Kitabı oku: «Mémoires touchant la vie et les ecrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 4», sayfa 5
Il paraît que c'est à madame Scarron, dont elle avait été une des protectrices, que la duchesse de Richelieu dut d'avoir été nommée dame d'honneur; c'est du moins ce que croyait madame de Sévigné, qui ajoute: «Si cela est ainsi, madame Scarron est digne d'envie; et sa joie est la plus solide qu'on puisse avoir en ce monde268.» Réflexion juste: la plus grande jouissance serait de faire du bien à ceux qui nous en ont fait, si l'on n'en goûtait pas une plus parfaite encore en faisant du bien à ceux qui nous ont fait du mal.
Ce passage de la lettre de madame de Sévigné est le premier indice du crédit que madame Scarron obtenait à la cour, où cependant elle ne paraissait pas publiquement. Elle avait acquis un grand ascendant sur madame de Montespan, avec laquelle elle s'était liée depuis longtemps. Son esprit, sa prudence, sa discrétion, sa haute raison, son dévouement, et même le redoublement de piété qu'on remarquait en elle depuis quelque temps269, contribuaient à accroître l'estime et l'amitié de madame de Montespan, et affermissaient la confiance qu'elle avait en elle. Malgré le désordre où elle vivait, madame de Montespan, élevée par une mère pieuse, avait, aussi bien que le roi, une foi sincère dans la religion. Selon l'esprit de ce temps, elle croyait atténuer ses torts envers Dieu en se soumettant aux pratiques et aux privations ordonnées par l'Église. Madame de Caylus affirme que madame de Montespan jeûnait austèrement tous les carêmes270.
Avec l'ardeur et les lumières d'une nouvelle convertie, madame Scarron comprit tout ce que sa vertu lui donnait d'ascendant sur des consciences qui avaient besoin d'être rassurées, sur des âmes qui ne pouvaient se purifier que par le sacrifice de leurs honteuses passions. Les humbles fonctions d'institutrice mettaient au nombre de ses devoirs de chercher à ramener à l'obéissance des lois de l'Église et aux principes de la morale le père et la mère des enfants de race royale271 à l'éducation desquels, avec une tendresse toute maternelle, elle sacrifiait ses plus belles années.
A cette époque, madame de Montespan avait déjà eu deux enfants du roi272, et cependant sa liaison avec lui semblait encore voilée par la présence de la Vallière. Celle-ci paraissait être la seule maîtresse déclarée. Le roi l'avait titrée273, ses enfants avaient été reconnus et légitimés; ceux de madame de Montespan ne paraissaient pas; leur existence était encore un secret. Dans ses chasses à Fontainebleau ou à Saint-Germain en Laye, lorsque Louis XIV montait en voiture, accompagné de ses deux maîtresses, la place d'honneur était réservée à la Vallière274; de sorte que, depuis qu'elle avait été enlevée du couvent de Chaillot275, on doutait si la tendresse que le monarque avait conservée pour elle ne l'emporterait pas sur sa nouvelle passion. Mais la fierté de Montespan s'irritait de cet humiliant partage, et se vengeait, dans l'intimité, de la contrainte qu'elle éprouvait en public. La Vallière supportait les capricieuses hauteurs et les insultants sarcasmes d'une rivale sans pitié, dans l'espérance que sa soumission, ses humbles complaisances et le spectacle de sa douleur toucheraient un cœur qu'elle était habituée à posséder tout entier, auquel elle se sacrifiait et voulait jusqu'à la fin se sacrifier276.
Au milieu de ce conflit de rivalités, apparaissait de temps à autre celle qui s'était chargée d'élever pour Dieu et pour le roi les innocents fruits d'un coupable amour. Lorsque madame Scarron allait voir la favorite, par son esprit, son enjouement, elle faisait sur elle diversion aux tristesses et aux ennuis de la cour. Belle et gracieuse, la modeste gouvernante ne semblait vouloir plaire que pour apaiser les orages du cœur et calmer les troubles de l'âme. Son maintien, cet air de satisfaction intérieure, témoignages d'une conscience pure et d'une vie bien réglée, donnaient à toutes ses paroles, à ses conseils salutaires, à ses pieuses réflexions une puissance presque irrésistible. Le roi était contrarié et jaloux des longs entretiens de madame de Montespan avec madame Scarron; il voulut y mettre obstacle, ce qui accrut encore chez la favorite le désir de jouir de la société de madame Scarron277. On sut bientôt l'étroite intimité qui existait entre elles deux. Les personnes qui ne voulaient pas ou ne pouvaient pas s'approcher de madame de Montespan recherchèrent madame Scarron. Elle qui, de son propre aveu, était dévorée du désir de s'attirer des louanges et avide de considération et d'estime278, se répandit dans le monde, et fréquenta les personnes les plus estimées, les plus considérées, les plus capables d'apprécier sa vertu et ses qualités personnelles. C'est alors que madame de Sévigné se lia plus particulièrement avec elle; c'est aussi par les lettres de madame de Sévigné que nous pouvons suivre les premiers progrès de l'élévation de cette femme, qui se doutait peu qu'elle deviendrait la compagne d'un roi qui lui adressait si rarement quelques brèves paroles. Mais cependant madame Scarron pouvait déjà prévoir que les enfants que, d'après le désir de madame de Montespan, le roi lui avait confiés, mais dont elle n'avait voulu se charger que par son ordre, seraient un jour pour elle un moyen d'influence279.
Dans les lettres de madame de Sévigné, nous apprenons que madame Scarron allait souvent chez madame de Coulanges, avec Segrais, Barillon, l'abbé Testu, Guilleragues, les comtes de Brancas et de Caderousse, et madame de la Fayette. Dans ces réunions, l'éloge de madame de Grignan, lorsque sa mère était présente, trouvait souvent sa place280.
Madame Scarron, pendant quelque temps, soupa presque tous les jours chez madame de Sévigné. «C'est un plaisir, dit celle-ci, de l'entendre raisonner sur les horribles agitations d'un certain pays qu'elle connaît bien; sur les tristes ennuis des dames de Saint-Germain, dont la plus enviée de toutes (madame de Montespan) n'est pas toujours exempte281.» Jamais madame Scarron, quand elle était avec madame de Sévigné, ne laissait échapper l'occasion de louer madame de Grignan282, et de répéter tout ce que madame de Richelieu, la maréchale d'Albret et les autres personnes de la cour avaient dit de flatteur sur le lieutenant général gouverneur de Provence, et sur sa belle épouse. Madame Scarron faisait jouer la petite Blanche lorsqu'elle la rencontrait chez madame de Sévigné, et poussait la complaisance jusqu'à la trouver jolie283.
Mais bientôt arrive le moment où les enfants que madame Scarron élève dans le plus profond mystère quittent le sein des nourrices, et éprouvent ces alternatives de santé qui menacent sans cesse l'existence du premier âge. Madame Scarron n'hésite pas; elle a compris son rôle et les sacrifices pénibles qu'il exige d'elle. On ne la voit plus ni à l'hôtel d'Albret, ni à l'hôtel de Richelieu, ni chez madame de Coulanges, ni chez madame de Sévigné284. Elle est dans Paris, et on l'ignore. Le petit nombre de personnes avec lesquelles elle communique par lettres ne répondent à aucune des questions qu'une légitime curiosité suggère à tous ceux qui la connaissent; elle ne sort que rarement de la retraite qu'elle s'est choisie, et seulement pour de pieux devoirs. Hors de chez elle, elle n'ôte jamais son masque. Les enfants dont elle a soin sont souvent conduits au château, et reçoivent les caresses paternelles. Un jour elle les amena, les fit entrer avec une nourrice dans la chambre où étaient le roi et madame de Montespan, et elle resta dans l'antichambre. Le roi trouva plaisant de demander à cette nourrice de qui étaient ces enfants, et si l'on connaissait leur père. La nourrice répondit qu'elle présumait que la dame sa maîtresse en était la mère: ses soins assidus, ses agitations et sa douleur, lorsqu'ils étaient malades, l'indiquent assez; mais quant au père, elle l'ignore: elle pense que ce sont les enfants naturels de quelque duc ou de quelque président au parlement285.
Ce propos fit rire le roi et madame de Montespan; mais le roi admira une si généreuse affection, un cœur capable d'un si fort attachement, un secret si bien gardé, tant de constance et de prudence. Cette femme qu'il n'aimait pas, qui fut la protégée de Fouquet, qui porte le nom odieux de l'auteur de la Mazarinade; cette femme qui lui déplaît encore comme une précieuse bel esprit, comme une prude dévote286, il ne peut s'empêcher de lui accorder son estime; et Louis XIV était un de ces hommes chez lesquels l'estime triomphe de toutes les répulsions. Lorsqu'il fut revenu de la campagne de Hollande, non-seulement il ne mit plus aucun obstacle aux entretiens de madame Scarron avec madame de Montespan, mais il aimait à la rencontrer chez elle, parce que, par sa douce gaieté et son esprit, elle faisait distraction aux langueurs qui souvent attiédissent les tête-à-tête de l'amour satisfait. Son âge, un peu au-dessus de celui du roi, et sa dévotion ôtaient alors toute idée de jalousie à madame de Montespan; et peut-être fut-elle la dernière à s'apercevoir qu'alors le roi, lorsqu'il la venait voir, «souffrait impatiemment l'absence de cette gouvernante de ses enfants, qu'il trouvait aimable et de bonne compagnie.» Aussi, lorsque peu après on lui présenta l'état des pensions, et qu'il remarqua le nom de la veuve Scarron porté pour une somme de 2,000 francs, d'après une concession que les importunités des personnes les plus recommandables de la cour avaient eu tant de peine à lui arracher, il raya ce chiffre trop modique, et y substitua, de sa main, celui de 6,000 francs287. Il eut même plus d'une fois occasion de causer avec elle, et, revenu de ses préventions, il finit par désirer sa société288. Il pourvut aux dépenses nécessaires pour qu'elle eût un plus grand nombre de domestiques, un carrosse et un train conforme à celui de gouvernante des enfants d'un roi. C'est en cet état que madame de Sévigné nous la dépeint, lorsque, dans sa lettre du 4 décembre 1673, elle écrit à sa fille: «Nous soupâmes encore hier, avec madame Scarron et l'abbé Têtu, chez madame de Coulanges: nous causâmes fort; vous n'êtes jamais oubliée. Nous trouvâmes plaisant d'aller ramener madame Scarron, à minuit, au fond du faubourg Saint-Germain, fort au delà de madame de la Fayette, quasi auprès de Vaugirard, dans la campagne; une belle et grande maison, où l'on n'entre point; il y a un grand jardin, de beaux et grands appartements: elle a un carrosse, des gens et des chevaux; elle est habillée modestement et magnifiquement, comme une femme qui passe sa vie avec des personnes de qualité; elle est aimable, belle, bonne, et négligée; on cause fort bien avec elle. Nous revînmes gaiement à la faveur des lanternes, et dans la sûreté des voleurs289.»
Louis XIV, en voyant plus souvent les enfants qu'il avait confiés à madame Scarron, conçut pour eux une vive tendresse, et il voulut les avoir près de lui. Ce fut ainsi qu'à la grande satisfaction de madame de Montespan madame Scarron fut appelée à la cour pour y demeurer près d'elle, et, par elle, introduite dans la société intime du roi.
CHAPITRE IV.
1671-1677
Madame de Sévigné s'inquiète sur son fils.—Elle ne fréquentait que des sociétés de cour.—Son fils recherchait des sociétés de ville, indépendantes de la cour.—Détails sur madame Dufresnoy et sur Louvois.—Réflexions sur ce qui procure le plus de jouissances dans les réunions et dans les fêtes.—Des femmes que Sévigné voyait.—Détails sur chacune d'elles.—Détails sur mademoiselle Raymond, sur les dames de Salins, de Montsoreau, de la Sablière et sur Ninon de Lenclos.—Sévigné devient amoureux d'elle, et lui sacrifie la Champmeslé.—Ninon n'est point satisfaite du baron de Sévigné, et lui donne son congé comme amant; mais elle le garde comme ami.—Madame de Sévigné emmène son fils en Bretagne.—Il retourne à Paris.—Il s'y serait dérangé de nouveau; mais la campagne contre la Hollande va s'ouvrir, et Sévigné part pour l'armée.
Madame de Grignan et les affaires qui la concernaient, les états de Provence et ceux de Bretagne, n'étaient pas alors ce qui occupait le plus les pensées de madame de Sévigné. Son fils avait tout ce qui rend aimable, tout ce qui peut mériter l'estime: une figure agréable, une gaieté charmante, un bon cœur, de l'esprit et de l'instruction; mais, depuis son retour de Candie, son penchant pour les femmes, son oubli de tout devoir religieux290 inquiétaient sa mère: non qu'il fût né avec des passions très-vives; mais le pouvoir de l'exemple, la facilité de son caractère lui avaient inspiré un goût prononcé pour les plaisirs. Il était parvenu à un âge où le fils le plus respectueux et le plus reconnaissant éprouve le besoin de s'affranchir de la tutelle d'une mère. Madame de Sévigné comprit cela; et, pour conserver sur son fils un peu de l'ascendant qu'elle avait eu jusqu'alors, elle changea de rôle. Au lieu d'une mère, Sévigné trouva en elle une sœur, une confidente; au lieu de lui montrer un visage sévère, elle parut se plaire avec lui plus qu'elle n'avait fait jusqu'alors; au lieu de lui adresser des réprimandes, elle lui donna des conseils. Ce fut ainsi qu'elle obtint toute sa confiance, et qu'il s'accoutuma à lui tout dire. Sans doute elle eut à supporter d'étranges confidences, de nature à lui donner des scrupules, et à lui faire douter si elle ne poussait pas trop loin la condescendance maternelle. Mais cette violence qu'elle se fit lui réussit; elle parvint à accroître encore l'amour et la vénération que son fils avait pour elle. Ce sentiment devint un heureux contre-poids à d'autres sentiments moins purs. Elle ne put, il est vrai, garantir Sévigné de dangereuses séductions; mais elle parvint du moins à les rendre passagères, à empêcher qu'elles n'eussent des résultats désastreux pour sa santé et sa fortune.
Sévigné, avant le départ de sa mère pour les Rochers, avait quitté son régiment à Nancy, parce qu'une dame291, qui lui plaisait, n'était plus dans cette ville. Il se rendit à Saint-Germain en Laye, où était la cour, revint ensuite à Paris, prit pour maîtresse une jeune et célèbre actrice; et, ce qui effraya le plus madame de Sévigné, il se laissa séduire par Ninon de Lenclos. Ce fut pour le soustraire à l'influence de cette enchanteresse que madame de Sévigné, comme nous l'avons dit, entraîna son fils aux Rochers, lors de la tenue des états de Bretagne; mais, comme il n'avait pas encore atteint l'âge où il devait en faire partie, les visites à faire292, les grands repas, les assemblées lui firent regretter Paris et les liaisons qu'il y avait formées293. Il quitta donc sa mère avant la fin des états. «Mon fils partit hier, écrit madame de Sévigné à sa fille. Il n'y a rien de bon, ni de droit, ni de noble que je ne tâche de lui inspirer ni de lui confirmer: il entre avec douceur et approbation dans tout ce qu'on lui dit; mais vous connaissez la faiblesse humaine. Ainsi je mets tout entre les mains de la Providence, et me réserve seulement de n'avoir rien à me reprocher sur son sujet294.»
Ce n'est pas que le baron de Sévigné ne vît, du reste, aussi bonne société que celle que fréquentait sa mère; mais cette société était différente. Toutes les personnes que voyait madame de Sévigné, tant ses anciennes que ses nouvelles connaissances, tenaient plus ou moins à la cour. La gloire du monarque, qui rejaillissait sur cette cour, et l'ambition du grand nombre de ceux qui aspiraient à s'élever jusqu'à elle par les hauts grades ou les honneurs, en avaient fait un monde à part, et absolvaient tacitement, dans l'opinion publique, les travers et même les vices de ceux qui en faisaient partie.
Le duc de la Rochefoucauld ne paraissait plus à cette cour, à cause de son âge et de ses infirmités: cependant, par son fils le prince de Marsillac, favori du roi, il y tenait encore, et la société qui se réunissait chez lui était une société de cour. Comme lui et madame de la Fayette, son amie, s'étaient fait un nom dans les lettres, beaucoup d'auteurs avaient cherché à se faire admettre dans leur cercle; et Molière n'osait pas hasarder une de ses grandes pièces sur le théâtre sans en avoir fait une lecture à l'hôtel de Liancourt, sans s'être concilié l'approbation de ce petit aréopage littéraire295.
Ainsi, madame de Sévigné ne s'écartait pas de la société de la cour lorsqu'elle allait si souvent au faubourg. Tous ceux qu'elle avait connus dans sa jeunesse, et qui avaient fait partie de la Fronde, les Condé, les Conti et tous leurs adhérents, étaient, comme les la Rochefoucauld, comblés de faveurs par Louis XIV. C'était donc exclusivement dans cette haute région du grand monde que madame de Sévigné pouvait faire de nouvelles liaisons. Elle n'avait pas la liberté de les choisir: par intérêt pour sa famille, comme par égard pour ses amis, elle était obligée de ne pas repousser les personnes de la cour qui la recherchaient, lors même que, par la faveur du monarque ou de ses ministres, elles étaient peu dignes du rang où on les avait placées.
Quoique madame de Sévigné eût autrefois rencontré madame Scarron chez Fouquet, et plus tard chez madame de Richelieu et chez la maréchale d'Albret, elle ne l'avait pas admise au nombre de celles dont elle devait rechercher l'amitié: ce ne fut que lorsque madame de Montespan eut, par son intimité, attiré sur madame Scarron l'attention de toute la cour que madame de Sévigné296 s'aperçut combien cette veuve du poëte burlesque était aimable et spirituelle. Madame Scarron297, madame Dufresnoy même furent alors fréquemment invitées à souper chez madame de Sévigné. Il y avait cependant une grande différence entre madame Scarron et madame Dufresnoy: celle-ci, belle et de peu d'esprit, femme d'un commis de la guerre, était fille d'un apothicaire et maîtresse de Louvois. Pour elle il avait eu le crédit de faire créer une charge nouvelle, celle de dame du lit de la reine298. Louis XIV croyait devoir tolérer dans ses ministres les faiblesses dont il n'était pas lui-même exempt. Louvois déployait alors de grands talents administratifs et une activité infatigable. Louis XIV avait besoin de lui pour l'organisation des armées destinées à conquérir la Hollande. Tous ceux qui pouvaient espérer quelque chose de Louvois (et le nombre en était grand) se montraient donc empressés de plaire à madame Dufresnoy299. Madame de Sévigné avait plusieurs raisons pour la bien accueillir. Madame de Coulanges, son amie et sa parente, était la cousine de Louvois; et c'est à ce titre qu'elle était comprise dans toutes les invitations de la cour. Or, une femme dont madame de Coulanges faisait sa compagnie habituelle ne pouvait être repoussée par madame de Sévigné. On doit remarquer qu'elle n'emploie contre madame Dufresnoy aucun de ces traits acérés qu'elle aime à lancer contre les femmes dont la conduite donnait prise à la censure; et celle-ci y prêtait plus qu'une autre par son impertinence et sa hauteur. En elle, madame de Sévigné trouve seulement à reprendre qu'on a grand tort de comparer sa beauté à l'incomparable beauté de madame de Grignan300.
On conçoit facilement, d'après ces détails, que madame de Sévigné ne pouvait pas trop reprocher à son fils la conduite au moins légère des femmes qu'il fréquentait et le peu d'empressement qu'il avait pour les sociétés et les amis de sa mère. Sans doute chez le roi, les princes et les princesses du sang, chez les grands dignitaires, les ministres et les personnages puissants, les réunions étaient nombreuses et brillantes, les repas somptueux, les divertissements fréquents; on y donnait des bals magnifiques, on y faisait jouer la comédie, on y entendait des concerts; il y avait profusion de parures, beaucoup de belles femmes, et même de personnes aimables et spirituelles. Mais l'ambition et l'intrigue n'étaient pas un seul instant bannies de ces réunions; l'intérêt personnel y était la pensée prédominante; et l'étiquette, cette ennemie de la gaieté, ne permettait à personne de déposer en entrant son rang dans la hiérarchie sociale, ni d'oublier celui des autres.
Ce n'était donc pas dans les sociétés de gens de cour qu'on pouvait rencontrer cette déférence mutuelle, cette affectueuse familiarité qui forment tout le charme des réunions. Ce charme disparaît pour faire place à des plaisirs où l'esprit et le cœur ne sont pour rien, quand on est convenu de s'assembler uniquement pour les délices des yeux ou des oreilles, ou pour les jouissances de la bouche. Avec de bons cuisiniers, on a des parasites assidus et des gourmets; mais on n'a pas de clients fidèles ni d'amis dévoués. Les mets les plus exquis, les vins les plus vantés ne font pas naître, parmi ceux qui s'asseyent à une même table, ce besoin réciproque d'intimité sans lequel il n'y a point de société. Ce n'est ni l'or, ni les diamants, ni les chefs-d'œuvre des modes, ni les danses les plus gracieuses, ni les sons les plus harmonieux qui plaisent le plus dans une fête: c'est l'aspect de ceux que nous connaissons et dont nous sommes connus, ou de ceux dont une renommée favorable nous a entretenus; de ceux qui réveillent en nous de touchants souvenirs, des pensées élevées, de solides attachements, de tendres sympathies, et dont la présence et l'entretien nous inspirent ce doux contentement, cette hilarité expansive qui nous font confondre tous nos sentiments dans la joie commune qui nous rassemble.
La société que fréquentait le baron de Sévigné était de cette sorte. C'était cette société parisienne qui s'était formée par les inspirations de l'hôtel de Rambouillet, et qui, sans s'en douter, mit sa gloire et son bonheur, pendant un siècle et demi, à obéir à l'impulsion qui lui avait été donnée. De cette société, où régnaient l'égalité, l'abandon, une douce et sage liberté, les gens de cour n'étaient point exclus. Ceux qui voulaient se délasser de la contrainte de Versailles ou de Saint-Germain en Laye la recherchaient; mais ils s'y trouvaient en petit nombre, et n'y étaient admis qu'en se soumettant à l'unique condition, subie par tous, de toujours se montrer sous des dehors aimables, et de s'efforcer de plaire. La primauté du cercle appartenait à quiconque y réussissait le mieux: beauté, grâce, politesse, talent, esprit, sentiments généreux, sincérité du cœur, élégance des manières et du langage, tout ce que les deux sexes peuvent rechercher l'un dans l'autre était mis en usage pour conquérir les suffrages, pour obtenir cette souveraineté du salon qu'on se disputait au grand contentement de tous.
L'amitié et tous les sentiments des cœurs généreux étaient restés en honneur dans les cercles de cette nouvelle société, comme à l'hôtel de Rambouillet. Le culte du beau sexe fut maintenu, mais non avec les mêmes dogmes. Les nouvelles Arthénices, jeunes, belles, spirituelles, qui aspiraient à se faire une cour nombreuse et assidue, ne pouvaient plus séduire qu'en se montrant elles-mêmes accessibles à la séduction. L'amour platonique avait perdu le pouvoir de dominer les imaginations et de faire naître les passions sans les satisfaire: on n'y avait plus foi. Pour remplir le vide que causait son absence, on le remplaça par un sentiment moins exalté, mais plus ardent. La poésie et la littérature y gagnèrent, mais non les mœurs. Les sociétés les plus aimables à cette époque se réunissaient chez des femmes connues par leurs intrigues galantes. Ce fut dans ces sociétés que chercha à se répandre le jeune baron de Sévigné: elles convenaient à son âge et à ses inclinations.
Lui-même, dans une lettre à sa sœur, nous désigne, par une seule phrase, les femmes qu'il fréquentait alors: «Je vous dirai que je sors d'une symphonie charmante, composée des deux Camus et d'Ytier… Mais savez-vous en quelle compagnie j'étais? C'était mademoiselle de Lenclos, madame de la Sablière, madame de Salins, mademoiselle de Fiennes, madame de Montsoreau; et le tout chez mademoiselle Raymond301.»
De toutes les femmes que nomme ici le baron de Sévigné, la plus humble par sa position dans le monde, c'était mademoiselle Raymond302; elle était pourtant la plus digne de considération et d'estime. Cette célèbre cantatrice, par sa beauté, sa belle voix, l'admirable talent qu'elle avait de s'accompagner du téorbe, avait fait naître bien des passions; mais sa piété l'avait garantie de toutes les séductions; elle comptait des amies parmi les femmes du plus haut rang. Madame de Sévigné avait pour cette musicienne une estime et une affection toute particulière: elle manque rarement de faire à sa fille mention des occasions qu'elle a eues de la voir303. C'est par les lettres de madame de Sévigné que nous savons que mademoiselle Raymond devint l'objet de l'admiration générale, lorsqu'en cessant l'exercice de sa profession, et presque retirée du monde, elle se fit la bienfaitrice du couvent de la Visitation du faubourg Saint-Germain, et fixa son séjour dans ce pieux asile304. On sait peu de chose sur la comtesse de Montsoreau305, qui montra de l'habileté à rétablir les affaires d'un mari incapable. Quant à mademoiselle de Fiennes, elle suivait l'exemple de sa mère, que ses intrigues amoureuses avaient fait chasser de la cour d'Anne d'Autriche306. Une union parfaite régnait entre la mère et la fille, alors courtisée par le cavalier le plus accompli de la cour, le beau jeune duc de Longueville, autrefois comte de Saint-Paul. Par la suite, mademoiselle de Fiennes fut rayée du nombre des filles d'honneur de la reine, pour s'être laissé enlever par le chevalier de Lorraine, dont elle eut un fils, qui fut élevé sous son nom307. Sa mère était loin de s'opposer à cette union. Madame de Fiennes exerçait une grande influence sur MONSIEUR, dont le chevalier de Lorraine était le favori. Spirituelle, caustique, arrogante, ambitieuse et avare, elle était liée avec madame de Sévigné, et assez souvent invitée par elle à ses dîners308.
Dans madame de Fiennes, madame de Sévigné ménageait une de ses anciennes amies du temps de la Fronde; et on comprend le plaisir qu'avait Sévigné de se trouver avec mademoiselle de Fiennes, si jolie, si aimable et d'une humeur si facile.
Il en était de même de madame de Salins, qui, comme belle-sœur de la comtesse de Brancas, devait aussi faire partie de la société de madame de Sévigné. Madame de Brancas avait été une des femmes les plus compromises par les papiers de Fouquet309; mais elle rentra en grâce auprès du roi, qui la voyait avec plaisir, et elle eut du crédit à la cour. L'on crut (et Louis XIV ne donnait que trop souvent prise à de tels soupçons) que la beauté de mademoiselle de Brancas, qui fut mariée au prince d'Harcourt, avait été la cause de ce retour de faveur310. Madame de Salins n'était pas plus scrupuleuse que madame de Brancas sur la fidélité conjugale; mais elle avait un mari moins distrait et moins facile à tromper. Cependant l'indiscrétion ou la maladresse d'un portier révéla le secret de ses amours, six semaines après que Sévigné l'eut rencontrée chez mademoiselle Raymond311.
C'est avec intention que Sévigné, dans cette liste des femmes que les jeunes gens du grand monde faisaient gloire de fréquenter, nomme en première ligne mademoiselle de Lenclos et madame de la Sablière. C'était en effet alors les deux femmes les plus célèbres de Paris, par les agréments de la société choisie qu'elles réunissaient chez elles. Comme à l'hôtel de Rambouillet, la poésie, les beaux-arts, les entretiens galants défrayaient en grande partie les plaisirs qu'on y goûtait. Cependant les progrès du cartésianisme, les discussions que la secte des jansénistes avait excitées, les nouvelles découvertes en physique, la création d'une académie des sciences introduisaient alors dans la société française le goût des connaissances positives. Les femmes les plus douées de capacité avaient suivi ce mouvement des esprits. Leur instinct de domination, le désir de plaire et de se faire admirer par l'autre sexe entraient sans doute pour beaucoup dans les efforts qu'elles faisaient pour s'arracher à la frivolité de leurs penchants. En leur présence, on se livrait moins à l'analyse subtile des mouvements du cœur, mais on les exprimait. On cherchait à plaire aux femmes non-seulement en les amusant, mais en les instruisant; on ne craignait pas de se livrer avec elles à des entretiens sérieux sur la nature, la religion, la philosophie.
Madame de la Sablière, riche, jeune et belle, se rendit surtout célèbre par ses étonnants progrès dans ces études ardues. Sauveur et Roberval lui avaient montré les mathématiques; pour elle Bernier avait composé l'abrégé des ouvrages de Gassendi. Elle donna asile à ce philosophe, ainsi qu'à la Fontaine et à d'Herbelot l'orientaliste. Mais l'amitié ne put seule satisfaire son cœur; elle éprouva toute la puissance de l'amour. La philosophie, qui, selon la nature des esprits, éteint ou fait briller à nos yeux les lumières de la religion, la rendit tout entière à celle-ci, et l'arracha à un monde dont elle faisait les délices312.
Il n'en fut pas de même de mademoiselle de Lenclos, qui garda jusqu'à la fin son épicurisme effronté, et resta fidèle au principe de sa philosophie toute profane. Celle qui disait «qu'elle rendait grâces à Dieu tous les soirs de son esprit, et le priait tous les matins de la préserver des sottises de son cœur,» ne pouvait trouver dans le pur sentiment d'amour un remède contre les aberrations des sens313. Jamais aussi elle ne se laissa dominer par eux dans le choix de ses relations, et elle fut toujours entourée d'un nombreux cortége d'amis. Quoique ne possédant qu'une fortune médiocre, mademoiselle de Lenclos réunissait dans sa maison de la rue des Tournelles314 (tout près de la rue où madame de Sévigné venait de se fixer) la société la plus nombreuse, la mieux choisie, la plus renommée par la politesse, les grâces, la réputation de savoir et d'esprit de ceux qui la composaient. On voit que mademoiselle de Lenclos avait quitté le faubourg Saint-Germain pour revenir au Marais, premier théâtre de ses succès315; et c'est là qu'elle devait finir ses jours. La Fare, que Chaulieu proclame «l'homme le plus aimable que les siècles aient pu former316;» la Fare, adonné au jeu, et que les cercles de madame de la Sablière devaient rendre difficile, déclarait que la maison de mademoiselle de Lenclos était la seule où il pouvait passer une journée entière sans jeu et sans ennui317; et Charleval, ce poëte aimable, pressé par les instances d'un ami, refusait d'aller jouir avec lui des plaisirs de la campagne, parce qu'il lui aurait fallu interrompre l'habitude qu'il avait prise de se rendre chaque jour, rue des Tournelles, chez mademoiselle de Lenclos; il disait: