Kitabı oku: «Aventures de Monsieur Pickwick, Vol. II», sayfa 24
– Rien, pour le moment.
– Très-bien, monsieur. Vous ne voulez pas commander votre souper, monsieur?
– Non, pas à présent.
– Très-bien, monsieur.»
Le garçon marche doucement vers la porte, et s'arrêtant court, se retourna et dit avec une grande suavité:
«Vous enverrai-je la fille de chambre, messieurs?
– Oui, s'il vous plaît, répondit M. Pickwick.
– Et puis vous apporterez une bouteille de soda-water ajouta Bob.
– Soda-water? Oui, monsieur.» Avec ces mots, le garçon, dont l'esprit paraissait soulagé d'un poids accablant en ayant à la fin obtenu l'ordre de servir quelque chose, s'évanouit imperceptiblement. En effet, les garçons d'hôtel ne marchent ni ne courent; ils ont une manière mystérieuse de glisser, qui n'est pas donnée aux autres hommes.
Quelques légers symptômes de vitalité ayant été éveillés chez M. Ben Allen par un verre de soda-water, il consentit enfin à laver son visage et ses mains, et à se laisser brosser par Sam. M. Pickwick et Bob Sawyer ayant également réparé les désordres que le voyage avait produits dans leur costume, les trois amis partirent, bras dessus, bras dessous, pour se rendre chez M. Winkle. Le long du chemin, Bob imprégnait l'atmosphère d'une violente odeur de tabac.
À un quart de mille environ, dans une rue tranquille et propre, s'élevait une vieille maison de briques rouges. La porte, à laquelle on montait par trois marches, portait sur une plaque de cuivre ces mots: M. WINKLE. Les marches étaient fort blanches, les briques très-rouges, et la maison très-propre.
L'horloge sonnait dix heures quand MM. Pickwick, Ben Allen et Bob Sawyer frappèrent à la porte. Une servante proprette vint l'ouvrir, et tressaillit en voyant trois étrangers.
«M. Winkle est-il chez lui, ma chère? demanda M. Pickwick.
– Il va souper, monsieur, répondit la jeune fille.
– Donnez-lui cette carte, s'il vous plaît, et dites-lui que je suis fâché de le déranger si tard, mais que je viens d'arriver, et que je dois absolument le voir ce soir.»
La jeune fille regarda timidement M. Sawyer, qui exprimait par une étonnante variété de grimaces l'admiration que lui inspiraient ses charmes; ensuite, jetant un coup d'œil aux chapeaux et aux redingotes accrochés dans le corridor, elle appela une autre servante, pour garder la porte pendant qu'elle montait. La sentinelle fut rapidement relevée, car la jeune fille revint immédiatement, demanda pardon aux trois amis de les avoir laissés dans la rue, et les introduisit dans un arrière-parloir, moitié bureau, moitié cabinet de toilette, dont les principaux meubles étaient un bureau, un lavabo, un miroir à barbe, un tire-botte et des crochets, un tabouret, quatre chaises, une table et une vieille horloge.
Sur le manteau de la cheminée se trouvait un coffre-fort en fer fixé dans le mur; enfin un almanach et une couple de tablettes chargées de livres et de papiers poudreux décoraient les murs.
«Je suis bien fâché de vous avoir fait attendre à la porte, monsieur, dit la jeune fille en allumant une lampe et en s'adressant à m. Pickwick avec un gracieux sourire; mais je ne vous connaissais pas du tout, et il y a tant d'aventuriers qui viennent pour voir s'ils peuvent mettre la main sur quelque chose que réellement…
– Il n'y a pas le moindre besoin d'apologie, ma chère enfant, répliqua M. Pickwick avec bonne humeur.
– Pas le plus léger, mon amour,» ajouta Bob en étendant plaisamment les bras, et sautant d'un côté de la chambre à l'autre, comme pour empêcher la jeune fille de s'éloigner immédiatement. Mais elle ne fut nullement attendrie par ces gracieusetés, car elle exprima tout haut son opinion que M. Bob Sawyer était un polisson, et lorsqu'il voulut l'amadouer par des moyens encore plus pressants, elle lui imprima ses jolis doigts sur le visage, et bondit hors de la chambre, avec force expressions d'aversion et de mépris.
Privé de la société de la jeune bonne, M. Bob Sawyer chercha à se divertir en regardant dans le bureau, en ouvrant les tiroirs de la table, en feignant de crocheter la serrure du coffre-fort, en retournant l'almanach, en essayant, par-dessus ses bottes, celles de M. Winkle senior, et en faisant sur les meubles et ornements diverses autres expériences amusantes, qui causaient à M. Pickwick une horreur et une agonie inexprimables, mais qui donnaient à M. Bob Sawyer un délice proportionnel.
À la fin, la porte s'ouvrit, et un petit vieillard, en habit couleur de tabac, dont le visage et le crâne étaient exactement la contre-partie du crâne et du visage appartenant à M. Winkle junior (si ce n'est que le petit vieillard était un peu chauve), entra, en trottant, dans la chambre, tenant d'une main la carte de M Pickwick, de l'autre un chandelier d'argent.
«Monsieur Pickwick, comment vous portez-vous, monsieur? dit le petit vieillard en posant son chandelier et tendant sa main. J'espère que vous allez bien, monsieur? Charmé de vous voir, asseyez-vous, monsieur Pickwick, je vous en prie Ce gentleman est?..
– Mon ami monsieur Sawyer, répondit M. Pickwick, un ami de votre fils.
– Oh! fit M. Winkle en regardant Bob d'un air un peu refrogné. J'espère que vous allez bien, monsieur?
– Comme un charme, répliqua Bob.
– Cet autre gentleman, dit M. Pickwick, cet autre gentleman, comme vous le verrez quand vous aurez lu la lettre dont je suis chargé, est un parent très-proche… ou plutôt devrais-je dire, un intime ami de votre fils. Son nom est Allen.
– Ce gentleman?» demanda M. Winkle, en montrant avec la carte M. Benjamin Allen, qui s'était endormi dans une attitude telle qu'on n'apercevait de lui que son épine dorsale, et le collet de son habit.
M. Pickwick était sur le point de répondre à cette question, et de réciter tout au long les noms et honorables qualités de M. Benjamin Allen, quand le spirituel Bob, afin de faire comprendre à son ami la situation où il se trouvait, lui fit dans la partie charnue du bras un violent pinçon. Ben se dressa sur ses pieds, avec un grand cri; mais s'apercevant aussitôt qu'il était en présence d'un étranger, il s'avança vers M. Winkle et lui secouant tendrement les deux mains pendant environ cinq minutes, murmura quelques mots sans suite, à moitié intelligibles, sur le plaisir qu'il éprouvait à le voir; lui demandant, d'une manière très-hospitalière, s'il était disposé à prendre quelque chose après sa promenade, ou s'il préférait attendre jusqu'au dîner; après quoi il s'assit, et se mit à regarder autour de lui, d'un air hébété, comme s'il n'avait pas eu la moindre idée du lieu où il se trouvait; ce qui était vrai, effectivement.
Tout ceci était fort embarrassant pour M. Pickwick, et d'autant plus que M. Winkle senior témoignait un étonnement palpable à la conduite excentrique, pour ne pas dire plus, de ses deux compagnons. Afin de mettre un terme à cette situation, il tira une lettre de sa poche, et la présentant à M. Winkle, lui dit:
«Cette lettre, monsieur, est de votre fils. Vous verrez par ce qu'elle contient que son bien-être et son bonheur futur dépendent de la manière bienveillante et paternelle dont vous l'accueillerez. Vous m'obligerez beaucoup en la lisant avec calme, et en en discutant ensuite le sujet avec moi, d'une manière grave et convenable. Vous pouvez juger de quelle importance votre décision est pour votre fils, et quelle est son extrême anxiété, à ce sujet, puisqu'elle m'a engagé à me présenter chez vous, à une heure si avancée, et, ajouta M. Pickwick en regardant légèrement ses deux compagnons, et dans des circonstances si défavorables.»
Après ce prélude, M. Pickwick plaça entre les mains du vieillard étonné, quatre pages serrées de repentir superfin; puis, s'étant assis, il examina sa figure et son maintien, avec inquiétude il est vrai, mais avec l'air ouvert et assuré d'un homme qui a accepté un rôle dont il n'a pas à rougir ni à se défendre.
Le vieux négociant tourna et retourna la lettre avant de l'ouvrir; examina l'adresse, le dos, les côtés; fit des observations microscopiques sur le petit garçon grassouillet imprimé sur la cire; leva ses yeux sur le visage de M. Pickwick; et enfin, s'asseyant sur le tabouret de son bureau et rapprochant la lampe, brisa le cachot, ouvrit l'épître, et, l'élevant près de la lumière, se prépara à lire.
Juste dans ce moment, M. Bob Sawyer, dont l'esprit était demeuré inactif depuis quelques minutes, plaça ses mains sur ses genoux et se composa un visage de clown, d'après les portraits de feu M. Grimaldi. Malheureusement il arriva que M. Winkle, au lieu d'être profondément occupé à lire sa lettre, comme Bob l'imaginait, s'avisa de regarder par-dessus, et, conjecturant avec raison que le visage en question était fabriqué en dérision de sa propre personne, fixa ses yeux sur le coupable avec tant de sévérité, que les traits de feu M. Grimaldi se résolurent, graduellement, en une contenance fort humble et fort confuse.
«Vous m'avez parlé, monsieur? demanda M. Winkle après un silence menaçant.
– Non, monsieur, répliqua Bob qui n'avait plus rien d'un clown, excepté l'extrême rougeur de ses joues.
– En êtes-vous bien sûr, monsieur?
– Oh! certainement; oui, monsieur, tout à fait.
– Je l'avais cru, monsieur, rétorqua le vieux gentleman avec une emphase pleine d'indignation. Peut-être que vous m'avez regardé, monsieur?
– Oh! non, monsieur, pas du tout, répliqua Bob de la manière la plus civile.
– Je suis charmé de l'apprendre, monsieur, reprit le vieillard en fronçant ses sourcils d'un air majestueux; puis il rapprocha la lettre de la lumière et commença à lire sérieusement.
M. Pickwick le considérait avec attention, tandis qu'il tournait de la dernière ligne de la première page à la première ligne de la seconde; et de la dernière ligne de la seconde page à la première ligne de la troisième; et de la dernière ligne de la troisième page à la première ligne de la quatrième; mais quoique le mariage de son fils lui fût annoncé dans les douze premières lignes, comme le savait très bien M. Pickwick, aucune altération de sa physionomie n'indiqua avec quels sentiments il prenait une si importante nouvelle.
M. Winkle lut la lettre jusqu'au dernier mot, la replia avec la précision d'un homme d'affaires, et juste au moment où M. Pickwick attendait quelque grande expansion de sensibilité, il trempa une plume dans l'encrier, et dit aussi tranquillement que s'il avait parlé de l'affaire commerciale la plus ordinaire: Quelle est l'adresse de Nathaniel, monsieur Pickwick?
«À l'hôtel George et Vautour, pour le présent.
– George et Vautour, où est cela?
– George Yard, Lombard street.
– Dans la cité?
– Oui.»
Le vieux gentleman écrivit méthodiquement l'adresse sur le dos de la lettre, et l'ayant placée dans son bureau, qu'il ferma, dit en rangeant le tabouret et en mettant la clef dans sa poche: «Je suppose que nous n'avons plus rien à nous dire, monsieur Pickwick?»
– Rien à nous dire, mon cher monsieur? s'écria l'excellent homme avec une chaleur pleine d'indignation. Rien à nous dire! N'avez-vous pas d'opinion à exprimer sur un événement si considérable dans la vie de mon jeune ami? Pas d'assurance à lui faire transmettre par moi, de la continuation de votre affection et de votre protection? Rien à dire qui puisse le rassurer, rien qui puisse consoler la jeune femme inquiète, dont le bonheur dépend de lui? Mon cher monsieur, réfléchissez.
– Précisément, je réfléchirai. Je ne puis rien dire maintenant. Je suis un homme méthodique, monsieur Pickwick, je ne m'embarque jamais précipitamment dans aucune affaire et d'après ce que je vois de celle-ci, je n'en aime nullement les apparences. Mille livres sterling ne sont pas grand chose, monsieur Pickwick.
– Vous avez bien raison, monsieur, dit Ben Allen, justement assez éveillé pour savoir qu'il avait dépensé ses mille livres sans la plus petite difficulté. Vous êtes un homme intelligent. Bob, c'est un gaillard intelligent.
– Je suis enchanté que vous me rendiez cette justice, dit M. Winkle, en jetant un regard méprisant à M. Ben Allen, qui hochait la tête d'un air profond. Le fait est, monsieur Pickwick, qu'en permettant à mon fils de voyager sous vos auspices pendant un an ou deux, pour apprendre à connaître les hommes et les choses, et afin qu'il n'entrât pas dans la vie comme un écolier, qui se laisse attraper par le premier venu, je n'avais nullement compté sur ceci. Il le sait très bien, et si je cessais de le soutenir, il n'aurait pas lieu d'être surpris. Au reste il apprendra ma décision, monsieur Pickwick. En attendant, je vous souhaite le bonsoir. Margaret, ouvrez la porte.»
Pendant tout ce temps M. Bob Sawyer avait fait des signes à son ami pour l'engager à dire quelque chose qui fût frappé au bon coin; aussi Ben improvisa-t-il, sans aucun avertissement préalable, une petite oraison brève, mais pleine de chaleur. «Monsieur, dit-il en regardant le vieux gentleman avec des yeux ternes et fixes et en balançant furieusement son bras de bas en haut: Vous… vous devriez rougir de votre conduite.
– En effet, répliqua M. Winkle; comme frère de la jeune personne, vous êtes un excellent juge de la question. Allons! en voilà assez. Je vous en prie, monsieur Pickwick, n'ajoutez plus rien. Bonne nuit, messieurs.»
Ayant dit ces mots, le vieux négociant prit le chandelier et ouvrit la porte de la chambre, en montrant poliment le corridor.
«Vous regretterez votre conduite, monsieur, dit M. Pickwick en serrant étroitement ses dents, pour contenir sa colère, car il sentait combien cela était important pour son jeune ami.
– Je suis pour le moment d'une opinion différente, répondit M. Winkle avec calme. Allons, messieurs, je vous souhaite encore un bonne nuit.»
M. Pickwick regagna la rue d'un pas irrité; Bob Sawyer, complètement maté par les manières décidées du vieux gentleman, prit le même parti; le chapeau de M. Ben Allen roula après eux sur les marches, et la personne de M. Ben Allen le suivit immédiatement; puis les trois compagnons allèrent se coucher en silence, et sans songer. Mais avant de s'endormir, M. Pickwick pense que s'il avait su quel homme méthodique était M. Winkle senior, il ne serait assurément pas chargé d'une telle commission pour lui.
CHAPITRE XXII
Dans lequel M. Pickwick rencontre une vieille connaissance, circonstance fortuite à la quelle la lenteur est principalement redevable des détails brûlants d'intérêt ci-dessous consignés, concernant deux hommes politiques
Lorsque M. Pickwick se réveilla à huit heures du matin, l'état de l'atmosphère n'était nullement propre à égayer son esprit, ni à diminuer l'abattement que lui avait inspiré le résultat inattendu de son ambassade. Le ciel était triste et sombre, l' air humide et froid, les rues mouillées et fangeuses. La fumée restait paresseusement suspendue au sommet des cheminées, comme si elle avait manqué d'énergie pour s'élever, et la brume descendait lentement, comme si elle n'avait pas eu même le cœur à tomber. Un coq de combat, privé de toute son animation habituelle, se balançait tristement sur une patte, dans la cour, tandis qu'une bourrique, sous un étroit appentis, tenait sa tête baissée, et, s'il fallait en croire sa contenance misérable, devait méditer un suicide. Dans les rues, on ne voyait que des parapluies, et l'on n'entendait que le cliquetis des casques et le clapotement de l'eau, qui dégouttait des toits.
Pendant le déjeuner, la conversation demeura singulièrement traînante. M. Bob Sawyer lui-même ressentait l'influence du temps, et la réaction de l'excitation du jour précédent. Suivant son propre et expressif langage, il était aplati. M. Ben Allen l'était aussi; et pareillement M. Pickwick.
Dans l'attente prolongée d'une éclaircie, le dernier journal de Londres fut lu et relu, avec une intensité d'intérêt qui ne s'observe jamais que dans des cas d'extrême misère. Les trois compagnons d'infortunes ne mirent pas moins de persévérances à arpenter chaque fleur du tapis; ils regardèrent par la fenêtre assez souvent pour justifier l'imposition d'une double taxe; ils entamèrent, sans résultat, toutes sortes de sujets de conversation, et à la fin, lorsque midi fut arrivé sans amener aucun changement favorable, M. Pickwick tira résolument la sonnette et demanda sa voiture.
La route était boueuse, il bruinait plus fort que jamais, et la boue était lancée dans la chaise ouverte en si grande quantité, qu'elle incommodait les habitants de l'intérieur presque autant que ceux de l'extérieur. Pourtant, dans le mouvement même, dans le sentiment d'un changement, d'une action, il y avait quelque chose de bien préférable à l'ennui de rester enfermé dans une chambre sombre, et de voir pour toute distraction la pluie tomber tristement dans une triste rue. Aussi nos voyageurs s'étonnèrent-ils d'abord d'avoir été si longtemps à prendre leur parti.
Quand ils arrêtèrent à Coventry pour relayer, la vapeur qui sortait des chevaux formait un nuage si épais, qu'elle éclipsait complétement le palefrenier; seulement on l'entendit s'écrier au milieu du brouillard, qu'il espérait bien obtenir la première médaille d'or de la société d'humanité, pour avoir ôté le chapeau du postillon, attendu que celui-ci aurait été infailliblement noyé par l'eau qui découlait des bords, si l'invisible gentleman n'avait pas eu la présence d'esprit de l'enlever vivement, et d'essuyer avec un bouchon de paille le visage du naufragé.
«Ceci est agréable, dit Bob en arrangeant le collet de son habit, et en tirant son châle sur sa bouche pour concentrer la fumée d'un verre d'eau-de-vie qu'il venait d'avaler.
– Tout à fait, répondit Sam d'un air tranquille.
– Vous n'avez pas l'air d'y faire attention.
– Dame! monsieur, je ne vois pas trop quel bien ça me ferait.
– Voilà une excellente réponse, ma foi!
– Certainement, monsieur. Tout ce qui arrive est bien, comme remarqua doucement le jeune seigneur quand il reçut une pension, parce que le grand-père de la femme de l'oncle de sa mère avait une fois allumé la pipe du roi avec son briquet phosphorique.
– Ce n'est pas une mauvaise idée cela, répliqua Bob d'un air approbatif.
– Juste ce que le jeune courtisan disait ensuite tous les jours d'échéance pendant le reste de sa vie.»
Après un court silence, Sam jeta un coup d'œil au postillon, et baissant la voix de manière à ne produire qu'un chuchotement mystérieux: «Avez-vous jamais été appelé, quand vous étiez apprenti carabin, pour visiter un postillon?..
– Non, je ne le crois pas.
– Vous n'avez jamais vu un postillon dans un hôpital n'est-ce pas?
– Non, je ne pense pas en avoir vu.
– Vous n'avez jamais connu un cimetière où y avait un postillon d'enterré? vous n'avez jamais vu un postillon mort, n'est-ce pas? demanda Sam, en poursuivant son catéchisme.
– Non, répliqua Bob.
– Ah! reprit Sam d'un air triomphant, et vous n'en verrez jamais, et il y a une autre chose qu'on ne verra jamais, c'est un âne mort. Personne n'a jamais vu un âne mort, excepté le gentleman23 en culotte de soie noire, qui connaissait la jeune femme qui gardait une chèvre, et encore c'était un âne français; ainsi il n'était pas de pur sang, après tout.
– Eh bien! quel rapport tout cela a-t-il avec le postillon? demanda Bob.
– Voilà. Je ne veux pas assurer, comme quelques personnes très-sensées, que les postillons et les ânes sont un être immortel, tous les deux; mais voilà ce que je dis: C'est que, quand ils se sentent trop roides pour travailler, ils s'en vont, l'un portant l'autre: un postillon pour deux ânes, c'est la règle. Ce qu'ils deviennent ensuite, personne n'en sait rien; mais il est très-probable qu'ils vont pour s'amuser dans un monde meilleur, car il n'y a pas un homme vivant qui ait jamais vu un postillon ni un âne s'amuser dans ce monde ici.»
Développant compendieusement cette remarquable théorie, et citant à l'appui divers faits statistiques, Sam Weller égaya le trajet jusqu'à Dunchurch. Là on obtint un postillon sec et des chevaux frais. Daventry était le relais suivant, Towcester celui d'après, et à la fin de chaque relais, il pleuvait plus fort qu'au commencement.
«Savez-vous, dit Bob d'un ton de remontrance en mettant le nez à la portière de la chaise, lorsqu'elle arrêta devant la tête du sarrasin, à Towcester, savez-vous que ça ne peut pas aller comme ça?
– Ah ça! dit M. Pickwick, qui venait de sommeiller un peu: J'ai peur que vous n'attrapiez de l'humidité.
– Oh vraiment! en effet, je crois que je suis légèrement humide! dit Bob, et personne ne pouvait le nier, car la pluie coulait de son cou, de ses coudes, de ses parements, de ses casques et de ses genoux. Tout son costume était si luisant d'eau, qu'on aurait pu croire qu'il était imprégné d'huile.
– Je crois que je suis légèrement humide, répéta Bob, en se secouant et en jetant autour de lui une petite pluie fine, comme font les chiens de Terre-Neuve, en sortant de l'eau.
– Je pense vraiment qu'il n'est pas possible d'aller plus loin ce soir, fit observer Ben Allen.
– Tout à fait hors de question, monsieur, ajouta Sam en s'approchant pour assister à la conférence? C'est de la cruauté envers les animaux que de les faire sortir d'un temps pareil. Il y a des lits ici, monsieur. Tout est propre et confortable. Un très-bon petit dîner, qui peut être prêt en une demi-heure; des poulets et des côtelettes, du veau, des haricots verts, une tarte et de la propreté. Vous ferez bien de rester ici, monsieur, si j'ose donner mon avis gratis. Consultez les gens de l'art, comme disait le docteur.»
L'hôte de la Tête de Sarrasin arriva fort à propos, en ce moment, pour confirmer les éloges de Sam, relativement aux mérites de son établissement et pour appuyer ses supplications par une quantité de conjonctures effrayantes concernant l'état des routes, l'improbabilité d'avoir des chevaux frais aux relais suivant la certitude infaillible qu'il pleuvrait toute la nuit, et la certitude, également infaillible, que le temps s'éclaircirait le matin; avec divers autres raisonnements séducteurs familiers à tous les aubergistes.
«C'est bien! dit M. Pickwick; mais alors il faut que j'envoie une lettre à Londres, de manière à ce que qu'elle soit remise demain, dès le matin. Autrement je serais obligé de continuer ma route, à tout hasard.»
L'hôte fit une grimace de plaisir. Rien n'était plus facile que d'envoyer une lettre empaquetée dans une feuille de papier gris, soit par la malle, soit par la voiture de nuit de Birmingham. Si le gentleman tenait particulièrement à ce que qu'elle fût remise de suite, il pouvait écrire sur l'enveloppe très-pressée, moyennant quoi il serait certain qu'elle serait portée immédiatement, ou bien une demi-couronne au porteur si ce paquet est remis de suite, ce qui serait encore plus sûr.
«Très-bien! dit M. Pickwick. Alors nous allons rester ici.
– John, cria l'aubergiste; des lumières dans le soleil; faites vite du feu, les gentlemen sont mouillés. Par ici, messieurs. Ne vous tourmentez pas du postillon, monsieur, je vous l'enverrai quand vous le sonnerez. Maintenant, John, les chandelles.»
Les chandelles furent apportées, le feu fut attisé et une nouvelle bûche y fut jetée. En dix minutes de temps un garçon mettait la nappe pour le dîner, les rideaux étaient tirés, le feu flambait, et, comme il arrive toujours dans une auberge anglaise un peu décente, on aurait cru, à voir l'arrangement de toutes choses, que les voyageurs étaient attendus depuis huit jours au moins.
M. Pickwick s'assit à une petite table et écrivit rapidement, pour M. Winkle, un billet dans lequel il l'informait simplement qu'il était arrêté par le mauvais temps, mais qu'il arriverait certainement à Londres, le jour suivant; remettant d'ailleurs, à cette époque, le détail de ses opérations. Ce billet, arrangé de manière à avoir l'air d'un paquet, fut immédiatement porté à l'aubergiste, par Sam.
Après s'être séché au feu de la cuisine, Sam revenait pour ôter les bottes de son maître, quand, en regardant par une porte entr'ouverte, il aperçut un grand homme, dont les cheveux étaient roux. Devant lui, sur une table, était étalé un paquet de journaux, et il lisait l'article politique de l'un d'eux, avec un air de sarcasme continuel, qui donnait à ses narines et à tous ses traits une expression de mépris superbe et majestueux.
«Hé! dit Sam, il me semble que je connais cette boule-là, et le lorgnon d'or, et la tuile à grands rebords. J'ai vu tout cela à Eatanswill, ou bien je suis un crétin!»
À l'instant même, afin d'attirer l'attention du gentleman, Sam fut saisi d'une toux fort incommode. Celui-ci tressaillit, en entendant du bruit, leva sa tête et son lorgnon, et laissa apercevoir les traits profonds et pensifs de M. Pott, l'éditeur de la Gazette d'Eatanswill.
«Pardon, monsieur, dit Sam en s'approchant avec un salut. Mon maître est ici, monsieur Pott.
– Chut! chut! cria Pott, en entraînant Sam, dans la chambre et en fermant la porte, avec une expression de physionomie pleine de mystère et d'appréhension.
– Qu'est-ce qu'il y a? monsieur, dit Sam en regardant avec étonnement autour de lui.
– Gardez-vous bien de murmurer mon nom. Nous sommes dans un pays jaune: si la population irritable savait que je suis ici, elle me déchirerait en lambeaux.
– En vérité, monsieur?
– Oui; je serais la victime de leur furie. Mais maintenant jeune homme, qu'est-ce que vous disiez de votre maître?
– Qu'il passe la nuit dans cette auberge, avec un couple d'amis.
– M. Winkle en est-il? demanda M. Pott en fronçant légèrement le sourcil.
– Non, monsieur, il reste chez lui maintenant. Il est marié.
– Marié! s'écria Pott avec une véhémence effrayante. Il s'arrêta, sourit d'un air sombre, et ajouta à voix basse et d'un ton vindicatif: C'est bien fait, il n'a que ce qu'il mérite.»
Ayant ainsi exhalé, avec un sauvage triomphe, sa mortelle malice envers un ennemi abattu, M. Pott demanda si les amis de M. Pickwick étaient bleus, et l'intelligent valet, qui en savait à peu près autant que l'éditeur lui-même, ayant fait une réponse très-satisfaisante, M. Pott consentit à l'accompagner dans la chambre de M. Pickwick. Il y fut reçu avec beaucoup de cordialité, et l'on convint de dîner en commun.
Lorsque M. Pott eut pris son siége près du feu, et lorsque nos trois voyageurs eurent ôté leurs bottes mouillées et mis des pantoufles: «Comment vont les affaires à Eatanswill? demanda M. Pickwick. L'Indépendant existe-t-il toujours?
– L'Indépendant, monsieur, répliqua Pott, traîne encore sa misérable et languissante carrière, abhorré et méprisé par le petit nombre de ceux qui connaissent sa honteuse et méprisable existence; suffoqué lui-même par les ordures qu'il répand en si grande profusion, assourdi et aveuglé par les exhalaisons de sa propre fange, l'obscène journal, sans avoir la conscience de son état dégradé, s'enfonce rapidement sous la vase trompeuse qui semble lui offrir un point d'appui solide auprès des classes les plus basses de la société, mais qui, s'élevant par degré au-dessus de sa tête détestée, l'engloutira bientôt pour toujours.»
Ayant débité avec véhémence ce manifeste, tiré de son dernier article politique, l'éditeur s'arrêta pour prendre haleine, puis regardant majestueusement Bob: «Vous êtes jeune, monsieur,» lui dit-il.
M. Sawyer inclina la tête.
«Et vous aussi, monsieur,» ajouta Pott en s'adressant à M. Ben Allen.
Celui-ci reconnut l'agréable imputation.
– Et vous êtes tous les deux profondément imbus de ces principes bleus, que j'ai promis aux peuples de ce royaume de défendre et de maintenir tant que je vivrai?
– Hé! hé! quant à cela, je n'en sais trop rien, répliqua Bob, je suis…
– Pas un jaune, n'est-ce pas? monsieur Pickwick, interrompit l'éditeur en reculant sa chaise. Votre ami n'est pas un jaune, monsieur.
– Non, non, répliqua Bob. Je suis une espèce de tartan écossais, à présent; un composé de toutes les couleurs.
– Un vacillateur, dit Pott d'une voix solennelle; un vacillateur! Ah! monsieur, si vous pouviez lire une série de huit articles, qui ont paru dans la Gazette d'Eatanswill, j'ose dire que vous ne seriez pas longtemps sans asseoir vos opinions sur une base ferme et solide.
– Et moi, j'ose dire que je deviendrais tout bleu, avant d'être arrivé à la fin,» rétorqua Bob.
M. Pott le regarda d'un air soupçonneux, pendant quelques minutes, puis se tournant vers M. Pickwick: «Vous avez lu, sans doute, les articles littéraires qui ont paru par intervalles, depuis trois mois, dans la Gazette d'Eatanswill, et qui ont excité une attention si générale et… et je puis le dire, une admiration si universelle.
– Eh! mais, répliqua M. Pickwick, légèrement embarrassé par cette question, le fait est que j'ai été tellement occupé, d'une autre manière, que je n'ai réellement pas eu la possibilité de les parcourir.
– Il faut les lire, monsieur, dit l'éditeur d'un air sévère.
– Oui, certainement.
– Ils ont paru sous la forme d'une critique très-détaillée d'un ouvrage sur la métaphysique chinoise.
– Ah! très-bien… Ces articles sont de vous? j'espère.
– Ils sont de mon critique, monsieur, répliqua Pott avec grande dignité.
– Un sujet bien abstrait, à ce qu'il semble?
– Tout à fait, répondit Pott, avec l'air profond d'un sage. Il a fait, sous ma direction, des études préparatoires. D'après mon avis, il s'est aidé, pour cela, de l'Encyclopédie britannique.
– En vérité? Je ne savais pas que cet excellent ouvrage contînt quelque chose sur la métaphysique chinoise.
– Monsieur, continua Pott, en posant sa main sur le genou de M. Pickwick et en regardant autour de lui avec un sourire de supériorité intellectuelle, il a lu, pour la métaphysique, à la lettre M; et pour la Chine, à la lettre C; et il a amalgamé les fruits de cette double lecture, monsieur!»
Les traits de M. Pott rayonnèrent de tant de grandeur additionnelle, au souvenir de la puissance de génie et des trésors de science déployés dans le docte travail en question, qu'il s'écoula quelques minutes avant que M. Pickwick eût la hardiesse de recommencer la conversation. Pourtant la contenance de l'éditeur étant retombée graduellement dans son expression ordinaire de suprématie morale, notre philosophe se hasarda à lui dire: «Me sera-t-il permis de demander quel grand objet vous a amené si loin de votre maison?
– L'objet qui me guide et qui m'anime toujours, dans mes gigantesques travaux, répliqua Pott avec un sourire; le bien de mon pays.