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Kitabı oku: «Aventures de Monsieur Pickwick, Vol. II», sayfa 10

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Quelques doutes parurent s'élever dans l'esprit du gentleman en culotte verte, sur la question de savoir si le président pouvait être légalement interpellé par le nom de Flambant; toutefois, comme les assistants semblaient moins soigneux de ses droits que des leurs, l'observation n'eut point de suite. L'homme au chapeau à cornes fit entendre une petite toux courte et regarda longuement Sam; mais il pensa apparemment qu'il ferait aussi bien de ne rien dire, de peur de s'en trouver plus mal.

Après un instant de silence, un gentleman, dont l'habit brodé descendait jusqu'à ses talons, et dont le gilet, également brodé, tenait au chaud la moitié de ses jambes, remua son genièvre et son eau avec une grande énergie; et, se levant tout d'un coup sur ses pieds, par un violent effort, annonça qu'il désirait adresser quelques observations à la compagnie. L'homme au chapeau retroussé s'étant hâté de l'assurer que la compagnie serait très-heureuse d'entendre toutes les observations qu'il pourrait avoir à faire, le gentleman au grand habit commença en ces termes:

«Je sens une grande délicatesse à me mettre en avant, gentlemen, ayant l'infortune de n'être qu'un cocher et n'étant admis que comme membre honoraire dans ces agréables soirées; mais je me sens poussé, gentlemen, l'éperon dans le ventre, si je puis employer cette expression, à vous faire connaître une circonstance affligeante qui est venue à ma connaissance et qui est arrivée, je puis dire, à la portée de mon fouet. Gentlemen, notre ami, M. Whiffers (tout le monde regarda l'individu orange); notre ami, M. Whiffers a donné sa démission.»

Un étonnement universel s'empara des auditeurs. Chaque gentleman regardait son voisin et reportait ensuite son œil inquiet sur le cocher, qui continuait à se tenir debout.

«Vous avez bien raison d'être surpris, gentlemen, poursuivit celui-ci. Je ne me permettrai pas de vous frelater les motifs de cette irréparable perte pour le service; mais je prierai M. Whiffers de les énoncer lui-même, pour l'instruction et l'imitation de ses amis.»

Cette suggestion ayant été hautement applaudie, M. Whiffers s'expliqua. Il dit qu'il aurait certainement désiré de continuer à remplir l'emploi qu'il venait de résigner. L'uniforme était extrêmement riche et coûteux, les dames de la famille très-agréables, et les devoirs de sa place, il était obligé d'en convenir, n'étaient pas trop lourds. Le principal service qu'on exigeait de lui était de passer le plus de temps possible à regarder par la fenêtre, en compagnie d'un autre gentleman, qui avait également donné sa démission. Il aurait désiré épargner à la compagnie les pénibles et dégoûtants détails dans lesquels il allait être obligé d'entrer; mais, comme une explication lui avait été demandée, il n'avait pas d'autre alternative que de déclarer hardiment et distinctement qu'on avait voulu lui faire manger de la viande froide.

Impossible de concevoir le dégoût qu'éveilla cet aveu dans le sein des auditeurs. Pendant un quart d'heure, au moins, on n'entendit que de violents cris de: Honteux! Ignoble! mêlés de sifflets et de grognements.

M. Whiffers ajouta alors qu'il craignait qu'une partie de cet outrage ne pût être justement attribué à ses dispositions obligeantes et accommodantes. Il se souvenait parfaitement d'avoir consenti une fois à manger du beurre salé; et, dans une occasion où il y avait eu subitement plusieurs malades dans la maison, il s'était oublié au point de monter lui-même un panier de charbon de terre jusqu'au second étage. Il espérait qu'il ne s'était pas abaissé dans la bonne opinion de ses amis par cette franche confession de sa faute; mais s'il avait eu ce malheur, il se flattait d'y être remonté par la promptitude avec laquelle il avait repoussé le dernier et flétrissant outrage qu'on avait voulu faire subir à ses sentiments d'homme et d'Anglais.

Le discours de M. Whiffers fut accueilli par des cris d'admiration, et l'on but à la santé de l'intéressant martyr, de la manière la plus enthousiaste. Le martyr fit ses remercîments à la société et proposa la santé de leur visiteur, M. Weller, gentleman qu'il n'avait pas le plaisir de connaître intimement, mais qui était l'ami de M. John Smauker, ce qui devait être, partout et toujours, une lettre de recommandation suffisante pour toute société de gentlemen. Par ces considérations, il aurait été disposé à voter la santé de M. Weller avec tous les honneurs, si ses amis avaient bu du vin; mais comme ils prenaient des spiritueux et qu'il pourrait être dangereux de vider un verre à chaque toast, il proposait que les honneurs fussent sous-entendus.

À la conclusion de ce discours, tous les assistants burent une partie de leur verre en l'honneur de Sam; et celui-ci, ayant puisé dans le bol et avalé deux verres en l'honneur de lui-même, offrit ses remercîments à l'assemblée dans un élégant discours.

«Bien obligé, mes vieux, dit-il en retournant au bol avec la plus grande désinvolture. Venant d'où ce que ça vient, c'est prodigieusement flatteur. J'avais beaucoup entendu parler de vous; mais je n'imaginais pas, je dois le dire, que vous eussiez été d'aussi étonnamment jolis hommes que vous êtes. J'espère seulement que vous ferez attention à vous et que vous ne compromettrez en rien votre dignité, qui est une charmante chose à voir, quand on vous rencontre en promenade, et qui m'a toujours fait grand plaisir depuis que je n'étais qu'un moutard, moitié si haut que la canne à pomme de cuivre de mon très-respectable ami Flambant, ici présent. Quant à la victime de l'oppression en habit jaune, tout ce que je puis dire de lui, c'est que j'espère qu'il trouvera une occupation aussi bonne qu'il le mérite, moyennant quoi il sera très-rarement affligé avec des rat-houttes froids.»

Cela dit, Sam se rassit avec un agréable sourire, et son oraison ayant été bruyamment applaudie, la société se sépara bientôt après.

«Par exemple, vieux, vous n'avez pas envie de vous en aller, dit Sam à son ami M. John Smauker?

– Il le faut, en vérité, répondit celui-ci. J'ai promis à Bantam.

– Oh! c'est très-bien, reprit Sam, c'est une autre affaire. Peut-être qu'il donnerait sa démission si vous le désappointiez. Mais vous, Flambant, vous ne vous en allez pas?

– Mon Dieu, si, répliqua l'homme au chapeau à cornes.

– Quoi! et laisser derrière vous les trois-quarts d'un bol de punch? Cette bêtise! rasseyez-vous donc!»

M. Tuckle ne put résister à une invitation si pressante; il déposa son chapeau et sa canne et répondit qu'il boirait encore un verre pour faire plaisir à M. Weller.

Comme le gentleman en bleu demeurait du même côté que M. Tuckle, il consentit également à rester. Lorsque le punch fut à moitié bu, Sam fit venir des huîtres de la boutique du fruitier, et leur effet, joint à celui du punch, fut si prodigieux, que M. Tuckle, coiffé de son chapeau à cornes et armé de sa canne à grosse pomme, se mit à danser un pas de matelot sur la table, au milieu des coquilles, tandis que le gentleman en bleu l'accompagnait sur un ingénieux instrument musical, formé d'un peigne et d'un papier à papillotes. À la fin quand le punch fut terminé et que la nuit fut également fort avancée, ils sortirent tous les trois pour chercher leur maison. À peine M. Tuckle se trouva-t-il au grand air qu'il fut saisi d'un soudain désir de se coucher sur le pavé. Sam pensant que ce serait une pitié de le contredire, lui laissa prendre son plaisir où il la trouvait; mais, de peur que le chapeau à cornes de Flambant ne s'abîmât, dans ces conjonctures, il l'aplatit bravement sur la tête du gentleman en livrée bleue, lui mit la grande canne à la main, l'appuya contre la porte de sa maison, tira pour lui la sonnette et s'en alla tranquillement à son hôtel.

Dans la matinée suivante, M. Pickwick descendit, complètement habillé, beaucoup plus tôt qu'il n'avait l'habitude de le faire, et sonna son fidèle domestique.

Sam ayant répondu exactement à cet appel, le philosophe commença par lui faire fermer soigneusement la porte, et dit ensuite:

«Sam, il est arrivé ici, la nuit dernière, un malheureux accident qui a donné à M. Winkle quelques raisons de redouter la violence de M. Dowler.

– Oui, monsieur, j'ai entendu dire cela à la vieille dame de la maison.

– Et je suis fâché d'ajouter, continua M. Pickwick d'un air intrigué et contrarié, je suis fâché d'ajouter que, dans la crainte de cette violence, M. Winkle est parti.

– Parti!

– Il a quitté la maison ce matin, sans la plus légère communication avec moi, et il est allé je ne sais pas où.

– Il aurait dû rester et se battre, monsieur, dit Sam d'un ton contempteur. Il ne faudrait pas grand'chose pour redresser ce Dowler.

– C'est possible, Sam; j'ai peut-être aussi quelques doutes sur sa grande valeur, mais, quoi qu'il en soit, M. Winkle est parti. Il faut le trouver, Sam, le trouver et me le ramener.

– Et si il ne veut pas venir, monsieur?

– Il faudra le lui faire vouloir, Sam.

– Et qui le fera, monsieur? demanda Sam avec un sourire.

– Vous.

– Très-bien, monsieur.»

À ces mots, Sam quitta la chambre, et bientôt après M. Pickwick l'entendit fermer la porte de la rue. Au bout de deux heures, il revint d'un air aussi calme que s'il avait été dépêché pour le message le plus ordinaire, et rapporta qu'un individu, ressemblant en tous points à M. Winkle, était parti le matin pour Bristol, par la voiture de l'Hôtel royal.

«Sam, dit M. Pickwick en lui serrant la main, vous êtes un garçon précieux, inestimable. Vous allez le poursuivre, Sam.

– Certainement, monsieur.

– Aussitôt que vous le découvrirez, écrivez-moi. S'il essaye de vous échapper, empoignez-le, terrassez-le, enfermez-le. Je vous délègue toute mon autorité, Sam.

– Je ne l'oublierai pas, monsieur.

«Vous lui direz que je suis fort irrité, excessivement indigné de la démarche extraordinaire qu'il lui a plu de faire.

– Oui, monsieur.

– Vous lui direz que, s'il ne revient pas dans cette maison, avec vous, il y reviendra avec moi, car j'irai le chercher.

– Je lui en glisserai deux mots, monsieur.

– Vous pensez pouvoir le trouver? poursuivit M. Pickwick en regardant Sam d'un air inquiet.

– Je le trouverai s'il est quelque part, répliqua Sam avec confiance.

– Très-bien. Alors plus tôt vous partirez, mieux ce sera.»

M. Pickwick ayant ajouté une somme d'argent à ses instructions, Sam mit quelques objets nécessaires dans un sac de nuit et s'éloigna pour son expédition. Pourtant il s'arrêta au bout du corridor, et, revenant doucement sur ses pas, il entr'ouvrit la porte du parloir, et, ne laissant voir que sa tête:

«Monsieur? murmura-t-il.

– Eh bien! Sam.

– J'entends-t-il parfaitement mes instructions, monsieur?

– Je l'espère.

– C'est-il convenu pour le terrassement, monsieur

– Parfaitement. Faites ce que vous jugerez nécessaire. Vous aurez mon approbation.»

Sam fit un signe d'intelligence; et, retirant sa tête de la porte entre-bâillée, se mit en route pour son pèlerinage le cœur tout à fait léger.

CHAPITRE IX

Comment M. Winkle, voulant sortir de la poêle à frire, se jeta tranquillement et confortablement dans le feu

L'infortuné gentleman, cause innocente du tumulte qui avait alarmé les habitants du Royal-Crescent, dans les circonstances ci-devant décrites, après avoir passé une nuit pleine de trouble et d'anxiété, quitta le toit sous lequel ses amis dormaient encore, sans savoir où il dirigerait ses pas. On ne saurait jamais apprécier trop hautement, ni trop chaudement louer les sentiments réfléchis et philanthropiques qui déterminèrent M. Winkle à adopter cette conduite. «Si ce Dowler, raisonnait-il en lui-même, si ce Dowler essaye (comme je n'en doute pas) d'exécuter ses menaces, je serai obligé de l'appeler sur le terrain. Il a une femme; cette femme lui est attachée et a besoin de lui. Ciel! si j'allais l'immoler à mon aveugle rage, quels seraient ensuite mes remords!» Cette réflexion pénible affectait si puissamment l'excellent jeune homme que ses joues pâlissaient, que ses genoux s'entre-choquaient. Déterminé par ces motifs, il saisit son sac de nuit, et descendant l'escalier à pas de loups, ferma, avec le moins de bruit possible, la détestable porte de la rue, et s'éloigna rapidement. Il trouva à l'Hôtel royal une voiture sur le point de partir pour Bristol. «Autant vaut, pensa-t-il, autant vaut Bristol que tout autre endroit!» Il monta donc sur l'impériale, et atteignit le lieu de sa destination en aussi peu de temps qu'on pouvait raisonnablement l'espérer de deux chevaux obligés de franchir quatre fois par jour la distance qui sépare les deux villes.

M. Winkle établit ses quartiers à l'hôtel du Buisson. Il était résolu à s'abstenir de toute communication épistolaire avec M. Pickwick jusqu'à ce que la frénésie de M. Dowler eût eu le temps de s'évaporer, et trouva que dans ces circonstances il n'avait rien de mieux à faire que de visiter la ville. Il sortit donc et fut, tout d'abord, frappé de ce fait qu'il n'avait jamais vu d'endroit aussi sale. Ayant inspecté les docks ainsi que le port, et admiré la cathédrale, il demanda le chemin de Clifton, et suivit la route qui lui fut indiquée; mais, de même que les pavés de Bristol ne sont pas les plus larges ni les plus propres de tous les pavés, de même ses rues ne sont pas absolument les plus droites ni les moins entrelacées. M. Winkle se trouva bientôt complètement embrouillé dans leur labyrinthe, et chercha autour de lui une boutique décente, où il pût demander de nouvelles instructions.

Ses yeux tombèrent sur un rez-de-chaussée nouvellement peint qui avait été converti en quelque chose qui tenait le milieu entre une boutique et un appartement. Une lampe rouge qui s'avançait au-dessus de la porte l'aurait suffisamment annoncé comme la demeure d'un suppôt d'Esculape quand même le mot: chirurgie10 n'aurait pas été inscrit, en lettres d'or, au-dessus de la fenêtre, qui avait autrefois été celle du parloir au devant. Pensant que c'était là un endroit convenable pour demander son chemin, M. Winkle entra dans la petite boutique garnie de tiroirs et de flacons, aux inscriptions dorés. N'y apercevant aucun être vivant, il frappa sur le comptoir avec une demi couronne, afin d'attirer l'attention des personnes qui pourraient être dans l'arrière-parloir, espèce de sanctum sanctorum de l'établissement, car le mot: chirurgie était répété sur la porte, en lettres blanches, cette fois, pour éviter la monotonie.

Au premier coup, un bruit très-sensible jusqu'alors, et semblable à celui d'un assaut exécuté avec des pelles et des pincettes, cessa soudainement. Au second coup un jeune gentleman, à l'air studieux, portant sur son nez de larges bésicles vertes et dans ses mains un énorme livre, entra d'un pas grave dans la boutique, et, passant derrière le comptoir, demanda à M. Winkle ce qu'il désirait.

«Je suis fâché de vous déranger, monsieur, répondit celui-ci. Voulez-vous avoir la bonté de m'indiquer…

– Ha! ha! ha! se mit à beugler le studieux gentleman, en jetant en l'air son énorme livre et en le rattrapant avec grande dextérité, au moment où il menaçait de réduire en atomes toutes les fioles qui garnissaient le comptoir. En voilà une bonne!»

Si l'inconnu entendit par là une bonne secousse, il n'avait pas tort, car M. Winkle avait été si étonné de la conduite extraordinaire du jeune docteur, qu'il avait précipitamment battu en retraite jusqu'à la porte, et paraissait fort troublé par cette étrange réception.

«Comment! Est-ce que vous ne me reconnaissez pas?» s'écria le chirurgien-apothicaire.

M. Winkle balbutia qu'il n'avait pas ce plaisir.

«Ah! bien alors, il y a encore de l'espoir pour moi! Je puis soigner la moitié des vieilles femmes de Bristol, si j'ai un peu de chance. Maintenant, au diable, vieux bouquin moisi!» Cette adjuration s'adressait au gros volume, que le studieux pharmacien lança, avec une vigueur remarquable, à l'autre bout de la boutique; puis, retirant ses lunettes vertes, il découvrit aux regards stupéfaits de M. Winkle, le ricanement identique de Robert Sawyer, esquire, ci-devant étudiant à l'hôpital de Guy, dans le Borough, et possesseur d'une résidence privée dans Lant-Street.

«Vous veniez pour me voir, n'est-ce pas? vous ne direz pas le contraire? s'écria M. Bob Sawyer en secouant amicalement la main de M. Winkle.

– Non, sur ma parole! répliqua celui-ci en serrant la main de M. Sawyer.

– Quoi! vous n'avez pas remarqué mon nom? demanda Bob en appelant l'attention de son ami sur la porte extérieure, au-dessus de laquelle étaient tracés ces mots: Sawyer successeur de Nockemorf.

– Mes yeux ne sont pas tombés dessus, dit M. Winkle.

– Ma foi! si j'avais su que c'était vous, reprit Bob, je me serais précipité et je vous aurais reçu dans mes bras. Mais, sur mon honneur, je croyais que vous étiez le percepteur des contributions.11

– Pas possible!

– Vrai. J'allais vous dire que je n'étais pas à la maison, et que si vous vouliez me laisser un message, je ne manquerais pas de me le remettre; car le collecteur des taxes ne me connaît point, pas plus que celui de l'éclairage, ni du pavé. Je crois que le collecteur de l'église soupçonne qui je suis, et je sais que celui des eaux ne l'ignore pas, parce que je lui ai tiré une dent le premier jour que je suis venu ici. Mais entrez, entrez donc!»

Tout en bavardant de la sorte, Bob poussait M. Winkle dans l'arrière-parloir, où s'était assis un personnage qui n'était pas moins que M. Benjamin Allen. Il s'amusait gravement à faire de petites cavernes circulaires dans le manteau de la cheminée, au moyen d'un fourgon rougi.

«En vérité, dit M. Winkle, voilà un plaisir que je n'avais pas espéré. Quelle jolie retraite vous avez là!

– Pas mal, pas mal, repartit Bob. J'ai été reçu peu de temps après cette fameuse soirée; et mes amis se sont saignés pour m'aider à acheter cet établissement. Ainsi j'ai endossé un habit noir et une paire de lunettes, et je suis venu ici pour avoir l'air aussi solennel que possible.

– Et vous avez sans doute une jolie clientèle? demanda M. Winkle d'un air fin.

– Oh! si mignonne, qu'à la fin de l'année vous pourriez mettre tous les profits dans un verre à liqueur, et les couvrir avec une feuille de groseille.

– Vous voulez rire. Rien que les marchandises…

– Pure charge, mon cher garçon. La moitié des tiroirs est vide, et l'autre moitié n'ouvre point.

– Vous plaisantez?

– C'est un fait, rétorqua Bob en allant dans la boutique et démontrant la véracité de son assertion par de violentes secousses données aux petits boutons dorés des tiroirs imaginaires.

– Du diable s'il y a une seule chose réelle dans la boutique, exceptés les sangsues; et encore elles ont déjà servi.

– Je n'aurais jamais cru cela! s'écria M. Winkle plein de surprise.

– Je m'en flatte un peu, reprit Bob; autrement à quoi serviraient les apparences, hein? Mais, que voulez-vous prendre! Comme nous? C'est bon. Ben, mon garçon, fourrez la main dans le buffet, et amenez-nous le digestif breveté.»

M. Benjamin Allen sourit pour indiquer son consentement, et tira du buffet une bouteille noire, à moitié pleine d'eau-de-vie.

«Vous n'y mettez pas d'eau, n'est-ce pas? dit Bob à M. Winkle.

– Pardonnez-moi, repartit celui-ci. Il est de bonne heure et j'aimerais mieux mélanger, si vous ne vous y opposez point.

– Pas le moins du monde, si votre conscience vous le permet, répliqua Bob en avec sensualité un verre du liquide bienfaisant. Ben, passe-nous l'eau.»

M. Benjamin Allen tira de la même place une petite cocote de cuivre, dont M. Bob déclara qu'il était très-fier à cause de sa physionomie médicale. Lorsqu'on eut fait bouillir l'eau contenue dans la cocote, au moyen de plusieurs pelletées de charbon de terre que Bob puisa dans une caisse qui portait pour inscription: eau de selz, M. Winkle baptisa son eau-de-vie, et la conversation commençait à devenir générale, lorsqu'elle fut interrompue par l'entrée d'un jeune garçon, vêtu d'une sévère livrée grise, ayant un galon d'or à son chapeau, et tenant sur son bras un petit panier couvert.

M. Bob l'apostropha immédiatement.

«Tom, vagabond! venez-ici! (L'enfant s'approcha en conséquence.) Vous vous êtes arrêté à toutes les bornes de Bristol, vilain fainéant!

– Non, monsieur, répondit l'enfant.

– Prenez-y garde, reprit Bob avec un visage menaçant. Pensez-vous que quelqu'un voudrait employer un chirurgien, si on voyait son garçon jouer aux billes dans tous les ruisseaux, ou enlever un cerf-volant sur la grande route? Ayez soin, monsieur, de conserver toujours le respect de votre profession. Avez-vous porté tous les médicaments, paresseux?

– Oui, monsieur.

– La poudre pour les enfants, dans la grande maison habitée par la famille nouvellement arrivée? Et les pilules digestives chez le vieux gentleman grognon et goutteux?

– Oui, monsieur.

– Alors fermez la porte et faites attention à la boutique.

– Allons! dit M. Winkle quand le jeune garçon se fut retiré, les choses ne vont pas tout à fait aussi mal que vous voudriez me le faire croire. Vous avez toujours quelques médicaments à fournir.»

Bob Sawyer regarda dans la boutique pour s'assurer qu'il n'y avait pas d'oreilles étrangères, puis se penchant vers M. Winkle, il lui dit à voix basse: «Il se trompe toujours de maison.»

La physionomie de M. Winkle exprima qu'il n'y était plus du tout, tandis que Bob et son ami riaient à qui mieux mieux.

«Vous ne me comprenez pas? dit Bob. Il va dans une maison, tire la sonnette, fourre un paquet de médicaments sans adresse dans la main, d'un domestique et s'en va. Le domestique porte le paquet dans la salle à manger; le maître l'ouvre, et lit la suscription: Potion à prendre le soir; pilules selon la formule; lotion idem; Sawyer, successeur de Nockemorf, prépare avec soin les ordonnances, etc., etc. Le gentleman montre le paquet à sa femme; elle lit l'inscription, elle le renvoie aux domestiques; ils lisent l'inscription. Le lendemain le garçon revient: Très-fâché. Il s'est trompé. Tant d'affaires, tant de paquets à porter. M. Sawyer, successeur de Nockemorf, offre ses compliments. Le nom reste dans la mémoire, et voilà l'affaire, mon garçon; cela vaut mieux que toutes les annonces du monde. Nous avons une bouteille de quatre onces qui a couru dans la moitié des maisons de Bristol, et qui n'a point encore fini sa ronde.

– Tiens, tiens! je comprends, répondit M. Winkle, un fameux plan.

– Oh! Ben et moi, nous en avons trouvé une douzaine comme cela; continua l'habile pharmacien, avec une grande satisfaction. L'allumeur de réverbères reçoit dix-huit pence par semaines pour tirer ma sonnette de nuit, pendant dix minutes, chaque fois qu'il passe devant la maison; et tous les dimanches, mon garçon court dans l'église, juste au moment des psaumes, quand personne n'a rien à faire que de regarder autour de soi, et il m'appelle avec un air effaré. «Bon! disent les assistants, quelqu'un est tombé malade tout à coup; on envoie chercher Sawyer, successeur de Nockemorf; comme ce jeune homme est occupé!»

Ayant ainsi divulgué les arcanes de l'art médical, M. Bob Sawyer et son ami Ben Allen se renversèrent sur leurs chaises, et éclatèrent de rire bruyamment. Quand ils s'en furent donné à cœur joie, la conversation recommença, et vint toucher un sujet qui intéressait plus immédiatement M. Winkle.

Nous pensons avoir dit ailleurs que M. Benjamin Allen devenait habituellement fort sentimental, après boire. Le cas n'est pas unique, comme nous pouvons l'attester nous-même, ayant eu affaire quelquefois à des patients affectés de la même manière. Dans cette période de son existence, M. Allen avait plus que jamais une prédisposition à la sentimentalité. Cette maladie provenait de ce qu'il demeurait depuis plus de trois semaines avec M. Sawyer; car l'amphitryon n'était pas remarquable par la tempérance, et l'invité ne pouvait nullement se vanter d'avoir la tête forte. Pendant tout cet espace de temps, Benjamin avait toujours flotté entre l'ivresse partielle et l'ivresse complète.

«Mon bon ami, dit-il à M. Winkle, en profitant de l'absence temporaire de M. Bob Sawyer, qui était allé administrer à un chaland quelques-unes de ses sangsues d'occasion: mon bon ami, je suis bien malheureux!»

M. Winkle exprima tous ses regrets, en apprenant cette nouvelle et demanda s'il ne pouvait rien faire pour alléger les chagrins de l'infortuné étudiant.

«Rien, mon cher, rien. Vous rappelez-vous Arabelle? ma sœur Arabelle? Une petite fille qui a des yeux noirs. Je ne sais pas si vous l'avez remarquée cher M. Winkle? Une jolie petite fille, Winkle. Peut-être que mes traits pourront vous rappeler sa physionomie.»

M. Winkle n'avait pas besoin de procédés artificiels pour se souvenir de la charmante Arabelle, et c'était fort heureux, car certainement les traits du frère lui auraient difficilement rappelé ceux de la sœur. Il répondit, avec autant de calme qu'il lui fut possible d'en feindre, qu'il se rappelait parfaitement avoir vu la jeune personne en question, et qu'il se flattait qu'elle était en bonne santé.

Pour toute réponse, M. Ben Allen, lui dit: «Notre ami Bob est un charmant garçon, Winkle.

– C'est vrai, répliqua laconiquement M. Winkle, qui n'aimait pas beaucoup le rapprochement de ces deux noms.

– Je les ai toujours destinés l'un à l'autre; ils ont été crées l'un pour l'autre; ils sont venus au monde l'un pour l'autre; ils ont été élevés l'un pour l'autre, dit M. Ben Allen, en posant son verre avec emphase. Il y a un coup du sort dans cette affaire, mon cher garçon; il n'y a entre eux qu'une différence de cinq ans, et tous les deux sont nés dans le mois d'août.»

M. Winkle était trop impatient d'entendre le reste, pour exprimer beaucoup d'étonnement de cette coïncidence, toute merveilleuse qu'elle fût. Ainsi, après une larme ou deux, Ben continua à dire que malgré toute son estime et son respect, et sa vénération pour son ami, sa sœur Arabelle avait toujours, ingratement et sans raison, montré la plus vive antipathie pour sa personne. Et je pense, conclua-t-il, je pense qu'il y a un attachement antérieur.

– Avez-vous quelque idée sur la personne?» demanda en tremblant M. Winkle.

M. Ben Allen saisit le fourgon, le fit tourner d'une manière martiale au-dessus de sa tête, infligea un coup mortel sur un crâne imaginaire, et termina en disant, d'une façon très-expressive: «Je voudrais le connaître, voilà tout. Je lui montrerais ce que j'en pense!» et pendant ce temps le fourgon tournoyait avec plus de férocité que jamais.

Tout cela, comme on le suppose, était fort consolant pour M. Winkle. Il resta silencieux durant quelques minutes, mais à la fin, il rassembla tout son courage, et demanda si miss Allen était dans le comté de Kent.

«Non, non, répondit Ben, en déposant le fourgon et en prenant un air fort rusé. Je n'ai pas pensé que la maison du vieux Wardle fût exactement ce qui convenait pour une jeune fille entêtée. Aussi, comme je suis son protecteur naturel et son tuteur, puisque nos parents sont défunts, je l'ai amenée dans ce pays-ci pour passer quelques mois chez une vieille tante, dans une jolie maison bien ennuyeuse et bien fermée. J'espère que cela la guérira. Si ça ne réussit pas, je l'emmènerai à l'étranger pendant quelque temps, et nous verrons alors.

– Et… et… la tante demeure à Bristol? balbutia M. Winkle.

– Non, non; pas dans Bristol, répondit Ben, en passant son pouce par-dessus son épaule droite. Par-là bas; mais chut! voici Bob. Pas un mot, mon cher ami, pas un mot.»

Toute courte qu'avait été cette conversation, elle produisit chez M. Winkle l'anxiété la plus vive. L'attachement antérieur, que soupçonnait Ben, agitait son cœur. Pouvait-il en être l'objet? Était-ce pour lui que la séduisante Arabelle avait dédaigné le spirituel Bob Sawyer? ou bien avait-il un rival préféré? Il se détermina à la voir, quoi qu'il pût en arriver. Mais ici se présentait une objection insurmontable; car si l'explication donnée par Ben avec ces mots: par là-bas, voulait dire trois milles, ou trente milles, ou trois cents milles, M. Winkle ne pouvait en aucune façon le conjecturer. Au reste il n'eut pas, pour le moment, le loisir de penser à ses amours, l'arrivée de Bob ayant été immédiatement suivie par celle d'un pâté, dont M. Winkle fut instamment prié de prendre sa part. La nappe fut mise par une femme de ménage, qui officiait comme femme de charge de M. Bob Sawyer. La mère du jeune garçon en livrée grise apporta un troisième couteau et une troisième fourchette (car l'établissement domestique de M. Sawyer était monté sur une échelle assez limitée), et les trois amis commencèrent à dîner. La bière était servie, comme le fit observer M. Sawyer, dans son étain natif.

Après le dîner, Bob fit apporter le plus grand mortier de sa boutique, et y brassa un mélange fumant de punch au rhum, remuant et amalgamant les matériaux avec un pilon, d'une manière fort convenable pour un pharmacien. Comme beaucoup de célibataires, il ne possédait qu'un seul verre, qui fut assigné par honneur à M. Winkle. Ben Allen fut accommodé d'un entonnoir de verre, dont l'extrémité inférieure était garnie d'un bouchon; quant à Bob lui-même, il se contenta d'un de ces vases de cristal cylindriques, incrustés d'une quantité de caractères cabalistiques, et dans lesquels les apothicaires mesurent habituellement les drogues liquides qui doivent composer leurs potions. Ces préliminaires ajustés, le punch fut goûté et déclaré excellent. On convint que Bob Sawyer et Ben Allen seraient libres de remplir leur vase deux fois, pour chaque verre de M. Winkle, et l'on commença les libations sur ce pied d'égalité avec bonne humeur et de fort bonne amitié. On ne chanta point, parce que Bob déclara que cela n'aurait pas l'air professionnel; mais, en revanche, on parla et l'on rit, si bien et si fort, que les passants à l'autre bout de la rue pouvaient entendre et entendirent sans aucun doute le bruit confus qui sortait de l'officine du successeur de Nockemorf. Quoi qu'il en soit, la conversation des trois amis charmait apparemment les ennuis et aiguisait l'esprit du jeune garçon pharmacien, car au lieu de dévouer sa soirée, comme il le faisait ordinairement, à écrire son nom sur le comptoir et à l'effacer ensuite, il se colla contre la porte vitrée, et de la sorte put écouter et voir en même temps ce qui se passait chez son patron.

10.En Angleterre, surtout dans les petites villes, les gens qui vendent des médicaments donnent en même temps des consultations, et prennent le titre de chirurgiens.
11.Le gouvernement anglais a l'obligeance de faire toucher les taxes chez les contribuables.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
27 eylül 2017
Hacim:
560 s. 1 illüstrasyon
Tercüman:
Telif hakkı:
Public Domain
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