Kitabı oku: «Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 3», sayfa 2
Ces Quiquoix étaient des hôtes fort gais, très-aimables et très-spirituels, si nous en jugeons par les pièces de vers qu'adressèrent quatre d'entre eux à madame de Guénégaud, chez laquelle, pendant le carnaval, ils avaient, déguisés en muets du Grand Seigneur et masqués, dansé un ballet, sans avoir été reconnus. Ils supposent qu'ils en étaient morts de douleur et qu'ils lui écrivent des enfers:
Du noir cabinet de Pluton,
Et d'un des fuseaux de Clothon,
Nous vous écrivons cette lettre,
Qu'un Songe vient de nous promettre
De vous porter dès cette nuit
Sans vous faire ni peur ni bruit.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Sous mille formes différentes,
Nos ombres, vos humbles servantes,
D'un vol prompt quittant les enfers,
Vont droit à l'hôtel de Nevers;
Les beautés des champs Élysées
Pour ce beau lieu sont méprisées:
Mânes, fantômes et lutins,
Esprits plus follets que malins,
Un caprice nous y transporte
Par la fenêtre et par la porte.
Là, comme de notre vivant,
Tantôt, derrière un paravent,
Nous prenons grand plaisir d'entendre
Un entretien galant et tendre;
Tantôt, du coin du cabinet,
Nous observons ce qui se fait;
Tantôt, sous le tapis de table,
Nous jugeons d'un conte agréable;
Tantôt, sous les rideaux du lit,
Nous rions lorsque quelqu'un rit.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Quoique nos ombres amoureuses
Aiment les heures ténébreuses,
Et qu'elles vous fassent leur cour
La nuit plus souvent que le jour,
Pour n'être pas toutes contentes,
Elles ne sont pas déplaisantes.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Le mal, à ne rien celer,
Est que nous ne saurions parler.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Quiconque en l'empire nocturne
Descend muet et taciturne
N'y devient pas fort éloquent,
Ou ce miracle est peu fréquent;
La mort prend tout, et la friponne
Ne rend la parole à personne:
Ainsi notre unique recours
Est de vous écrire toujours.
Lisez donc, charmante Amalthée,
Une lettre qui fut dictée
Du pays d'où nul ne revint,
L'an mil six cent soixante-cinq48.
Peut-être ces vers étaient-ils de M. de Pomponne: il en avait fait beaucoup dans sa jeunesse. Deux des madrigaux de la fameuse Guirlande de Julie d'Angennes sont signés DE BRIOTE, qui était son premier nom, et on a imprimé de lui une ode qui prouve un vrai talent pour la poésie49.
Mais il était occupé, au temps dont nous traitons, d'affaires plus sérieuses. La cessation des rigueurs du pouvoir fut pour de Pomponne le commencement d'une haute faveur. Le maréchal de Gramont et de Lionne, tous deux ses amis, parvinrent à le faire rentrer dans les emplois publics. Louis XIV le nomma ambassadeur extraordinaire en Suède à la fin de cette même année 166550. Le jeune roi était attentif à s'entourer de tous les hommes capables, et il ne se laissait dominer par aucune prévention quand il s'agissait de l'intérêt de l'État. Non-seulement il avait permis au cardinal de Retz de rentrer, mais il traitait avec égard cet ancien chef de la Fronde, parce qu'il prévoyait en avoir besoin51. Le même motif l'avait déterminé à faire d'un exilé un ambassadeur. L'emploi de toutes ses heures était réglé d'une manière invariable52. Il ne s'en fiait point à ses généraux et à ses ministres pour les détails qui concernaient la guerre; il les faisait surveiller par des hommes habiles et sûrs, et entretenait pour cet effet une vaste correspondance. Il passait lui-même en revue l'armée avec une scrupuleuse attention53. Par sa vigilance toujours active, son autorité était partout présente; elle agissait sur tous comme une divinité à la fois bienfaisante et redoutable. Il ne se contentait pas d'augmenter ses forces de terre et de mer; par ses négociateurs, il travaillait à faire concourir toutes les puissances aux desseins de sa politique. Il opposait secrètement le Portugal à l'Espagne, et ouvertement la Hollande à l'Angleterre. La marine, qu'il avait créée et organisée, réprimait la piraterie; il imposait ainsi aux nations qui jusque-là avaient eu la prétention de dominer sur les mers54.
La mort d'Anne d'Autriche, arrivée au commencement de l'année 1666, et ensuite celle du prince de Conti attristèrent la cour, et firent suspendre les fêtes. LOUIS XIV avait passé l'hiver à Saint-Germain en Laye, et résida la plus grande partie de l'été à Fontainebleau, fortement occupé de ses préparatifs de guerre, de ses négociations et de l'administration de son royaume. Madame de Sévigné ne faisait donc aucun sacrifice à madame de Guénégaud en consentant à aller passer à Fresnes la belle saison. Elle n'y put jouir de la société de M. de Pomponne, qui s'était rendu à Stockholm. Au sein des grandeurs et des affaires, sous le climat glacé de la Baltique, l'ambassadeur regrettait vivement le ciel de la patrie, son vieux père, les délices de son domaine, tous ses amis, les femmes aimables qui composaient la société de Fresnes et surtout madame de Sévigné et madame de la Fayette. Pour tromper un peu son ennui, il entretenait avec M. et madame de Guénégaud une correspondance sur ce ton badin qui, passé en habitude dans cette société de vrais amis, était comme l'indice de l'intimité de leur liaison. Une de ses lettres, qui est une réponse à celle qu'il avait reçue de M. de Guénégaud, est datée de Stockholm le 17 avril 1666, et se termine ainsi: «De toutes les langues, je ne parle qu'un latin de négociations et d'affaires, qui n'est pas tout à fait aussi poli que celui de la cour d'Auguste. Je ne vois, pour tous livres, que des traités de guerre, de commerce et de pacification; et les intérêts du Nord, de l'Angleterre et de la Hollande sont les plus galantes choses dont je m'entretienne. Peut-être serai-je assez heureux pour reprendre bientôt le langage d'Amalthée; et c'est en celui de l'amitié, que l'on y parle mieux qu'en lieu du monde, ou plutôt que l'on ne parle que là, que je vous assure que nul triton n'est si inviolablement acquis que moi à toutes les nymphes et tous les tritons de la Brévone.» Puis il signe CLIDAMANT55.
Toute la société de Fresnes se réunit pour répondre à cet aimable ambassadeur. Nous n'avons plus la portion de la lettre écrite par M. et madame de Guénégaud et par M. de la Rochefoucauld; mais il nous reste celle qui fut tracée par madame de la Fayette et madame de Sévigné; et si nous négligions de la citer, on ne pourrait bien apprécier ni l'amitié qui unissait toute la société de Fresnes ni les succès qu'obtenait déjà dans le monde mademoiselle de Sévigné56.
DE MADAME DE LA FAYETTE A M. DE POMPONNE
«A Fresnes, ce 1er mai 1666.
«Je suis si honteuse de ne vous avoir point écrit depuis que vous êtes parti que je crois que je n'aurais jamais osé m'y hasarder sans une occasion comme celle-ci. A l'abri des noms qui sont de l'autre côté de cette lettre (le nom de M. de Guénégaud et celui de M. de la Rochefoucauld), j'espère que vous vous apercevrez du mien. Aussi bien il y en a un qui le suit assez souvent. Mais apparemment, puisqu'il est question de mademoiselle de Sévigné, vous jugez bien que l'on ne parlera plus de moi, au moins sur ce propos; car ne plus parler de moi, ce n'est pas chose possible à Fresnes et à l'hôtel de Nevers. J'y suis le souffre-douleur; on s'y moque de moi incessamment. Si la douceur de madame de Coulanges et de madame de Sévigné ne me consolait un peu, je crois que je m'enfuirais dans le Nord.»
DE MADAME DE SÉVIGNÉ AU MÊME
«Pour moi, je suis comme madame de la Fayette: si j'avais encore été longtemps sans vous écrire, je crois que je vous aurais souhaité mort, pour être défaite de vous; chi offende non perdona, comme vous savez. Cependant c'eût été grand dommage, car j'apprends que Votre Excellence fait autant de merveilles qu'elle se fait aimer quand elle est à Fresnes. Je suis donc fort aise de vous écrire, afin de ne vous plus souhaiter tant de mal. Nous sommes tous ici dans une compagnie choisie; si vous y étiez, il n'y aurait rien à désirer. J'ai causé ce matin deux heures avec monsieur votre père: si vous saviez comme nous nous aimons, vous en seriez jaloux. Adieu, monsieur l'ambassadeur; si l'évêque de Munster voit cette lettre, je serai bien aise qu'il sache que je vous aime de tout mon cœur.»
Christophe-Bernard Van Galen, prince-évêque de Munster, soudoyé par l'Angleterre, avait attaqué les Hollandais. Louis XIV envoya à leur secours six mille hommes57, qui firent les troupes de l'évêque prisonnières dans Oudenbosch. Van Galen cherchait alors à négocier avec la France; mais son caractère violent donnait lieu de craindre qu'il n'arrêtât les courriers qui passaient pour se rendre en France; et c'est à cette circonstance que madame de Sévigné fait allusion dans sa lettre.
Madame de Coulanges, qui se trouvait alors à Fresnes, avait épousé en 1659 le joyeux cousin de madame de Sévigné58. Le nom de madame de Coulanges était Marie-Angélique Dugué de Bagnols; elle s'était fait remarquer de bonne heure par son esprit vif, brillant, mais caustique; et ce fut peut-être ce défaut qui l'empêcha d'acquérir l'influence et le crédit que paraissaient lui promettre sa parenté et ses succès dans le monde. Nièce du chancelier le Tellier, cousine germaine du ministre Louvois, accueillie, recherchée avec empressement dans tous les cercles d'élite, invitée dans toutes les fêtes de la cour et de tous les voyages, elle ne put jamais obtenir une intendance pour son mari. L'incapacité de celui-ci pour les affaires en fut la cause. Il avait été nommé conseiller au parlement de Metz en 1657; et son inaptitude à remplir ses fonctions est restée célèbre, parce qu'elle a introduit dans la langue une phrase proverbiale souvent employée. Deux paysans, dont l'un se nommait Grappin, se disputaient une mare d'eau: Coulanges, ayant à faire le résumé de cette affaire, avant de lire les conclusions de l'arrêt, s'embrouilla tellement dans les détails qu'il ne put s'en tirer; il resta court et quitta subitement son tribunal en disant: «Pardon, messieurs, je me noie dans la mare à Grappin. Je suis votre serviteur.» Madame de Coulanges, à l'époque où elle se trouvait à Fresnes, en 1666, avait environ vingt-sept ans. Elle fut plus coquette que madame de Sévigné, et eut une vertu moins ferme et plus contestée. Ceux qui s'empressaient alors autour d'elle étaient le galant abbé Testu, Brancas le distrait, le séduisant la Fare, mais plus particulièrement et plus assidûment le marquis de la Trousse, son parent et parent aussi de madame de Sévigné.
La réponse que fit M. de Pomponne à la lettre collective démontre que mademoiselle de Sévigné avait déjà passé l'âge de la timidité virginale et qu'elle commençait à prendre part à tout ce qui se passait dans la société.
«J'ai bien envie, dit de Pomponne, de murmurer contre l'ambassade; j'ai manqué le salement de mademoiselle de Sévigné. De tout ce que j'ai vu et entendu au pays de Brévone59, rien ne m'a paru si digne de curiosité. Mais n'êtes-vous pas cruels, tous tant que vous êtes, de ne point m'expliquer de tels mots? Quelle honte qu'il ne se trouve personne parmi vous qui ait cette charité pour un pauvre Quiquoix dépaysé! Et cette madame de la Fayette, à qui l'on me renvoie, n'aurait-elle pas mieux fait de me le dire que de m'apprendre que l'on se moque d'elle depuis le matin jusqu'au soir, comme si ce m'était une chose fort nouvelle? Elle a été moquée et le sera; je l'ai été avant elle et le serai; enfin, c'est un honneur que nous partagerons longtemps ensemble. Pour madame de Sévigné, je comprends qu'elle avait assez d'affaires à voir saler sa pauvre fille pour ne lui pas reprocher de m'en avoir caché le mystère et pour n'avoir qu'à la remercier très-humblement des marques de son amitié, qu'elle a bien voulu hasarder à la discrétion de M. de Munster60.»
Heureux temps, où le sérieux des plus grandes affaires n'excluait pas la gaieté et les plus grotesques fantaisies; où l'urbanité, la décence et la grâce dominaient jusque dans l'abandon des plus folâtres jeux et du commerce le plus familier!
CHAPITRE II.
1666-1667
Mademoiselle de Sévigné est chantée par les poëtes.—Ménage compose des vers pour elle.—La Fontaine lui dédie une de ses plus jolies fables.—Saint-Pavin lui écrit une lettre.—Il lui adresse des stances au sujet de son goût pour le reversis.—La froideur de mademoiselle de Sévigné empêchait les passions de naître.—Sa mère cherche à la marier.—Correspondance de Bussy et de madame de Sévigné à ce sujet.—Le duc de Caderousse et Desmoutiers, comte de Mérinville, se présentent pour l'épouser.—Ils sont éloignés, et pourquoi.—Madame de Sévigné va passer l'hiver aux Rochers.—Lettre en vers que lui écrit Saint-Pavin pour l'engager à revenir à Paris.—La cour réside, cet hiver, à Saint-Germain en Laye.—On y danse le ballet des Muses.—Molière compose, pour ce ballet, Mélicerte et l'Amour sicilien.—Madame de Sévigné profite de son séjour aux Rochers pour augmenter et embellir sa terre.—Elle revient au printemps à Paris.—Le roi était parti pour l'armée.—Commencement de la guerre avec l'Espagne.—Prétextes allégués.—Administration intérieure bien réglée.—Réformes de la justice.—Lettres et beaux-arts encouragés.—Victoires de Louis XIV.—Changement dans sa conduite à l'égard de ses maîtresses après la mort de la reine mère.—La Vallière est faite duchesse.—Intrigues du roi avec la princesse de Monaco.—Espiègleries de Lauzun.—Madame de Montespan prend la première place dans le cœur du roi.
Trois ans s'étaient écoulés depuis que mademoiselle de Sévigné avait paru pour la première fois dans les ballets du roi. Depuis cette époque, ses attraits plus développés avaient acquis plus d'éclat. Son esprit et ses grâces, perfectionnés par l'éducation, en avaient fait une femme accomplie. L'admiration que partout elle faisait naître entretenait dans le cœur de madame de Sévigné un orgueilleux sentiment de tendresse et d'amour qui absorbait toutes ses pensées. Dans son entière abnégation de toute autre jouissance, elle semblait ne plus considérer toutes les choses de ce monde que dans leurs rapports avec sa fille. Les louanges qu'on avait coutume de lui adresser à elle-même lui paraissaient un larcin fait à cet objet chéri; et dès lors, pour lui plaire, ce fut pour sa fille, et non pour elle, que les poëtes ses amis composèrent des vers. Ménage adressa à mademoiselle de Sévigné un madrigal en italien, langue qu'elle comprenait déjà très-bien61. Le bon la Fontaine lui dédia une de ses plus jolies fables, celle du Lion amoureux.
Sévigné, de qui les attraits
Servent aux Grâces de modèle,
Et qui naquîtes toute belle,
A votre indifférence près,
Pourriez-vous être favorable
Aux jeux innocents d'une fable,
Et voir sans vous épouvanter
Un lion qu'Amour sut dompter.
Amour est un étrange maître:
Heureux qui ne peut le connaître
Que par récit, lui ni ses coups!
Quand on en parle devant vous,
Si la vérité vous offense,
La fable au moins peut se souffrir
Celle-ci prend bien l'assurance
De venir à vos pieds s'offrir
Par zèle et par reconnaissance62.
Saint-Pavin avait écrit une lettre en vers à mademoiselle de Sévigné avant qu'elle eût commencé à prendre son essor dans le monde; et cette petite pièce est empreinte d'une facilité qui nous engage à la transcrire tout entière.
A MADEMOISELLE DE SÉVIGNÉ
L'autre jour, chagrin de mon mal,
Me promenant sur mon cheval
Sur les bords des vertes prairies,
J'entretenais mes rêveries,
Quand j'aperçus votre moineau
Sur le haut d'un jeune arbrisseau.
Beaucoup moins gai que de coutume,
Il avait le bec dans la plume,
Comme un oiseau qui languissait
Loin de celle qu'il chérissait.
Je l'appelai comme on l'appelle:
Il vint à moi battant de l'aile;
Et, sur mon bras s'étant lancé,
Je le pris et le caressai;
Mais après, faisant le colère,
Je lui dis d'un ton bien sévère:
Apprenez-moi, petit fripon,
Ce qui vous fait quitter Manon.
«Ah! me dit-il en son langage,
Ma belle maîtresse, à son âge,
S'offense et ne peut trouver bon
Qu'on l'appelle encor de ce nom.
Je sais que vous l'avez connue;
Mais tout autre elle est devenue:
Son esprit, qui s'est élevé,
Plus que son corps est achevé;
Il est bien juste qu'on la traite
En fille déjà toute faite.
Elle entend tout à demi-mot,
Discerne l'habile du sot;
Et sa maman, seule attrapée,
La croit encor fille à poupée.
Tous les matins dans son miroir
Elle prend plaisir à se voir,
Et n'ignore pas la manière
De rendre une âme prisonnière;
Elle consulte ses attraits,
Sait déjà lancer mille traits
Dont on ne peut plus se défendre
Pour peu qu'on s'en laisse surprendre.
Depuis qu'elle est dans cette humeur,
Elle m'a banni de son cœur,
Et ne m'a pas cru davantage
Un oiseau digne de sa cage.
Désespéré, j'ai pris l'essor,
Résolu plutôt à la mort
Que voir une ingrate maîtresse
N'avoir pour moi soin ni tendresse.
Je sais que vous l'aimez aussi;
Gardez qu'elle vous traite ainsi;
Elle est finette, elle est accorte,
Et n'aime que de bonne sorte.»
Ce fut ainsi qu'il me parla,
Puis aussitôt il s'envola.63
Dans des stances que Saint-Pavin adressa à mademoiselle de Sévigné, qui doivent être postérieures à cette épître, il la raille sur son goût pour le reversis.
La jeune Iris n'a de souci
Que pour le jeu de reversi,
De son cœur il s'est rendu maître:
A voir tout le plaisir qu'elle a
Quand elle tient un quinola,
Heureux celui qui pourrait l'être!
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Son cœur devrait-il t'échapper,
Amour? Fais, pour la détromper,
Qu'elle ait d'autres amants en foule;
La belle au change gagnera64.
Ainsi que je l'ai dit dans une des précédentes parties de ces Mémoires, l'air froid, indifférent, dédaigneux même de mademoiselle de Sévigné, que sa mère, sa grande admiratrice, lui reproche doucement dans une de ses lettres, détruisait en partie l'effet produit par sa beauté. Sa conversation intéressait d'abord, parce qu'elle avait de l'esprit et du savoir; mais, comme rien ne partait du cœur, que rien n'y était suggéré, animé par ses impressions du moment, on s'en lassait bientôt. Il paraît que plus tard, et dans l'âge où l'on fait de sérieuses réflexions sur soi-même, elle reconnut elle-même ce qui lui avait toujours manqué pour faire, comme sa mère, les délices des sociétés où elle se trouvait; car elle écrit à celle-ci: «D'abord on me croit assez aimable, et quand on me connaît davantage on ne m'aime plus.» Sentence qui fait jeter les hauts cris à madame de Sévigné; mais la manière dont elle la combat65 prouve que madame de Grignan continuait à être ce qu'avait été mademoiselle de Sévigné. Par une ferme résolution, nous pouvons perfectionner notre nature, mais nous ne pouvons la changer; elle reste toujours la même malgré le blâme de notre raison; et il est plus facile de reconnaître en nous ce qui fait défaut que d'acquérir ce qui nous manque.
Cependant il était arrivé pour madame de Sévigné ce moment à la fois cruel et doux où une mère doit enfin consentir à confier à un mari les destinées de sa fille chérie, où elle doit se résoudre à n'être plus le seul et principal objet de ses affections, la confidente unique de ses pensées.
A l'époque dont nous parlons, madame de Sévigné était péniblement préoccupée de ce grand devoir de mère. Peu de partis se présentaient, du moins de ceux qui pouvaient être acceptés. Les preuves de cette assertion se trouvent dans les lettres mêmes de madame de Sévigné et dans celles de Bussy, qui, en bon parent, partageait à cet égard les sollicitudes de sa cousine: il l'entretenait souvent de mademoiselle de Sévigné, dont il admirait l'esprit et la beauté, et il la désignait presque toujours par ces mots: «La plus jolie fille de France.»
Lorsque mademoiselle de Brancas, liée avec mademoiselle de Sévigné, venait d'épouser (le 2 février 1667) Charles de Lorraine, prince d'Harcourt, Bussy écrivait à sa cousine: «Mademoiselle de Sévigné a raison de me faire ses amitiés: après vous, je n'estime et n'aime rien autant qu'elle. Je suis assuré qu'elle n'est pas si mal satisfaite de sa mauvaise fortune que moi; et sa vertu lui fera attendre sans impatience un établissement avantageux, que l'estime extraordinaire que j'ai pour elle me persuade être trop lent à venir.—Voilà de grandes paroles, madame; en un mot, je l'aime fort, et je trouve qu'elle devrait être plutôt princesse que mademoiselle de Brancas66.»
Un an plus tard, l'impatience de madame de Sévigné se trahit vivement par ces paroles contenues dans plusieurs réponses faites à Bussy: «La plus jolie fille de France vous fait ses compliments: ce nom paraît assez agréable; je suis pourtant lasse d'en faire les honneurs67.»
Bussy répond: «La plus jolie fille de France sait bien ce que je lui suis. Il me tarde autant qu'à vous qu'un autre vous aide à en faire les honneurs; c'est sur son sujet que je reconnais la bizarrerie du destin aussi bien que sur mes affaires68.»
Un mois après, madame de Sévigné écrit encore à Bussy: «La plus jolie fille de France est plus digne que jamais de votre estime et de votre amitié. Sa destinée est si difficile à comprendre que, pour moi, je m'y perds69.»
Je pense que le mot de cette énigme était parfaitement connu de madame de Sévigné et de Bussy, mais qu'ils ne voulaient pas se le dire mutuellement, parce qu'ils osaient à peine se l'avouer à eux-mêmes.
La froideur de mademoiselle de Sévigné pouvait bien, ainsi que je l'ai dit, l'empêcher d'inspirer de grandes passions; mais alors, plus qu'à toute autre époque, ce n'était pas l'amour qui faisait contracter les mariages, c'étaient l'ambition et l'intérêt; c'étaient surtout les espérances que l'on pouvait fonder sur la faveur du monarque. Or, mademoiselle de Sévigné appartenait à une famille frondeuse et janséniste, dans laquelle ne se trouvait aucun homme puissant qui fût intéressé à sa grandeur. Le choc des factions avait abattu la haute fortune de Retz; Bussy, que ses talents militaires auraient pu faire parvenir aux plus hautes dignités de l'État, était, par sa faute, depuis longtemps disgracié. Ainsi aucun des chefs de cette famille ne pouvait contribuer à l'élévation de celui qui aurait contracté alliance avec elle; et cependant madame de Sévigné pensait que la beauté et la riche dot de sa fille lui donnaient le droit de n'accueillir pour elle que des propositions où le rang et la naissance se trouvaient en parfaite convenance avec ce qu'elle croyait avoir droit d'exiger; et comme elle portait naturellement ses prétentions au niveau de l'admiration qu'elle avait pour sa fille, peu de partis lui convenaient: ceux qui auraient pu la flatter, par les raisons que je viens d'exposer, ne se présentaient pas.
Il s'en offrit pourtant plusieurs qui semblaient réunir toutes les conditions propres à être agréés, et les lettres de madame de Sévigné nous en font connaître deux: l'un, le duc de Caderousse, dont nous avons parlé, qui épousa mademoiselle de Guénégaud70; l'autre, Charles de Mérinville, fis de François Desmoutiers, comte de Mérinville, chevalier des ordres du roi et alors lieutenant général de Provence. Le comte de Mérinville se trouvait à Paris en 1667, absent de son gouvernement; et il profita de cette occasion pour présenter son fils chez madame de Sévigné et lui demander sa fille en mariage71. Cette proposition parut satisfaire madame de Sévigné, et l'union fut sur le point de se conclure. Le jeune homme était de l'âge de mademoiselle de Sévigné, mais il lui plaisait peu; et madame de Sévigné fit naître tant d'incidents par la crainte qu'elle avait d'arriver à une conclusion que les négociations commencées se rompirent72. Ce ne fut que plus tard, ainsi que nous le dirons, que M. le comte de Grignan, beaucoup plus âgé que Mérinville et deux fois veuf, fut agréé par la mère et par la fille73.
Mais avant et dès le temps où elle s'était résolue à établir sa fille, madame de Sévigné avait songé à faire des économies. C'est pour y parvenir que, dans l'automne de l'année 1666, elle se rendit à sa maison des Rochers, et qu'elle se résolut à y prolonger son séjour pendant tout l'hiver74. Ce fut là un grand sujet de contrariété et d'ennui pour ses amis de Paris et pour toutes les sociétés qu'elle animait par sa gaieté et par son esprit. Saint-Pavin se rendit leur organe, et lui adressa en Bretagne une lettre en vers, pour lui exprimer le désir que l'on avait de la voir revenir dans la capitale.
Paris vous demande justice;
Vous l'avez quitté par caprice.
A quoi bon de tant façonner,
Marquise? il y faut retourner.
L'hiver approche, et la campagne,
Mais surtout celle de Bretagne,
N'est pas un aimable séjour
Pour une dame de la cour.
Qui vous retient? Est-ce paresse?
Est-ce chagrin? est-ce finesse?
Ou plutôt quelque métayer
Devenu trop lent à payer?
De vous revoir on meurt d'envie;
On languit ici, on s'ennuie;
Et les Plaisirs, déconcertés,
Vous y cherchent de tous côtés.
Votre absence les désespère;
Sans vous ils n'oseraient nous plaire.
Si vous étiez ici demain,
La cour quitterait Saint-Germain;
Et les Jeux, les Ris et les Grâces,
Qui marchent toujours sur vos traces,
Y rendraient l'Amour désormais
Plus galant qu'il ne fut jamais.
Après nous avoir appris, par des contre-vérités sur mademoiselle de Sévigné, qu'elle s'appliquait avec succès à l'étude de l'espagnol et de l'italien, Saint-Pavin continue ainsi:
Il faut quitter ce badinage.
Votre fille est le seul ouvrage
Que la nature ait achevé:
Dans les autres elle a rêvé.
Aussi la terre est trop petite
Pour y trouver qui la mérite;
Et la belle, qui le sait bien,
Méprise tout et ne veut rien.
C'est assez pour cet ordinaire,
Et trop peut-être pour vous plaire;
S'il est vrai, gardez le secret,
Et donnez ma lettre à Loret:
Je crois qu'en Bretagne on ignore
S'il est mort ou s'il vit encore75.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . Songez à partir.
La réponse la plus touchante
Ne pourrait payer mon attente;
Tout le plaisir est à se voir.
Les sens se peuvent émouvoir:
Tel est vieux et n'ose paraître
Qui, vous voyant, ne croit plus l'être76.
La cour, ainsi que le dit Saint-Pavin, avait résidé à Saint-Germain durant l'hiver que madame de Sévigné passa en Bretagne; mais quoique les divertissements n'y eussent pas été aussi brillants que ceux des années précédentes, cependant ils ne furent que peu de temps suspendus par la mort de la reine mère. Benserade composa pour l'hiver de 1666 le Ballet des Muses, dans lequel le roi dansa avec MADAME, mademoiselle de la Vallière, madame de Montespan et d'autres beautés. Ce fut à cette occasion que Molière rima son insipide pastorale de Mélicerte, qu'il se repentit d'avoir écrite et qu'il remplaça depuis par la jolie pièce du Sicilien ou l'Amour peintre77.
Madame de Sévigné profita de son séjour aux Rochers pour agrandir et embellir sa demeure sans nuire à ses projets d'économie. «J'ai fait planter, écrivait-elle à Bussy, une infinité de petits arbres et un labyrinthe d'où l'on ne sortira pas sans le fil d'Ariane; j'ai encore acheté plusieurs terres, à qui j'ai dit, selon la manière accoutumée: Je vous fais parc. De sorte que j'ai étendu mes promenoirs sans qu'il m'en ait coûté beaucoup78.»
Madame de Sévigné ne revint à Paris qu'au printemps suivant, vers la fin du mois de mai79. Louis XIV était alors à Compiègne; mais il partit bientôt pour aller rejoindre son armée, et commencer enfin cette grande lutte contre l'Espagne à laquelle il se préparait depuis longtemps: vaste scène qui s'ouvrait pour l'Europe entière, et qui, après de sanglants combats, se termina par la conquête de la Flandre et celle de la Franche-Comté80. Ainsi fut constitué ce beau royaume de France en une masse compacte et formidable, restée intacte malgré les désastres de la fin de ce glorieux règne, malgré la corruption et la mollesse des deux règnes suivants, malgré les affreuses convulsions de l'anarchie et la délirante ambition du génie des batailles.
Tandis que Louis XIV, à Versailles, à Saint-Germain, aux Tuileries ou dans les camps, ne semblait s'occuper que de plaisirs, de politique et de guerre, toutes les réformes, toutes les institutions, tous les établissements qui devaient accroître les richesses et la prospérité de la France s'exécutaient comme il les avait déterminés dans son conseil. Quand, pour donner plus d'activité au commerce, il créa, en 1665, la compagnie des Indes occidentales, les commerçants qui devaient la composer furent assemblés au Louvre, sous la présidence de Colbert; et le roi parut en personne au milieu d'eux, pour les exhorter à se livrer avec toute sécurité à leurs opérations commerciales et pour leur donner l'assurance que ses vaisseaux les protégeraient jusqu'aux extrémités de l'univers81. C'est dans cette année 1667, si mémorable par tant de succès guerriers82, de traités et de négociations importantes83, que furent promulguées ces belles ordonnances pour l'administration de la justice, admirées des jurisconsultes, et qu'on avait surnommées le Code Louis84; que fut instituée l'Académie des sciences; que fut établie à Rome une Académie des beaux-arts; qu'on jeta les fondements de ce séjour de tant de savantes et impérissables découvertes, l'Observatoire de Paris; que furent commencés les travaux du canal qui devait joindre l'Océan à la Méditerranée; qu'enfin des prix furent distribués aux peintres, aux artistes; des récompenses données aux savants étrangers, afin de rattacher au drapeau de la France les talents les plus éminents, les plus hautes capacités85.
Le roi, en s'exposant plus qu'il n'était nécessaire, donna des preuves de bravoure personnelle86; mais cependant ses ennemis étaient si mal préparés à se défendre, ses succès furent si rapides que, si on excepte le siége de Lille, cette campagne ressembla plus à une marche triomphale qu'à une lutte guerrière87.
Louis XIV conduisait avec lui la jeune reine; il la montrait aux peuples soumis comme leur légitime souveraine; car c'était pour soutenir les droits de sa femme à la souveraineté de ces contrées et à la succession d'Espagne, à laquelle cependant on avait renoncé par le traité des Pyrénées, qu'il entreprenait cette guerre88. Une riante et gracieuse escorte de jeunes et belles femmes accompagnait Louis dans ses conquêtes. Partout, après les combats, des fêtes étaient préparées, spontanément offertes, ou commandées sous la tente et sur les champs de bataille: au milieu des dangers de la mort, incessamment bravés pour la patrie, la volupté semblait acquérir quelque chose de grand et de martial, qui désarmait la censure des esprits sévères.