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Kitabı oku: «Aventures de Monsieur Pickwick, Vol. II», sayfa 15

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– On fera monter un gallon de bière par-dessus le marché, intercala M. Simpson. Là!

– Et nous le boirons sur-le-champ, ajouta le chapelain Allons!

– Je suis réellement si ignorant des règles de cet endroit, répondit M. Pickwick, que je ne vous comprends pas encore parfaitement. Est-ce que je puis loger ailleurs? Je ne le croyais pas.»

En entendant cette question, M. Martin regarda ses deux amis avec une excessive surprise, et alors chacun des trois gentlemen étendit son pouce droit par-dessus son épaule gauche. Ce geste, que les paroles: as-tu fini! ne sauraient rendre que d'une façon fort imparfaite, produit un effet fort gracieux et fort aérien quand il est exécuté par un certain nombre de ladies et de gentlemen, habitués à agir de concert. Il exprime un léger sarcasme plein d'atticisme et de bonne humeur.

«Vous ne le croyiez pas? répéta M. Martin avec un sourire de pitié.

– Eh bien! dit l'ecclésiastique, si je connaissais la vie aussi peu que cela, je mangerais mon chapeau et sa boucle avec!

– Et moi, item, ajouta le boucher solennellement.»

Après cette courte préface, les trois copins informèrent M. Pickwick, tout d'une haleine, que l'argent avait dans la prison la même vertu que dehors; qu'il lui procurerait instantanément presque tout ce qu'on peut désirer, et que, si M. Pickwick en possédait et voulait bien le dépenser, il n'avait qu'à signifier son désir d'avoir une chambre à lui seul, et qu'il la trouverait toute meublée et garnie en moins d'une demi-heure de temps.

Nos gens se séparèrent alors avec une satisfaction mutuelle: M. Pickwick retournant sur nouveaux frais à la loge, et les trois copins se rendant au café pour y dépenser les cinq shillings que le ministre, avec une admirable prévoyance, avait empruntés dans ce dessein au candide philosophe.

Lorsque M. Pickwick eut déclaré à M. Roker pourquoi il revenait:

«Je le savais bien, s'écria celui-ci avec un gras rire, ne l'ai-je pas dit, Neddy?»

Le sage possesseur du couteau universel fit entendre un grognement affirmatif.

«Parbleu! je savais qu'il vous fallait une chambre à vous seul. Voyons! Il vous faudra des meubles; c'est moi qui vous les louerai, je suppose, suivant l'usage.

– Avec grand plaisir, répliqua M. Pickwick.

– Il y a dans l'escalier du café une chambre magnifique qui appartient à un prisonnier de la chancellerie: elle vous coûtera une livre sterling par semaine. Je suppose que vous ne regardez pas à cela?

– Pas le moins du monde.

– Venez avec moi, cria M. Roker en prenant son chapeau avec une grande vivacité. L'affaire sera faite en cinq minutes. Que diable! pourquoi n'avez-vous pas commencé par dire que vous consentiez à bien faire les choses?»

Comme le guichetier l'avait prédit, l'affaire fut promptement arrangée. Le prisonnier de la Chancellerie était là depuis assez longtemps pour avoir perdu amis, fortune, habitudes, bonheur, et pour avoir acquis en échange le droit d'avoir une chambre à lui tout seul. Cependant, comme il éprouvait le léger inconvénient de manquer souvent d'un morceau de pain, il consentit, avec empressement à céder cette chambre à M. Pickwick, moyennant la somme hebdomadaire de vingt shillings, sur laquelle il s'engageait, en outre, à payer l'expulsion de toute personne qui pourrait être envoyée comme copin dans cet appartement.

Pendant que ce marché se concluait, M. Pickwick examinait le prisonnier avec un intérêt pénible. C'était un grand homme décharné, cadavéreux, enveloppé d'une vieille redingote, et dont les pieds sortaient à moitié de ses pantoufles éculées. Son regard était inquiet, ses joues pendantes, ses lèvres pâles, ses os minces et aigus. Le malheureux! on voyait que la dent de fer de l'isolement et du besoin l'avait lentement rongé depuis vingt années!

«Et vous, monsieur, où allez-vous demeurer maintenant? lui demanda M. Pickwick en déposant d'avance, sur la table chancelante, la première semaine de son loyer.»

L'homme ramassa l'argent d'une main agitée et répliqua qu'il n'en savait rien encore, mais qu'il allait voir où il pourrait transporter son lit.

«J'ai peur, monsieur, reprit M. Pickwick en posant doucement sa main sur le bras du prisonnier; j'ai peur que vous ne soyez obligé de loger dans quelque endroit bruyant et encombré de monde. Mais, je vous en prie, continuez à considérer cette chambre comme la vôtre, quand vous aurez besoin d'un peu de tranquillité, ou lorsque vos amis viendront vous voir.

– Mes amis! interrompit le prisonnier d'une voix qui râlait dans son gosier. Si j'étais cloué dans mon cercueil, enfoncé dans la bourbe du fossé infect qui croupit sous les fondations de cette prison, je ne pourrais pas être plus oublié, plus abandonné que je ne le suis ici. Je suis un homme mort, mort à la société, sans avoir obtenu la pitié qu'on accorde à ceux dont les âmes sont allées comparaître devant leur juge. Des amis pour me voir, mon Dieu! Ma jeunesse s'est consumée dans ce donjon, et il n'y aura personne pour lever sa main au-dessus de mon lit, quand je serai mort, et pour dire: Dieu soit loué, il ne souffre plus!»

Le feu inaccoutumé que l'excitation du vieillard avait jeté sur ses traits s'éteignit aussitôt qu'il eut fini de parler; il pressa l'une contre l'autre ses mains décharnées et sortit brusquement de la chambre.

«Eh! eh! il se cabre encore quelquefois! dit M. Roker avec un sourire. C'est comme les éléphants; ils sentent la pointe de temps en temps, et ça les rend furieux.»

Ayant fait cette remarque, pleine de sympathie, M. Roker s'occupa avec tant d'activité des arrangements nécessaires au confort de M. Pickwick, qu'en peu de temps la chambre fut garnie d'un tapis, de six chaises, d'une table, d'un lit sofa, des ustensiles nécessaires pour le thé, et de divers autres, etc. Le tout ne devait coûter à M. Pickwick que le prix fort raisonnable de vingt-sept shillings et six pence par semaine.

«Y a-t-il encore quelque chose que nous puissions faire pour vous? demanda M. Roker en regardant autour de lui avec grande satisfaction et en faisant sonner dans sa main la première semaine de son loyer.

«Mais, oui, répondit M. Pickwick, qui, depuis quelques minutes, réfléchissait profondément. Trouve-t-on ici des gens qui font des commissions?

– Vous voulez dire au dehors?

– Oui, des gens qui puissent aller au dehors, pas des prisonniers.

– Nous avons votre affaire. Il y a un pauvre diable qui a un ami dans le quartier des pauvres et qui est bien content quand on l'emploie. Voilà deux mois qu'il fait des courses et des commissions pour gagner sa vie. Faut-il que je vous l'envoie?

– S'il vous plaît… attendez… non… Le quartier des pauvres, dites-vous? Je suis curieux de voir cela; je vais y aller moi-même.»

Le quartier des pauvres, dans une prison pour dettes, est, comme son nom l'indique, la demeure des débiteurs les plus misérables. Un prisonnier qui se déclare pour le quartier des pauvres ne paye ni rente, ni taxe de copie. Le droit qu'il doit acquitter, en entrant dans la prison et en en sortant, est extrêmement réduit, et il reçoit une petite quantité de nourriture, achetée sur le revenu des faibles legs laissés de temps en temps pour cet objet par des personnes charitables. Il y a quelques années seulement, on voyait encore extérieurement, dans le mur de la prison de la Flotte, une espèce de cage de fer où se postait un homme à la physionomie affamée, qui secouait de temps en temps une tirelire en s'écriant d'une voix lugubre: «N'oubliez pas les pauvres débiteurs, s'il vous plaît!» La recette de cette quête, lorsqu'il y avait recette, était partagée entre les pauvres prisonniers, qui se relevaient tour à tour dans cet emploi dégradant.

Quoique cette coutume ait été abolie et que la cage ait disparu maintenant, la condition misérable de ces pauvres gens est encore la même. On ne souffre plus qu'ils fassent appel à la compassion des passants, mais, pour l'admiration des âges futurs, on a laissé subsister les lois justes et bienfaisantes qui déclarent que le criminel vigoureux sera nourri et habillé, tandis que le débiteur sans argent se verra condamné à mourir de faim et de nudité. Et ceci n'est pas une fiction: il ne se passe pas une semaine dans laquelle quelques-uns des prisonniers pour dette ne dussent inévitablement périr dans les lentes agonies de la faim, s'ils n'étaient pas secourus par leurs camarades de prison.

Repassant ces choses dans son esprit, tout en montant l'étroit escalier, au pied duquel il avait été laissé par le guichetier, M. Pickwick s'échauffa graduellement jusqu'au plus haut degré d'indignation; et il avait été tellement excité par ses réflexions sur ce sujet, qu'il était entré dans la chambre qu'on lui avait indiquée dans le quartier des pauvres, sans avoir aucun sentiment distinct ni de l'endroit où il était, ni de l'objet de sa visite.

L'aspect de la chambre le rappela tout à coup à lui-même, mais lorsque ses regards se portèrent sur un homme languissamment assis près d'un mauvais feu, il laissa tomber son chapeau de surprise et resta immobile et comme pétrifié.

Oui, cet homme sans habit, sans gilet, dont le pantalon était déchiré, dont la chemise de calicot était jaunie et déchirée, dont les grands cheveux pendaient en désordre, dont les traits étaient creusés par la souffrance et par la famine, c'était M. Alfred Jingle! Il se tenait la tête appuyée sur la main: ses yeux étaient fixés sur le feu et tout son extérieur dénotait la misère et l'abattement.

Auprès de lui, négligemment accoté contre le mur, se trouvait un vigoureux campagnard, caressant avec un vieux fouet de chasse-la-botte qui ornait son pied droit, le pied gauche étant fourré dans une pantoufle. Les chevaux, les chiens, la boisson avaient causé sa ruine. Il y avait encore à cette botte solitaire un éperon rouillé, qu'il enfonçait quelquefois dans l'air en faisant vigoureusement claquer son fouet et en murmurant quelques-unes de ces interjections par lesquelles un cavalier encourage son cheval: il exécutait, évidemment, en imagination, quelque furieuse course au clocher. Pauvre diable! le meilleur cheval de son écurie ne lui avait jamais fait faire une course aussi rapide que celle qui s'était terminée à la Flotte.

De l'autre côté de la chambre, un vieillard, assis sur une caisse de bois, tenait ses yeux attachés au plancher. Un profond désespoir immobilisait son visage. Un enfant, son arrière-petite-fille, se pendait après lui et s'efforçait d'attirer son attention par mille inventions enfantines; mais le vieillard ne la voyait ni ne l'entendait. La voix qui lui avait paru si musicale, les yeux qui avaient été sa lumière, ne produisaient plus d'impression sur ses sens; la maladie faisait trembler ses genoux et la paralysie avait glacé son esprit.

Dans un autre coin de la salle, deux ou trois individus formaient un petit groupe et parlaient bruyamment entre eux. Plus loin, une femme au visage maigre et hagard, la femme d'un prisonnier, s'occupait à arroser les misérables restes d'une plante desséchée, qui ne devait jamais reverdir: emblème trop vrai, peut-être, du devoir qu'elle venait remplir dans la prison.

Tels étaient les misérables prisonniers qui se présentèrent aux yeux de M. Pickwick, tandis qu'il regardait autour de lui avec étonnement. Entendant le pas précipité de quelqu'un qui entrait dans la chambre, il tourna les yeux vers la porte, et, dans le nouveau venu, à travers ses haillons, sa malpropreté, sa misère, il reconnut les traits familiers de M. Job Trotter.

«Monsieur Pickwick! s'écria Job à haute voix.

– Eh! fit Jingle en tressaillant et en se levant de son siége, monsieur… C'est vrai; drôle d'endroit, étrange chose! Je le méritais; c'est bien fait.»

En disant ces mots, M. Jingle fourra ses mains à la place où les poches de son pantalon avaient coutume d'être; et, laissant tomber son menton sur sa poitrine, s'affaissa de nouveau sur sa chaise.

M. Pickwick fut affecté; ces deux hommes avaient l'air si misérable! Le coup d'œil affamé, involontaire que Jingle avait jeté sur un petit morceau de mouton cru, apporté par Job, expliquait plus clairement que ne l'aurait pu faire un récit de deux heures l'état de dénûment auquel il avait été réduit. M. Pickwick regarda Jingle d'un air doux et lui dit:

«Je désirerais vous parler en particulier. Voulez-vous sortir avec moi pour un instant.

– Certainement, répondit Jingle en se levant avec empressement. Ne peux pas aller bien loin. Pas de danger de trop marcher ici. Parc clos d'un mur à chevaux de frise. Joli terrain, pittoresque, mais peu étendu. L'entrée ouverte au public. La famille toujours en ville. La femme de charge terriblement soigneuse.

– Vous avez oublié votre habit, dit M. Pickwick en descendant l'escalier.

– Ah! oui… il est au clou… accroché chez une de mes bonnes parentes, ma tante du côté maternel. Pouvais pas faire autrement. Faut manger, vous savez; besoins de nature, et tout cela.

– Qu'est ce que vous voulez dire?

– Mon vêtement a signé un engagement volontaire, mon cher monsieur, dernier habit. Bah! ce qui est fait est fait. J'ai vécu d'une paire de bottes toute une quinzaine; d'un parapluie de soie, poignée d'ivoire, toute une semaine; c'est vrai ma parole d'honneur. Demandez à Job; il le sait bien.

– Vous avez vécu pendant trois semaines d'une paire de bottes et d'un parapluie de soie avec une poignée d'ivoire! s'écria M. Pickwick, frappé d'horreur, et qui n'avait entendu parler de choses semblables que dans l'histoire des naufrages.

– Vrai, rétorqua Jingle en secouant la tête. Les reconnaissances sont là. Prêteurs sur gages, tous voleurs: ne donnent presque rien…

– Oh! dit M. Pickwick grandement soulagé par cette explication. Je comprends; vous avez mis vos effets en gage?

– Tout. Job aussi; toutes ses chemises en plus. Bah! ça économise le blanchissage. Plus rien bientôt. On reste couché; on meurt de faim. L'enquête se fait. Pauvre prisonnier. Misère! Étouffer cela! Les gentlemen du jury, fournisseurs de la prison; pas d'éclat, mort naturelle. Convoi des pauvres, bien mérité. Tout est fini: tirez le rideau.»

Jingle débita ce singulier sommaire de son avenir avec sa volubilité accoutumée et en s'efforçant par différentes grimaces de contrefaire un sourire. Cependant M. Pickwick s'aperçut aisément que cette insouciance était jouée; et, le regardant en face, mais non pas sévèrement, il vit que ses yeux étaient mouillés de larmes.

«Bon enfant, reprit Jingle en pressant la main du philosophe et en détournant la tête. Chien d'ingrat! Bête de pleurer; impossible de faire autrement. Mauvaise fièvre; faible, malade, affamé; mérité tout cela, mais souffert beaucoup! ah! beaucoup!»

Incapable de se contenir, et peut-être plus énervé par les efforts qu'il avait déjà faits pour y parvenir, l'histrion abattu s'assit sur l'escalier; et, couvrant son visage de ses mains, se prit à sangloter comme un enfant.

«Allons! allons! dit M. Pickwick avec beaucoup d'émotion. Je verrai ce qu'on peut faire quand je connaîtrai mieux votre histoire. Ici Job; où est-il donc?

– Voilà, monsieur,» répondit Job en se montrant sur l'escalier.

Nous l'avons représenté quelque part comme ayant, dans son bon temps, des yeux fort creux. Dans son état présent de besoin et de détresse, il avait l'air de n'en plus avoir du tout.

«Voilà, monsieur, dit Job.

– Venez ici, monsieur, reprit M. Pickwick en essayant d'avoir l'air sévère, avec quatre grosses larmes qui coulaient sur son gilet. Prenez cela.»

Prenez quoi? Suivant les habitudes du monde, ce devait être un coup de poing solidement appliqué, car M. Pickwick avait été dupé, bafoué par le pauvre diable qui se trouvait maintenant en son pouvoir. Faut-il dire la vérité? C'était quelque chose qui sortait du gousset de M. Pickwick et qui sonna dans la main de Job; et, lorsque notre excellent ami s'éloigna précipitamment, une étincelle humide brillait dans son œil et son cœur était gonflé.

En rentrant dans sa chambre, M. Pickwick y trouva Sam, qui contemplait ces nouveaux arrangements avec une sombre satisfaction, fort curieuse à voir. Décidément opposé à ce que son maître demeurât là, en aucune manière, il considérait comme un devoir moral de ne paraître content d'aucune chose qui y serait faite, dite, suggérée ou proposée.

«Eh bien! Sam?

– Eh bien! monsieur?

– Assez confortable, maintenant, n'est-ce pas?

– Oui, pas mal, monsieur, répondit Sam en regardant autour de lui d'une manière méprisante.

– Avez-vous vu M. Tupman et nos autres amis?

– Oui, monsieur. Ils viendront demain; et ils ont été bien surpris d'apprendre qu'ils ne devaient pas venir aujourd'hui.

– Vous m'avez apporté les choses dont j'avais besoin?»

Pour toute réponse, Sam montra du doigt différents paquets qui étaient arrangés aussi proprement que possible dans un coin de la chambre.

«Très-bien, dit M. Pickwick; et, après un peu d'hésitation, il ajouta: Écoutez ce que j'ai à vous dire, Sam.

– Certainement, monsieur; faites feu, monsieur.

– Sam, poursuivit M. Pickwick avec beaucoup de solennité, j'ai senti, dès le commencement, que ce n'est pas ici un endroit convenable pour un jeune homme.

– Ni pour un vieux, non plus, monsieur.

– Vous avez tout à fait raison, Sam. Mais les vieillards peuvent venir ici à cause de leur imprudente confiance, et les jeunes gens peuvent y être amenés par l'égoïsme de ceux qu'ils servent. Il vaut mieux, pour ces jeunes gens, sous tous les rapports, qu'ils ne restent point ici. Me comprenez-vous, Sam?

– Ma foi! non, monsieur; non, répondit Sam d'un ton obstiné.

– Essayez, Sam.

– Eh bien! monsieur, répliqua Sam après une courte pause je crois voir où vous voulez en venir; et, si je vois où vous voulez en venir, c'est mon opinion que c'est un peu trop fort, comme disait le cocher de la malle lorsqu'il fut pris dans un tourbillon de neige.

– Je vois que vous me comprenez, Sam. Comme je vous l'ai dit, je désire d'abord que vous ne demeuriez pas à perdre votre temps dans un endroit comme celui-ci; mais, en outre, je sens que c'est une monstreuse absurdité qu'un prisonnier pour dettes ait un domestique avec lui. Il faut que vous me quittiez pour quelque temps, Sam.

– Oh! pour quelque temps, monsieur? répéta Sam, avec un léger accent de sarcasme.

– Oui, pour le temps que je demeurerai ici. Je continuerai à payer vos gages, et l'un de mes trois amis sera heureux de vous prendre avec lui, ne fût-ce que par respect pour moi. Si jamais je quitte cet endroit, Sam, poursuivit M. Pickwick avec une gaieté affectée, je vous donne ma parole que vous reviendrez aussitôt avec moi.

– Maintenant, je vas vous dire ce qui en est, monsieur; répliqua Sam d'une voix grave et solennelle. Ça ne peut pas aller comme ça: ainsi, n'en parlons plus.

– Sam, je vous parle sérieusement: j'y suis résolu.

– Vous êtes résolu, monsieur? Très-bien, monsieur. Eh bien! moi aussi alors.»

En prononçant ces mots d'une voix ferme, Sam fixa son chapeau sur sa tête avec une grande précision, et quitta brusquement la chambre.

«Sam! lui cria M. Pickwick, Sam, venez ici!»

Mais la longue galerie avait déjà cessé de répéter l'écho de ses pas. Sam était parti.

CHAPITRE XIV

Comment M. Samuel Weller se mit mal dans ses affaires

Dans une grande salle mal éclairée et plus mal aérée, située dans Portugal Street, Lincoln's Inn fields, siégent durant presque toute l'année un, deux, trois ou quatre gentlemen en perruque, qui ont devant eux de petits pupitres mal vernis. Des stalles d'avocats sont à leur main droite; à leur main gauche, une enceinte pour les débiteurs insolvables; et en face, un plan incliné de figures spécialement malpropres. Ces gentlemen en perruque sont les commissaires de la Cour des insolvables, et l'endroit où ils siégent est la Cour des insolvables elle-même.

Depuis un temps immémorial, c'est le remarquable destin de cette cour d'être regardée, par le consentement universel de tous les gens râpés de Londres, comme leur lieu de refuge habituel pendant le jour. La salle est toujours pleine; les vapeurs de la bière et des spiritueux montent constamment vers le plafond, s'y condensent par le froid et redescendent comme une pluie le long des murs. Là, se trouvent à la fois plus de vieux habits que n'en mettent en vente durant tout un an les juifs du quartier de Houndsditch, et plus de peaux crasseuses, plus de barbes longues, que toutes les pompes et les boutiques de barbiers situées entre Tyburn et Whitechapel n'en pourraient nettoyer entre le lever et le coucher du soleil.

Il ne faut pas supposer que quelques-uns de ces individus aient l'ombre d'une affaire dans l'endroit où ils se rendent si assidûment; s'ils en avaient, leur présence ne serait plus surprenante, et la singularité de la chose cesserait immédiatement. Quelques-uns dorment pendant la plus grande partie de la séance; d'autres apportant leur dîner dans leur mouchoir, ou dans leur poche déchirée, et mangent tout en écoutant, avec un double délice: mais jamais un seul d'entre eux ne fut connu pour avoir le plus léger intérêt personnel dans aucune des affaires traitées par la cour. Quelle que soit la manière dont ils occupent leur temps, ils restent là, tous, depuis le commencement jusqu'à la fin de la séance. Quand il pleut, ils arrivent tout trempés, et alors, les vapeurs qui s'élèvent de l'audience ressemblent à celles d'un marais.

Un observateur qui se trouverait là par hasard pourrait imaginer que c'est un temple élevé au génie de la pauvreté râpée. Il n'y a pas un seul messager, pas un huissier qui porte un habit fait pour lui; il n'y a pas dans tout l'établissement un seul homme passablement frais et bien portant, si ce n'est un petit huissier aux cheveux blancs, à la figure rougeaude; et encore, comme une cerise à l'eau-de-vie mal conservée, il semble avoir été desséché par un procédé artificiel dont il n'a pas le droit de tirer vanité. Enfin les perruques des avocats eux-mêmes sont mal poudrées et mal frisées.

Mais, après tout, les avoués qui siégent derrière une vaste table toute nue, au-dessous des commissaires, sont encore la plus grande curiosité de cet endroit. L'établissement professionnel du plus opulent de ces gentlemen consiste en un sac bleu,15 et un jeune clerc ordinairement juif. Ils n'ont point de cabinet, mais ils traitent leurs affaires légales dans les tavernes, ou dans la cour des prisons où ils se rendent en foule et se disputent les chalands, à la manière des conducteurs d'omnibus. Ils ont une physionomie bouffie et moisie, et si on peut les soupçonner de quelques vices, c'est principalement d'ivrognerie et de friponnerie. Leur résidence se trouve ordinairement dans un rayon d'un mille, autour de l'obélisque de Saint George's Fields. Leur tournure n'est pas engageante, et leurs manières sont sui generis.

M. Salomon Pell, l'un des membres de cet illustre corps, était un homme gras, flasque et pâle. Son habit semblait tantôt vert, tantôt brun, suivant les reflets du jour, et était orné d'un collet de velours, qui offrait la même particularité. Son front était étroit, sa face large, sa tête grosse, et, son nez tourné tout d'un côté, comme si la nature, indignée des mauvais penchants qu'elle découvrait en lui à sa naissance, lui avait donné, de colère, une secousse dont il ne s'était jamais relevé. Au reste, comme M. Pell était replet et asthmatique, il respirait principalement par cet organe qui, de la sorte, rachetait peut-être en utilité ce qui lui manquait en beauté.

«Je suis sûr de le tirer d'affaire, disait M. Pell.

– Bien sûr? demanda la personne à qui cette assurance était donnée.

– Sûr et certain, répliqua M. Pell. Mais, voyez-vous, s'il avait rencontré quelque praticien irrégulier je n'aurais pas répondu des conséquences.

– Ah! fit l'autre avec une bouche toute grande ouverte.

– Non, je n'en aurais pas répondu,» répéta M. Pell; et il pinça ses lèvres, fronça ses sourcils, et secoua sa tête mystérieusement.

Or, l'endroit où se tenait ce discours était la taverne qui se trouve juste en face de la Cour des insolvables; et la personne à qui il était adressé n'était autre que M. Weller, senior. Il était venu là pour réconforter un de ses amis dont la pétition, pour être renvoyé en qualité de débiteur honnêtement insolvable, devait être présentée ce jour-là même; et c'était à ce sujet que l'avoué exposait son opinion de la manière sus-énoncée.

«Et George, où est-il?» demanda M. Weller.

M. Pell ayant incliné la tête dans la direction d'un arrière-parloir, M. Weller s'y rendit immédiatement, et fut salué de la manière la plus chaleureuse et la plus flatteuse par une demi douzaine de ses confrères. Le gentleman insolvable, qui avait contracté une passion spéculative, mais imprudente, pour établir des relais de poste, avait l'air fort bien portant, et s'efforçait de calmer l'excitation de ses esprits avec des omettes et du porter.

Le salut échangé entre M. Weller et ses amis se borna strictement à la franc-maçonnerie du métier, c'est-à-dire au renversement du poignet droit, en agitant en même temps le petit doigt en l'air. Nous avons connu autrefois deux fameux cochers (pauvres garçons, ils sont morts maintenant!) qui étaient jumeaux, et entre lesquels existait l'attachement le plus sincère, le plus dévouée. Ils se croisaient, chaque jour, sur la route de Douvres, sans échanger jamais d'autre salut que celui que nous venons de décrire; et cependant, quand l'un des deux mourut, l'autre tomba en langueur, et le suivit bientôt après.

«Eh ben! George? dit M. Weller, en ôtant sa redingote et en s'asseyant avec sa gravité accoutumée. «Comment ça marche-t-i'. Tout va-t-i' ben sur l'impériale; tout est-i' plein dans le coupé?

– Tout va bien, vieux camarade, repartit le gentleman qui avait fait de mauvaises affaires.

– La jument grise est-elle passée à quelqu'un?» demanda M. Weller avec anxiété. Georges fit un signe affirmatif.

– Bon! c'est bien. On a eu soin des voitures aussi?

– Consignées dans un endroit sûr, répliqua Georges, en arrachant la tête d'une demi-douzaine de crevettes, et en les avalant sans plus de cérémonie.

– Très-bien, très-bien; dit M. Weller. Faites toujours attention à la mécanique quand vous descendez un coteau. La feuille de route est-elle bien dressée?»

M. Pell devinant la pensée de M. Weller, prit la parole et dit: «L'inventaire de l'actif et du passif est aussi clair et aussi satisfaisant que la plume et l'encre peuvent le rendre.»

M. Weller fit un signe de tête qui impliquait son approbation de ces arrangements, et ensuite se tournant vers M. Pell, il lui dit, en montrant son ami Georges:

«Quand est-ce que vous y ôtez sa couverture?

– Eh?.. Il est le troisième sur la liste des débiteurs dont les créanciers refusent de reconnaître l'insolvabilité, et je pense que son tour arrivera dans une demi-heure. J'ai dit à mon clerc de venir me prévenir quand il y aurait une chance.»

M. Weller considéra l'avoué des pieds à la tête avec grande» admiration, et dit emphatiquement:

«Qu'est-ce que vous voulez prendre, mossieu?

– Mais, en vérité, vous êtes bien… Ma parole d'honneur, je n'ai pas l'habitude de… Il est réellement de si bonne heure que… Eh bien! Vous pouvez m'apporter pour trois pence de rhum, ma chère.»

La demoiselle servante, qui avait anticipé la conclusion de ce discours, posa un verre devant Pell et se retira.

«Gentlemen, dit M. Pell en regardant toute la compagnie, bonne chance à votre ami! Je n'aime pas à me vanter, gentlemen, ce n'est pas dans mes habitudes; pourtant je ne puis pas m'empêcher de dire que, si votre ami n'avait pas été assez heureux pour tomber dans des mains qui… Mais je ne veux pas dire ce que j'allais dire… Gentlemen, à vos santés!»

Ayant vidé son verre en un clin d'œil, M. Pell fit claquer ses lèvres et regarda avec complaisance le cercle des cochers, aux yeux desquels il passait évidemment pour une espèce d'oracle.

«Voyons, reprit-il, qu'est-ce que je disais, gentlemen?

– Vous observiez que vous n'en refuseriez pas un second verre, dit M. Weller avec une gravité facétieuse.

– Ha! ha! Pas mauvais, pas mauvais… Un bon… bon… À cette époque-ci de la matinée, ce serait un peu… Eh bien! vous attendez, ma chère… Vous pouvez m'apporter la seconde édition, s'il vous plaît… Hem!»

Ce dernier mot représente une toux solennelle et pleine de dignité, que M. Pell avait cru se devoir à lui-même, en remarquant parmi ses auditeurs une indécente disposition à la gaieté.

«Gentlemen, reprit M. Pell, le défunt lord chancelier m'aimait beaucoup.

– Et c'était fort honorable pour lui, interrompit M. Weller.

– Écoutez, écoutez! cria le client de l'homme d'affaires. Pourquoi pas?

– Ah! oui; pourquoi pas, en vérité? répéta un homme au visage très-rouge, qui n'avait encore rien dit jusqu'alors, et qui avait tout à fait l'air de n'avoir rien à dire de plus. Pourquoi pas?»

Un murmure d'assentiment circula dans la compagnie.

«Je me rappelle, gentlemen, que, dînant avec lui un certain jour… nous n'étions que nous deux, mais tout était aussi splendide que si l'on avait attendu vingt personnes… Le grand sceau était sur une étagère, à sa droite, et à sa gauche un homme en grande perruque et couvert d'une armure gardait la masse, avec un sabre nu et des bas de soie… Ce qui se fait perpétuellement, gentlemen, la nuit et le jour. Il me dit tout à coup: «Pell, dit-il, pas de fausse délicatesse. Pell, vous êtes un homme de talent; vous pouvez faire passer qui vous voulez à la Cour des insolvables. Votre pays doit être fier de vous, Pell.» Ce sont là ses propres paroles, «Mylord, lui dis-je, vous me flattez. – Pell, dit-il, si je vous flatte, je veux être damné!..»

– A-t-il dit ça? interrompit M. Weller.

– Il l'a dit.

– Eh bien! alors je dis que le parlement aurait dû le mettre à l'amende pour avoir juré, et si le chancelier avait été un pauv' diable, on l'y aurait mis.

– Mais, mon cher monsieur, il connaissait ma discrétion… Il me disait cela en toute confiance.

– Et quoi?

– En toute confiance.

– Ah! très-bien, répartit M. Weller après un petit moment de réflexion. S'il se damnait en toute confiance, ça change la question.

– Nécessairement la distinction est évidente.

– Ça change la question entièrement. Continuez, monsieur.

– Non, je ne continuerai pas, reprit M. Pell d'une voix basse et sérieuse. Vous m'avez rappelé, monsieur, que c'était une conversation privée… privée et confidentielle, gentlemen. Gentlemen, je suis un homme de loi… Il est possible que je sois fort estimé dans ma profession; il est possible que je ne le sois pas. Chacun peut le savoir; je n'en dis rien. On a déjà fait dans cette chambre des observations injurieuses à la mémoire de mon noble ami. Vous m'excuserez, gentlemen, j'avais été imprudent… Je sens que je n'ai pas le droit de parler de cette matière sans son consentement. Je vous remercie, monsieur, de m'en avoir fait souvenir.»

15.Les avocats anglais portent leurs dossiers dans un sac de serge bleue.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
27 eylül 2017
Hacim:
560 s. 1 illüstrasyon
Tercüman:
Telif hakkı:
Public Domain
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