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Kitabı oku: «Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 3», sayfa 16

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CHAPITRE XVII.
1671

D'Hacqueville vient chercher madame de Grignan dans son carrosse, pour la séparer d'avec sa mère.—Douleur de celle-ci.—Elle écrit à sa fille.—Madame de Grignan arrive à Nogent-sur-Vernisson.—A Moulins, elle y trouve madame de Guénégaud.—Triste réflexion de madame de Guénégaud en présence du monument funèbre du duc de Montmorency.—C'est là que madame de Grignan rencontre la marquise de Valencey et ses deux filles.—Madame de Grignan arrive à Lyon, court quelques dangers en gravissant la montagne Tarare, manque d'être noyée dans le Rhône à Avignon, où elle s'embarque avec son mari.—Couplet sur le départ de madame de Grignan et sur son absence de la cour.—Madame de Grignan fait son entrée dans Arles.—Elle y trouve le marquis de Vardes et le président de Bandol.—Madame de Sévigné entretient une correspondance avec diverses personnes pour avoir des nouvelles de sa fille.—De Julianis et le marquis de Saint-Andiol lui en apportent.—Elle eut trois relations du voyage de sa fille.—Elle reçoit des nouvelles de son arrivée à Aix.—Elle souhaite d'être à Aix, pour partager avec elle l'ennui des visites et du cérémonial.—Elle ne peut s'accoutumer à son absence.—Elle forme le projet de l'aller trouver en Provence.—Madame de Grignan est enceinte.—Inquiétudes de sa mère sur son projet d'aller à Marseille.—Honneurs rendus à madame de Grignan par de Vivonne; détails sur celui-ci.—Pour mot d'ordre il donne le nom de madame de Sévigné.—Celle-ci se montre charmée de cette galanterie et de la relation que sa fille lui adresse de son voyage d'Aix à Marseille.—Elle se rend dans cette ville la conciliatrice de tous les différends.—Madame de Sévigné se dispose à partir pour la Bretagne, et promet à sa fille d'aller la rejoindre en Provence.

Fille adorée, heureuse mère, dans tout l'éclat de la jeunesse et de la beauté, madame de Grignan allait retrouver un époux sur lequel la puissance de ses charmes et l'énergie de son caractère devaient lui assurer un suprême ascendant; elle partait avec l'assurance d'être accueillie en reine sous ce beau ciel de Provence, où la renommée de ses attraits, de sa vertu, de ses talents, de la culture de son esprit, l'avait précédée.

Le complaisant d'Hacqueville, au moment du départ, était venu lui-même la prendre dans son carrosse, autant par attention pour elle que pour soutenir le courage de madame de Sévigné contre la douleur d'une telle séparation. Plus d'un mois après ce cruel moment, cette mère inconsolable ne pouvait supporter la vue de la chambre où elle avait dit à sa fille un dernier adieu, où elle lui avait donné le dernier baiser627.

«Je vous assure, ma chère enfant, lui écrit-elle alors, que je songe à vous continuellement, et que je sens tous les jours ce que vous me dîtes une fois, qu'il ne fallait pas appuyer sur certaines pensées: si l'on ne glissait pas dessus, on serait toujours en larmes, c'est-à-dire moi. Il n'y a lieu dans cette maison qui ne me blesse le cœur; toute votre chambre me tue; j'y ai fait mettre un paravent tout au milieu, pour rompre un peu la vue; une fenêtre de ce degré par où je vous vis monter dans le carrosse d'Hacqueville, et par où je vous rappelai, me fait peur à moi-même quand je pense combien alors j'étais capable de me jeter par la fenêtre; car je suis folle quelquefois. Ce cabinet, où je vous embrassai sans savoir ce que je faisais; ces Capucins628, où j'allai entendre la messe; ces larmes qui tombaient de mes yeux à terre, comme si c'eût été de l'eau qu'on eût répandue; Sainte-Marie629, madame de la Fayette, mon retour dans cette maison, votre appartement, la nuit, le lendemain; et votre première lettre, et toutes les autres, et encore tous les jours, et tous les entretiens de ceux qui entrent dans mes sentiments: ce pauvre d'Hacqueville est le premier; je n'oublierai jamais la pitié qu'il eut de moi. Voilà donc où j'en reviens, il faut glisser sur tout cela, et se bien garder de s'abandonner à ses pensées et aux mouvements de son cœur; j'aime mieux m'occuper de la vie que vous faites maintenant, cela me fait une diversion sans m'éloigner pourtant de mon sujet et de mon objet, qui est ce qu'on appelle poétiquement l'objet aimé. Je songe donc à vous, et je souhaite toujours de vos lettres; quand je viens d'en recevoir, j'en voudrais bien encore. J'en attends présentement, et je reprendrai ma lettre quand j'aurai de vos nouvelles. J'abuse de vous, ma très-chère; j'ai voulu aujourd'hui me permettre cette lettre d'avanie, mon cœur en avait besoin; je n'en ferai pas une coutume630

Cette lettre rappelle celle qu'elle avait écrite dès le lendemain même du départ de madame de Grignan:

«Ma douleur serait bien médiocre si je pouvais vous la dépeindre631; je ne l'entreprendrai pas aussi. J'ai beau chercher ma fille, je ne la trouve plus, et tous les pas qu'elle fait l'éloignent de moi. Je m'en allai donc à Sainte-Marie, toujours pleurant et toujours mourant; il me semblait qu'on m'arrachait le cœur et l'âme; et en effet quelle rude séparation! Je demandai la liberté d'être seule; on me mena dans la chambre de madame de Housset, on me fit du feu. Agnès me regardait sans me parler; c'était notre marché. J'y passai jusqu'à cinq heures sans cesser de sangloter; toutes mes pensées me faisaient mourir. J'écrivis à M. de Grignan, vous pouvez juger sur quel ton; j'allai ensuite chez madame de la Fayette, qui redoubla mes douleurs par l'intérêt qu'elle y prit; elle était seule et malade, et triste de la mort d'une sœur religieuse. Elle était comme je la pouvais désirer. M. de la Rochefoucauld y vint; on ne parla plus que de vous, et de la raison que j'avais d'être touchée… Les réveils de la nuit ont été noirs, et le matin je n'étais pas avancée d'un pas pour le repos de mon esprit. L'après-dînée se passa chez madame de la Troche, à l'Arsenal. Le soir, je reçus votre lettre, qui me remit dans mes premiers transports.»

Ainsi que nous l'avons déjà dit, madame de Grignan, en quittant Paris, laissa sa fille à madame de Sévigné, et partit avec ses chevaux, s'avançant à petites journées sur la route de Lyon632. Elle avait pour conducteur ou pour cocher un certain Busche, homme dévoué, mais grotesque, qui, lorsqu'il l'eut rendue saine et sauve à sa destination, revint à Paris, et fut questionné, choyé et sur le point d'être embrassé par madame de Sévigné633. Un paysan de Sully fut chargé de lui apporter une lettre de sa fille tandis qu'elle était en route. «Je veux le voir, lui écrit-elle; je lui donnerai de quoi boire. Je le trouve bien heureux de vous avoir vue. Hélas! comme un moment me paraîtrait doux, et que j'ai de regret à tous ceux que j'ai perdus!» Lorsque madame de Grignan fut arrivée à Nogent-sur-Vernisson, elle écrivit à sa mère634, et chercha à la distraire en lui racontant les singulières saillies d'éloquence de Busche. Nous n'avons aucune des lettres que madame de Grignan a écrites pendant ce voyage, et nous n'en pouvons juger que par la vive impression qu'elles faisaient sur madame de Sévigné, toujours dans les larmes, toujours inconsolable et croyant toujours voir ce fatal carrosse, «qui, dit-elle, avance sans cesse et n'approchera jamais de moi635

Arrivée à Moulins, madame de Grignan y trouva madame Duplessis de Guénégaud, non telle que dans son enfance elle l'avait vue à Fresnes au milieu de sa prospérité: cette femme si aimable, si spirituelle avait été dépouillée de la plus grande partie de sa fortune par les mesures rigoureuses de Colbert contre tous les amis de Fouquet, contre tous ceux qui s'étaient enrichis sous son administration636. Déchue du rang qu'elle occupait à la cour et dans le monde, elle s'était retirée à Moulins, où se trouvait aussi madame Fouquet et toute sa famille, plongée dans la douleur d'être privée de son chef. Madame de Guénégaud retournait en cette ville après un court séjour à Paris. En partant, elle s'était chargée d'une lettre que madame de Sévigné l'avait637 priée de remettre à sa fille lorsqu'elle l'aurait rejointe. Le premier soin de madame de Grignan, en arrivant à Moulins, avait été de se rendre au couvent de la Visitation, fondé par sa bisaïeule la baronne de Chantal, où, depuis trente ans qu'elle avait cessé de vivre, on conservait son cœur avec vénération638. Madame de Grignan, après avoir payé le tribut des prières dues à une si chère et si pieuse mémoire, tourna ses regards vers le tombeau orné de pilastres, de statues, couronné de figures d'anges que la veuve de Henri de Montmorency, décapité à Toulouse le 30 octobre 1632639, avait fait ériger dans cette église. Le maréchal-duc y est représenté couché sur le dos et appuyé sur le coude. La duchesse, sa femme, est assise à ses pieds, voilée et en mante. Deux jeunes enfants, beaux, frais, gracieux, priaient avec leur mère près de ce magnifique mausolée; c'étaient les deux petites-filles de François de Montmorency, comte de Boutteville, ce parent et cet ami du baron de Sévigné, l'aïeul de madame de Grignan, de ce comte de Boutteville que Richelieu aussi avait fait décapiter le 21 juin 1637; et leur mère, Marie-Louise de Montmorency, marquise de Valencey640. L'aspect de ce lieu, si rempli des souvenirs de sa famille et des deux illustres victimes immolées à l'ambition et à la cruauté d'un ministre; cette réunion autour d'une même tombe de l'enfance et de l'âge mûr, du malheur et de la prospérité émurent madame de Grignan, déjà triste de se trouver séparée d'une mère qu'elle n'avait jamais quittée: elle se prit à pleurer, et soupira profondément. Dans le même moment madame de Guénégaud, arrivant de Paris, l'accosta, la regarda avec attendrissement, et lui dit: «Soupirez, madame, soupirez; j'ai accoutumé Moulins aux soupirs qu'on apporte de Paris641

Madame de Grignan vit encore à Moulins, dans le couvent de la Visitation, une très-belle femme, madame de Valence, qui s'était faite religieuse642; cette madame de Valence passa depuis dans plusieurs couvents, puis se fixa dans l'abbaye de Clérets, où elle rétablit la règle, ce qui lui acquit la réputation d'une sainte643.

Madame de Grignan continua sa route sans s'arrêter jusqu'à Lyon; et le récit qu'elle fit de ce trajet à madame de Sévigné donna lieu à celle-ci de gronder dans une de ses lettres le coadjuteur pour avoir fait franchir de nuit à sa fille la montagne de Tarare, qu'on ne passe jamais, dit-elle, qu'entre deux soleils644. Mais M. de Grignan reçut une réprimande bien plus méritée et bien plus sérieuse pour avoir, selon madame de Sévigné, par son imprudence, fait courir à sa femme, à lui-même et à tous les siens un véritable danger. Cependant il ne la méritait pas, cette réprimande, et le coupable en cette occasion était encore le coadjuteur645.

M. de Grignan était venu au-devant de sa femme jusqu'à Avignon646. L'empressement que mit madame de Grignan à rejoindre son mari ne lui permit pas de séjourner à Lyon. Poussé par son frère et par sa femme, M. de Grignan consentit, malgré ses craintes, à s'embarquer avec eux sur le Rhône par un temps d'orage; le bateau qui les portait, jeté violemment sur une des arches du pont d'Avignon, fut sur le point de se briser, et tous ceux qu'il contenait furent exposés à être engloutis dans le fleuve. La lettre de madame de Grignan, qui contenait le récit de cette aventure, mit pendant plusieurs jours madame de Sévigné dans un état permanent d'effroi. Elle écrivit à sa fille: «Quel miracle que vous n'ayez pas été brisés et noyés en même temps! Je ne soutiens pas cette pensée, j'en frissonne, et je m'en suis réveillée avec des sursauts dont je ne suis pas la maîtresse.» Et deux jours après, dans une autre lettre, voulant plaisanter sur le coadjuteur, qui n'écrit pas et qui sans doute a été noyé sous le pont d'Avignon: «Ah! mon Dieu! dit-elle, cet endroit est encore bien noir dans ma tête647.» Elle croyait que sa fille n'avait pu être sauvée que par un miracle de Dieu. «Je crois du moins, lui dit-elle, que vous avez rendu grâces à Dieu de vous avoir sauvée. Pour moi, je suis persuadée que les messes que j'ai fait dire tous les jours pour vous ont fait ce miracle, et je suis plus obligée à Dieu de vous avoir conservée dans cette occasion que de m'avoir fait naître648.» Bossuet, auquel madame de Grignan avait inspiré de l'attachement, fut fortement ému lorsque le jeune de Sévigné lui apprit cet événement. Sévigné termine ainsi une courte lettre à sa sœur: «Adieu; soyez la bien échappée des périls du Rhône et la bien reçue dans votre royaume d'Arles. A propos, j'ai fait transir M. de Condom sur le récit de votre aventure; il vous aime toujours de tout son cœur649

Le départ de madame de Grignan, le danger qu'elle avait couru, son absence, qui devait longtemps se prolonger, occupèrent pendant quelques jours la cour et la ville; et on fit sur cela des vaudevilles et des chansons650, comme alors on avait coutume d'en faire sur les plus graves affaires et sur les plus légers événements: ces chansons, après avoir couru en manuscrit, passaient dans les recueils imprimés. Une de celles qui ont reçu cet honneur commence ainsi:

 
Provinciaux, vous êtes heureux
D'avoir ce chef-d'œuvre des cieux,
Grignan, que tout le monde admire.
Provinciaux, voulez vous nous plaire,
Rendez cet objet si doux:
Nous en avons affaire.
Gardez monsieur son époux
Et rendez-la-nous651.
 

Madame de Grignan fit son entrée dans Arles; et la réception pompeuse qui lui fut faite ne lui causa point autant de satisfaction que d'y rencontrer Corbinelli et de s'entretenir avec lui de sa mère652.

M. de Grignan quitta sa femme à Arles653, où elle séjourna. Indépendamment de Corbinelli, elle était encore entourée dans cette ville de deux autres amis de madame de Sévigné, le brillant marquis de Vardes, toujours exilé, et le président de Bandol, homme d'esprit et de goût, aimant la poésie et les belles-lettres et en correspondance avec Coulanges le chansonnier. C'est accompagnée par le président de Bandol et le marquis de Vardes que madame de Grignan fit son entrée dans la ville d'Aix, qui, comme la capitale de la Provence, devait être le lieu de sa résidence habituelle et était le terme de son voyage654.

Madame de Grignan avait, par ses lettres, instruit sa mère de tout ce qui lui avait paru intéressant depuis son arrivée en Provence; mais madame de Sévigné, avide des moindres détails, ne trouvait pas sa fille assez explicite, et s'était mise en rapport avec tous ceux qui pouvaient lui en donner des nouvelles. C'est ainsi qu'elle se procura une relation admirable, selon elle, du voyage de madame de Grignan depuis Arles jusqu'à Aix, adressée à M. de Coulanges par M. de Ripert, homme d'affaires de M. de Grignan655 et frère du doyen du chapitre de Grignan. Corbinelli lui fit une seconde relation du même voyage, et le président de Bandol une troisième656. Toutes furent lues et relues par elle avec un égal empressement. Elle recherchait aussi tous ceux qui venaient de la Provence et lui parlaient de sa fille, et même tous les Provençaux, qui, eux aussi, pouvaient au moins l'entretenir du pays qu'habitait madame de Grignan. Madame de Sévigné lia une correspondance avec Vardes sur ce sujet et avec le coadjuteur d'Arles; elle rendit plus actives ses relations avec son cousin de Coulanges, alors à Paris. Le coadjuteur d'Arles lui écrivait en italien des lettres qui la divertissaient. «Je ferai, dit-elle, réponse au prélat dans la même langue, avec l'aide de mes amis657.» Ces amis, c'était sans doute Ménage, qui écrivait parfaitement en italien. Dans cette même lettre (mutilée dans toutes les éditions modernes) elle dit encore: «La liaison de M. de Coulanges et de moi est extrême par le côté de la Provence; il me semble qu'il m'est bien plus proche qu'il n'était; nous en parlons sans cesse. Quand les lettres de Provence arrivent, c'est une joie parmi tous ceux qui m'aiment, comme c'est une tristesse quand je suis longtemps sans en avoir. Lire vos lettres et vous écrire sont la première affaire de ma vie; tout fait place à ce commerce; aimer comme je vous aime fait trouver frivoles toutes les autres amitiés658

Le premier Provençal qui vint donner à madame de Sévigné des nouvelles de sa fille fut le beau-frère de M. de Grignan, le marquis de Saint-Andiol659, qui, en se rendant à Paris, avait rencontré madame de Grignan. «Saint-Andiol m'est venu voir… il m'a dit qu'il vous avait vue en chemin; il m'a fait transir en me parlant des chemins que vous aviez à passer.»

Mais ce fut un autre Provençal, nommé de Julianis, qui mit fin aux anxiétés de madame de Sévigné en lui apprenant que sa fille était enfin arrivée heureusement au terme de son voyage.

Le 11 mars, un mercredi, madame de Sévigné écrit à sa fille: «Vous étiez à Arles; mais je ne sais rien de votre arrivée à Aix. Il me vint hier un gentilhomme de ce pays-là, qui était présent à votre arrivée et qui vous a vue jouer à petite prime avec Vardes, Bandol et autres; je voudrais pouvoir vous dire comme je l'ai reçu et ce qu'il m'a paru de vous avoir vue jeudi dernier… Il m'a trouvée avec le P. Mascaron, à qui je donnais un très-beau dîner. Comme il prêche à ma paroisse et qu'il vint me voir l'autre jour, j'ai pensé que cela était d'une vraie petite dévote de lui donner un repas; il est de Marseille, et a trouvé fort bon d'entendre parler de Provence660

Il résulte de ce passage de la lettre de madame de Sévigné que de Julianis, le gentilhomme dont elle parle, ne mit que cinq jours à se rendre d'Aix à Paris, et que madame de Grignan employa un mois entier pour se rendre de Paris à Aix; ce qui ne doit pas surprendre. Madame de Grignan, ainsi que nous l'avons dit, avait voyagé avec ses chevaux à petites journées, et, de plus, on a vu qu'elle s'était arrêtée partout où elle avait trouvé des parents et des amis qui l'invitaient à séjourner.

Enfin, madame de Sévigné ne fut parfaitement tranquille que lorsqu'elle reçut une lettre de madame de Grignan datée d'Aix. Mais elle regrettait de n'y pas trouver assez de détails, et elle en fit des reproches à sa fille. «Je ne comprends pas que vous ne me disiez pas un mot de votre entrée à Aix ni de quelle manière on vous y avait reçue. Tous deviez me dire de quelle manière Vardes honorait votre triomphe; du reste, vous me le représentez très-plaisamment, avec votre embarras et vos civilités déplacées. Bandol vous est d'un grand secours; et moi, ma petite, que je vous serais bonne! Ce n'est pas que je fisse mieux que vous, car je n'ai pas le don de placer si juste les noms sur les visages; au contraire, je fais tous les jours mille sottises là-dessus; mais je vous aiderais à faire des révérences661

La voilà donc réduite, cette tendre mère, à regretter de ne pouvoir partager les ennuis et les tribulations de celle qu'elle aime; la voilà séparée d'elle pour un temps qui lui paraît infini, puisque la durée n'en peut être déterminée. Que fera-t-elle, la pauvre délaissée? Avec sa fille, son cœur, son âme, son esprit ont été transportés en Provence; c'est là qu'elle vit, qu'elle s'alarme, qu'elle se réjouit, qu'elle se console, qu'elle s'afflige. Enfin elle ne peut plus résister aux anxiétés qu'elle éprouve d'en être privée, d'en être si éloignée. Elle forme le projet de l'aller joindre, de jouir encore du bonheur de la voir, de l'admirer, de la caresser, de lui donner ses soins; car elle sait qu'elle est enceinte; sa grossesse est connue de l'évêque de Marseille et n'est un mystère pour personne662. Cependant madame de Grignan, nonobstant l'état où elle se trouve, veut aller visiter Marseille; nouveau sujet d'alarme pour madame de Sévigné. D'Aix à Marseille la distance n'est pas grande, et la route est belle.—Peu importe: lorsque madame de Sévigné sait que ce voyage s'exécute, mille craintes la tourmentent. «Pourquoi avez-vous été à Marseille? M. de Marseille mande ici qu'il y a de la petite vérole; de plus, on vous aura tiré du canon qui vous aura émue: cela est très-dangereux. On dit que de Biez accoucha l'autre jour, d'un coup de pistolet qu'on tira dans la rue. Vous aurez été dans des galères, vous aurez passé sur de petits ponts; le pied peut vous avoir glissé, vous serez tombée. Voilà les horreurs de la séparation; on est à la merci de toutes ces pensées; on peut croire, sans folie, que ce qui est possible peut arriver. Toutes les tristesses de tempérament sont des pressentiments, tous les songes sont des présages, toutes les précautions sont des avertissements; enfin c'est une douleur sans fin663

Mais aussitôt que madame de Sévigné apprend que ce voyage s'est terminé heureusement, elle paraît charmée qu'il ait été entrepris. Vivonne, que sa bravoure et sa qualité de frère de madame de Montespan portèrent aux postes les plus enviés et au grade de maréchal de France, était alors à Marseille général des galères. Gros réjoui, homme d'esprit, adonné aux femmes et aux plaisirs de la table jusqu'à la débauche664, lié avec madame de Sévigné, il fit rendre à madame de Grignan des honneurs dignes d'une reine. Le canon retentit avec fracas à son arrivée; le mot d'ordre donné aux troupes fut le nom même de sa mère. La relation que madame de Grignan fit à madame de Sévigné de ce voyage la charma, et elle ne déguise pas le plaisir que lui fit la galanterie dont elle fut personnellement l'objet de la part de Vivonne, ce gros crevé, comme elle l'appelle ailleurs. «Je vois bien, ma fille, que vous pensez à moi très-souvent et que cette maman mignonne de M. de Vivonne n'est pas de contrebande avec vous.» Madame de Sévigné se montre surtout enchantée, et avec raison, que madame de Grignan ait profité de son rang de femme du lieutenant général gouverneur pour opérer des réconciliations et faire cesser des dissensions. «Il m'est venu de deux endroits que vous aviez un esprit si bon, si juste, si droit et si solide qu'on vous a faite seule arbitre des plus grandes affaires. Vous avez accommodé les différends infinis de M. de Monaco avec un monsieur dont j'ai oublié le nom. Vous avez un sens si net et si fort au-dessus des autres qu'on laisse le soin de parler de votre personne, pour louer votre esprit; voilà ce qu'on dit de vous ici665

Madame de Grignan ne s'arrêta pas à ce service rendu au prince de Monaco; elle alla dans le chef-lieu de sa principauté rendre visite à sa femme, fille du comte de Gramont. C'était là une marque de déférence à laquelle celle-ci n'avait pas droit de s'attendre après le discrédit où l'avait fait tomber le scandale de ses amours avec Lauzun, avec le chevalier de Lorraine, puis ses complaisances envers le roi. Aussi la princesse se hâta-t-elle d'aller rendre en Provence à madame de Grignan la visite qu'elle en avait reçue. Ces deux femmes, qui n'avaient rien entre elles de commun que la beauté, furent cependant charmées de se retrouver ensemble. Elles pouvaient parler de la cour, où toutes deux avaient brillé et dont elles se regardaient comme exilées, quoique toutes deux, dans les pays où elles résidaient, occupassent le premier rang. Mais ce voyage que fit madame de Grignan à Monaco fut pour madame de Sévigné un nouveau sujet d'alarmes: les grosses vagues de la mer et ces chemins plus étroits que les litières, où la vie dépend de la fermeté des pieds des mulets, la faisaient transir de frayeur666.

Madame de Sévigné avait dans sa maison de Paris fait déménager tous les meubles de madame de Grignan, pour les placer dans une chambre réservée. «J'ai été présente à tout, lui écrit-elle; pourvu que vous ayez intérêt à quelque chose, elle est digne de mes soins; je n'ai pas tant d'amitié pour moi, Dieu m'en garde667!» Elle se plaint à sa fille que l'envie continuelle qu'elle a de recevoir ses lettres et d'apprendre des nouvelles de sa santé est une chose dévorante qu'elle ne peut supporter. Aussi tient-elle toujours au projet qu'elle a formé d'aller en Provence; et cependant, avant d'entreprendre ce voyage, il faut qu'elle en fasse un autre; qu'elle s'éloigne de sa fille, dont elle est déjà séparée par une distance de deux cents lieues; et, dans le moment même où elle lui écrit: «J'irai vous voir très-assurément; ce voyage est nécessaire à ma vie,» elle se disposait à partir pour la Bretagne668.

627.SÉVIGNÉ, Lettres (3 mars 1671), t. I. p. 355, édit. de G. de S.-G.; t. I, p. 272, édit. de M.
628.Le couvent des Capucins de la rue d'Orléans au Marais. Cette église est aujourd'hui la paroisse de Saint-François d'Assise.
629.Le couvent des filles de Sainte-Marie. Voyez PIGANIOL DE LA FORCE, Description de Paris, t. VIII, p. 318; et SÉVIGNÉ, Lettres (6 février 1671), t. I, p. 305 et 306, édit. de G. de S.-G.
630.SÉVIGNÉ, Lettres (13 mars 1671), t. I, p. 355.
631.SÉVIGNÉ, Lettres (6 février 1671), t. I, p. 305-307, édit. de G. de S.-G.
632.SÉVIGNÉ, Lettres (9 février 1671), t. I, p. 237, 238, 239, édit. de M., ou t. I, p. 313 à 314, édit. de G. de S.-G.
633.SÉVIGNÉ, Lettres (4 mars 1671), t. I, p. 359-361.—(9 février 1671), t. I, p. 315, édit. de G. de S.-G.; t. I, p. 239, édit. de M.
634.SÉVIGNÉ, Lettres (9 et 11 février 1671), t. I, p. 315 et 320.
635.SÉVIGNÉ, Lettres en date des 9 et 18 février 1671, t. I, p. 311 et 333 de l'édit. de G. de S.-G.
636.GOURVILLE, Mémoires (année 1671), collection des Mémoires sur l'histoire de France, par Petitot et Monmerqué, t. LII, p. 449.
637.SÉVIGNÉ, Lettres (9 et 18 février 1671), t. I, p. 311 et 329.—Ibid. (17 mai 1676), t. IV, p. 440, édit. de G. de S.-G.
638.Tome I, p. 3 de la première partie de ces Mémoires.
639.SÉVIGNÉ, Lettres (18 février 1671), t. I, p. 332, et la note 1 de M. Gault de Saint-Germain.
640.Première partie de cet ouvrage, p. 5.—Conférez SÉVIGNÉ, Lettres (28 juillet 1682), t. VII, p. 98, édit. de M.
641.SÉVIGNÉ, Lettres (17 mai 1671), t. IV, p. 441, édit. de G. de S.-G.; t. IV, p. 298, édit. de M.
642.Lettres de madame DE RABUTIN-CHANTAL, marquise DE SÉVIGNÉ, à madame la comtesse de Grignan, sa fille; la Haye, 1726, in-12, t. I, p. 20.
643.SÉVIGNÉ, Lettres (de madame de Sévigné au comte de Guitaud, 1693), t. X, p. 445 et 446, édit. de G. de S.-G.
644.SÉVIGNÉ, Lettres (25 et 27 février 1671), t. I, p. 342, 350, édit. de G. de S.-G.
645.SÉVIGNÉ, Lettres (4 mars 1671), t. I, p. 359, édit. de G. de S.-G.
646.SÉVIGNÉ, Lettres (27 mars 1671), t. I, p. 398, édit. de M.
647.SÉVIGNÉ, Lettres (4 et 6 mars 1671), t. I, p. 358 et 361, édit. de G. de S.-G.; p. 274 à 277, édit. de M.
648.SÉVIGNÉ, Lettres (4 mars 1671), t, I, p. 358.
649.SÉVIGNÉ, Lettres (6 mars 1671), t. I, p. 361.
650.Recueil de chansons choisies, par M. DE ***; 1698, in-12, t. I, p. 166-168. Pour madame la comtesse de Grignan, qui pensa se noyer sur le Rhône en allant à Arles.
651.Recueil de chansons choisies; 1698, in-12, t. I, p. 175. Conférez encore t. II, p. 19, 20 et 22. Les chansons de ce recueil sont à tort attribuées à de Coulanges; il en contient un grand nombre de lui, mais il y en a beaucoup d'autres dont il n'est pas l'auteur.
652.SÉVIGNÉ, Lettres (6 mars 1671), t. I, p. 361, édit. de G. de S.-G.; t. I, p. 177, édit. de M.
653.SÉVIGNÉ, Lettres (11 mars 1671), t. I, p. 365, édit. de G. de S.-G.
654.Lettres de madame RABUTIN-CHANTAL, marquise DE SÉVIGNÉ, à madame la comtesse de Grignan, sa fille; la Haye, 1726, in-12, t. I, p. 38 et 39.—SÉVIGNÉ, Lettres (18 mars 1671), t. I, p. 379 et 380, édit. de G. de S.-G.; t. I, p. 292, édit. de M.
655.Lettres de madame RABUTIN-CHANTAL, marquise DE SÉVIGNÉ, à madame la comtesse de Grignan, sa fille; la Haye, 1726, in-12, t. I, p. 38 et 39 (18 mars 1671); et t. I, p. 220. Le nom de Ripert ne se trouve pas dans les éditions modernes, et les lettres citées ici y ont subi beaucoup de retranchements.—SÉVIGNÉ, Lettres (le jour des noces, à onze heures, 1671), t. II, p. 325, édit. de G. de S.-G.; ou t. II, p. 275 de l'édit. de M.—Ibid. (26 juillet 1675), t. III, p. 469, édit. de G. de S.-G.—Ibid. (4 septembre 1676), t. V, p. 113. Sur Ripert, voyez l'Histoire de madame de Sévigné, par M. Aubenas, p. 180 et 588.
656.SÉVIGNÉ, Lettres (27 mars 1671), t. I, p. 398, édit. de G. de S.-G.; t. I, p. 309, édit. de M.
657.SÉVIGNÉ, Lettres, édit. de la Haye, 18 mars 1671, t. I, p. 639.
658.Lettres de madame RABUTIN-CHANTAL, marquise DE SÉVIGNÉ, à madame la comtesse de Grignan, sa fille; la Haye, 1726, in-12, t. I, p. 38.
659.Conférez ci-dessus, chapitre VIII, p. 137, et Lettres de madame RABUTIN-CHANTAL, etc.; la Haye, 1726, in-12, t. I, p. 39. (Ce passage ne se trouve que dans cette première édition.)
660.SÉVIGNÉ, Lettres (11 mars 1671), t. I, p. 365, édit. de G. de S.-G.—Ibid. (18 février 1671), t. I, p. 330.—Ibid. (6 et 10 novembre 1675), t. IV, p. 194-196.—Ibid. (29 décembre 1675), t. I, p. 280.—Ibid. (1er janvier 1676), t. IV, p. 285—Ibid. (12 août 1695, lettre de madame de Coulanges), t. XI, p. 204, note 1.
661.Lettres de madame RABUTIN-CHANTAL, marquise DE SÉVIGNÉ, à madame la comtesse de Grignan, sa fille (18 mars 1671), t. I, p. 34. Ce texte a éprouvé, de la part du chevalier Perrin, des altérations et des suppressions. Conférez SÉVIGNÉ, Lettres, t. I, p. 379, édit. de G. de S.-G.
662.Lettres de madame RABUTIN-CHANTAL, marquise DE SÉVIGNÉ, t. I, p. 97, édit. de la Haye, 1726, 6 mai 1671.—SÉVIGNÉ, Lettres, t. II, p. 61, édit. de G.—Ibid., t. II, p. 51, édit. de M.
663.Lettres de madame RABUTIN-CHANTAL, édit. de la Haye, 1726, t. I, p. 97 (6 mai 1671).—SÉVIGNÉ, Lettres, t. II, p. 58, édit. de G. de S.-G.—Ibid., t. II, p. 48, édit. de M.
664.SÉVIGNÉ, Lettres (22 septembre 1688, 24 juin 1671, 12 juin 1672, 11 et 15 décembre 1673, 31 juillet et 6 novembre 1675); t. VIII, p. 357; t. II, p. 120; t. III, p. 64, 477; t. IV, p. 190; t. VIII, p. 357.—LOUIS XIV, Œuvres, t. V, Lettres, p. 320 et 330, 365, 366, 371.
665.SÉVIGNÉ, Lettres (13 mai 1671), t. II, p. 65, édit. de G.—Ibid., t. II, p. 55, édit. de M.
666.SÉVIGNÉ, Lettres (27 et 30 mai, 6 juin 1672), t. III, p. 38, 42, 47 et 48, édit. de G.; t. II, p. 448-451, 461 et 463, édit. de M.—Idem (23 décembre 1671), t. II, p. 319, édit. de G.; t. II, p. 270, édit. de M.—SAINT-SIMON, t. X, p. 96.—DELORT, t. I, p. 207.—SÉVIGNÉ, Lettres (25 juin 1677), t. V, p. 257, édit. de G.—Ibid. (20 juin 1678, lettre de Bussy), t. V, p. 505.—Ibid. (20 juin 1678, lettre de madame de Sévigné), t. V, p. 509.—Ibid., 27 juin 1678, t. VI, p. 6 et 7.—Ibid., 27 décembre 1688, t. IX, p. 54, édit. de G. de S.-G.
667.SÉVIGNÉ, Lettres, t. II, p. 67, édit de G. de S.-G.; t. II, p. 56, édit. de M.
668.SÉVIGNÉ, Lettres (13, 25 et 28 mai 1671), t. II, p. 64, 70 et 76, édit. de G. de S.-G.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
30 haziran 2018
Hacim:
531 s. 3 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain