu'on nommait toujours ensemble quand il fallait citer des modèles de grâce; cette belle duchesse de Roquelaure, dont nous avons fait connaître la tragique destinée; la douce et mélancolique Manicamp, qui ne se prêtait plus que par obéissance à ces jeux mondains, et qui se fit carmélite aux jours saints; puis la folâtre Villeroy, et Neuillant, et Gramont, et beaucoup d'autres44. Cependant leurs attraits ne pouvaient distraire le roi de cette aînée des Mancini, qui leur était bien inférieure en beauté. Loret, dans les longues descriptions dont il remplissait sa Gazette, ne manque pas de faire mention de ces attentions de Louis pour elle:
Le roi, notre monarque illustre,
Menait l'infante Manciny,
Des plus sages et gracieuses,
Et la perle des précieuses45.
Ce qui donna un caractère particulier au carnaval de cette année fut le grand nombre de mascarades et de folâtres divertissements dont Louis XIV et son frère donnaient les premiers l'exemple, et dont ils s'amusaient beaucoup. Aussi Loret remarque que
Paris, dans la joie inondé,
Est tellement dévergondé,
Qu'on n'y voit que réjouissances,
Que des bals, des festins, des danses,
Que des repas à grands desserts,
Et de mélodieux concerts46.
Cependant, de tous les genres de plaisirs, ceux que l'on préférait, ceux auxquels on revenait toujours, étaient les représentations théâtrales. Jamais les théâtres publics n'avaient attiré plus de spectateurs. Ce goût se répandit si généralement, que les jésuites, si habiles à suivre la pente de leur siècle, et auxquels était principalement confiée l'éducation de la haute noblesse, composèrent dès lors des tragédies latines, et les firent représenter par l'élite de la belle jeunesse qui s'élevait dans leurs colléges. Ces représentations eurent lieu devant de nombreuses assemblées de dignitaires de l'Église, de gens de cour, et de ce que Paris renfermait de plus illustre dans les lettres et dans l'État47. Elles eurent le plus grand succès. Cet usage des jésuites a commencé sous la jeunesse de Racine, et a été continué sans interruption bien au delà de l'époque de la jeunesse de Voltaire, dont le maître, le père Porée, était un jésuite, auteur des meilleures de ces tragédies latines. C'est à ces premières impressions de collége, c'est à l'influence de ces maîtres habiles sur ceux qui devaient un jour illustrer notre littérature, et sur ceux qui devaient être les juges de leurs productions, que l'on doit, suivant nous, ce goût grec et romain, ces formes régulières, et un peu uniformes, qu'a prises la tragédie sous la plume des deux grands maîtres que nous venons de nommer, et sous celle de leurs nombreux imitateurs. Mais le grand Corneille, par la diversité de ses ouvrages, semblait avoir épuisé tous les genres de compositions scéniques: et à l'époque dont nous traitons, c'est-à-dire dans les années 1655 et 1656, la satiété commençait déjà à exiger la réunion de tous les genres, mais non pas encore leur mélange. Ce fut cette année que Quinault donna au théâtre du Marais une pièce intitulée la Comédie sans comédie, qui renfermait à la fois, dans un même cadre et en quatre actes, les quatre sortes de poëmes dramatiques connus alors, une pastorale, une comédie, une tragédie, et une tragi-comédie ou une pièce ornée de machines et de danses, c'est-à-dire un opéra. Remarquons que le dernier acte de cette pièce était une première et intéressante ébauche du plus bel ouvrage que Quinault composa depuis, l'opéra d'Armide48.
Le carême força de suspendre les danses, les ballets, les mascarades; mais la fougue qui entraînait le jeune monarque et toute la société vers les plaisirs fit imaginer des moyens de les prolonger: on allia ces divertissements aux pompes mêmes de la religion, ou on leur donna le caractère de cette chevalerie antique que la religion avait autrefois encouragée et approuvée. C'est alors que commencèrent ce qu'on appelait les concerts de dévotion, qu'on nomma depuis spirituels; et ces brillants carrousels, image de nos vieux tournois, qui disparurent avec les années prospères du règne de Louis XIV, et lorsque les derniers vestiges des mœurs, des habitudes et des temps qu'ils rappelaient se furent effacés. Loret a décrit, de la même manière qu'il décrivait les ballets de cour, le grand concert de dévotion qui fut exécuté au monastère de Charonne, à l'heure de vêpres, par les plus célèbres musiciens, les plus fameux chanteurs et les meilleures cantatrices de cette époque, en présence du roi, de toute la cour, et d'une nombreuse assemblée de beau monde; concert qui fut terminé par un sermon du père Senault.
Le père Senault y prêcha,
Et son éloquence toucha
De même qu'à l'accoutumée;
Bref, chacun eut l'âme charmée,
En ce saint lieu de grand renom,
Tant du concert que du sermon49.
Le carrousel que le roi donna au Palais-Royal sembla réaliser les descriptions des romanciers, par la beauté des coursiers, les richesses et la singularité des costumes, l'éclat des armures, la rapidité des évolutions exécutées aux sons bruyants de la musique guerrière. Cette fête chevaleresque fut comme l'annonce de celles que Louis XIV devait donner par la suite, et dont la magnificence fut un sujet d'étonnement pour l'Europe entière50.
Après le roi, ceux qui se firent le plus remarquer dans ce carrousel furent le duc de Candale et le duc de Guise. En voyant ce dernier, on se rappelait ses intrigues avec la princesse de Gonzague, ses amours avec la comtesse de Bossu, qui furent suivis d'un mariage et d'une séparation; la constance de sa passion pour mademoiselle de Pons, qui le trahissait et favorisait son écuyer Malicorne; ses deux expéditions pour conquérir le royaume de Naples; sa captivité en Espagne et son arrivée à Paris, qui eut lieu juste au moment où il dut se rendre au lit de justice qui condamna à l'exil Condé, auquel il devait sa délivrance. Cette vie martiale, galante, si pleine d'aventures; le costume dont il était revêtu, sa grâce, son adresse dans le carrousel, tout contribuait à le rendre le type achevé des chevaliers du moyen âge; non tels qu'ils étaient en réalité, mais tels que les représentent à l'imagination, dans un siècle plus poli et sous des couleurs plus brillantes, les fictions de l'Arioste51.
Les boucliers de tous ceux qui figurèrent dans ce carrousel étaient ornés d'emblèmes ingénieux, accompagnés de paroles en langue espagnole, italienne ou française; et ce fut sans doute à ces jeunes guerriers et à l'esprit de galanterie qui régnait alors, à nos liaisons avec l'Espagne, que l'on dut ce goût pour les allégories et les devises qui domina durant tout ce règne, et que madame de Sévigné partagea52.
Elle était restée à Paris pendant tout l'hiver; et elle ne retourna point même, selon sa coutume, à sa terre des Rochers pendant la belle saison. On peut croire que les plaisirs si animés de la capitale contribuèrent à l'y retenir. Les fêtes de la cour, auxquelles elle était invitée, furent prolongées pendant tout le printemps, et ne cessèrent même pas lorsque le roi se fut transporté à Compiègne. Ce fut dans cette ville qu'on joua, le 30 mai, le nouveau ballet royal des Bienvenus, lorsque le prince Eugène épousa, par procuration, au nom du fils du duc de Modène, la fille de Martinozzi53. C'était d'ailleurs uniquement par raison d'économie que madame de Sévigné allait se renfermer tous les ans dans son triste château de Bretagne, et c'était la même raison qui l'empêchait cette année de s'y rendre. Le maréchal de La Meilleraye fit le 20 juin l'ouverture des états de Bretagne. Il était d'usage dans ces occasions, parmi la haute noblesse, de se donner mutuellement des festins, et madame de Sévigné avait éprouvé, du vivant de son mari, combien cet usage était dispendieux; il l'eût été encore plus pour elle cette fois. L'ouverture des états se faisait à Vitré54, c'est-à-dire à sept kilomètres de son château, et une si grande proximité de l'auguste assemblée lui eût attiré un nombre illimité d'importuns visiteurs. Son titre de veuve et la prolongation de son séjour à Paris donnaient à madame de Sévigné les moyens de se soustraire à ces inconvénients, et elle en profita. D'autres motifs encore ont pu l'engager à s'écarter de ses habitudes. Mademoiselle de La Vergne épousa le 20 février de cette année (1655) François Mottier, comte de La Fayette, lieutenant des gardes françaises. Le désir de pouvoir accompagner sa jeune amie dans les nouvelles assemblées où son mari la présenta dut déterminer madame de Sévigné à agrandir encore le cercle de ses relations, et ajoutait aux motifs qu'elle avait de renoncer au voyage de Bretagne. De plus, le président de Maisons et plusieurs autres personnages qu'elle comptait au nombre de ses amis furent rappelés de leur exil, et revinrent dans la capitale précisément à l'époque où elle avait coutume de la quitter. Le besoin qu'elle éprouvait de s'entretenir avec eux, la satisfaction qu'elle avait de les revoir, l'auraient engagée à ne pas partir, lors même que tant d'autres causes ne l'auraient pas déterminée à rester.
Madame de Sévigné, en s'abandonnant ainsi au tourbillon du monde, en se prévalant des succès qu'elle y obtenait par sa jeunesse, ses charmes, son esprit; en cédant à l'orgueil naturel à son sexe de faire naître des passions, sans vouloir les partager, augmentait les dangers auxquels était exposée, sinon sa personne, au moins sa réputation; son état de veuve rendait à cet égard sa position plus critique. Plus elle avait d'indépendance, plus elle en jouissait, plus il était facile à la calomnie de la noircir. Quand on pense aux mœurs de cette époque, aux moyens puissants de séduction de tous ceux qui affichaient hautement à son égard leur amour et leurs espérances, on ne pourrait croire qu'elle fût jamais parvenue à échapper à tant d'écueils, si tous les témoignages contemporains ne concouraient à nous prouver qu'elle en est sortie non-seulement sans recevoir aucune atteinte, mais même pure de tout soupçon.
Durant les mois d'été, le séjour de Paris, alors resserré par ses remparts, était encore plus incommode qu'il ne l'est actuellement; aussi madame de Sévigné passa presque entièrement cette partie de la belle saison à Livry, qu'elle appelait son désert; mais ce désert se trouvait aussitôt peuplé par une société nombreuse, aimable et brillante, lorsqu'elle s'y transportait. Elle fit cependant encore à cette époque une courte et plus lointaine excursion hors de la capitale; ce fut, en quelque sorte, pour satisfaire à un devoir que le monde, mais non pas elle, considérait alors comme un acte de courage. Ceci réclame quelques détails qui feront connaître l'esprit et les mœurs du temps et les différents intérêts qui divisaient alors la cour et la haute société.
Mademoiselle de Montpensier n'avait vu qu'avec peine le triomphe de Mazarin et de la cause royale. Elle correspondait en secret avec le prince de Condé, et n'avait pas perdu entièrement l'espérance de pouvoir l'épouser un jour. Elle se fit un grand chagrin des succès de Turenne; mais son père lui causa des peines bien plus vives, et dont les motifs étaient plus réels. Gaston convoitait les grands biens de sa fille aînée, et il voulait l'obliger à en céder une partie aux deux filles qu'il avait eues de Marguerite de Lorraine, sa seconde femme. Il avait épousé celle-ci par amour, et elle conservait un grand empire sur lui. Peut-être mademoiselle de Montpensier, naturellement grande et généreuse, se serait-elle montrée disposée à des arrangements de cette nature, si on lui en avait parlé comme d'un sacrifice qu'il lui fallait faire en faveur de ses sœurs dépourvues de fortune, si on lui avait demandé ce sacrifice comme un don, comme une générosité de sa part, purement gratuite, dont on lui aurait su gré; mais il n'en était pas ainsi. Son père cherchait à lui arracher une portion de son patrimoine par la ruse et la fraude, et au moyen d'un compte de tutelle, où les dettes qu'il avait contractées envers sa fille étaient atténuées ou déguisées; où il faisait figurer les répétitions non fondées qui lui étaient allouées par des arbitres vendus à ses intérêts. De tels procédés exaspérèrent mademoiselle de Montpensier, elle résista avec hauteur et fermeté; mais, quoique majeure, comme elle n'était point mariée, elle se trouvait, comme princesse du sang, sous la puissance paternelle, relativement au choix de ses dames d'honneur, de ses gens d'affaires et de tous ceux qui composaient sa maison. Gaston éloignait d'elle arbitrairement tous ses serviteurs les plus dévoués. Il y eut alors dans la petite cour de MADEMOISELLE des démêlés et des intrigues dont elle nous a, dans ses Mémoires, donné les détails avec une fatigante prolixité. Comme Gaston négociait avec le ministre, et cherchait à rentrer en grâce, mademoiselle de Montpensier, qui, au contraire, se montrait hostile, craignit qu'on ne fît à son égard un coup d'autorité. Elle se soumit donc en partie à ce qu'on exigeait d'elle, mais non sans beaucoup de dépit et de douleur et sans répandre bien des larmes. Elle s'était, au mois de février, approchée de Paris, et elle était venue jusqu'à Lesigny, pour voir une maison qu'elle avait intention d'acheter55. Pendant les trois ou quatre jours qu'elle résida dans ce lieu, elle éprouva ce que pouvait la disgrâce du souverain, même à l'égard d'une princesse généralement aimée et qu'on aurait désiré voir revenir dans la capitale. «Il vint du monde de Paris me voir, dit-elle: j'eus néanmoins plus de compliments que de visites; j'avais fait tout le monde malade. Tous ceux qui n'osaient me mander qu'ils craignaient se brouiller avec la cour feignirent d'être malades ou qu'il leur était arrivé quelque accident.»
Madame de Sévigné ne fut point au nombre de ces lâches moribonds; nous en avons une preuve non douteuse, car nous savons qu'au mois de juillet de cette même année elle quitta Paris pour se rendre à Saint-Fargeau, et tout exprès pour faire sa cour à l'illustre exilée. C'est MADEMOISELLE qui nous apprend elle-même ce fait dans ses Mémoires; et son récit nous fait entrevoir que ce petit voyage, fait en compagnie avec madame de Monglat et madame de Lavardin, ne fut pas sans agrément pour notre jeune veuve.
«J'étais, dit MADEMOISELLE, dans mon château de Saint-Fargeau, où, après avoir donné ordre à mes affaires56 (ce que je faisais deux fois la semaine), je ne songeais qu'à me divertir. Madame la comtesse de Maure et Mademoiselle de Vandy me vinrent voir, comme elles revenaient de Bourbon; ce me fut une visite très-agréable. Elles étaient des personnes d'esprit et de mérite, et que j'estime fort. Mesdames de Monglat, Lavardin et de Sévigné y vinrent exprès de Paris: la première y était déjà venue deux fois; madame de Sully y vint pendant qu'elles y étaient, et M. et madame de Béthune, qui s'en allaient aux eaux de Pougues: tout cela faisait une cour fort agréable. M. de Matha y était aussi; il commençait à être amoureux de madame de Frontenac. Le mari de cette dernière, Saujon et d'autres, s'y trouvèrent. Nous allions nous promener dans les plus jolies maisons des environs de Saint-Fargeau, où l'on me donnait de fort belles collations; j'en donnais aussi dans de beaux endroits des bois, avec mes violons: on tâchait de se divertir57.»
CHAPITRE III.
1655
Bussy continue ses assiduités auprès de madame de Sévigné.—Ses intrigues avec madame de Monglat.—Il se laisse aller aux séductions de la marquise de Gouville.—Positions des grands personnages pendant les troubles de la Fronde.—Le besoin que les princes avaient de leurs serviteurs et des nobles dans leur dépendance rapprochait les rangs.—Comment cet état de choses produisait le déréglement des mœurs.—Des filles d'honneur d'Anne d'Autriche.—La marquise de Gouville attachée à la princesse de Condé.—Détails sur cette princesse.—Lenet devient son conseiller.—Peinture qu'il fait de la cour de cette princesse à Chantilly.—Détails sur la marquise de Gouville.—Bussy lui plaît.—Le rendez-vous qu'il en reçoit l'empêche de faire ses adieux à madame de Sévigné avant de partir pour l'armée.
Pendant cette année Bussy sut mettre à profit pour ses amours tout le temps de son séjour à Paris, qui se prolongea jusqu'au moment de son départ pour l'armée. Sa cousine madame de Sévigné était encore, de toutes les femmes qu'il courtisait, celle dont l'esprit le charmait le plus, celle dont la conquête lui eût été le plus agréable; peut-être parce qu'elle était celle qui offrait le plus de difficultés. Cependant cette amitié et cette confiance qu'il en obtenait, les préférences dont elle le rendait l'objet, répandaient tant d'agrément sur sa vie, qu'il se montrait auprès d'elle aussi empressé et aussi assidu que le lui permettaient les liaisons, d'une autre nature, qu'il avait formées. Assuré de madame de Monglat comme d'un bien qui désormais lui appartenait, et qu'il croyait ne pouvoir jamais lui échapper, il se laissa entraîner aux séductions de la marquise de Gouville.
Plusieurs causes contribuèrent, durant les troubles de la Fronde, au déréglement des mœurs. Les princes et les princesses qui étaient à la tête des partis, jeunes eux-mêmes, étaient entourés d'une jeunesse active et dévouée. La prudence de l'âge mûr ou la froideur de la vieillesse eussent été peu propres à ces intrigues aventureuses, à ces agitations continuelles, à ces périls toujours renaissants, à ces rapides vicissitudes d'opinions et de partis. Ces grands personnages, souvent réduits par des revers subits à de cruelles extrémités, recevaient de la part de la jeune noblesse qui les entourait, et qui était à leurs gages, des preuves de fidélité et de dévouement d'une nature telle, qu'aucune richesse ne pouvait les payer, qu'aucun honneur ne pouvait les récompenser. Alors il était naturel qu'il s'établit une sorte d'égalité entre le supérieur et l'inférieur, entre le chef et le subordonné, tous deux liés à la même cause, tous deux risquant également pour elle leur fortune et leur vie. Cet état de choses était peu favorable à une sévère morale; et les princes, dans l'âge où l'on se laisse facilement emporter à la fougue des passions, non-seulement ne s'inquiétaient pas des déréglements qui avaient lieu autour d'eux, mais ils en donnaient eux-mêmes l'exemple. Quant aux princesses, lors même qu'elles eussent toutes été à l'abri du reproche à cet égard (et il était loin d'en être ainsi), elles ne pouvaient ni surveiller, ni scruter rigoureusement la conduite de jeunes femmes souvent forcées, pour les servir, d'entreprendre seules des voyages périlleux, d'user de continuels subterfuges et de travestissements. Lorsque leur inconduite leur était dévoilée, elles étaient d'autant moins tentées de s'en courroucer et d'y mettre un terme, que c'était à ces liaisons coupables qu'elles devaient souvent les succès des intrigues qu'elles ourdissaient pour le triomphe de leur cause. Ceci explique cette multitude d'aventures galantes qui donnèrent un caractère si particulier aux troubles de la Fronde, où les tempêtes populaires et les combats sanglants se rattachaient sans cesse aux agitations des ruelles et aux rivalités d'amour. La cour même d'Anne d'Autriche ne fut pas exempte de la contagion générale. Des six filles d'honneur de cette reine, Ségur, la seule qui n'eût point d'attraits, fut la seule qui n'eut point d'amant58.
Durant ce temps de désordres, la marquise de Gouville avait résidé près d'une princesse plus âgée qu'Anne d'Autriche, mais dont la cour, soit parce qu'elle était réunie à celle de sa belle-fille, soit par l'effet de son choix, était uniquement composée de femmes jeunes, jolies, spirituelles, et propres à seconder les entreprises les plus hasardeuses. C'était cette princesse qui faillit allumer une guerre générale en Europe, quand Henri IV vieillissant s'éprit pour elle d'une folle passion; c'était cette princesse qui dans un âge plus avancé, encore vaniteuse et coquette, se vantait d'avoir eu pour amants des papes, des rois, des cardinaux, des princes, des ducs, et de simples gentils-hommes; c'était, enfin, cette Montmorency autrefois si belle, la princesse de Condé douairière, la mère du grand Condé59.
Lenet, du parlement de Dijon, qui était son conseiller intime, nous a donné une peinture intéressante et animée de la position critique où elle se trouva à Chantilly, lorsque Condé, en 1650, et dans le plus fort de la guerre civile, en lui laissant sa femme et son fils, se fut réfugié dans son gouvernement et eut levé l'étendard de la révolte. La princesse douairière avait besoin de correspondre continuellement avec ce prince, afin d'échapper à la surveillance de Mazarin, qui cherchait à s'emparer de sa belle-fille et de son petit-fils. Toutes les jeunes femmes qui composaient sa cour étalent continuellement agitées par des alternatives de crainte et d'espérance, selon les nouvelles que l'on recevait de Paris ou de Guienne; et, au milieu de toutes ces anxiétés et de ces peines, leurs inclinations pour le plaisir s'augmentaient encore par les chances de malheur auxquelles elles étaient exposées et par l'incertitude de leur sort dans l'avenir.
On était alors à la fin du mois d'avril, et jamais on ne vit dans un séjour plus enchanteur, sous un ciel plus pur et par une plus douce température, un plus grand nombre de beautés occupées d'autant d'intrigues. Le matin, dispersées dans les jardins, sur la terrasse, sur les balcons du château, elles se promenaient solitaires, ou se réunissaient en groupes. Les unes, folâtres, chantaient ou récitaient entre elles des madrigaux, des sonnets, ou improvisaient des charades, des bouts-rimés, des énigmes; d'autres, plus sérieuses, se parlaient bas, s'écartaient, s'enfonçaient mystérieusement, et à pas lents, dans des allées du parc, ou dans des bosquets reculés; plusieurs, couchées sur la pelouse, assises sur les bords de l'étang, occupées de la lecture d'un roman ou d'une lettre, n'apercevaient rien de ce qui se passait autour d'elles.
Dans la soirée on se réunissait dans la chapelle, où la prière se faisait en commun; toutes les dames passaient ensuite dans l'appartement de la princesse, et les hommes les y suivaient. Là on tenait conseil; on lisait les lettres que l'on avait reçues de la duchesse de Longueville, les écrits plaisants ou sérieux que l'on faisait circuler en faveur des princes; on se divertissait des satires, des chansons et des bouffonneries qui pullulaient contre le cardinal Mazarin; puis l'on jouait à divers jeux, et le salon retentissait des bonds, des claquements de mains, des ris bruyants de la troupe enjouée. Tout à coup un grand silence succédait, on se rassemblait près de la princesse douairière, on se pressait autour du grand fauteuil de cette matrone de la galanterie. On était tout attention, tout oreille, quand elle consentait à raconter, avec une grâce qui lui était particulière, les faits de sa vie passée; les intrigues amoureuses de la cour de Henri IV; ses premières entrevues avec ce glorieux monarque; comment elle le reconnut un jour dans la cour du château qu'elle habitait, au milieu de l'escorte d'un capitaine de sa vénerie, revêtu de la livrée d'un piqueur, avec un large emplâtre sur la figure, et conduisant deux lévriers en laisse. Tous ces récits étaient trop du goût d'un tel auditoire pour qu'ils ne fussent pas préférés à toute autre occupation, à toute autre distraction60.
«C'était, dit Lenet, un plaisir très-grand de voir toutes les jeunes dames qui composaient cette cour-là, tristes ou gaies, suivant les visites rares ou fréquentes qui leur venaient, et suivant la nature des lettres qu'elles recevaient; et comme on savait à peu près les affaires des unes et des autres, il était aisé d'entrer assez avant pour s'en divertir. Il y en avait qui étaient servies d'un même galant; d'autres qui croyaient l'être de plusieurs, et qui ne l'étaient de personne, et d'autres qui l'auraient voulu être d'un autre que de celui qui les galantisait; d'autres encore qui eussent souhaité d'être les seules qui eussent été servies de tous; et en vérité elles méritaient toutes de l'être61.»
La marquise de Gouville était, de toutes les jeunes femmes qui composaient la cour de Chantilly, celle qui, par ses charmes et la vivacité de son esprit, s'attirait le plus d'adorateurs. Son mari était à l'armée du prince de Condé62, et elle se trouvait sous la surveillance de sa mère, la comtesse de Tourville; surveillance légère, qui servit plutôt à voiler qu'à empêcher les poursuites des comtes de Cessac, de Meille, de Lorges et de Guitaut, qui étaient devenus amoureux d'elle: ce dernier l'emporta sur ses rivaux63.
A Paris, en 1655, la marquise de Gouville fut une des beautés qui contribuèrent le plus à l'agrément des fêtes nombreuses qui eurent lieu. Elle-même en donna plusieurs, et réunit la société la plus brillante. On jouait chez elle des ballets, et le bal succédait à la comédie64. Au milieu de ce grand monde de la capitale, dont elle faisait partie, et dont elle attirait les regards à tant de titres, le nombre de ses adorateurs devint bien plus considérable que lorsqu'au commencement de son mariage elle se trouvait sous la tutelle maternelle, et attachée à la petite cour de la princesse de Condé. Le maréchal Duplessis65, du Lude, le beau Candale, le présomptueux Barlet, étaient alors ceux qui se disputaient ses faveurs66. Elle vit Bussy, et il lui plut. Bussy, malgré ses engagements avec madame de Monglat, ne put se refuser à une aussi agréable conquête; mais elle fut cause qu'il se conduisit envers madame de Sévigné d'une manière à se donner les apparences de l'oubli et de l'indifférence. Madame de Sévigné était à Livry lorsque Bussy se disposait à partir pour l'armée67. Bussy avait promis à sa cousine d'aller la voir dans sa retraite champêtre; mais fort occupé, dans les derniers moments, de son double amour et de ses équipages de guerre, il différa cette visite jusqu'à la veille de son départ. Comme il se disposait à se rendre à Livry, il reçut un billet d'une de ses maîtresses, qui l'invitait à venir la trouver. Madame de Sévigné, qui attendait Bussy, ne le voyant point arriver, envoya fort tard lui demander s'il ne viendrait pas lui dire adieu. Le messager de madame de Sévigné revint avec la lettre qu'elle lui avait remise, et lui annonça qu'il n'avait point trouvé M. de Bussy au Temple, ni pu savoir où il était. Le lendemain matin, Bussy, après avoir passé hors de chez lui la nuit entière, ne trouva plus un seul moment à sa disposition, et il partit sans avoir vu sa cousine, et sans savoir qu'elle lui avait écrit68.