Kitabı oku: «Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 3», sayfa 9
CHAPITRE XI
1670-1671
Idée de la correspondance de Bussy avec madame de Sévigné.—Pourquoi les lettres de madame de Sévigné ne pouvaient avoir sur Bussy une influence morale aussi favorable au bonheur de ce dernier que celles de Corbinelli et de madame de Scudéry.—Mort du président de Frémyot.—Il donne tout son bien à madame de Sévigné.—Bussy saisit cette occasion de lui écrire, et recommence sa correspondance avec elle.—Madame de Sévigné lui répond, et lui annonce la grossesse de madame de Grignan.—Madame de Sévigné, mécontente de Bussy, lui écrit une lettre de reproche sur le passé.—Réponse modérée de Bussy à cette injuste attaque.—Madame de Sévigné lui demande excuse.—Elle est enchantée qu'il travaille à la généalogie des Rabutin et flattée que Bussy lui ait dédié cet ouvrage.—Cependant elle continue à lui rappeler sa conduite antérieure à son égard.—Bussy perd patience.—Il lui demande de cesser ce genre de guerre.—Madame de Sévigné y consent.—Madame de Sévigné écrit à Bussy qu'elle a des ennemis, puis ensuite le nie.—Bussy dit qu'il le sait.—Madame de Sévigné cherche à savoir de qui Bussy a reçu ses informations et ce que son cousin sait des propos qui ont été débités sur elle.—Bussy, dans sa réponse, se tient sur la réserve.—Ses réticences nous réduisent à des conjectures.—Motifs de croire que madame de Montmorency était celle qui instruisit Bussy des bruits qui couraient sur sa cousine.
La correspondance de Bussy avec sa cousine ne pouvait avoir sur lui une influence aussi salutaire que celle qu'il entretenait avec madame de Scudéry et avec Corbinelli. Madame de Sévigné n'avait ni la ferveur religieuse de l'une ni le calme philosophique de l'autre. Plus que jamais livrée au monde par goût comme par devoir, elle n'était pas insensible aux succès qu'elle y obtenait. Elle se plaisait à la lecture des traités moraux de Nicole, à écouter un beau sermon; elle remplissait exactement ses devoirs de religion; mais l'amour de sa fille était devenu chez elle une passion dominante et tenait dans son cœur plus de place que l'amour de Dieu. C'est ce qu'elle déplore elle-même amèrement et avec cette naturelle éloquence qui ne la quittait jamais. Le désir de contribuer à l'élévation de ses enfants la rendait attentive à toutes les intrigues de cour. Ambitieuse non pour elle, mais pour sa famille et ses amis, elle irritait dans Bussy les blessures faites à son amour-propre et à son ambition trompée. Sans cesse elle se lamentait sur l'oisiveté inglorieuse à laquelle il était condamné; elle louait avec effusion son esprit, ses talents militaires, dont elle entretenait peut-être une trop haute idée; et ainsi elle augmentait encore l'orgueil qui le dominait. Autant que lui, elle avait cette vanité nobiliaire qui aime à se prévaloir de l'antiquité et de l'illustration de sa race. Elle lui savait un gré infini de ses laborieuses recherches sur la généalogie et l'histoire des Rabutin, et elle lui transmettait pour ce travail tous ses titres et papiers de famille. Elle se faisait aider par son tuteur, l'abbé de Coulanges, et par le savant Bouchet. Elle témoigne, avec une grande naïveté, le plaisir qu'elle ressent lorsque son cousin lui annonce qu'il est parvenu à faire remonter à des temps plus reculés la longue suite de leurs communs aïeux. Elle se montre très-flattée qu'il ait eu la pensée de lui dédier ce grand et important ouvrage: la Généalogie des Rabutin388! Vivant dans un temps et au milieu d'une cour où les affaires de galanterie étaient aussi des affaires d'État, madame de Sévigné les racontait à son cousin avec cette vivacité d'imagination et cette liberté d'expression trop bien assorties au goût et aux inclinations de son correspondant, et par là elle nuisait aux pensées sérieuses et aux sages résolutions qui auraient dû l'occuper uniquement dans sa solitude. Il existait sans doute entre madame de Sévigné et Bussy de grandes différences sous le rapport de la vertu et des qualités de l'âme et du cœur; mais la tournure de leur esprit et les faiblesses qui leur étaient communes établissaient entre l'une et l'autre beaucoup de ressemblance. Aussi tous deux regrettaient que l'incident relatif au mariage de mademoiselle de Sévigné eût suspendu leur correspondance, Bussy beaucoup plus encore que madame de Sévigné; malgré l'humeur que lui donnaient les Grignan, il résolut de saisir le premier prétexte pour renouer son commerce avec elle.
Une occasion toute naturelle se présenta. Claude Frémyot, neveu de Bénigne Frémyot, dont nous avons parlé dans le premier chapitre de cet ouvrage, mourut sans enfant le 20 avril 1670389. Il ne laissa à sa femme que l'usufruit de ses biens; il en donna la plus grande partie à madame de Sévigné, sa cousine du côté maternel390, et il l'institua son légataire universel. Madame de Sévigné ne s'attendait nullement à ce don d'un parent pour lequel elle avait une véritable affection et qu'elle regretta vivement. Elle en écrivit à madame de Toulongeon, qui se trouvait au nombre des donataires du défunt. Bussy le sut, et s'empara de ce motif pour adresser à sa cousine quelques mots de félicitation sur l'héritage qu'elle venait de recevoir, qui se montait à plus de cent mille livres, monnaie de cette époque (deux cent mille francs de notre monnaie actuelle391).
Madame de Sévigné fit à Bussy la réponse la plus aimable; mais comme il ne lui avait point parlé de M. ni de madame de Grignan, madame de Sévigné, sans avoir l'air de s'apercevoir des mauvaises dispositions de son cousin envers eux, lui annonça que sa fille était enceinte, et que M. de Grignan se disposait à partir pour la Provence. Elle remercie ensuite Bussy d'avoir rouvert la porte à leur commerce, qui était, dit-elle, tout démanché; puis elle ajoute: «Il nous arrive toujours des incidents, mais le fond est bon; nous en rirons peut-être quelque jour.» Bussy lui répond «que, quoique M. de Frémyot ne lui ait rien laissé, il lui a aussi des obligations, puisqu'il lui a fourni l'occasion de renouer leur correspondance.» Vient ensuite une page employée à discourir sur lui-même, sur son exil, ses ennemis, ses malheurs et sa patience à les supporter; puis il termine encore de manière à montrer toute la rancune qu'il conserve contre M. de Grignan: «Vous avez deviné que je ne voulais pas vous parler de madame de Grignan, parce que je n'étais point content d'elle; et ma raison est que je n'ai jamais aimé les femmes qui aimaient si fort leurs maris; encore me mandez-vous une chose qui ne me raccommodera point avec elle, c'est sa grossesse. Il faut que ces choses-là me choquent étrangement pour altérer l'inclination naturelle que j'ai toujours eue pour mademoiselle de Sévigné392.»
Quelques lettres d'un style badin, mais amical, furent ensuite échangées entre le cousin et la cousine, et elles semblaient promettre pour leur liaison une atmosphère longtemps sereine; mais bientôt l'horizon s'obscurcit, et ce fut du côté de madame de Sévigné que souffla le vent qui ramena les brouillards. L'arrivée de Corbinelli à Paris avait donné occasion à madame de Sévigné de raconter à cet ami de Bussy, qui était aussi le sien, sa grande querelle avec ce dernier, la rupture qui en avait été la suite, leur raccommodement et la discussion épistolaire qui avait eu lieu entre eux pendant que Corbinelli était absent et voyageait dans le Midi. En cherchant à donner des preuves de tout ce qu'elle disait à Corbinelli, elle retrouva dans ses papiers des lettres de Bussy qui lui témoignaient sa reconnaissance du consentement qu'elle avait donné à ce qu'il fût avancé à son cousin l'argent qu'il avait demandé à l'époque de son départ pour l'armée en 1657393. Ces lettres, dont elle ne s'était pas ressouvenue lors de leur altercation, détruisaient le reproche qu'il lui avait fait de n'en avoir pas agi avec lui en bonne parente. Elle était alors peu satisfaite des lettres d'insouciant badinage qu'elle recevait de Bussy et de ce qu'il n'écrivait point à sa fille; mais elle n'osait pas l'attaquer sur ce sujet, parce qu'elle savait bien que tout le tort était du côté de M. de Grignan, et que Bussy avait dans cette occasion donné des preuves, qui lui avaient mal réussi, d'une grande déférence pour elle. Tourmentée cependant du besoin d'exhaler l'humeur qu'elle avait contre lui, elle profita de la découverte qu'elle venait de faire, et, sans provocation, sans motif apparent, elle lui écrivit une lettre où elle lui reprochait encore, sur un ton goguenard et le plus propre à le blesser, cette malheureuse satire de l'Histoire amoureuse des Gaules qui depuis longtemps avait été de sa part l'objet d'un pardon entier et sans réserve394. Corbinelli, qui se trouvait présent lorsque madame de Sévigné écrivit cette lettre, voulut s'opposer à ce qu'elle fût envoyée; mais ce fut en vain. Prévoyant l'effet qu'elle ferait sur Bussy, Corbinelli y ajouta un post-scriptum, dans lequel il faisait entrevoir la pensée qu'il les désapprouvait tous deux. «Vous êtes deux vrais Rabutin, dit-il, nés l'un pour l'autre: Dieu vous maintienne en parfaite intelligence!» Aussitôt que la lettre fut partie, madame de Sévigné se repentit de l'avoir écrite, et elle lui fit dire de ne point s'en fâcher395. La réponse de Bussy est parfaite, et prouve combien était puissant l'attachement qu'il avait pour sa cousine, puisqu'il fait taire, en sa faveur, cet esprit hautain et rancuneux qui formait le fond de son caractère. Il explique avec beaucoup de sagacité ce qui se passait dans l'âme de madame de Sévigné quand elle se résolut à lui écrire ainsi; il en appelle à sa conscience, il excuse son tort, il refuse de profiter des avantages que lui donne sur elle l'humeur dont elle le rend victime; mais il la prie de lui dire combien ces recommencements doivent durer, afin qu'il s'y prépare; enfin, il proteste que, malgré le grief de sa cousine envers lui, il ne garde rien contre elle sur le cœur et qu'il ne l'aime pas moins qu'il ne faisait avant396. Pour lui prouver encore plus le désir qu'il avait de lui complaire, il lui fait des compliments sur sa fille; mais il profite de la réponse qu'il avait à faire à Corbinelli pour mettre dans le post-scriptum une partie du venin qu'il n'avait pas osé insérer dans le corps de la lettre; et il engage son ami à ne pas trop compter sur les bienveillants sentiments que madame de Sévigné lui témoigne. «Quoique vous n'ayez pas comme moi, dit-il, le péché originel à son égard, défiez-vous de l'avenir: Toute femme varie, comme disait François Ier.» Encore un sarcasme contre le sexe: quand on est mécontent d'une femme, on dit volontiers du mal de toutes.
Madame de Sévigné reconnut ses torts, et se hâta de répondre à son cousin, près duquel Corbinelli se trouvait alors397. «Il est vrai, dit-elle, que j'étais de méchante humeur d'avoir retrouvé dans mes paperasses ces lettres que je vous dis. Je n'eus pas la docilité de démonter mon esprit pour vous écrire; je trempai ma plume dans mon fiel, et cela composa une sotte lettre amère, dont je vous fais mille excuses. Adieu, comte; point de rancunes, ne nous tracassons plus… J'ai un peu tort, mais qui n'en a point dans ce monde? Je suis bien aise que vous reveniez pour ma fille. Demandez à M. de Corbinelli combien elle est jolie. Montrez-lui ma lettre, afin qu'il voie que, si je fais les maux, je fais les médecines.»
Bussy se montre non-seulement satisfait, mais enchanté de cette nouvelle lettre de madame de Sévigné398, puisqu'il lui déclare qu'il lui permet de l'offenser encore, pourvu qu'elle lui promette une pareille satisfaction. Pourtant elle ne put s'empêcher de mêler aux paroles douces qu'elle lui adressait alors une allusion au grand méfait qu'elle avait à lui reprocher; et elle continua, dans presque toutes les lettres qu'elle lui écrivait, à ramener toujours ainsi le souvenir fâcheux du passé, même lorsqu'elle était le plus satisfaite du présent. Elle paraît éprouver un malin plaisir à lui prouver que si, en raison de ses bons procédés, de ses louanges et de sa tendresse, sa grâce est descendue sur lui, elle n'est pas encore assez efficace pour le laver de ce qu'il appelait lui-même le péché originel. Bussy envoya à sa cousine le commencement de son travail sur la généalogie des Rabutin399, avec l'épître dédicatoire, à elle adressée, qui devait la précéder. Madame de Sévigné, flattée des éloges qui lui sont donnés dans cette épître, répond: «La lettre que vous me faites l'honneur de m'écrire, pour me dédier notre généalogie, est trop aimable et trop obligeante; il faudrait être parfaite, c'est-à-dire n'avoir point d'amour-propre, pour n'être pas sensible à des louanges si bien assaisonnées; elles sont même choisies et tournées d'une manière que, si l'on n'y prenait garde, on se laisserait aller à la douceur de croire en mériter une partie, quelque imagination qu'il y ait. Vous devriez, mon cher cousin, avoir toujours été dans cet aveuglement, puisque je vous ai toujours aimé et que je n'ai jamais mérité votre haine… N'en parlons plus.»
Malgré cette promesse tant de fois renouvelée de garder à l'avenir le silence sur le fatal libelle, elle recommença de nouveau à en parler, et toujours au sujet de cette généalogie des Rabutin. «Voilà, dit-elle, mon cousin, tout ce que l'abbé de Coulanges sait de notre maison, dont vous avez dessein de faire une petite histoire… Je voudrais que vous n'eussiez jamais fait que celle-là400…» Et, plus loin encore, elle lui reproche de «n'avoir pas fait de son nom (de Rabutin) tout ce qui était en son pouvoir…» Cette fois Bussy perdit patience; déjà, dans la réponse à la première lettre qui lui avait causé une si vive satisfaction, il avait mis en garde sa cousine contre le mauvais effet que produisaient sur lui les malignes insinuations qu'elle s'était permises, même dans cette lettre; et il terminait ainsi sa réponse401: «Adieu, ma belle cousine; ne nous tracassons plus. Quoique vous m'assuriez que nos liens s'allongent de notre race, et qu'ils ne se rompent point, ne vous y fiez pas trop: il arrive en une heure ce qui n'arrive pas en cent. Pour moi, j'aime la douceur; je suis, comme le frère d'Arnolphe, tout sucre et tout miel402.»
Aussi madame de Sévigné, craignant l'effet des provocations qu'elle s'était permises dans cette dernière lettre, a-t-elle grand soin de dire à Bussy en finissant: «Je vous souhaite la continuation de votre philosophie, et à moi celle de votre amitié; elle ne saurait périr, quoique nous puissions faire; elle est d'une bonne trempe, et le fond en tient à nos os.» Mais Bussy répondit sur le ton le plus sévère et de manière à convaincre sa cousine combien ces attaques répétées pouvaient nuire à cette amitié dont elle lui donnait l'assurance et dont pourtant elle méconnaissait les droits. Après lui avoir prouvé que sa dernière réflexion, lors même qu'elle serait juste, est peu généreuse quand elle s'applique à un homme que l'adversité poursuit, il ajoute: «Je remarque que vous avez, à point nommé, quand vous m'écrivez, des occasions de picoteries, dont je me passerais fort bien. Regardez s'il vous serait agréable que je vous redisse souvent que, si vous aviez voulu, on n'aurait pas dit de vous et du surintendant les sottises qui s'en dirent après qu'il fut arrêté. Je ne les ai jamais crues; mais aussi je ne vous ai pas donné le chagrin de les entendre. Je vous prie donc, ma cousine, d'avoir les mêmes égards pour moi que j'ai pour vous; car, quoique je ne puisse jamais m'empêcher de vous aimer, je n'aimerais pas que toute notre vie se passât en reproches et en éclaircissements: c'est tout ce que nous pourrions faire s'il y avait de l'amour sur jeu.»
Madame de Sévigné comprit toute la portée de ce langage. Souvent Bussy s'était prévalu de la vive expression de son amitié pour lui, et il l'avait interprétée (non peut-être sans quelque raison) comme un indice d'un sentiment plus tendre. Elle avait toujours cherché à lui ôter cette croyance, et désormais elle était intéressée à ne plus s'attirer de nouveaux reproches de Bussy, en se donnant le tort de ranimer toujours leurs anciennes querelles, puisque, selon lui, c'était donner à penser qu'il y avait de sa part «de l'amour sur jeu.» Elle s'abstint donc de toute récrimination. Mais elle-même témoigne que c'était avec peine qu'elle renonçait à la satisfaction qu'elle éprouvait de lui infliger de temps en temps quelques petites corrections, pour punition de ses fautes passées. Elle trouvait que cela rendait leur correspondance plus piquante et plus animée. «Mon Dieu, dit-elle403, mon cousin, que votre lettre est raisonnable, et que je suis impertinente de vous attaquer toujours! Vous me faites voir si clairement que j'ai tort que je n'ai pas le mot à dire; mais je suis tellement résolue de m'en corriger que, quand nos lettres devraient être aussi froides qu'elles sont vives, il est certain que je ne vous donnerai jamais sujet de m'écrire sur ce ton-là. Au milieu de mon repentir, à l'heure que je vous parle, il vient encore des aigreurs au bout de ma plume; ce sont des tentations du diable, que je renvoie d'où elles viennent.» Et en effet, dans cette lettre même où elle demande excuse pour être revenue sur le passé, elle en parle de nouveau, et fait ressouvenir Bussy que, si elle a eu tort envers lui, les torts qu'il a eus à son égard sont bien plus grands. «Nous voilà donc raccommodés. Vous seriez bien heureux si nous étions quittes; mais, bon Dieu! que je vous en dois encore de reste que je ne vous payerai jamais404!» Puis elle demande, en finissant, la permission de faire à son cousin quelques petites querelles d'Allemand, mais sur d'autres sujets. «Ce qui me plaît dans tout ceci, ajoute-t-elle, c'est que nous éprouvons la bonté de nos cœurs, qui est inépuisable.»
Dans les lettres auxquelles cette discussion a donné lieu, nous devons remarquer certains passages qui font allusion à des propos qu'on aurait tenus sur madame de Sévigné et dont il sera important, pour l'intelligence de sa correspondance, de deviner la nature et les motifs. Madame de Sévigné tâche, dans la première, de réparer un peu la dureté de ses reproches en terminant par une phrase plus amicale405, et elle dit: «Adieu, comte; écrivons-nous, et prenons courage contre nos ennemis. Pensez-vous que je n'en aie pas, moi qui vous parle?»—A ceci Bussy répond406: «Je ne doute pas que vous n'ayez des ennemis; je le sais par d'autres que par vous; mais, quoi qu'on m'ait mandé, je ne crois pas votre conduite si dégingandée qu'on dit, et je ne condamne pas les gens sans les entendre.»
Ce passage de la lettre de Bussy intrigua beaucoup madame de Sévigné; il lui prouvait que ce qu'elle croyait être ignoré de son cousin lui était connu et que, par les altercations qui avaient eu lieu entre elle et lui et par son alliance et son intimité avec M. de Grignan, elle avait perdu une partie de la confiance que Bussy avait en elle et l'ascendant dû au tendre et fort attachement qu'elle lui avait inspiré. Au lieu de mettre le même empressement à l'instruire de tout ce qui la concernait, Bussy lui taisait donc ce que ses correspondances lui apprenaient de désavantageux sur son compte. Soit qu'elle ait oublié ce qu'elle avait écrit à Bussy, soit qu'elle ait voulu plaider le faux pour savoir le vrai, elle feignit d'ignorer ce qu'il voulait dire, et nia qu'elle pût avoir des ennemis ou avoir été l'objet d'aucun mauvais propos; puis, par le souvenir, agréable pour elle et pour son cousin, des temps de leur jeunesse, elle tâcha de ranimer la chaleur de ses anciens sentiments, dans l'espoir de lui arracher son secret407.
«Vous me donnez un trait en me disant que j'ai des ennemis et qu'on vous a mandé que ma conduite était dégingandée. Vous feignez qu'on vous l'a écrit; je parie que cela n'est pas vrai. Hélas! mon cousin, je n'ai point d'ennemis; ma vie est tout unie, ma conduite n'est pas dégingandée (puisque dégingandée il y a). Il n'est point question de moi: j'ai une bonne réputation; mes amis m'aiment, les autres ne songent pas que je suis au monde; je ne suis ni jeune ni jolie; on ne m'envie point. Je suis quasi grand'mère, c'est un état où l'on n'est guère l'objet de la médisance; quand on a été jusque-là sans se décrier, on se peut vanter d'avoir achevé sa carrière.—M. de Corbinelli vous dira comme je suis, et, malgré mes cheveux blancs408, il vous redonnera peut-être du goût pour moi. Il m'aime de tout son cœur; et je vous jure aussi que je n'aime personne plus que lui. Son esprit, son cœur, ses sentiments me plaisent au dernier point. C'est un bien que je vous dois; sans vous je ne l'aurais jamais vu.»
Bussy était trop rusé pour se laisser prendre au piége, quoique l'amorce eût été habilement préparée. Il répondit de manière à prouver à sa cousine qu'il était parfaitement bien informé, et se garda de faire connaître de quelle part venaient ses informations409.
«… Aussi bien me mandez-vous que vous m'en devez encore de reste. Hâtez-vous donc de me payer, afin que nous soyons bientôt quittes. Je meurs d'impatience d'être assuré que je n'essuierai jamais de mauvaise humeur de vous. Je ne vous ai point menti quand je vous ai dit que vous aviez des ennemis; premièrement, vous me l'avez écrit dans votre Épître chagrine410; mais on me l'a mandé d'ailleurs. Quoique votre modestie vous fasse dire que vous n'êtes ni jeune ni belle, et quoique vous ne puissiez vous sauver par là si vous donniez lieu de parler, ce n'est pas sur cela qu'on a parlé de vous. Mais que je suis ridicule de vouloir vous apprendre ce qu'assurément vous savez avant moi! On ne manque pas de gens, dans le pays où vous êtes, qui avertissent les amis des calomnies aussi bien que des vérités qu'on dit d'eux. Je ne vous en dirai donc pas davantage, sinon qu'à quelques petits reproches près dont vous m'avez fatigué, je vous trouve une dame sans reproche, et que j'ai la meilleure opinion du monde de vous.»
Bussy en avait dit assez pour être compris de madame de Sévigné; mais ses réticences nous réduisent à ne pouvoir former que des conjectures sur les médisances et les calomnies auxquelles il fait allusion. Nous aurons par la suite occasion de faire connaître ce qui sur ce point nous paraît être la supposition la plus probable. Nous nous contenterons de dire ici que nous croyons que madame de Montmorency était celle qui avait fait connaître à Bussy ce qu'on disait dans le monde sur sa cousine. De toutes les personnes qui correspondaient alors avec Bussy, madame de Montmorency est celle qui se montre la plus exacte et la plus empressée à lui transmettre les nouvelles de ce genre.