Kitabı oku: «Aventures de Monsieur Pickwick, Vol. II», sayfa 14
Pendant ce discours, M. Pickwick avait lentement redescendu les escaliers. Après avoir fait quelques tours dans la cour peinte, qui était presque déserte à cause de l'obscurité, il engagea Sam à se retirer pour la nuit et à chercher un lit dans quelque auberge voisine, afin de revenir le lendemain de bonne heure pour faire apporter ses effets du George et Vautour. Sam se prépara à obéir à cette requête d'aussi bonne grâce qu'il lui fut possible, mais néanmoins avec une expression de mécontentement fort notable. Il alla même jusqu'à essayer diverses insinuations sur la convenance de se coucher dans une des cours de la prison pour cette nuit; mais, trouvant que M. Pickwick était obstinément sourd à de telles suggestions, il se retira définitivement.
On ne saurait dissimuler que M. Pickwick se trouvait fort peu confortable et fort mélancolique. En effet, quoique la prison fût pleine de monde et qu'une bouteille de vin lui eût immédiatement procuré la société de quelques esprits choisis, sans aucun embarras de présentation formelle, il se sentait absolument seul dans cette foule grossière. Il ne pouvait donc résister à l'abattement inspiré par la perspective d'une prison perpétuelle; car, pour ce qui est de se libérer en satisfaisant la friponnerie et la rapacité de Dodson et Fogg, sa pensée ne s'y arrêta pas un seul instant.
Dans cette disposition d'esprit, il rentra dans la galerie du café et s'y promena lentement. L'endroit était intolérablement malpropre, et l'odeur du tabac y devenait absolument suffocante; on y entendait un perpétuel tapage de portes ouvertes et fermées, et le bruit des voix et des pas y retentissait constamment. Une jeune femme, qui tenait dans ses bras un enfant, et qui semblait à peine capable de se traîner, tant elle était maigre et avait l'air misérable, marchait le long du corridor en causant avec son mari, qui n'avait pas d'autre asile pour la recevoir. Lorsque cette femme passait auprès de M. Pickwick, il l'entendait sangloter amèrement, et, une fois, elle se laissa aller à un tel transport de douleur, qu'elle fut obligée de s'appuyer contre le mur pour se soutenir, tandis que le mari prenait l'enfant dans ses bras, et s'efforçait vainement de la consoler.
Le cœur de notre excellent ami était trop plein pour pouvoir supporter ce spectacle; il monta les escaliers et rentra dans sa chambre.
Or, quoique la salle des gardiens fût extrêmement incommode, étant, pour le bien-être aussi bien que pour la décoration, à plusieurs centaines de degrés au-dessous de la plus mauvaise infirmerie d'une prison de province; elle avait, pour le présent, le mérite d'être tout à fait déserte. M. Pickwick s'assit donc au pied de son petit lit de fer, et entreprit de calculer combien d'argent on pouvait tirer de cette pièce dégoûtante. S'étant convaincu, par une opération mathématique, qu'elle rapportait autant de revenu qu'une petite rue des faubourgs de Londres, il en vint à se demander, avec étonnement, quelle tentation pouvait avoir une petite mouche noirâtre, qui rampait sur son pantalon, à venir dans une prison mal aérée, quand elle avait le choix de tant d'endroits agréables. Ses réflexions sur ce sujet l'amenèrent, par une suite de déductions rigoureuses, à cette conclusion, que l'insecte était fou. Après avoir décidé cela, il commença à s'apercevoir qu'il s'assoupissait; il tira donc de sa poche son bonnet de nuit, qu'il avait eu la précaution d'y insérer le matin, et s'étant déshabillé tout doucement, il se glissa dans son lit et s'endormit profondément.
«Bravo, zéphyre! Bien détaché! En voilà un d'entrechat! Je veux être damné si l'opéra n'est pas votre sphère! Allons, hurrah!..»
Ces exclamations, plusieurs fois répétées du ton le plus bruyant, et accompagnées d'éclats de rire retentissants, tirèrent M. Pickwick d'un de ces sommeils léthargiques qui, ne durant en réalité qu'une demi-heure, semblent au dormeur avoir été prolongés pendant trois semaines ou un mois.
Le bruit des voix avait à peine cessé, quand le plancher de la chambre fut ébranlé avec tant de violence que les vitres en vibrèrent dans leurs châssis, et que tout le lit en trembla. M. Pickwick tressaillit, se leva sur son séant et resta abruti pendant quelques minutes par la scène qui se passait devant lui.
Au milieu de la chambre, un homme en habit vert, avec une culotte de velours et des bas de coton gris, exécutait le pas le plus populaire d'une cornemuse, avec une exagération burlesque de grâce et de légèreté, qui, jointe à la nature de son costume, en faisait la chose la plus absurde du monde. Un autre individu, évidemment fort gris, et qui probablement avait été apporté dans son lit par ses compagnons, était assis, enveloppé dans ses draps, et fredonnait d'une manière prodigieusement lugubre tous les passages qu'il pouvait se rappeler d'une chanson comique. Un troisième enfin, assis sur un autre lit, applaudissait les exécutants de l'air d'un profond connaisseur, et les encourageait par des transports d'enthousiasme tels que celui qui avait réveillé M. Pickwick.
Ce dernier personnage était un magnifique spécimen d'une classe de gens qui ne peuvent jamais être vus dans toute leur perfection, excepté dans de semblables endroits. On les rencontre parfois, dans un état imparfait, autour des écuries et des tavernes; mais ils n'atteignent leur entier développement que dans ces admirables serres chaudes, qui semblent sagement établies par le législateur dans le dessein de les propager.
C'était un grand gaillard au teint olivâtre, aux cheveux longs et noirs, aux favoris épais et réunis sous le menton. Le collet de sa chemise était ouvert, et il n'avait pas de cravate, car il avait joué à la paume toute la journée. Il portait sur la tête une calotte grecque, qui avait bien coûté dix-huit pence et dont le gland de soie éclatant se balançait sur un habit de gros drap. Ses jambes, qui étaient fort longues et grêles, embellissaient un pantalon collant, destiné à en faire ressortir la symétrie, mais qui, étant mis négligemment, et n'étant qu'imparfaitement boutonné, tombait par une succession de plis peu gracieux sur une paire de souliers assez éculés pour laisser voir des bas blancs extrêmement sales. Enfin il y avait dans tout ce personnage une sorte de recherche grossière et de friponnerie impudente, qui valaient un monceau d'or.
Ce fut lui qui le premier aperçut M. Pickwick. Il cligna de l'œil au zéphyre, et l'engagea avec une gravité moqueuse, à ne point réveiller le gentleman.
«Comment, dit le zéphyre en se retournant, et en affectant la plus grande surprise; est-ce que le gentleman est réveillé! Mais oui, il est réveillé!.. Heim!.. Cette citation est de Shakspeare!.. Comment vous portez-vous, monsieur? Comment vont Mary et Sarah, monsieur? Et la chère vieille dame qu'est à la maison, monsieur? Eh! monsieur, Voudriez-vous avoir la bonté de leur transmettre mes compliments dans le premier petit paquet que vous enverrez par là, monsieur, en ajoutant que je les aurais envoyés auparavant si je n'avais pas eu peur qu'ils soient cassés dans la charrette, monsieur.
– N'ennuyez donc pas le gentleman de civilités banales, quand vous voyez qu'il meurt d'envie de boire quelque chose, reprit d'un air jovial le gentleman aux favoris. Pourquoi ne lui demandez-vous pas ce qu'il veut prendre?
– Nom d'un tonnerre! je l'avais oublié, s'écria l'autre. Qu'est-ce que vous voulez prendre, monsieur? Voulez-vous prendre du vin de Porto, monsieur? ou du Xérès? Je puis vous recommander l'ale, monsieur. Ou peut-être que vous voudriez tâter du Porter? Permettez-moi d'avoir le plaisir d'accrocher votre casque à mèche, monsieur.»
En disant ceci, l'orateur enleva la coiffure de M. Pickwick, et la fixa en un clin d'œil sur celle de l'homme ivre, qui continuait à bourdonner ses chansons comiques, de la manière la plus lugubre qu'on puisse imaginer, mais avec la ferme persuasion qu'il enchantait une société nombreuse et choisie.
Malgré tout le sel qu'il y a à enlever violemment le bonnet de nuit d'un homme, et à l'ajuster sur la tête d'un gentleman inconnu, dont l'extérieur est notoirement malpropre, c'est là certainement une plaisanterie assez hasardée. Considérant la chose précisément à ce point de vue, M. Pickwick, sans avoir donné le moindre avertissement préalable de son dessein, s'élança vigoureusement hors de son lit, donna au zéphyre dans l'estomac, un coup de poing assez vigoureux pour le priver d'une portion considérable du souffle que la nature a jugé nécessaire aux organes respiratoires, puis, ayant récupéré son bonnet, se plaça hardiment dans une posture de défense.
«Maintenant, s'écria-t-il en haletant, non moins par excitation que par la dépense de tant d'énergie, maintenant, avancez tous les deux, tous les deux ensemble!» et, tout en faisant cette libérale invitation, le digne gentleman imprimait à ses poings fermés un mouvement de rotation, afin d'épouvanter ses antagonistes par cette démonstration scientifique.
Était-ce la manière compliquée dont M. Pickwick était sorti de son lit pour tomber tout d'une masse sur le danseur? était-ce la preuve inattendue de courage donnée par lui, qui avait touché ses adversaires? Il est certain qu'ils étaient touchés: car au lieu d'essayer de commettre un meurtre, comme le philosophe s'y attendait fermement, ils s'arrêtèrent, se regardèrent l'un l'autre pendant quelque temps, et finalement éclatèrent de rire.
«Allons, vous êtes un bon zig, dit le zéphyre. Rentrez dans votre lit, ou bien vous attraperez des rhumatismes. Pas de rancune, j'espère? continua-t-il en tendant vers M. Pickwick une main capable de remplir ces gants d'étain rouge qui se balancent habituellement au-dessus de la porte des gantiers.
– Non certainement, répondit M. Pickwick avec empressement; car maintenant que l'excitation du moment était passée, il commençait à sentir le froid sur ses jambes.
– Permettez-moi, monsieur, d'avoir le même honneur, dit le gentleman aux favoris en présentant sa main droite, et en aspirant le h.
– Avec beaucoup de plaisir, monsieur, répliqua M. Pickwick qui remonta dans son lit, après avoir échangé une poignée de main très-longue et très-solennelle.
– Je m'appelle Smangle, monsieur, dit l'homme aux favoris.
– Oh! fit M. Pickwick.
– Et moi, Mivins, dit l'homme aux bas gris.
– Je suis charmé de le savoir, monsieur,» répondit M. Pickwick.
M. Smangle toussa: hem!
«Vous me parliez, monsieur? demanda M. Pickwick.
– Non, monsieur, répliqua M. Smangle.
– Je l'avais cru, monsieur, dit M. Pickwick.»
Tout ceci était fort poli et fort agréable, et pour augmenter encore la bonne harmonie, M. Smangle assura nombre de fois M. Pickwick qu'il entretenait le plus grand respect, pour les sentiments d'un gentleman. Or, on devait assurément lui en savoir un gré infini, car il était impossible de supposer qu'il pût les comprendre.
«Vous allez vous faire déclarer insolvable, monsieur? demanda M. Smangle.
– Me faire quoi? dit M. Pickwick.
– Déclarer insolvable par la cour de la rue de Portugal14. La cour pour le soulagement des banqueroutiers, vous savez?
– Oh! non, du tout.
– Vous allez sortir peut-être? suggéra M. Mivins.
– J'ai peur que non. Je refuse de payer quelques dommages-intérêts, et je suis ici en conséquence.
– Ah! fit observer M. Smangle, le papier a été ma ruine.
– Vous étiez papetier, monsieur? dit M. Pickwick innocemment.
– Non, non, Dieu me damne, je ne suis jamais tombé si bas que cela; pas de boutique. Quand je dis le papier, je veux dire les lettres de change.
– Ah! vous employiez le mot dans ce sens?
– Par le diable! un gentleman doit s'attendre à des revers. Mais quoi? je suis ici dans la prison de Fleet Street? Bon! est-ce que j'en suis plus pauvre pour cela?
– Au contraire, répliqua M. Mivins;» et il avait raison: bien loin que M. Smangle fût plus pauvre pour cela, le fait est qu'il était plus riche; car ce qui l'avait amené dans la prison, c'est qu'au moyen de son papier, il avait acquis gratuitement la possession de certains articles de joaillerie qui, depuis lors, avaient été placés par lui chez un prêteur sur gages.
«Allons! allons! reprit M. Smangle. Tout cela c'est bien sec. Il faut nous rincer la bouche avec une goutte de Xérès brûlé. Le dernier venu le payera; Mivins l'ira chercher, et moi j'aiderai à le boire. C'est ce que j'appelle une impartiale division du travail, Dieu me damne!»
Ne voulant pas risquer une autre querelle, M. Pickwick consentit à cette proposition. Il donna de l'argent à M. Mivins, qui ne perdit pas un instant pour se rendre au café, car il était près de onze heures.
«Dites-donc, demanda tout bas M. Smangle, aussitôt que son ami eut quitté la chambre.
– Combien lui avez-vous donné?
– Un demi-souverain.
– C'est un gentleman des plus aimables; spirituel en diable… je ne connais personne qui le soit plus, mais…» Ici M. Smangle s'arrêta court en hochant la tête d'un air dubitatif.
«Vous ne regardez pas comme probable qu'il approprie cet argent à ses besoins personnels? demanda M. Pickwick.
– Oh! non! je ne dis pas cela. J'ai dit en toutes lettres que c'était un gentleman des plus aimables. Mais je pense qu'il n'y aurait pas de mal à ce que quelqu'un descendit par hasard pour voir s'il ne trempe pas son bec dans le bol, ou s'il ne perd pas la monnaie le long du chemin. «Ici, hé! monsieur! dégringolez en bas, s'il vous plaît, et voyez un peu ce que fait le gentleman qui vient de descendre.»
Cette requête était adressée à un jeune homme à l'air timide, modeste, dont l'extérieur annonçait une grande pauvreté, et qui, pendant tout ce temps, était resté aplati sur son lit, pétrifié, en apparence, par la nouveauté de sa situation.
«Vous savez où est le café, n'est-ce pas? Descendez seulement et dites au gentleman que vous êtes venu l'aider à monter le bol… ou bien… attendez… je vais vous dire ce que… je vais vous dire comment nous l'attraperons, dit Smangle d'un air malin.
– Comment cela? demanda M. Pickwick.
– Faites-lui dire qu'il emploie le reste en cigares. Fameuse idée! Courez vite lui dire cela, entendez-vous? Ils ne seront pas perdus, continua Smangle, en se tournant vers M. Pickwick, je les fumerai au besoin.»
Cette manœuvre était si ingénieuse, et elle avait été accomplie avec un aplomb si admirable, que M. Pickwick n'aurait pas voulu y mettre d'obstacle, quand même il l'aurait pu. Au bout de peu de temps, M. Mivins revint apportant le Xérès, que M. Smangle distribua dans deux petites tasses fêlées, faisant observer judicieusement par rapport à lui-même, qu'un gentleman ne doit pas être difficile, dans de semblables circonstances, et que, quant à lui, il n'était pas trop fier pour boire à même dans le bol. En même temps pour montrer sa sincérité, il porta un toast à la compagnie, et vida le vase presque en entier.
Une touchante harmonie ayant été établie de cette manière, M. Smangle commença à raconter diverses anecdotes romanesques de sa vie privée, concernant, entre autres choses, un cheval pur sang, et une magnifique juive, l'un et l'autre d'une beauté surprenante, et singulièrement convoités par la noblesse des trois royaumes.
Longtemps avant la conclusion de ces élégants extraits de la biographie d'un gentleman, M. Mivins s'était mis au lit et avait commencé à ronfler, laissant M. Pickwick et le timide étranger profiter seuls de l'expérience de M. Smangle.
Cependant ces deux auditeurs eux-mêmes ne furent pas apparemment aussi édifiés qu'ils auraient dû l'être par les récits touchants qui leur furent faits. Depuis quelque temps, M. Pickwick se trouvait dans un état de somnolence, lorsqu'il eut une indistincte perception que l'homme ivre avait recommencé à psalmodier ses chansons comiques, et que M. Smangle lui avait fait doucement comprendre que son auditoire n'était pas disposé musicalement, en lui versant le pot à l'eau sur la tête. Notre héros retomba alors dans le sommeil avec le sentiment confus que M. Smangle était encore occupé à raconter une longue histoire, dont le point principal paraissait être que dans une certaine occasion spécifiée avec détails, il avait fait une lettre de change et refait un gentleman.
CHAPITRE XIII
Démontrant, comme le précédent, la vérité de ce vieux proverbe, que l'adversité vous fait faire connaissance avec d'étranges camarades de lit; et contenant, en outre, l'incroyable déclaration que M. Pickwick fit à Sam
Quand M. Pickwick ouvrit les yeux, le lendemain matin, le premier objet qu'il aperçut fut Samuel Weller assis sur un petit porte-manteau noir, et regardant d'un air de profonde abstraction la majestueuse figure de l'éblouissant M. Smangle, tandis que celui-ci, à moitié habillé et assis sur son lit, s'occupait de l'entreprise tout à fait désespérée de faire baisser les yeux dudit Sam. Nous disons tout à fait désespérée, parce que Sam, d'un regard qui embrassait tout à la fois la culotte, les pieds, la tête, le visage, les jambes et les favoris de M. Smangle, continuait de l'examiner avec un air de vive satisfaction et sans plus s'inquiéter des sentiments du sujet, que s'il avait inspecté une statue ou le corps empaillé d'une effigie de Guy Faux.
«Eh bien! me reconnaîtrez-vous? dit M. Smangle en fronçant le sourcil.
– Je prêterai serment de le faire, n'importe où, monsieur, répondit Sam d'un air de bonne humeur.
– Ne dites pas d'impertinences à un gentleman, monsieur.
– Non, assurément; si vous voulez me dire quand il s'éveillera, je lui ferai des politesses extra-superfines.»
Cette observation ayant une tendance indirecte à impliquer que M. Smangle n'était pas un gentleman, excita quelque peu son courroux.
«Mivins, dit-il d'un air colérique.
– Qu'y a-t-il? répliqua M. Mivins de sa couche.
– Qui diable est donc ce gaillard-là?
– Ma foi, dit M. Mivins en regardant languissamment de dessous ses draps, je devrais plutôt vous le demander. A-t-il quelque chose à faire ici?
– Non, répliqua Smangle.
– Alors jetez-le en bas des escaliers, et dites-lui de ne pas se permettre de se relever jusqu'à ce que j'aille le trouver,» répondit M. Mivins. Puis ayant donné cet avis, l'excellent gentleman se remit à dormir.
La conversation montrant ces symptômes peu équivoques de devenir personnelle, M. Pickwick jugea qu'il était temps d'intervenir.
«Sam, dit-il.
– Monsieur?
– Il n'y a rien de nouveau depuis hier?
– Rien d'important, monsieur, répliqua Sam, en lorgnant les favoris de M. Smangle. L'humidité et la chaleur de l'atmosphère paraît favorable à la croissance de certaines mauvaises herbes terribles et rougeâtres; mais à ça près, tout boulotte assez raisonnablement.
– Je vais me lever, interrompit M. Pickwick. Donnez-moi du linge blanc.»
Quelque hostiles qu'eussent pu être les intentions de M. Smangle, elles furent immédiatement radoucies par le porte-manteau dont le contenu parut lui donner tout à coup la plus favorable opinion, non-seulement de M. Pickwick, mais aussi de Sam. En conséquence, il saisit promptement une occasion de déclarer d'un ton assez élevé pour que cet excentrique personnage pût l'entendre, qu'il le reconnaissait pour un original pur sang et partant pour l'homme suivant son cœur. Quant à M. Pickwick, l'affection qu'il conçut pour lui en ce moment ne connut plus de bornes.
«Y a-t-il quelque chose que je puisse faire pour vous, mon cher monsieur? lui dit-il.
– Rien que je sache; je vous suis obligé, répondit le philosophe.
– Vous n'avez pas de linge à envoyer à la blanchisseuse? Je connais une admirable blanchisseuse dans le voisinage. Elle vient pour moi deux fois par semaine… Par Jupiter! comme c'est heureux! c'est justement son jour! Mettrai-je quelques-unes de vos petites affaires avec les miennes? Ne parlez pas de l'embarras: au diable l'embarras! À quoi servirait l'humanité, si un gentleman dans la malheur ne se dérangeait pas un peu pour assister un autre gentleman qui se trouve dans le même cas?»
Ainsi parlait M. Smangle en s'approchant en même temps du porte-manteau aussi près que possible, et laissant voir dans ses regards toute la ferveur de l'amitié la plus désintéressée.
«Est-ce que vous n'avez rien à faire brosser au garçon, mon cher ami? continua-t-il.
– Rien du tout mon fiston, dit Sam en se chargeant de la réplique. Peut-être que si l'un de nous avait la bonne idée de décamper sans attendre le garçon, ça serait plus agréable pour tout le monde, comme disait le maître d'école au jeune gentleman qui refusait de se laisser fouetter par le domestique.
– Et il n'y a rien que je puisse envoyer dans ma petite boîte à la blanchisseuse? ajouta M. Smangle en se tournant de nouveau vers M. Pickwick avec un air quelque peu déconfit.
– Pas l'ombre d'une camisole, monsieur, rétorqua Sam. J'ai peur que la petite boîte ne soit déjà comble de vos effets.»
Ce discours fut accompagné d'un coup d'œil expressif jeté sur cette partie du costume de M. Smangle qui atteste ordinairement la science de la blanchisseuse; aussi ce gentleman se crut-il obligé de tourner sur ses talons et d'abandonner, pour le présent du moins, toutes prétentions sur la bourse et sur la garde-robe de M. Pickwick. Il se retira donc d'assez mauvaise humeur au jeu de paume, où il déjeuna légèrement et sainement d'une couple des cigares qui avaient été achetés le soir précédent.
M. Mivins qui n'était pas fumeur, dont le compte en petits articles d'épicerie avait déjà atteint le bas de l'ardoise, et pour lequel on refusait de retourner ce grand livre primitif, demeura dans son lit, et suivant sa propre expression demanda à déjeuner à Morphée.
M. Pickwick déjeuna dans un petit cabinet, décoré du nom de boudoir, dont les habitants temporaires avaient l'inexprimable avantage d'entendre tout ce qui se disait dans le café voisin; ensuite il dépêcha Sam pour faire quelques commissions nécessaires; puis il se rendit à la loge, afin d'interroger M. Roker concernant son établissement futur.
«Ah! ah! M. Pickwick, dit ce gentleman en consultant un énorme livre. Nous ne manquons pas de place. Votre billet de copin sera pour le 27, au troisième.
– Mon quoi? demanda M. Pickwick.
– Votre billet de copin. Vous n'y êtes pas?
– Pas tout à fait, dit M. Pickwick en souriant.
– Vraiment, c'est aussi clair que le jour. Vous aurez un billet de copin pour le 27, au troisième, et ceux qui habitent la même chambre seront vos copins.
– Sont-ils nombreux? demanda M. Pickwick d'un air intrigué.
– Trois…»
M. Pickwick toussa.
«L'un deux est un ministre, continua M. Roker en écrivant sur un petit morceau de papier; l'autre est un boucher.
– Hein! fit M. Pickwick.
– Un boucher, répéta M. Roker en appuyant le bec de sa plume sur son bureau pour la décider à marquer. Neddy, vous rappelez-vous Tom Martin, quel noceur ça faisait? dit M. Roker à un autre habitant de la loge, lequel s'amusait à ôter la boue de ses souliers, avec un canif à vingt-cinq lames.
– Je crois bien, répondit l'individu interrogé.
– Dieu nous bénisse! continua M. Roker en branlant doucement la tête, et en regardant d'un air distrait par les barreaux de la fenêtre comme quelqu'un qui prend plaisir à se rappeler les scènes paisibles de son enfance; il me semble que c'est hier qu'il donnait une roulée aux charretiers, là bas à Fox-under-the-Hill, près de l'endroit où on débarque le charbon. Je le vois encore le long du Strand, entre deux Watchmen, un peu dégrisé par ses meurtrissures, avec un emplâtre de vinaigre et de papier gris sur l'œil droit; et sur ses talons, son joli boule-dogue, qui a dévoré le petit garçon ensuite. Quelle drôle de chose que le temps, hein, Neddy?»
Le gentleman à qui ses observations étaient adressées et qui paraissait d'une disposition pensive et taciturne, se contenta de répéter la même phrase, et M. Roker secouant les idées sombres et poétiques qui s'étaient emparées de lui, redescendit aux affaires communes de la vie, et reprit sa plume.
«Savez-vous quel est le troisième gentleman? demanda M. Pickwick, fort peu enchanté par cette description de ses futurs associés.
– Neddy, qu'est-ce que c'est que Simpson? dit M. Roker, en se tournant vers son compagnon.
– Quel Simpson?
– Celui qui est au 27, au troisième, avec qui ce gentleman va être copin.
– Oh! lui? répliqua Neddy, il n'est rien du tout; autrefois c'était le compère d'un maquignon; aujourd'hui il est floueur.
– C'est ce que je pensais, répliqua M. Roker en fermant son livre, et en pinçant le petit morceau de papier dans la main de M. Pickwick. Voilà le billet, monsieur.»
Très-embarrassé par cette manière sommaire de disposer de sa personne, M. Pickwick rentra dans la prison, en réfléchissant à ce qu'il avait de mieux à faire.
Convaincu toutefois qu'avant de tenter une autre démarche, il était utile de voir les trois gentlemen avec qui on voulait le colloquer, il se dirigea le mieux qu'il put vers le troisième étage.
Après avoir erré quelque temps dans la galerie en essayant de déchiffrer, malgré l'obscurité, les numéros qui se trouvaient sur les différentes portes, il s'adressa à la fin à un garçon de taverne qui poursuivait son occupation matinale de glaner les pots d'étain.
«Où est le nº 27, mon ami? demanda M. Pickwick.
– Cinq portes plus loin, répliqua le garçon. Il y a sur la porte en dehors le portrait à la craie d'un gentleman pendu qui fume sa pipe.»
Guidé par ces instructions, M. Pickwick s'avança lentement le long de la galerie jusqu'au moment où il rencontra le portrait du gentleman ci-dessus décrit. Il frappa à la porte avec le revers de son index, doucement d'abord, puis ensuite plus fortement. Après avoir inutilement répété cette opération, il se hasarda à ouvrir et à regarder dans l'intérieur.
Il y avait dans la chambre un seul homme qui se penchait par la fenêtre aussi loin qu'il le pouvait sans perdre l'équilibre, et qui s'efforçait avec grande persévérance de cracher sur le chapeau d'un de ses amis intimes qui se trouvait en bas dans la cour. M. Pickwick n'ayant pu lui indiquer sa présence ni en parlant, ni en toussant, ni en éternuant, ni en frappant, ni par aucun autre moyen d'attirer l'attention, se détermina enfin à s'approcher de la fenêtre et à tirer doucement la basque de l'habit de cet individu. Celui-ci rentra vivement la tête et les épaules, et demanda à M. Pickwick, d'un ton bourru, ce qu'il lui voulait.
«Je crois, dit M. Pickwick en consultant son billet, je crois que c'est ici le nº 27, au troisième?
– Eh bien?
– C'est en vertu de ce morceau de papier que je suis venu ici.
– Voyons un peu ça.»
M. Pickwick obéit.
«M. Roker aurait bien pu vous fourrer ailleurs,» dit d'un air mécontent M. Simpson (car c'était ce chevalier d'industrie).
M. Pickwick le pensait aussi, mais, dans de telles circonstances, il jugea prudent de garder le silence.
M. Simpson réfléchit pendant quelques instants, puis mettant la tête à la fenêtre, il donna un coup de sifflet aigu et prononça à haute voix certaines paroles. M. Pickwick ne put pas les distinguer, mais il imagina que c'était quelque sobriquet qui distinguait M. Martin, car immédiatement après, un grand nombre de gentlemen qui se trouvaient en bas se mirent à crier: «Le boucher! le boucher!» en imitant le cri par lequel les membres de cette utile classe de la société ont coutume de faire connaître quotidiennement leur présence, aux grilles des sous-sols des maisons de Londres.
Les événements subséquents confirmèrent l'exactitude de cette hypothèse, car au bout de quelques secondes un gentleman prématurément gros pour son âge, habillé du bourgeron bleu professionnel et avec des bottes à revers, et à bouts ronds, entra presque hors d'haleine dans la chambre: il fut suivi de près par un autre gentleman en habit noir très-râpé, et en bonnet de peau de loutre. Celui-ci s'occupait tout le long du chemin à rattacher son habit jusqu'au menton, au moyen de boutons et d'épingles. Il avait un visage très-rouge et très-commun, et faisait l'effet d'un chapelain ivre, ce qu'il était effectivement.
Ces deux gentlemen ayant à leur tour parcouru le billet de M. Pickwick, l'un exprima son opinion que c'était embêtant, et l'autre, sa conviction que c'était une scie. Ayant manifesté leurs sentiments en ces termes intelligibles, ils se regardèrent entre eux et regardèrent M. Pickwick, au milieu d'un silence fort embarrassant.
«Quel ennui! Et il faut que ça arrive au moment où nous formons une petite société si agréable,» reprit le chapelain en regardant trois matelas malpropres, roulés chacun dans une couverture, et qui occupaient durant le jour un coin de la chambre, formant une toilette d'un nouveau genre, sur laquelle étaient placés une vieille cuvette fêlée, une boîte et un pot à eau de faïence à fleurs bleues. «Quel ennui!»
M. Martin exprima la même opinion en termes plus énergiques, et M. Simpson, après avoir lancé dans le monde une quantité d'adjectifs sans aucun substantif pour les accompagner, releva le bas de ses manches et commença à laver des choux pour le dîner.
Pendant que cela se passait, M. Pickwick s'occupait à considérer la chambre, qui était outrageusement sale et sentait le renfermé d'une manière intolérable. Il n'y avait point de vestige de tapis, de rideaux, ni de jalousies; il n'y avait pas même un cabinet. À la vérité, s'il y en avait en un, il ne se trouvait pas grand'chose à y mettre; mais, quoique peu nombreux et peu considérables, individuellement, cependant des morceaux de fromage, des croûtons de pain, des torchons mouillés, des restes de viande, des objets de vêtements, de la vaisselle mutilée, des soufflets sans bout, des fourchettes sans manche, présentent quelque chose d'assez peu confortable, en apparence, quand ils sont répandus sur le carreau d'une petite salle qui représente à la fois le salon et la chambre à coucher de trois individus désœuvrés.
«Je suppose pourtant que cela peut s'arranger, dit le boucher, après un assez long silence. Que prendriez-vous pour vous en aller?
– Je vous demande pardon, répliqua M. Pickwick: qu'est-ce que vous disiez? je n'ai pas bien entendu.
– Combien demandez-vous pour vous en aller? D'ordinaire c'est trois francs, mais on vous en donnera quatre; ça vous va-t-il?
– Au besoin, nous nous fendrons d'une roue de cabriolet, suggéra M. Simpson.
– Va pour la roue de cabriolet; ça ne nous fait que quelques sous de plus par personne, ajouta M. Martin. Qu'en dites-vous. Nous vous offrons quatre shillings par semaine pour vous en aller. Eh bien?