Kitabı oku: «Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 3», sayfa 8
Madame de Sévigné comprit tout l'avantage que lui donnait sur Bussy le repentir qu'il avait de lui avoir causé de la peine, et dans sa courte réponse elle n'argumente plus; il lui suffit d'insister sur ce qu'elle désire. Après avoir reporté la pensée de son cousin sur l'époque assez rapprochée où ils s'étaient vus, sans qu'il lui fût possible de réparer les graves torts qu'il avait eus envers elle; sur l'époque, plus prochaine encore, où ils se verront sans qu'il ait fait ce qu'elle lui demande, et lorsqu'il ne sera plus temps, elle termine en lui insinuant avec adresse que, si elle n'a pas toujours eu pour lui toute l'affection à laquelle elle était portée de cœur, c'est lui seul qui en est cause; mais que, dans aucun temps, elle n'a eu pour lui de l'indifférence.
«Si je suis jamais assez heureuse pour vous voir, et que vous soyez d'assez bonne humeur pour vous laisser battre, je vous ferai rendre votre épée aussi franchement que vous l'avez fait rendre autrefois à d'autres… Je finis cette guerre jusqu'à ce que nous soyons en présence; cependant souvenez-vous que je vous ai toujours aimé naturellement, et que je ne vous ai jamais haï que par accident344.»
Bussy ne put résister à des allusions si flatteuses pour sa vanité, à la douce expression d'un sentiment si tendre et si constant; il céda, et répondit345:
«Il n'est pas nécessaire que nous soyons en présence, ma chère cousine, pour que je vous rende les armes; je vous enverrai de cinquante lieues mon épée, et l'amitié me fera faire ce que la crainte fait faire aux autres; mais vous étendez un peu vos priviléges, et vous avez raison, à mon avis, de la même chose où tout le monde aurait tort. Comptez-moi cela, il en vaut bien la peine; et vous pouvez juger par vous-même si c'est un petit sacrifice que celui de son opinion. Nous en dirons sur cela quelque jour davantage; cependant croyez bien que je vous aime et que je vous estime plus que tout ce que je connais de femmes au monde.»
Ainsi le fier Bussy écrivit le premier au comte de Grignan pour le complimenter sur son mariage, de manière à satisfaire celle qui exigeait de lui cette démarche, et par la seule espérance «qu'elle lui tiendrait compte de cela.» Avec le caractère de Bussy, c'était là une victoire que madame de Sévigné seule pouvait remporter.
CHAPITRE X.
1669-1671
Bussy, mécontent de M. de Grignan, suspend son commerce de lettres avec madame de Sévigné.—Il embellit ses deux châteaux.—Augmente sa collection de portraits.—Sa famille et ses amis auraient pu faire son bonheur.—Détails sur sa femme, ses deux fils et ses trois filles.—De la correspondance de Bussy avec la comtesse de la Roche-Milet.—Bussy est considéré dans sa province.—Société qui fréquentait son château pendant la saison des eaux de Sainte-Reine.—Détails sur la manière dont Bussy réglait sa journée.—Il ne peut se consoler de son exil, ni oublier madame de Monglat.—Il écrit ses Mémoires.—Le duc de Saint-Aignan avait aussi composé des Mémoires, qui sont perdus.—Ceux de Bussy ont été imprimés en partie.—Défauts de cet ouvrage.—Bussy les avait composés pour les montrer au roi.—On essaye en vain d'apaiser l'animosité de Bussy envers madame de Monglat.—Cette dame avait conservé tous ses amis.—Madame de Sévigné se trouve avec elle à une représentation de la pièce d'Andromaque de Racine.—Ce que Bussy dit, à ce sujet, de sa cousine.—Madame de Scudéry exhorte Bussy à se réfugier dans le sein de la religion.—Elle forme le projet de quitter le monde.—Ce qu'elle dit de l'amitié.—Abjurations de Turenne et Pellisson.—Conversion du marquis de Tréville.—Bussy indévot, mais non incrédule.—Ce que lui écrivent, au sujet de la religion, madame Corbinelli, religieuse à Châtillon, et mademoiselle Dupré.—Réponses que leur fait Bussy.—Belle lettre de Pellisson.—Bussy rapporte sur Pellisson un bon mot de madame de Sévigné.
Bussy ne reçut aucune réponse de M. de Grignan, ou celle qu'il reçut ne le satisfit point: mécontent et blessé d'avoir été entraîné par sa cousine dans une démarche qui avait tant coûté à son orgueil, il suspendit sa correspondance avec elle. Bussy avait plus d'un moyen de combler le vide que l'interruption de cette correspondance faisait dans son existence. S'il avait su régler son esprit et son cœur, aucun élément de bonheur ne lui aurait manqué. Il avait deux châteaux dans une des plus belles et des plus riantes provinces de France. Il les occupait alternativement, se plaisait à les embellir et surtout à accroître sa collection de portraits. Il nous apprend dans une de ses lettres que le nombre de ces portraits, en l'année 1670, se montait à trois cents346. Les plus grandes notabilités de cette époque, surtout les femmes, étaient flattées d'avoir une place dans cette galerie des personnages célèbres de l'Histoire de France. Le 2 novembre 1670, il écrivait à une de ses correspondantes à Paris: «Je ne demandai pas deux fois leurs portraits à MADAME (Henriette d'Angleterre, duchesse d'Orléans) et à MADEMOISELLE. Elles me firent bien de l'honneur en me les accordant, mais elles témoignèrent que je leur faisais plaisir de les leur demander.» Bussy aurait pu trouver dans sa famille une source de consolations et de jouissances. Sa femme347, bonne, douce, vertueuse, allait souvent à Paris, de son consentement, soit pour y faire ses couches, soit par la nécessité de leurs communs intérêts; elle y résidait le moins qu'elle pouvait, et retournait avec empressement auprès de lui toutes les fois qu'il la rappelait. Elle déférait à toutes ses volontés et ne le gênait en rien dans ses habitudes de galanteries348, et elle lui était fort utile par sa capacité pour les affaires. De ses deux fils, l'aîné fut élevé sous ses yeux en Bourgogne, et mis ensuite dans un collége, où madame de Sévigné l'allait voir349. Il devint un brave militaire, qui n'eut pas les brillantes qualités de son père, mais qui n'en eut pas les défauts et ne fit pas les mêmes fautes. Le second, qui naquit à l'époque dont nous traitons, fut par la suite évêque de Luçon, et s'attira, par les grâces de son esprit et les agréments de son commerce, les éloges de Voltaire et de Gresset: comme son père, il reçut aussi les honneurs du fauteuil académique350. Quant à ses trois filles, l'une, Diane-Charlotte, se fit religieuse, et demeura d'abord à Paris au couvent des Filles de Sainte-Marie et ensuite à Saumur, où elle fut nommée supérieure. Madame de Sévigné nous la fait connaître par ses lettres comme réunissant la politesse, l'élégance et les agréments du monde aux principes du christianisme le plus austère351. Les deux autres filles de Bussy ne quittèrent point leur père, et faisaient, par leur esprit, leurs talents et leur enjouement, le charme de la société qu'il réunissait dans ses châteaux. L'aînée des deux, Louise-Françoise, s'est rendue célèbre, comme marquise de Coligny, par ses amours et son scandaleux procès avec de la Rivière, son second mari, dont elle ne porta jamais le nom352. La seconde, Marie-Thérèse, épousa par la suite le marquis de Montataire, père du marquis de Lassay, qui a laissé de si singuliers Mémoires. Marie-Thérèse était la filleule de madame de Sévigné353; on la nommait, quoique demoiselle, madame de Remiremont, parce qu'elle était chanoinesse du chapitre de ce nom354. Nous la voyons prendre cette qualification dans un madrigal de sa composition, réuni à d'autres composés par son père au nom de son fils encore enfant, de son autre fille, de la comtesse de Bussy, sa femme, et du comte de Toulongeon, son beau-frère, et de la femme de celui-ci. Toutes ces personnes se trouvaient réunies à Chazeu dans les premiers jours de janvier 1669; elles écrivirent en commun à la comtesse de la Roche-Milet, avec laquelle Bussy était lié. La lettre collective transmettait en étrennes des madrigaux et un nombre de bourses égal à celui des madrigaux; elle annonçait, en même temps, la résolution de toutes les personnes qui l'avaient écrite d'aller à la Roche-Milet célébrer chez la comtesse la fête des Rois, à moins qu'elle n'aimât mieux se rendre ce jour-là à Chazeu355.
Bussy faisait fréquemment des excursions qui mettaient de la variété dans son existence et attiraient dans ses deux résidences une société nombreuse et brillante. Il était l'homme le plus considérable et le plus considéré dans sa province. Ceux qui auraient pu avoir des prétentions à passer avant lui étaient auprès du roi, dans leurs gouvernements ou à l'armée, et ne résidaient que passagèrement dans leurs terres. L'exil et la disgrâce servaient encore à rehausser la considération qu'on avait pour Bussy. Tous les gentilshommes qui n'avaient ni charges ni emplois, qui vivaient de leurs revenus, entourés de leurs vassaux et de leur dépendance, n'allaient point à la cour, et n'en attendaient aucun bienfait. Ils étaient loin d'être bien disposés pour le gouvernement, qui usurpait tous les jours sur leurs priviléges ou en prévenait les abus. Ils se sentaient donc naturellement du penchant pour Bussy, qui frondait le gouvernement et les ministres avec beaucoup d'esprit et une connaissance de la cour et des affaires que personne n'était tenté de lui contester. Cette prééminence de Bussy sur presque tous ceux qui allaient le voir ou qu'il recevait chez lui augmentait encore son orgueil naturel. Les fréquentes visites de ses parents, de ses amis, de ses connaissances en faveur auprès du roi ou revêtus de hautes dignités ajoutaient encore à son importance, et faisaient voir en lui un homme puissant dans l'exil, auquel ses envieux et ses persécuteurs n'avaient pu enlever toute son influence. A cette époque il n'en était pas comme à la fin du règne de Louis XIV, lorsque le long et paisible exercice du despotisme eut assoupli tous les caractères au même degré de servilité. Dans ce temps si voisin de celui de la Fronde, on s'étudiait à conserver les dehors d'indépendance et de fierté. Les plus obséquieux des courtisans auraient été déshonorés s'ils avaient répudié leurs anciens amis parce qu'ils étaient tombés en disgrâce. Aussi, bien loin d'être privé de société, Bussy, au contraire, se plaignait que le voisinage de son château près de Sainte-Reine lui amenait, dans la saison des eaux minérales, un nombre trop considérable d'ennuyeux visiteurs. Mais ce voisinage lui procurait aussi des hôtes agréables, qui ne seraient pas venus le voir si le besoin de leur santé ne les avait pas forcés de faire ce voyage tous les ans. A toutes les visites il préférait celles des jolies femmes de la cour qui allaient prendre les eaux de Sainte-Reine uniquement pour se rafraîchir; et il avait coutume de dire qu'il ne les trouvait pas moins aimables pour avoir le sang échauffé356.
Cependant il savait s'occuper; et lui-même, dans une lettre à madame de Scudéry, qui l'avait interrogé à ce sujet, donne les détails suivants sur la manière dont il réglait son temps357; cette lettre est datée du 10 décembre 1670:
«Vous saurez, madame, que je me lève assez matin; que j'écris aussitôt que je suis habillé, soit pour mes affaires domestiques, soit pour mes affaires de la cour et de Paris, soit pour autre chose… Après cela je me promène, je vais d'atelier en atelier, car j'ai des peintres et des maçons, des menuisiers et des manœuvres; et puis je dîne à midi. Je mange fort brusquement; votre amie madame de M*** [Monglat] vous pourra dire qu'elle m'appelait quelquefois un brutal de table: je ne sais pas si elle n'eût point souhaité que je l'eusse été encore davantage ailleurs. Après dîner, je tiens cercle avec ma famille, avec qui je me divertis mieux qu'en mille visites de Paris. Quelque temps après, je retourne à mes ouvriers. La journée se passe ainsi à tracasser. Ensuite je soupe comme j'ai dîné, je joue, et je me retire à dix heures. Voilà ce que je fais quand je ne fais point de visite et que je n'en reçois point. Ces visites sont mêlées, comme à Paris, de sottes gens, de gens d'esprit, comme il faut que soit le monde. Enfin, madame, j'ai deux aussi agréables maisons qui soient en France, lesquelles j'ajuste encore tous les jours. Je tâche à raccommoder mes affaires domestiques, que le service du roi avait mises en fort mauvais état. Je suis considéré dans mon pays, où quelque mérite, joint à de grands malheurs, m'attire l'attention de tout le monde.... Cela console un peu les misérables: cependant je fais des pas pour mon retour, sans empressement, comme je vous l'ai déjà mandé; s'ils réussissent, j'en serai bien aise; sinon, je n'en serai pas fâché… Quand je retournerai, je n'aurai jamais tant de repos que j'en goûte.»
Précédemment, il avait écrit à madame de Montmorency358: «Quelque impatience que j'aie de vous voir, madame, je tâche de ne me point ennuyer. Je m'amuse à bâtir; à faire des garçons, comme vous voyez; à haïr mon infidèle; à vous aimer et à vous l'écrire; à me faire une santé que je n'ai jamais eue dans le tumulte de la cour et de la guerre. Enfin, j'ai mille petits plaisirs sans peine, et je n'ai eu là que de grandes peines sans plaisirs; car l'ambition, et surtout l'ambition malheureuse, ne laisse à l'âme aucun autre sentiment.»
Qui ne croirait, d'après cette sage réflexion et les dispositions manifestées dans ses lettres, que Bussy ne fût uniquement occupé à tirer parti pour son bonheur de la position que le sort lui avait faite? Cependant il n'en était rien. Ses lettres mêmes, et les plans de campagne qu'il faisait parvenir au roi, et les instances à ses parents, à ses amis, pour qu'ils sollicitassent son retour, tout nous démontre que Bussy était sans cesse tourmenté du désir de rentrer dans cette carrière tumultueuse où, pour récompense de ses labeurs, il n'avait rencontré que la perte de son repos, de sa santé et d'une partie de sa fortune. L'âge et l'absence ne l'avaient pas encore consolé d'avoir été abandonné par une maîtresse chérie; de sorte que l'ambition et l'amour, refoulés dans son âme sans pouvoir se produire au dehors, ne lui inspiraient ni pensées élevées ni sentiments tendres, et ne le rendaient accessible qu'à la haine et à l'envie, passions tristes et malheureuses, qu'irritait encore son incorrigible orgueil.
Pour caresser celui-ci et se procurer quelque soulagement, il s'occupait à écrire ses Mémoires. Mais, au lieu de porter dans ce travail cette liberté d'esprit que produit le désabusement de toutes les choses de la vie et du monde, qui donne à une telle œuvre l'intérêt et l'importance d'une confession générale faite en vue et au profit de la postérité, il voulait s'en servir comme d'un moyen propre à le faire rappeler de son exil359. Il savait que son ami le duc de Saint-Aignan avait aussi écrit des Mémoires qu'il avait l'intention de montrer au roi. Bussy espérait que Louis XIV aurait le désir de lire les siens, et qu'ainsi il pourrait par là rentrer en grâce auprès de lui360. Les Mémoires du duc de Saint-Aignan, de ce courtisan si dévoué et si bien initié aux secrets les plus intimes de la vie intérieure de son maître, n'ont jamais été imprimés. Ceux de Bussy l'ont été en partie après la mort de l'auteur, par les soins de sa fille, la marquise de Coligny, et par ceux du P. Bouhours. Ils sont bien tels qu'on devait s'y attendre d'après la connaissance que l'on a des motifs qui les avaient fait entreprendre: œuvre incohérente et incomplète, pleine d'indiscrétions et de réticences, sans impartialité et sans abandon. La malignité de l'écrivain envers les autres, sa complaisance pour lui-même déprécient, sans qu'il s'en aperçoive, le mérite de ses actions et les bonnes qualités de son esprit. Sa vanité le portait à croire que tout ce qui le concernait pourrait intéresser les lecteurs; et il met autant d'importance à faire connaître ses prouesses galantes qu'à retracer ses plus beaux faits d'armes. C'est pourquoi l'occupation qu'il s'était donnée d'écrire ses Mémoires le ramenait vers le souvenir de madame de Monglat. Il en était sans cesse assiégé. Dans sa correspondance, le nom de cette dame se retrouve continuellement sous sa plume avec les plus amères expressions de haine et de mépris361. Pour mieux infamer l'infidèle en vers et en prose, il souhaitait pouvoir apprendre plusieurs langues, afin d'être compris par un plus grand nombre de personnes362. Il ne pouvait supporter l'idée qu'elle eût, par sa bonté, par son amabilité et une conduite plus régulière, conservé l'amitié de toutes les femmes avec lesquelles elle s'était liée. Lorsqu'on lui écrivit que madame de Sévigné avait été avec madame de Monglat à une représentation d'Andromaque, il répondit: qu'il fallait que la réputation de vertu de sa cousine fût bien établie pour oser se montrer dans des lieux publics en telle compagnie363. Plus on exhortait Bussy à s'exprimer avec égards et douceur sur une femme partout accueillie avec empressement364, plus il mettait de virulence dans ses injures, plus il multipliait, sous toutes les formes, les satires, les épigrammes et les sarcasmes. Il trouvait, dans sa correspondance avec les femmes qui étaient liées avec madame de Monglat, des occasions de satisfaire sa vengeance en cherchant à diminuer l'estime et l'amitié qu'on avait pour elle. Mais il n'y a pas de plus mauvais conseils que ceux qu'inspire la haine. En cherchant à nuire à madame de Monglat il se faisait à lui-même un tort irrémédiable. On plaignait celle qui avait eu le malheur d'aimer un homme de ce caractère, et on ne la blâmait pas de s'être guérie d'un tel amour. D'ailleurs, on s'apercevait bien que le dépit de n'être plus aimé était la seule cause de la colère de Bussy et de son indifférence affectée. Si d'une part il manifestait le désir qu'il avait de la voir abandonnée par tout le monde, de l'autre, il était bien aise qu'on lui en parlât et qu'on l'instruisît de tout ce qui la concernait. Il ne voulait point se rendre aux exhortations qu'on lui faisait de l'oublier. Il reprochait à celles qui la fréquentaient de garder à son égard un silence affecté365. Pour faire cesser ce silence, il donnait lui-même, à ce sujet, matière à de nouvelles réprimandes, et même il consentait à ce qu'on dît du bien d'elle plutôt que de ne pas en parler du tout366. Madame de Scudéry particulièrement le suppliait de ne plus l'entretenir de madame de Monglat, puisqu'il ne pouvait le faire sans la blesser elle-même: non qu'elle se méprît sur la nature des sentiments de Bussy et qu'elle prît au sérieux toutes ses injures; mais par toutes sortes de motifs elles lui déplaisaient, et elle voulait les faire cesser. «J'ai bien ouï dire, lui écrivait-elle, que vous autres messieurs habillez quelquefois l'amitié avec tous les atours de la haine; mais, à vous parler franchement, la mascarade est un peu fâcheuse367.» Bussy aimait mieux encore avouer que madame de Monglat ne lui était pas indifférente que de s'abstenir de verser à son sujet le fiel de sa plume. «Vous croyez, disait-il à madame de Scudéry, que j'aime fort la dame dont je ne saurais me taire; j'y consens, pourvu que j'en parle: je ne me soucie guère de ce qu'on en pensera, mais j'en parlerai et en prose et en vers368.»
Cependant les personnes avec lesquelles Bussy correspondait alors le plus habituellement cherchaient à le purger de ses mauvaises passions. Le bon Corbinelli lui prêtait les secours d'une philosophie aimable, peu austère et parfaitement appropriée à sa situation. Il résumait tous les conseils qu'il lui donnait en vers admirables ou en prose éloquente, dont, à la vérité, il n'était pas redevable à son génie, mais à sa mémoire369. Jamais il n'y en eut de plus richement meublée, de plus prompte et de plus complaisante. Tous les auteurs qu'il avait lus, anciens et modernes, sérieux ou frivoles, semblaient n'avoir pensé et écrit que pour donner plus de force et d'autorité à ce qu'il pensait et écrivait lui-même, que pour mieux faire ressortir les sages maximes et les règles de conduite qu'il cherchait à inculquer et dont, par la pratique, il avait reconnu l'excellence370. Ami sûr, d'un dévouement sans bornes, d'une obligeance infatigable, il inspirait à tous autant d'affection que d'estime; sa conversation, toujours variée, instructive et amusante, plaisait aux hommes comme aux femmes, aux vieillards comme aux jeunes gens, aux personnes sérieuses ou mélancoliques comme à celles qui étaient vives et enjouées. A l'époque dont nous traitons, son exil avait cessé. Après un long voyage fait dans le midi de la France, il était revenu à Paris; et presque tous les jours il allait chez madame de Sévigné, la plus intime et la plus chérie de toutes ses amies371. Il se disposait alors à partir pour la Bourgogne, pour voir une de ses sœurs, religieuse à Châtillon.
Si la sagesse mondaine avait auprès de Bussy un excellent avocat dans Corbinelli, la religion avait aussi dans le P. Cosme, général des feuillants372, un interprète zélé que Bussy paraissait écouter avec déférence; mais la correspondance qu'il entretenait avec ce religieux se ralentit beaucoup lorsque ce dernier eut cessé d'être le confesseur de madame de Monglat373.
Madame de Scudéry, que nous avons déjà fait connaître à nos lecteurs374, était pour Bussy un prédicateur plus persuasif; elle aimait son esprit, sa brusque franchise, sa constance et sa loyauté en amitié; elle n'était point rebutée par les défauts de son caractère, qu'elle savait lui faire apercevoir et qu'elle aurait voulu réformer. Bussy avait en elle la plus entière confiance. Par sa discrétion dans les affaires les plus délicates, par son incomparable activité quand il fallait rendre un service, par son bon sens, sa piété, son esprit, sa modestie et son savoir, madame de Scudéry avait acquis une influence au-dessus de sa position. C'était, à cette époque, une sorte de mode de se faire admettre à ses cercles, peu nombreux, mais remarquables par le choix des personnages375. Elle ne s'enorgueillissait pas de ses succès en ce genre, elle en connaissait la cause, et elle se prêtait plutôt qu'elle ne se livrait à la société qui l'entourait. Elle savait qu'elle ne lui paraissait si aimable que parce qu'elle avait su s'y rendre utile.
«J'ai beaucoup d'apparence d'amis et d'amies, écrivait-elle à Bussy; car, en vérité, monsieur, l'on n'en a guère. Mais n'importe, j'ai l'âme douce; j'aime tout de l'amitié, jusqu'à l'apparence; et je dirais volontiers, sur ce sujet, ce qui est dans Astrée sur un autre:
Privé de mon vrai bien, ce faux bien me soulage.
Cependant je vous avoue que cela est incommode de faire toujours le change des Indiens avec ses amis; de leur donner de bon or, et de ne recevoir que du verre376.»
Fortement dominée alors par ses idées religieuses, elle avait le projet de se retirer du monde, afin, disait-elle, de n'avoir plus autre chose à penser qu'à bien mourir377. De tous les amis et de tous les parents que Bussy avait à la cour, le duc de Saint-Aignan était celui qui s'occupait le plus à le faire rentrer en grâce auprès du roi; mais le duc de Saint-Aignan était trop occupé pour correspondre avec Bussy aussi souvent que celui-ci l'eût désiré. Madame de Scudéry, amie de tous deux, y suppléait. Le zèle qu'elle montrait en toute occasion pour les intérêts de Bussy lui avait acquis une sorte d'empire sur son esprit. Elle voulait en profiter pour le ramener par la religion à une conduite plus régulière, à des sentiments plus purs. Les exhortations pieuses qu'elle lui adressait partaient du cœur et étaient imprégnées de la chaleur d'une profonde conviction378. L'abjuration récente de Turenne et celle de Pellisson et surtout la conversion du marquis de Tréville379 étaient de nature à faire impression sur Bussy, et ajoutaient aux paroles de madame de Scudéry l'autorité des grands exemples. Mais lui, malgré ses cinquante-deux ans, ne se sentait nullement disposé à réformer sa vie; pourtant il repousse avec force le reproche qu'elle lui fait d'être plus philosophe que chrétien; et comme, en même temps, elle lui avait proposé, pour l'éclairer, de lui envoyer le livre des Pensées de Pascal380, que Port-Royal avait récemment publié et qui faisait alors une grande sensation381, il lui répond: «Ne vous alarmez point de ma foi; elle est bonne, et je suis chrétien encore plus que philosophe. Il est vrai que, sur certaines actions, je ne suis pas aussi régulier qu'un missionnaire, au moins en apparence; car pour le fond je crois l'avoir meilleur que ces gens-là… J'ai Pascal céans, et je l'ai lu avec admiration; mais, comme vous savez, on n'imite pas toujours tout ce qu'on admire382.»
Madame de Scudéry, peu satisfaite de cette réponse, revient encore sur le même sujet dans la lettre que nous avons déjà citée383.
«Quoique vous me vouliez rassurer sur votre foi, monsieur, je vous dirai que vous n'y réussissez pas tout à fait. Cependant, si vous vouliez devenir bon chrétien, ce serait une chose admirable. Après tout, monsieur, l'éternité est longue et la vie est courte. Il y a si peu de plaisirs véritables dans le monde que cela ne vaut pas la peine de se damner. Mais Pascal dit tout cela bien mieux que moi; puis il faut que Dieu vous le dise, car nos discours n'opèrent rien sans lui; et dans la vérité je sais, par expérience, qu'il n'y a que les prières qui attirent la miséricorde de Dieu. Je vous exhorte, comme mon bon ami, à qui je souhaite toute sorte de bien, de le prier le plus que vous pourrez. On ne devinerait jamais que vous eussiez un commerce de lettres avec une amie qui vous écrivît ainsi. Pour moi, je hais le monde, et je veux m'en retirer.»
Soit que les pieux conseils de madame de Scudéry eussent fait impression sur Bussy, soit qu'elle l'eût mal jugé, il est certain que, dans sa correspondance avec d'autres femmes, s'il paraît indévot, il ne se montre point incrédule, et qu'il accueille avec l'apparence de la foi toutes les ouvertures qui lui sont faites au sujet de la religion.
Corbinelli en voyage écrivit, à cette époque, à sa sœur, religieuse à Châtillon, pour obtenir des nouvelles de la santé de Bussy, dont il était inquiet; celle-ci charge un M. Rémond d'aller s'en informer, et, pour qu'il puisse s'acquitter de sa commission, elle lui remet pour Bussy une lettre d'introduction, qu'elle termine par ces mots384: «Si l'assurance de mes prières était un régal pour vous, je vous dirais que je ne passe pas un jour sans demander à Dieu qu'il vous fasse aussi saint par sa grâce qu'il vous a fait honnête homme selon le monde.»
A ceci Bussy répond385:
«Je ne sais quelle idée vous vous êtes faite de moi, mais je vous assure que vos prières pour mon salut me sont très-agréables; et je les crois très-utiles, car je suis persuadé que vous êtes aussi aimable devant Dieu que devant les hommes.»
La réponse qu'il fit à mademoiselle Dupré, qui lui envoyait copie de la lettre que Pellisson écrivit au roi lors de son abjuration386, est encore plus significative. Bussy rapporte un bon mot de sa cousine, dont il avait gardé la mémoire depuis bien des années387:
«La lettre de Pellisson est belle; rien ne m'affermit davantage dans ma religion que de voir un bon esprit comme le sien l'étudier longtemps, et l'embrasser à la fin. Madame de Sévigné disait de lui, à quelqu'un qui exagérait ses bonnes qualités, sa droiture, sa grandeur d'âme, sa politesse: «Eh bien! dit-elle, pour moi, je ne connais que sa laideur; qu'on me le dédouble donc.» Il serait encore meilleur à dédoubler aujourd'hui, que la foi a éclairé son âme des lumières de la vérité.»