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Kitabı oku: «De l'origine des espèces», sayfa 49

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J'estime que ces deux principes, c'est-à-dire que les variations légères n'apparaissent généralement pas à un âge très précoce, et qu'elles sont héréditaires à l'âge correspondant, expliquent les principaux faits embryologiques que nous venons d'indiquer. Toutefois, examinons d'abord certains cas analogues chez nos variétés domestiques. Quelques savants, qui se sont occupés particulièrement du chien, admettent que le lévrier ou le bouledogue, bien que si différents, sont réellement des variétés étroitement alliées, descendues de la même souche sauvage. J'étais donc curieux de voir quelles différences on peut observer chez leurs petits; des éleveurs me disaient qu'ils diffèrent autant que leurs parents, et, à en juger par le seul coup d'oeil, cela paraissait être vrai. Mais en mesurant les chiens adultes et les petits âgés de six jours je trouvai que ceux-ci sont loin d'avoir acquis toutes leurs différences proportionnelles. On m'avait dit aussi que les poulains du cheval de course et ceux du cheval de trait – races entièrement formées par la sélection sous l'influence de la domestication – diffèrent autant les uns des autres que les animaux adultes; mais j'ai pu constater par des mesures précises, prises sur des juments des deux races et sur leurs poulains âgés de trois jours, que ce n'est en aucune façon le cas.

Comme nous possédons la preuve certaine que les races de pigeons descendent d'une seule espèce sauvage, j'ai comparé les jeunes pigeons de diverses races douze heures après leur éclosion. J'ai mesuré avec soin les dimensions du bec et de son ouverture, la longueur des narines et des paupières, celle des pattes, et la grosseur des pieds, chez des individus de l'espèce sauvage, chez des grosses-gorges, des paons, des runts, des barbes, des dragons, des messagers et des culbutants. Quelques-uns de ces oiseaux, à l'état adulte, diffèrent par la longueur et la forme du bec, et par plusieurs autres caractères, à un point tel que, trouvés à l'état de nature, on les classerait sans aucun doute dans des genres distincts. Mais, bien qu'on puisse distinguer pour la plupart les pigeons nouvellement éclos de ces diverses races, si on les place les uns auprès des autres, ils présentent, sur les points précédemment indiqués, des différences proportionnelles incomparablement moindres que les oiseaux adultes. Quelques traits caractéristiques, tels que la largeur du bec, sont à peine saisissables chez les jeunes. Je n'ai constaté qu'une seule exception remarquable à cette règle, c'est que les jeunes culbutants à courte face diffèrent presque autant que les adultes des jeunes du biset sauvage et de ceux des autres races.

Les deux principes déjà mentionnés expliquent ces faits. Les amateurs choisissent leurs chiens, leurs chevaux, leurs pigeons reproducteurs, etc., lorsqu'ils ont déjà presque atteint l'âge adulte; peu leur importe que les qualités qu'ils désirent soient acquises plus tôt ou plus tard, pourvu que l'animal adulte les possède. Les exemples précédents, et surtout celui des pigeons, prouvent que les différences caractéristiques qui ont été accumulées par la sélection de l'homme et qui donnent aux races leur valeur, n'apparaissent pas généralement à une période précoce de la vie, et deviennent héréditaires à un âge correspondant et assez avancé. Mais l'exemple du culbutant courte face, qui possède déjà ses caractères propres à l'âge de douze heures, prouve que cette règle n'est pas universelle; chez lui, en effet, les différences caractéristiques ont, ou apparu plus tôt qu'à l'ordinaire, ou bien ces différences, au lieu d'être transmises héréditairement à l'âge correspondant, se sont transmises à un âge plus précoce.

Appliquons maintenant ces deux principes aux espèces à l'état de nature. Prenons un groupe d'oiseaux descendus de quelque forme ancienne, et que la sélection naturelle a modifiés en vue d'habitudes diverses. Les nombreuses et légères variations successives survenues chez les différentes espèces à un âge assez avancé se transmettent par hérédité à l'âge correspondant; les jeunes seront donc peu modifiés et se ressembleront davantage que ne le font les adultes, comme nous venons de l'observer chez les races de pigeons. On peut étendre cette manière de voir à des conformations très distinctes et à des classes entières. Les membres antérieurs, par exemple, qui ont autrefois servi de jambes à un ancêtre reculé, peuvent, à la suite d'un nombre infini de modifications, s'être adaptés à servir de mains chez un descendant, de nageoires chez un autre, d'ailes chez un troisième; mais, en vertu des deux principes précédents, les membres antérieurs n'auront pas subi beaucoup de modifications chez les embryons de ces diverses formes, bien que, dans chacune d'elles, le membre antérieur doive différer considérablement à l'âge adulte. Quelle que soit l'influence que l'usage ou le défaut d'usage puisse avoir pour modifier les membres ou les autres organes d'un animal, cette influence affecte surtout l'animal adulte, obligé de se servir de toutes ses facultés pour pourvoir à ses besoins; or, les modifications ainsi produites se transmettent aux descendants au même âge adulte correspondant. Les jeunes ne sont donc pas modifiés, ou ne le sont qu'à un faible degré, par les effets de l'usage ou du non-usage des parties.

Chez quelques animaux, les variations successives ont pu se produire à un âge très précoce, ou se transmettre par hérédité un peu plus tôt que l'époque à laquelle elles ont primitivement apparu. Dans les deux cas, comme nous l'avons vu pour le Culbutant courte-face, les embryons ou les jeunes ressemblent étroitement à la forme parente adulte. Telle est la loi du développement pour certains groupes entiers ou pour certains sous-groupes, tels que les céphalopodes, les coquillages terrestres, les crustacés d'eau douce, les araignées et quelques membres de la grande classe des insectes. Pourquoi, dans ces groupes, les jeunes ne subissent-ils aucune métamorphose? Cela doit résulter des raisons suivantes: d'abord, parce que les jeunes doivent de bonne heure suffire à leurs propres besoins, et ensuite, parce qu'ils suivent le même genre de vie que leurs parents; car, dans ce cas, leur existence dépend de ce qu'ils se modifient de la même manière que leurs parents. Quant au fait singulier qu'un grand nombre d'animaux terrestres et fluviatiles ne subissent aucune métamorphose, tandis que les représentants marins des mêmes groupes passent par des transformations diverses, Fritz Müller a émis l'idée que la marche des modifications lentes, nécessaires pour adapter un animal à vivre sur terre ou dans l'eau douce au lieu de vivre dans la mer, serait bien simplifiée s'il ne passait pas par l'état de larve; car il n'est pas probable que des places bien adaptées à l'état de larve et à l'état parfait, dans des conditions d'existence aussi nouvelles et aussi modifiées, dussent se trouver inoccupées ou mal occupées par d'autres organismes. Dans ce cas, la sélection naturelle favoriserait une acquisition graduelle de plus en plus précoce de la conformation adulte, et le résultat serait la disparition de toutes traces des métamorphoses antérieures.

Si, d'autre part, il était avantageux pour le jeune animal d'avoir des habitudes un peu différentes de celles de ses parents, et d'être, en conséquence, conformé un peu autrement, ou s'il était avantageux pour une larve, déjà différente de sa forme parente, de se modifier encore davantage, la sélection naturelle pourrait; en vertu du principe de l'hérédité à l'âge correspondant, rendre le jeune animal ou la larve de plus en plus différent de ses parents, et cela à un degré quelconque. Les larves pourraient encore présenter des différences en corrélation avec les diverses phases de leur développement, de sorte qu'elles finiraient par différer beaucoup dans leur premier état de ce qu'elles sont dans le second, comme cela est le cas chez un grand nombre d'animaux. L'adulte pourrait encore s'adapter à des situations et à des habitudes pour lesquelles les organes des sens ou de la locomotion deviendraient inutiles, auquel cas la métamorphose serait rétrograde.

Les remarques précédentes nous expliquent comment, par suite de changements de conformation chez les jeunes, en raison de changements dans les conditions d'existence, outre l'hérédité à un âge correspondant, les animaux peuvent arriver à traverser des phases de développement tout à fait distinctes de la condition primitive de leurs ancêtres adultes. La plupart de nos meilleurs naturalistes admettent aujourd'hui que les insectes ont acquis par adaptation les différentes phases de larve et de chrysalide qu'ils traversent, et que ces divers états ne leur ont pas été transmis héréditairement par un ancêtre reculé. L'exemple curieux du Sitaris, coléoptère qui traverse certaines phases extraordinaires de développement, nous aide à comprendre comment cela peut arriver. Selon M. Fabre, la première larve du sitaris est un insecte petit, actif, pourvu de six pattes, de deux longues antennes et de quatre yeux. Ces larves éclosent dans les nids d'abeilles, et quand, au printemps, les abeilles mâles sortent de leur trou, ce qu'elles font avant les femelles, ces petites larves s'attachent à elles, et se glissent ensuite sur les femelles pendant l'accouplement. Aussitôt que les femelles pondent leurs oeufs dans les cellules pourvues de miel préparées pour les recevoir, les larves de sitaris se jettent sur les oeufs et les dévorent. Ces larves subissent ensuite un changement complet; les yeux disparaissent, les pattes et les antennes deviennent rudimentaires; alors elles se nourrissent de miel. En cet état, elles ressemblent beaucoup aux larves ordinaires des insectes; puis, elles subissent ultérieurement une nouvelle transformation et apparaissent à l'état de coléoptère parfait. Or, qu'un insecte subissant des transformations semblables à celles du sitaris devienne la souche d'une nouvelle classe d'insectes, les phases du développement de cette nouvelle classe seraient très probablement différentes de celles de nos insectes actuels, et la première phase ne représenterait certainement pas l'état antérieur d'aucun insecte adulte.

Il est, d'autre part, très probable que, chez un grand nombre d'animaux, l'état embryonnaire ou l'état de larve nous représente, d'une manière plus ou moins complète, l'état adulte de l'ancêtre du groupe entier. Dans la grande classe des crustacés, des formes étonnamment distinctes les unes des autres telles que les parasites suceurs, les cirripèdes, les entomostracés, et même les malacostracés, apparaissent d'abord comme larves sous la forme de nauplies. Comme ces larves vivent en liberté en pleine mer, qu'elles ne sont pas adaptées à des conditions d'existence spéciales, et pour d'autres raisons encore indiquées par Fritz Müller, il est probable qu'il a existé autrefois, à une époque très reculée, quelque animal adulte indépendant, ressemblant au nauplie, qui a subséquemment produit, suivant plusieurs lignes généalogiques divergentes, les groupes considérables de crustacés que nous venons d'indiquer. Il est probable aussi, d'après ce que nous savons sur les embryons des mammifères, des oiseaux, des reptiles et des poissons, que ces animaux sont les descendants modifiés de quelque forme ancienne qui, à l'état adulte, était pourvue de branchies, d'une vessie natatoire, de quatre membres simples en forme de nageoires et d'une queue, le tout adapté à la vie aquatique.

Comme tous les êtres organisés éteints et récents qui ont vécu dans le temps et dans l'espace peuvent se grouper dans un petit nombre de grandes classes, et comme tous les êtres, dans chacune de ces classes, ont, d'après ma théorie, été reliés les uns aux autres par une série de fines gradations, la meilleure classification, la seule possible d'ailleurs, si nos collections étaient complètes, serait la classification généalogique; le lien caché que les naturalistes ont cherché sous le nom de système naturel, n'est, en un mot, autre chose que la descendance. Ces considérations nous permettent de comprendre comment il se fait que, pour la plupart des naturalistes, la conformation de l'embryon est encore plus importante que celle de l'adulte au point de vue de la classification. Lorsque deux ou plusieurs groupes d'animaux, quelque différentes que puissent être d'ailleurs leur conformation et leurs habitudes à l'état d'adulte, traversent des phases embryonnaires très semblables, nous pouvons être certains qu'ils descendent d'un ancêtre commun et qu'ils sont, par conséquent, unis étroitement les uns aux autres par un lien de parenté. La communauté de conformation embryonnaire révèle donc une communauté d'origine; mais la dissemblance du développement embryonnaire ne prouve pas le contraire, car il se peut que, chez un ou deux groupes, quelques phases du développement aient été supprimées ou aient subi, pour s'adapter à de nouvelles conditions d'existence, des modifications telles qu'elles ne sont plus reconnaissables. La conformation de la larve révèle souvent une communauté d'origine pour des groupes mêmes dont les formes adultes ont été modifiées à un degré extrême; ainsi, nous avons vu que les larves des cirripèdes nous révèlent immédiatement qu'ils appartiennent à la grande classe des crustacés, bien qu'à l'état adulte ils soient extérieurement analogues aux coquillages. Comme la conformation de l'embryon nous indique souvent d'une manière plus ou moins nette ce qu'a dû être la conformation de l'ancêtre très ancien et moins modifié du groupe, nous pouvons comprendre pourquoi les formes éteintes et remontant à un passé très reculé ressemblent si souvent, à l'état adulte, aux embryons des espèces actuelles de la même classe. Agassiz regarde comme universelle dans la nature cette loi dont la vérité sera, je l'espère, démontrée dans l'avenir. Cette loi ne peut toutefois être prouvée que dans le cas où l'ancien état de l'ancêtre du groupe n'a pas été totalement effacé, soit par des variations successives survenues pendant les premières phases de la croissance, soit par des variations devenues héréditaires chez les descendants à un âge plus précoce que celui de leur apparition première. Nous devons nous rappeler aussi que la loi peut être vraie, mais cependant n'être pas encore de longtemps, si elle l'est jamais, susceptible d'une démonstration complète, faute de documents géologiques remontant à une époque assez reculée. La loi ne se vérifiera pas dans les cas où une forme ancienne à l'état de larve s'est adaptée à quelque habitude spéciale, et a transmis ce même état au groupe entier de ses descendants; ces larves, en effet, ne peuvent ressembler à aucune forme plus ancienne à l'état adulte.

Les principaux faits de l'embryologie, qui ne le cèdent à aucun en importance, me semblent donc s'expliquer par le principe que des modifications survenues chez les nombreux descendants d'un ancêtre primitif n'ont pas surgi dès les premières phases de la vie de chacun d'eux, et que ces variations sont transmises par hérédité à un âge correspondant. L'embryologie acquiert un grand intérêt, si nous considérons l'embryon comme un portrait plus ou moins effacé de l'ancêtre commun, à l'état de larve ou à l'état adulte, de tous les membres d'une même grande classe.

ORGANES RUDIMENTAIRES, ATROPHIÉS ET AVORTÉS

On trouve très communément, très généralement même dans la nature, des parties ou des organes dans cet état singulier, portant l'empreinte d'une complète inutilité. Il serait difficile de nommer un animal supérieur chez lequel il n'existe pas quelque partie à l'état rudimentaire. Chez les mammifères par exemple, les mâles possèdent toujours des mamelles rudimentaires; chez les serpents, un des lobes des poumons est rudimentaire; chez les oiseaux, l'aile bâtarde n'est qu'un doigt rudimentaire, et chez quelques espèces, l'aile entière est si rudimentaire, qu'elle est inutile pour le vol. Quoi de plus curieux que la présence de dents chez les foetus de la baleine, qui, adultes, n'ont pas trace de ces organes; ou que la présence de dents, qui ne percent jamais la gencive, à la mâchoire supérieure du veau avant sa naissance?

Les organes rudimentaires racontent eux-mêmes, de diverses manières, leur origine et leur signification. Il y a des coléoptères appartenant à des espèces étroitement alliées ou, mieux encore, à la même espèce, qui ont, les uns des ailes parfaites et complètement développées, les autres de simples rudiments d'ailes très petits, fréquemment recouverts par des élytres soudées ensemble; dans ce cas, il n'y a pas à douter que ces rudiments représentent des ailes. Les organes rudimentaires conservent quelquefois leurs propriétés fonctionnelles; c'est ce qui arrive occasionnellement aux mamelles des mammifères mâles, qu'on a vues parfois se développer et sécréter du lait. De même, chez le genre Bos, il y a normalement quatre mamelons bien développés et deux rudimentaires; mais, chez nos vaches domestiques, ces derniers se développent quelquefois et donnent du lait. Chez les plantes, on rencontre chez des individus de la même espèce des pétales tantôt rudimentaires, tantôt bien développés. Kölreuter a observé, chez certaines plantes à sexes séparés, qu'en croisant une espèce dont les fleurs mâles possèdent un rudiment de pistil avec une espèce hermaphrodite ayant, bien entendu, un pistil bien développé, le rudiment de pistil prend un grand accroissement chez la postérité hybride; ce qui prouve que les pistils rudimentaires et les pistils parfaits ont exactement la même nature. Un animal peut posséder diverses parties dans un état parfait, et cependant on peut, dans un certain sens, les regarder comme rudimentaires, parce qu'elles sont inutiles. Ainsi, le têtard de la salamandre commune, comme le fait remarquer M. G. – H. Lewes, «a des branchies et passe sa vie dans l'eau; mais la Salamandra atra, qui vit sur les hauteurs dans les montagnes, fait ses petits tout formés. Cet animal ne vit jamais dans l'eau. Cependant, si on ouvre une femelle pleine, on y trouve des têtards pourvus de branchies admirablement ramifiées et qui, mis dans l'eau, nagent comme les têtards de la salamandre aquatique. Cette organisation aquatique n'a évidemment aucun rapport avec la vie future de l'animal; elle n'est pas davantage adaptée à ses conditions embryonnaires; elle se rattache donc uniquement à des adaptations ancestrales et répète une des phases du développement qu'ont parcouru les formes anciennes dont elle descend.»

Un organe servant à deux fonctions peut devenir rudimentaire ou s'atrophier complètement pour l'une d'elles, parfois même pour la plus importante, et demeurer parfaitement capable de remplir l'autre. Ainsi, chez les plantes, le rôle du pistil est de permettre aux tubes polliniques de pénétrer jusqu'aux ovules de l'ovaire. Le pistil consiste en un stigmate porté sur un style; mais, chez quelques composées, les fleurs mâles, qui ne sauraient être fécondées naturellement, ont un pistil rudimentaire, en ce qu'il ne porte pas de stigmate; le style pourtant, comme chez les autres fleurs parfaites, reste bien développé et garni de poils qui servent à frotter les anthères pour en faire jaillir le pollen qui les environne. Un organe peut encore devenir rudimentaire relativement à sa fonction propre et s'adapter à un usage différent; telle est la vessie natatoire de certains poissons, qui semble être devenue presque rudimentaire quant à sa fonction propre, consistant à donner de la légèreté au poisson, pour se transformer en un organe respiratoire ou en un poumon en voie de formation. On pourrait citer beaucoup d'autres exemples analogues.

On ne doit pas considérer comme rudimentaires les organes qui, si peu développés qu'ils soient, ont cependant quelque utilité, à moins que nous n'ayons des raisons pour croire qu'ils étaient autrefois plus développés. Il se peut aussi que ce soient des organes naissants en voie de développement. Les organes rudimentaires, au contraire, tels, par exemple, que les dents qui ne percent jamais les gencives, ou que les ailes d'une autruche qui ne servent plus guère que de voiles, sont presque inutiles. Comme il est certain qu'à un état moindre de développement ces organes seraient encore plus inutiles que dans leur condition actuelle, ils ne peuvent pas avoir été produits autrefois par la variation et par la sélection naturelle, qui n'agit jamais que par la conservation des modifications utiles. Ils se rattachent à un ancien état de choses et ont été en partie conservés par la puissance de l'hérédité. Toutefois, il est souvent difficile de distinguer les organes rudimentaires des organes naissants, car l'analogie seule nous permet de juger si un organe est susceptible de nouveaux développements, auquel cas seulement on peut l'appeler naissant. Les organes naissants doivent toujours être assez rares, car les individus pourvus d'un organe dans cette condition ont dû être généralement remplacés par des successeurs possédant cet organe à un état plus parfait, et ont dû, par conséquent, s'éteindre il y a longtemps. L'aile du pingouin lui est fort utile, car elle lui sert de nageoire; elle pourrait donc représenter l'état naissant des ailes des oiseaux; je ne crois cependant pas qu'il en soit ainsi; c'est plus probablement un organe diminué et qui s'est modifié en vue d'une fonction nouvelle. L'aile de l'aptéryx, d'autre part, est, complètement inutile à cet animal et peut être considérée comme vraiment rudimentaire. Owen considère les membres filiformes si simples du lépidosirène comme «le commencement d'organes qui atteignent leur développement fonctionnel complet chez les vertébrés supérieurs;» mais le docteur Günther a soutenu récemment l'opinion que ce sont probablement les restes de l'axe persistant d'une nageoire dont les branches latérales ou les rayons sont atrophiés. On peut considérer les glandes mammaires de l'ornithorynque comme étant à l'état naissant, comparativement aux mamelles de la vache. Les freins ovigères de certains cirripèdes, qui ne sont que légèrement développés, et qui ont cessé de servir à retenir les oeufs sont des branchies naissantes.

Les organes rudimentaires sont très sujets à varier au point de vue de leur degré de développement et sous d'autres rapports, chez les individus de la même espèce; de plus, le degré de diminution qu'un même organe a pu éprouver diffère quelquefois beaucoup chez les espèces étroitement alliées. L'état des ailes des phalènes femelles appartenant à une même famille, offre un excellent exemple de ce fait. Les organes rudimentaires peuvent avorter complètement; ce qui implique, chez certaines plantes et chez certains animaux, l'absence complète de parties que, d'après les lois de l'analogie, nous nous attendrions à rencontrer chez eux et qui se manifestent occasionnellement chez les individus monstrueux. C'est ainsi que, chez la plupart des scrophulariacées, la cinquième étamine est complètement atrophiée; cependant, une cinquième étamine a dû autrefois exister chez ces plantes, car chez plusieurs espèces de la famille on en retrouve un rudiment, qui, à l'occasion, peut se développer complètement, ainsi qu'on le voit chez le muflier commun. Lorsqu'on veut retracer les homologies d'un organe quelconque chez les divers membres d'une même classe, rien n'est plus utile, pour comprendre nettement les rapports des parties, que la découverte de rudiments; c'est ce que prouvent admirablement les dessins qu'a faits Owen des os de la jambe du cheval, du boeuf et du rhinocéros.

Un fait très important, c'est que, chez l'embryon, on peut souvent observer des organes, tels que les dents à la mâchoire supérieure de la baleine et des ruminants, qui disparaissent ensuite complètement. C'est aussi, je crois, une règle universelle, qu'un organe rudimentaire soit proportionnellement plus gros, relativement aux parties voisines, chez l'embryon que chez l'adulte; il en résulte qu'à cette période précoce l'organe est moins rudimentaire ou même ne l'est pas du tout. Aussi, on dit souvent que les organes rudimentaires sont restés chez l'adulte à leur état embryonnaire.

Je viens d'exposer les principaux faits relatifs aux organes rudimentaires. En y réfléchissant, on se sent frappé d'étonnement; car les mêmes raisons qui nous conduisent à reconnaître que la plupart des parties et des organes sont admirablement adaptés à certaines fonctions, nous obligent à constater, avec autant de certitude, l'imperfection et l'inutilité des organes rudimentaires ou atrophiés. On dit généralement dans les ouvrages sur l'histoire naturelle que les organes rudimentaires ont été créés «en vue de la symétrie» ou pour «compléter le plan de la nature»; or, ce n'est là qu'une simple répétition du fait, et non pas une explication. C'est de plus une inconséquence, car le boa constrictor possède les rudiments d'un bassin et de membres postérieurs; si ces os ont été conservés; pour compléter le plan de la nature, pourquoi, ainsi que le demande le professeur Weismann, ne se trouvent-ils pas chez tous les autres serpents, où on n'en aperçoit pas la moindre trace? Que penserait-on d'un astronome qui soutiendrait que les satellites décrivent autour des planètes une orbite elliptique en vue de la symétrie, parce que les planètes décrivent de pareilles courbes autour du soleil? Un physiologiste éminent explique la présence des organes rudimentaires en supposant qu'ils servent à excréter des substances en excès, ou nuisibles à l'individu; mais pouvons-nous admettre que la papille infime qui représente souvent le pistil chez certaines fleurs mâles, et qui n'est constituée que par du tissu cellulaire, puisse avoir une action pareille? Pouvons-nous admettre que des dents rudimentaires, qui sont ultérieurement résorbées, soient utiles à l'embryon du veau en voie de croissance rapide, alors qu'elles emploient inutilement une matière aussi précieuse que le phosphate de chaux? On a vu quelquefois, après l'amputation des doigts chez l'homme, des ongles imparfaits se former sur les moignons: or il me serait aussi aisé de croire que ces traces d'ongles ont été développées pour excréter de la matière cornée, que d'admettre que les ongles rudimentaires qui terminent la nageoire du lamantin, l'ont été dans le même but.

Dans l'hypothèse de la descendance avec modifications, l'explication de l'origine des organes rudimentaires est comparativement simple. Nous pouvons, en outre, nous expliquer dans une grande mesure les lois qui président à leur développement imparfait. Nous avons des exemples nombreux d'organes rudimentaires chez nos productions domestiques, tels, par exemple, que le tronçon de queue qui persiste chez les races sans queue, les vestiges de l'oreille chez les races ovines qui sont privées de cet organe, la réapparition de petites cornes pendantes chez les races de bétail sans cornes, et surtout, selon Youatt, chez les jeunes animaux, et l'état de la fleur entière dans le chou- fleur. Nous trouvons souvent chez les monstres les rudiments de diverses parties. Je doute qu'aucun de ces exemples puisse jeter quelque lumière sur l'origine des organes rudimentaires à l'état de nature, sinon qu'ils prouvent que ces rudiments peuvent se produire; car tout semble indiquer que les espèces à l'état de nature ne subissent jamais de grands et brusques changements. Mais l'étude de nos productions domestiques nous apprend que le non- usage des parties entraîne leur diminution, et cela d'une manière héréditaire. Il me semble probable que le défaut d'usage a été la cause principale de ces phénomènes d'atrophie, que ce défaut d'usage, en un mot, a dû déterminer d'abord très lentement et, très graduellement la diminution de plus en plus complète d'un organe, jusqu'à ce qu'il soit devenu rudimentaire. On pourrait citer comme exemples les yeux des animaux vivant dans des cavernes obscures, et les ailes des oiseaux habitant les îles océaniques, oiseaux qui, rarement forcés de s'élancer dans les airs pour échapper aux bêtes féroces, ont fini par perdre la faculté de voler. En outre, un organe, utile dans certaines conditions, peut devenir nuisible dans des conditions différentes, comme les ailes de coléoptères vivant sur des petites îles battues par les vents; dans ce cas, la sélection naturelle doit tendre lentement à réduire l'organe, jusqu'à ce qu'il cesse d'être nuisible en devenant rudimentaire.

Toute modification de conformation et de fonction, à condition qu'elle puisse s'effectuer par degrés insensibles, est du ressort de la sélection naturelle; de sorte qu'un organe qui, par suite de changements dans les conditions d'existence, devient nuisible ou inutile, peut, à certains égards, se modifier de manière à servir à quelque autre usage. Un organe peut aussi ne conserver qu'une seule des fonctions qu'il avait été précédemment appelé à remplir. Un organe primitivement formé par la sélection naturelle, devenu inutile, peut alors devenir variable, ses variations n'étant plus empêchées par la sélection naturelle. Tout cela concorde parfaitement avec ce que nous voyons dans la nature. En outre, à quelque période de la vie que le défaut d'usage ou la sélection tende à réduire un organe, ce qui arrive généralement lorsque l'individu ayant atteint sa maturité doit faire usage de toutes ses facultés, le principe d'hérédité à l'âge correspondant tend à reproduire, chez les descendants de cet individu, ce même organe dans son état réduit, exactement au même âge, mais ne l'affecte que rarement chez l'embryon. Ainsi s'explique pourquoi les organes rudimentaires sont relativement plus grands chez l'embryon que chez l'adulte. Si, par exemple, le doigt d'un animal adulte servait de moins en moins, pendant de nombreuses générations par suite de quelques changements dans ses habitudes, ou si un organe ou une glande exerçait moins de fonctions, on pourrait conclure qu'ils se réduiraient en grosseur chez les descendants adultes de cet animal, mais qu'ils conserveraient à peu près le type originel de leur développement chez l'embryon.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 eylül 2017
Hacim:
870 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain