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Kitabı oku: «Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 2», sayfa 20

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Cette indulgence et cette bienveillance apparentes furent ce qui perdit Bussy. Tous ceux qui se trouvaient blessés par la publicité donnée à son ouvrage s'agitèrent. Lenet, qui, comme nous l'avons vu, était l'ami de sa jeunesse, mais dévoué aux Condés, rompit avec lui603. Il fut un des plus ardents à faire entendre de vives réclamations contre l'espèce d'autorisation ou de tolérance accordée à un ouvrage qui contenait des outrages contre le premier prince du sang, le plus grand guerrier de son siècle. On produisit des chansons, des épigrammes, des libelles récemment composés contre le roi et son gouvernement, que l'on attribuait à Bussy. Il était généralement considéré comme le plus bel esprit de la cour; admiré au delà de son mérite, plus redouté que redoutable. Il ne fut pas difficile de persuader à la reine mère, dont le nom se trouvait souvent dans ces pièces satiriques, de se joindre aux ennemis de Bussy pour appeler contre lui des mesures de rigueur. Elle dit un jour, à son cercle: «Je suis surprise que monsieur le Prince, qui ne passe pas pour endurant, souffre patiemment ce que Bussy a dit de lui604.» Ces paroles réveillèrent la fureur du grand Condé; et il se proposait de faire un affront à Bussy; celui-ci ne l'ignorait pas, et il ne marchait qu'armé et cuirassé. Louis XIV, pour éviter un éclat et pour prévenir des violences qu'il eût été obligé de punir, fit, ainsi que nous l'avons dit, arrêter Bussy. Il fut conduit à la Bastille le 17 avril 1665605. Les accusations se renouvelèrent avec plus de force contre l'imprudent auteur de l'Histoire amoureuse des Gaules. On le représenta comme un factieux, et on parvint à donner quelque vraisemblance aux assertions qui le faisaient auteur de certains écrits contre le roi, récemment publiés dans l'étranger. Le président Tardieu, celui-là même dont les vers de Boileau ont rendu célèbres la sordide avarice et la funeste fin606, fut chargé d'interroger Bussy au sujet de ces libelles. Louis XIV demeura convaincu qu'il n'en était pas l'auteur; mais il le retint cependant à la Bastille, autant pour donner satisfaction à ses ennemis que pour le protéger contre leur fureur. Bussy tomba malade de tristesse. Dans sa convalescence, le désir de faire cesser sa captivité lui faisait adresser sans cesse au roi et à la reine mère des placets où il prodiguait les éloges les plus emphatiques et les supplications les plus basses. Il assiégeait de ses lettres le duc de Saint-Aignan, Montausier, Le Tellier, l'archevêque de Paris, tous ceux qu'il savait à la cour lui porter de l'intérêt. Ils intercédaient en sa faveur auprès du roi; mais Louis XIV ne répondait à aucune de ces sollicitations607. Ce ne fut qu'après que Bussy eut consenti à résigner à Coislin sa charge de mestre de camp de la cavalerie légère, pour une somme moindre que celle qu'elle lui avait coûté, qu'il obtint enfin un adoucissement à son sort. Il sortit de la Bastille le 17 mai 1666, et il lui fut permis d'aller chez le chirurgien Dallancé (le même qui avait secouru Marigny) pour y rétablir sa santé608. Dans le mois d'août suivant, il fut exilé dans sa terre. Il partit le 6 septembre de Paris, et arriva quatre jours après dans son château de Bussy, où il commença une vie de retraite qui aurait pu être heureuse, s'il avait su bannir de son cœur les passions qui le dominaient. Mais l'amour et l'ambition ne cessaient point de le tourmenter. Pendant son séjour à la Bastille, une jeune religieuse, âgée de moins de vingt ans, s'était éprise de lui, et voulait tout sacrifier pour contribuer à sa délivrance. Ce fut lorsqu'il recevait une preuve si touchante d'un attachement auquel il ne répondit pas, qu'il apprit que madame de Monglat le trahissait, et en aimait un autre. Elle était la femme dont il se croyait le plus aimé, et il la jugeait incapable de l'abandonner dans le malheur609; aussi son désespoir ne se peut décrire quand il fut certain qu'elle le trompait: «Je faillis en mourir, dit-il, et je suis venu, à la fin, à ce bienheureux état d'indifférence qu'elle méritait il y avait longtemps610.» Mais on pourrait douter, malgré cette assertion, que ce bienheureux état ait jamais existé pour lui: quatorze ans après sa rupture avec madame de Monglat, il faisait des vers contre elle; et les inscriptions et les emblèmes qui se voyaient au château de Bussy, et qui y sont peut-être encore, sont des preuves irrécusables que le souvenir de cette infidélité lui fut toujours amer611.

Cependant madame de Sévigné, que Bussy avait si odieusement outragée, voulut se rapprocher de lui quand elle le sut malheureux et captif: ce qui s'est passé entre elle et lui à cette époque orageuse de leur liaison sera l'objet du chapitre suivant.

CHAPITRE XXV.
1658-1668

Attachement réciproque de madame de Sévigné et de Bussy.—Bussy se repent vivement d'avoir offensé sa cousine.—Belle conduite de Bussy envers elle, lors des lettres qui furent trouvées chez Fouquet.—Discussion qu'il eut à ce sujet avec de Rouville, son beau-frère.—Madame de Sévigné est sensible au procédé de Bussy.—Ce qui s'était passé à l'égard du portrait de madame de Sévigné de l'Histoire amoureuse des Gaules.—Madame de Sévigné prête de l'argent à Bussy.—Bussy et madame de Sévigné se voient en Bourgogne, et sont charmés l'un de l'autre.—Madame de Sévigné apprend qu'il court des copies de l'ouvrage de Bussy.—Elle rompt tout commerce avec lui.—Il est mis à la Bastille.—L'intérêt que lui porte madame de Sévigné se réveille.—Elle envoie savoir de ses nouvelles.—Elle se brouille avec la marquise de La Baume.—Rapports inexacts faits à Bussy sur madame de Sévigné.—Il la croit contre lui.—Elle est la première à l'aller voir chez Dallancé.—Ils n'osent s'expliquer, et se séparent à moitié réconciliés.—Leur correspondance recommence.—Lettre de Bussy à madame de Sévigné, contenant le récit d'une visite au château de Bourbilly.—Madame de Sévigné met peu d'empressement à répondre.—Reproche que lui en fait Bussy.—Il lui confie toutes ses affaires.—Peu satisfait d'elle, il est quelque temps sans lui écrire.—Elle lui rappelle qu'elle lui a écrit la dernière.—Explication entre Bussy et madame de Sévigné.—Bussy retrace sa conduite envers elle, et il lui reproche de l'avoir abandonné.—Nouvelle lettre de Bussy qui renouvelle les reproches de la première.—Madame de Sévigné répond par une longue apologie.—Réplique de Bussy.—Madame de Sévigné lui demande la généalogie des Rabutins.—Nouvelles explications, et nouvelles réfutations de madame de Sévigné des reproches de Bussy.—Fin de cette discussion.—Bussy écrit à sa cousine qu'il se rend à discrétion.—Réplique aimable de madame de Sévigné.—Renouvellement de leur correspondance et de leur intimité.

Quoique, dans le nombre de ceux qui composaient la société de madame de Sévigné, Bussy n'était pas celui qui lui paraissait le moins exempt de défauts, c'était celui pour lequel elle se sentait cependant la plus forte inclination. D'un autre côté, si, dans toutes les femmes que Bussy avait connues, madame de Sévigné n'était pas celle qui lui avait inspiré le plus violent amour, ce fut celle vers laquelle il se sentait le plus constamment attiré par les liens les plus durables, par la confiance la plus intime, par l'estime la mieux sentie. Madame de Sévigné admirait dans son cousin les talents militaires, une bravoure brillante, les grâces du courtisan, le savoir et les talents de l'homme de lettres. Elle exagérait beaucoup sans doute son mérite, surtout sous ce dernier rapport; toutefois, elle avait raison de le considérer comme un des hommes les plus spirituels de la cour, un de ceux qui parlaient et écrivaient avec le plus de facilité et de pureté. Lui, ne faisait que porter sur sa cousine un jugement équitable, quand il voyait en elle la femme la plus aimable de son temps, celle qui dans un cercle, ou la plume à la main, possédait le plus de moyens de plaire. Il la flattait quand il lui disait qu'elle était la plus jolie femme de France; mais il lui rendait justice quand il se montrait persuadé qu'elle était la femme la plus attrayante et du mérite le plus accompli.

Tous les deux éprouvaient une peine extrême de se trouver brouillés l'un avec l'autre, parce qu'en effet en rompant ensemble chacun avait perdu son plus sincère admirateur, son confident le plus intime. Madame de Sévigné ressentait contre son cousin un courroux qui n'était que trop justifié par les mortifications que son perfide écrit lui faisait subir; mais elle avait en même temps de vifs regrets que les conseils de son oncle lui eussent fait perdre l'occasion de rendre à son cousin le service qu'il lui avait demandé, et de lui avoir donné lieu de soupçonner sa sincérité et son amitié. Quant à Bussy, il éprouvait un remords profond de s'être vengé d'une manière si cruelle. C'est lui-même qui nous le dit612. Il ne pouvait se pardonner «d'avoir offensé une femme jolie, excellente, sa proche parente, qu'il avait toujours aimée et de l'amitié de laquelle il ne pouvait pas douter».

Avec ces mutuelles dispositions, la moindre circonstance pouvait opérer une réconciliation. Cette circonstance se présenta.

Lorsqu'on sut que parmi les papiers saisis chez le surintendant il se trouvait un grand nombre de lettres qui lui avaient été adressées par madame de Sévigné, la malignité publique, qui, telle qu'un génie infernal, se comptait surtout dans la chute de ce qu'il y a de plus pur et de plus parfait, s'empara aussitôt d'une réputation qu'elle s'était vue contrainte de respecter jusque ici, pour se donner le plaisir de la déchirer. Elle y procéda avec cette dextérité cruelle que donne l'envie qui s'attache à la vertu: on fouilla dans le passé, on rappela toutes les attentions, tous les soins, toutes les galanteries de Fouquet pour madame de Sévigné. Si jusque ici, disait-on, elle avait échappé aux soupçons qui pour tant d'autres s'étaient convertis en certitude, c'est qu'elle avait su mieux dissimuler et mieux sauver les apparences. En vain ses nombreux amis s'efforçaient-ils de persuader que sa correspondance avec le surintendant n'était relative qu'à des affaires de famille; en vain on citait, pour le prouver, les paroles du roi et de son ministre: Fouquet n'avait pas coutume de serrer des papiers d'affaires dans sa cassette réservée. On savait quelles étaient les lettres de mademoiselle de Menneville, et de plusieurs autres dames de la cour, qui avaient été trouvées dans cette mystérieuse cassette: pouvait-on croire que celles de madame de Sévigné fissent exception et fussent d'une autre nature?

Il est des circonstances où l'on donne plus de poids aux accusations quand on cherche à les combattre: telle était la position où se trouvait placée madame de Sévigné. Tâcher de repousser les soupçons auxquels elle était en butte, c'était déjà reconnaître qu'ils pouvaient être fondés, et renoncer à ce juste orgueil d'une bonne conscience, qui nous persuade que nous sommes au-dessus des atteintes de la calomnie; avoir la force de les mépriser est peut-être le moyen le plus efficace de les anéantir. D'ailleurs, la faveur dont madame de Sévigné jouissait à la cour, la manière dont le monarque s'exprimait sur son compte, ne permettaient pas d'en agir avec elle comme avec celles dont les papiers trouvés chez Fouquet avaient mis à nu les intrigues et la vénalité, et dont la conduite scandaleuse avait été punie par l'exil ou le couvent. C'était avec ménagement qu'on se permettait contre elle les plus perfides insinuations; c'était avec de cruelles réticences, avec de malins sourires, ou un air de compassion et de tristesse hypocrite, qu'on s'entretenait de ses liaisons avec le surintendant, et des malheureuses lettres qu'on avait trouvées dans la fatale cassette. On peut se présenter en face devant la diffamation qui se produit dans les carrefours, ou qui s'annonce à son de trompe; mais celle qui s'enferme dans des réduits, qui ne parle qu'à l'oreille, qui renie ses actes et dissimule son visage, comment l'atteindre? Cependant les blessures faites par des coups portés dans l'ombre ne sont ni moins nombreuses ni moins douloureuses; le feu attisé pour consumer ce que vous avez de plus cher, votre honneur, votre bonne renommée, n'en est pas moins dévorant, quoiqu'il couve et se propage sous la cendre, et qu'il ne jette point de flamme. Ainsi, madame de Sévigné, journellement exposée à des attaques qu'elle ignorait, se trouvait dans l'impuissance de se justifier, en faisant connaître quelles avaient été ses relations avec Fouquet, et en mettant au grand jour sa sincérité, son désintéressement et l'innocence de sa vie.

Bussy fut celui qui ressentit plus vivement toute la peine qu'elle éprouvait: comme parent, il s'indigna des discours qu'on tenait sur son compte; il s'en affligea comme amant. Les sentiments de tendresse qu'il avait autrefois ressentis pour cette cousine si bonne, si aimable, si séduisante, et qui jamais n'avaient été entièrement éteints, se réveillèrent alors avec force. Le remords de l'avoir offensée, d'avoir contribué à accroître contre elle la puissance des calomniateurs; le besoin qu'il éprouvait de laver, comme il le dit lui-même, une tache dans sa vie, le portèrent à défendre la réputation de madame de Sévigné, à la justifier de tous les torts qu'on voulait lui imputer613.

Cependant Bussy, en homme qui par sa propre expérience a acquis des preuves répétées de la fragilité des femmes, crut devoir agir avec prudence. Avant de se déclarer le champion de l'honneur de sa cousine avec toute l'énergie et la hauteur que comportaient l'orgueil de son caractère et ses titres de gentil-homme et de guerrier, il crut devoir s'assurer si, comme on le prétendait, les lettres qu'elle avait écrites à Fouquet n'étaient pas de nature à ébranler la confiance qu'on devait avoir dans sa vertu. Laissons-le s'expliquer lui-même sur ce sujet délicat: «Avant de m'embarquer, dit-il, à la défense de la marquise, je consultai Le Tellier, qui seul avait vu, avec le roi, les lettres qui étaient dans la cassette de Fouquet. Il me dit que celles de la marquise étaient d'une amie qui avait bien de l'esprit, qu'elles avaient bien plus réjoui le roi que les douceurs des autres; mais que le surintendant avait mal à propos mêlé l'amour avec l'amitié.»

Sûr de son fait, Bussy se fit hautement, avec chaleur et en toute occasion, l'avocat de madame de Sévigné. Il éleva la voix contre tous ceux qui voulaient la confondre avec les maîtresses de Fouquet. De Rouville, beau-frère de Bussy, ignorant ce qu'il pensait à cet égard, parla un jour, dans une société où ils se trouvaient tous deux, de l'intrigue de la jolie marquise de Sévigné comme d'une chose connue, avérée et démontrée par ses lettres. Bussy prit la parole pour lui répondre, et donna avec calme des explications qui satisfirent toutes les personnes présentes à cette discussion, à la réserve de Rouville, qui souffrait impatiemment, surtout de la part d'un beau-frère, de se trouver convaincu d'avoir mal parlé d'une femme digne de considération et de respect. Comme tous ceux qui n'ont ni assez de justice dans le cœur ni assez de loyauté dans le caractère pour convenir qu'ils ont tort, et qui, dans l'impuissance de réfuter la défense, s'attaquent au défenseur, de Rouville dit à Bussy: «Il est bien plaisant de vous voir défendre si fortement madame de Sévigné, après en avoir parlé comme vous avez fait.»—«Jamais, répondit Bussy d'une voix tonnante, je n'ai attaqué sa vertu.»—«Après avoir fait tant de bruit contre elle, dit de Rouville, il vous sied mal de trouver mauvais que d'autres en fassent.»—«Je le trouve très-mauvais, au contraire, répondit Bussy; et je n'aime le bruit que quand je le fais moi-même614

Nous ignorons comment se termina cette querelle entre les deux beaux-frères; mais ce que nous en savons nous prouve l'ardeur avec laquelle Bussy plaida la cause de sa cousine. Rien ne contribua plus à rectifier l'opinion sur madame de Sévigné, et à lui faire rendre enfin toute la justice qui lui était due, que le témoignage d'un parent avec lequel elle était depuis longtemps brouillée, qui avait donné des preuves publiques d'animosité contre elle, qui par son caractère était porté au dénigrement, dont l'esprit malin et caustique aimait singulièrement à s'exercer contre les femmes, et se plaisait à en médire. Le bien que Bussy fit à madame de Sévigné dans cette circonstance surpassa de beaucoup le mal qu'il lui avait fait par son écrit; ou plutôt on peut dire avec vérité qu'il lui eût été impossible de lui faire autant de bien, s'il ne lui avait pas fait tant de mal.

Madame de Sévigné fut extrêmement touchée de la conduite de son cousin. A cette époque l'Histoire amoureuse des Gaules n'était connue que par quelques lectures qu'en avait faites Bussy, devant un très-petit nombre de personnes, dont les indiscrétions avaient seules donné connaissance à madame de Sévigné du portrait satirique que son cousin avait fait d'elle. Madame de Monglat, qui désirait gagner l'affection de madame de Sévigné, lui dit qu'elle avait obligé Bussy à retrancher de sa scandaleuse histoire tout ce qui la concernait, et qu'elle l'avait fait consentir à brûler devant elle toute cette partie de son ouvrage.

Alors rien ne s'opposait plus à une réconciliation que madame de Sévigné ne désirait pas moins que Bussy. Elle eut lieu lorsque, en 1662, madame de Sévigné revint à Paris, après avoir passé en Bretagne les six premiers mois qui suivirent l'arrestation de Fouquet. Cette réconciliation fut sincère de part et d'autre, et cimentée par un échange mutuel de bons offices615. Bussy, dont les affaires étaient toujours en désordre, ayant eu besoin (en 1663) d'une somme de quatre mille livres pour se rendre au camp de Marsal, les trouva dans la bourse de sa cousine. Ils se virent ensuite familièrement en Bourgogne, car il y a lieu de présumer que ce fut au commencement de l'année 1664 que Bussy se rendit dans sa terre pour y recevoir le maréchal Duplessis-Praslin, qui allait à Lyon prendre le commandement de l'armée d'Italie616; madame de Sévigné les reçut tous deux dans son château de Bourbilly, où alors elle se trouvait617. Quoi qu'il en soit, il est certain que ce fut au retour d'un voyage fait en Bourgogne que Bussy et madame de Sévigné revinrent mutuellement charmés l'un de l'autre; c'est à cette époque que leur liaison reprit ce caractère d'intimité qui leur rappelait à tous deux les belles années de leur jeunesse618.

Cet heureux temps ne fut pas de longue durée. Le manuscrit de l'Histoire amoureuse des Gaules, qui fut prêté à la marquise de La Baume, contenait le portrait de madame de Sévigné, soit qu'il n'eût jamais été retranché de l'ouvrage, soit, comme le prétend Bussy, qu'après avoir été déchiré, et non pas brûlé, en présence de la marquise de Monglat et de son mari, ce dernier en eût ensuite ramassé et rejoint les morceaux, et en eût fait faire une copie que Bussy voulut revoir, et qu'il eût la faiblesse de prêter à la marquise de La Baume, dont il ne pouvait prévoir la trahison619. Ce qu'il y a de certain, c'est que madame de Sévigné fut à peine de retour à Paris, qu'on la prévint que Bussy la trompait; qu'il n'avait point détruit le portrait satirique qu'il avait fait d'elle; on assurait même l'avoir vu entre les mains de la marquise de La Baume. Madame de Sévigné n'ajouta aucune foi aux bruits qui couraient à cet égard. Elle crut que c'était une invention des ennemis de Bussy, devenus nombreux et implacables depuis qu'il circulait des copies de son scandaleux libelle. Mais il fallut bien se rendre à l'évidence lorsque l'ouvrage fut imprimé. Madame de Sévigné eut le cœur navré d'une telle perfidie. Aussitôt qu'elle eut vu le livre, convaincue par ses propres yeux qu'on lui avait dit la vérité, elle en parla à Bussy, qu'elle rencontra avec toute la cour chez MONSIEUR, au Palais-Royal. Bussy resta d'abord interdit par la vivacité de ses reproches; mais ensuite il chercha à lui persuader qu'il avait réellement retranché de son ouvrage les passages qui la concernaient, et qu'il fallait que depuis ils eussent été rétablis de mémoire par celle qui avait voulu se venger de lui, en livrant à l'impression ce qu'il ne lui avait communiqué que sous le sceau du secret. Madame de Sévigné ne fut pas dupe des mensonges de son cousin. Dès ce moment il ne lui fut plus possible d'avoir confiance en lui, ni d'être pour lui ce qu'elle avait été.

Cependant, ce fut presque aussitôt après cette explication que Bussy fut mis à la Bastille. On sut que la publication de son ouvrage était la principale cause de son arrestation, et que cette publication était due à la trahison de la marquise de La Baume, avec laquelle il s'était brouillé620. Madame de Sévigné n'eut plus le même ressentiment contre Bussy dès qu'elle le sut malheureux: elle envoya s'informer de sa santé; mais il paraît qu'on n'eut pas soin d'instruire le prisonnier de ces marques d'intérêt qui lui étaient données par sa cousine. On lui dit, au contraire, que, très-animée contre lui, elle se répandait en plaintes amères sur l'indignité de ses procédés. Il n'en était rien: madame de Sévigné ne parlait de Bussy qu'avec attendrissement, et pour exprimer la peine qu'elle éprouvait de le savoir captif. Elle rompit tout commerce avec la marquise de La Baume621, condamna hautement sa conduite, et soutint qu'une femme ne doit jamais chercher à se venger des injures qui lui sont faites, parce que pour atteindre ce but il faut qu'elle abdique cette vertu du cœur qui est le plus bel attribut de son sexe, la bonté. Bussy, qui, malgré la haute opinion qu'il avait de sa cousine, ne connaissait pas toute sa grandeur d'âme, ajouta foi aux rapports mensongers qui lui étaient faits. Madame de Sévigné ne fut donc point au nombre des personnes avec lesquelles il chercha à se mettre en communication dans sa prison. Il ne la pria point d'intercéder en sa faveur, et préféra s'adresser pour cet objet à madame de Motteville, avec laquelle il était lié d'une manière bien moins intime622.

Cependant, lorsque Bussy sortit de la Bastille, la première personne qui vint le voir chez Dalancé, ce fut madame de Sévigné. Cette visite, à laquelle il ne s'attendait pas, lui fit un plaisir extrême, malgré les torts qu'il supposait à sa cousine; il en avait envers elle de si graves, qu'il n'osa pas lui faire des reproches. Il évita donc avec soin une explication; madame de Sévigné, qui croyait n'avoir pas besoin d'en donner, n'en provoqua aucune. Ils se séparèrent avec les dehors d'une apparente cordialité et les sentiments d'une défiance réciproque623.

Telles étaient leurs dispositions l'un envers l'autre lorsque leur correspondance recommença; mais ce fut d'abord, comme on va le voir, lentement et péniblement.

Bussy, retiré dans sa terre, où il resta exilé pendant dix-sept ans, écrivit le premier à sa cousine une lettre affectueuse et galante624. Il venait de visiter le château de Bourbilly, et se rappelait avec tristesse la dernière et aimable réception que sa cousine lui avait faite dans ce séjour.

«Je fus hier à Bourbilly, dit-il; jamais je n'ai été si surpris, ma belle cousine. Je trouvai cette maison belle; et quand j'en cherchai la raison, après le mépris que j'en avais fait il y a deux ans, il me sembla que cela venait de votre absence. En effet, vous et mademoiselle de Sévigné enlaidissez ce qui vous environne; et vous fîtes ce tour-là il y a deux ans à votre maison. Il n'y a rien de si vrai; et je vous donne avis que si vous la vendez jamais, vous fassiez ces marchés par procureur; car votre présence en diminuerait le prix. En arrivant, le soleil, qu'on n'avait pas vu depuis deux jours, commença à paraître, et lui et votre fermier firent bien les honneurs de la maison: celui-ci en me faisant une bonne collation, et l'autre en dorant toutes les chambres que les Christophle625 et les Guy626, s'étaient contentés de tapisser de leurs armes. J'y étais allé en famille, qui fut aussi satisfaite de cette maison que moi. Les Rabutins vivants, voyant tant d'écussons, s'estimèrent encore davantage, connaissant par là ce que les Rabutins morts faisaient de cette maison.»

Madame de Sévigné était en Bretagne, à sa terre des Rochers, qu'elle s'occupait à agrandir et à embellir, lorsqu'elle reçut cette lettre de son cousin. Elle ne mit pas beaucoup d'empressement à répondre. Elle attendit l'époque de son retour à Paris. Sa réponse est du 20 mai 1667, c'est-à-dire postérieure de quatre mois et demi à la lettre que Bussy lui avait écrite. Elle excuse, mais assez mal, ce long retard627. Bussy lui en fait de légers reproches628. Madame de Sévigné répondit encore; mais comme nous n'avons pas sa lettre, nous ne pouvons juger si Bussy fut mécontent de ce qu'elle avait de nouveau trop tardé à lui écrire, ou s'il fut peu satisfait des choses qu'elle lui avait écrites: ce qui est certain, c'est qu'il suspendit alors sa correspondance avec elle. Dans sa dernière lettre, cependant, il avait montré la plus entière confiance dans sa cousine; il lui avait fait part de ses affaires, il lui avait envoyé copie de toutes les lettres qu'il avait adressées au roi.

Madame de Sévigné fut étonnée du long silence de Bussy à son égard, et désira y mettre fin. Soit qu'elle se reprochât d'y avoir donné lieu en tardant trop à lui répondre, soit qu'elle se repentît de la manière dont elle lui avait répondu, soit par toute autre cause, elle se décida à lui écrire de nouveau. Dans sa lettre en date du 6 juin 1668, lettre très-courte mais très-significative, elle rappelle à son cousin que c'est elle qui lui a écrit la dernière; qu'elle a de trop légitimes sujets de plaintes contre lui pour qu'il en ajoute de nouveaux en la négligeant.

Alors commence une longue explication, que quelques mots dits chez Dalancé auraient rendue inutile; mais nous ne devons point regretter que ces mots n'aient point été prononcés, car nous n'aurions pas les lettres qui nous font le mieux connaître le noble caractère de madame de Sévigné.

La défense de Bussy contre la trop juste accusation que lui intente sa cousine est un chef-d'œuvre d'adresse. Il commence d'abord par faire l'éloge de son accusatrice, et il accompagne cet éloge de phrases pleines de tendresse et de galanterie. Il avoue qu'il a été bien coupable; mais du moins les remords de sa faute ont été sincères, tandis que sa cousine ne paraît pas avoir fait franchement le sacrifice de son ressentiment, et qu'elle semble même se repentir de lui avoir pardonné629. Il lui rappelle que lorsqu'ils étaient encore brouillés, il prit sa défense contre ses calomniateurs, et qu'au contraire elle l'a abandonné lorsqu'il était accablé par ses ennemis: «Ces changements, dit-il, sont étranges en vous, car vous êtes pleine de douceur et d'amitié pour moi: seulement, vous n'avez pas la force de résister à la mode, et je n'y suis plus: voilà mon malheur.»

Madame de Sévigné ne fit point d'abord de réponse à cette lettre, ce qui laissa le temps à son cousin de lui en écrire une autre, très-courte, six semaines après630. Dans celle-ci, Bussy demande à madame de Sévigné de le recommander à un conseiller rapporteur dans un procès qu'il avait au grand conseil, si toutefois elle ne craint pas de se compromettre en témoignant de l'intérêt pour un homme tombé en disgrâce.

Alors madame de Sévigné n'y peut tenir, elle éclate; et dans une longue lettre, écrite avec une éloquente impétuosité, elle accable son cousin de toute la puissance et de toute la force de la vérité, et termine, sans aigreur, par les assurances de sa tendresse, exprimées de la manière la plus vive et la plus aimable.

Elle commence cette lettre remarquable en lui disant631:

«Mon cousin, apprenez de moi que ce n'est pas la mode de m'accuser de faiblesse pour mes amis. J'en ai beaucoup d'autres, comme dit madame de Bouillon, mais je n'ai pas celle-là. Cette pensée n'est que dans votre tête; et j'ai fait ici mes preuves de générosité sur le sujet des disgraciés, qui m'ont mise en honneur dans beaucoup de bons lieux, que je vous dirais bien si je voulais. Je ne crois donc pas mériter ce reproche: il faut que vous rayiez cet article sur le mémoire de mes défauts… Mais venons à vous.»

Elle y vient en effet; et c'est pour lui montrer toutes les contradictions, les absurdités dans lesquelles lui, homme d'esprit, était tombé, par l'impossibilité de se justifier autrement que par des impostures. Elle réfute les sophismes par lesquels il a voulu rejeter sur elle des torts qui étaient les siens; elle déjoue toutes les ruses de son esprit, et le poursuit dans tous les subterfuges de sa conscience; puis, certaine qu'il ne peut rien opposer à l'évidence des faits, à la force des arguments, elle termine ainsi:

«Voilà ce que je voulais vous dire une fois en ma vie, en vous conjurant d'ôter de votre esprit que ce soit moi qui ait tort. Gardez ma lettre, et la relisez, si jamais la fantaisie vous prenait de le croire; et soyez juste là-dessus, comme si vous jugiez d'une chose qui se fût passée entre deux autres personnes: que votre intérêt ne vous fasse pas voir ce qui n'est pas. Avouez que vous avez cruellement offensé l'amitié qui était entre nous, et je suis désarmée. Mais de croire que si vous répondez, je puisse jamais me taire, vous auriez tort, car ce m'est impossible. Je verbaliserai toujours; au lieu d'écrire en deux mots, comme je vous l'avais promis, j'écrirai en deux mille; et enfin j'en ferai tant par des lettres d'une longueur cruelle et d'un ennui mortel, que je vous obligerai, malgré vous, à me demander pardon, c'est-à-dire à me demander la vie. Faites-le donc de bonne grâce.»

Bussy pourtant ne voulut pas accepter tout ce que cette lettre avait d'accablant pour lui. Dans une réponse très-longue, et qui commence sur le ton le plus sérieux et le plus froid632, il cherche par de nouvelles explications à démontrer que si les torts qu'il a eus ont été les plus graves, ce n'est pas une raison pour donner à sa cousine le droit de penser qu'elle n'en a eu aucun. Toute sa lettre se résume par les paroles suivantes, qui étaient sincères, et qui même, dans l'accusation qu'elles renferment, n'étaient pas dénuées de vérité633:

603.BUSSY, Supplément, Ire partie, p. 68.
604.BOUHIER, Manuscrits cités dans la Cour et la Ville, publiés par M. Barrière, p. 464.
605.BUSSY, Mém., t. I, p. 301.—BUSSY, Discours à ses Enfants, p. 374.
606.BOILEAU, Satire X, v. 253 à 328, t. I, p. 182 à 185 de l'édit. de Saint-Marc, 1747, in-8o.
607.BUSSY, Mém., t. II, p. 336-356-358-367-368-370-372.
608.Voyez la Ire partie de ces Mémoires, ch. XXXV, p. 479. Dallancé mourut fort riche, et laissa un fils, physicien célèbre. Conférez BOILEAU, Sat. X, v. 434, t. I, p. 194 de l'édit. de Saint-Marc.
609.BUSSY, Mém., t. II, p. 362.
610.Ibid.
611.MILLIN, Voyages dans les départements du Midi, t. I, p. 210, 213.—CORRARD DE BREBAN, Souvenirs d'une visite aux ruines d'Alise et au château de Bussy-Rabutin, Troyes, 1833, p. 18.
612.BUSSY, COMTE DE RABUTIN, Mém. mss. cités dans Monmerqué, Lettres de SÉVIGNÉ, t. I, p. 56.
613.SÉVIGNÉ, Lettres, t. I, p. 57, édit. 1820.
614.BUSSY, Mém. mss.; dans SÉVIGNÉ, Lettres, édit. 1820, t. I, p. 58.
615.SÉVIGNÉ, lettre en date du 26 juillet 1668, t. I, p. 129.
616.BUSSY-RABUTIN, Mém., t. II, p. 201.
617.BUSSY-RABUTIN, lettre à madame de Sévigné (datée de Forléans, le 21 novembre 1666), t. I, p. 109 et 110 de l'édit. de Monmerqué.
618.SÉVIGNÉ, Lettres, t. I, p. 129, en date du 26 juillet 1668.
619.BUSSY, lettre en date du 29 juillet 1669, t. I, p. 135.
620.SÉVIGNÉ, lettre en date du 20 juillet 1668, t. I, p. 131.
621.BUSSY, loc. cit.
622.BUSSY, Mém., t. III, p. 337.
623.SÉVIGNÉ, Lettres, t. I, p. 131-137 (lettre de madame de Sévigné, en date du 26 juillet, et de Bussy, en date du 29).
624.BUSSY (lettre du 21 novembre 1666), dans SÉVIGNÉ, t. I, p. 109.
625.Christophle de Rabutin, seigneur de Sully et de Bourbilly, né vers 1500, mort en 1529.
626.Guy de Rabutin, né en 1532, le premier qui porta le titre de baron de Chantal.
627.SÉVIGNÉ, Lettres, t. I, p. 111 (en date du 20 mai 1667).
628.SÉVIGNÉ, Lettres, t. I, p. 113 (lettre de BUSSY, en date du 23 mai 1667).
629.SÉVIGNÉ, Lettres, t. I, p. 121 (le 9 janvier 1668).
630.SÉVIGNÉ, Lettres, t. I, p. 126 (en date du 17 juillet 1668).
631.Ibid., p. 127 (en date du 26 juillet 1668).
632.SÉVIGNÉ, Lettres, t. I, p. 133 (lettre en date du 29 juillet 1668).
633.Ibid., p. 138 (lettre du 29 juillet 1668).
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
30 haziran 2018
Hacim:
570 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain