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Kitabı oku: «David Copperfield – Tome I», sayfa 9

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– Je ne suppose pas que vous m'ayez jamais cru dans une brillante position de fortune, repartit notre maître d'études. Vous savez ce qu'est et ce qu'a toujours été ma situation dans cette maison.

– Je crains, dit M. Creakle, et les veines de son front devenaient formidables, que vous n'ayez été en effet ici dans une fausse position, et que vous n'ayez pris ma maison pour une école de charité. Monsieur Mell, il ne nous reste plus qu'à nous séparer, et le plus tôt sera le mieux.

– En ce cas, ce sera tout de suite, dit M. Mell en se levant.

– Monsieur! dit M. Creakle.

– Je vous dis adieu, monsieur Creakle, et à vous tous, messieurs, dit M. Mell en promenant ses regards tout autour de la chambre, et en me caressant de nouveau doucement l'épaule. James Steerforth, tout ce que je peux vous souhaiter de mieux, c'est qu'un jour vous veniez à vous repentir de ce que vous avez fait aujourd'hui. Pour le moment, je serais désolé de vous avoir pour ami ou de vous voir l'ami de quelqu'un auquel je m'intéresserais.»

Il me passa doucement la main sur le bras, prit dans son pupitre quelques livres et sa flûte, remit la clef au pupitre pour l'usage de son successeur, puis sortit de la chambre avec ce léger bagage sous le bras. M. Creakle fit alors une allocution par l'intermédiaire de Tungby; il remercia Steerforth d'avoir défendu (quoiqu'un peu trop chaleureusement peut-être) l'indépendance et la bonne renommée de Salem-House, puis il finit en lui donnant une poignée de main pendant que nous poussions trois hurras, je ne savais pas trop pourquoi, mais je supposai que c'était en l'honneur de Steerforth, et je m'y joignis de toute mon âme, bien que j'eusse le coeur très-gros. M. Creakle donna des coups de canne à Tommy Traddles, parce qu'il le surprit à pleurer, au lieu d'applaudir au départ de M. Mell; puis il alla retrouver son canapé, son lit ou n'importe quoi.

Nous nous retrouvâmes tout seuls, et nous ne savions trop que nous dire. Pour ma part, j'étais tellement désolé et repentant du rôle que j'avais joué dans l'affaire, que je n'aurais pu retenir mes larmes si je n'avais craint que Steerforth, qui me regardait très- souvent, n'en fût mécontent, ou plutôt qu'il ne le trouvât peu respectueux envers lui, tant était grande ma déférence pour son âge et sa supériorité! En effet, il était très en colère contre Traddles, et se plaisait à dire qu'il était enchanté qu'on l'eût puni d'importance.

Le pauvre Traddles avait déjà passé sa période de désespoir sur son pupitre, et se soulageait comme à l'ordinaire en dessinant une armée de squelettes; il répondit que ça lui était bien égal: qu'il n'en était pas moins vrai qu'on avait très-mal agi envers M. Mell.

«Et qui donc a mal agi envers lui, mademoiselle? dit Steerforth.

– Mais c'est vous, repartit Traddles.

– Qu'est-ce que j'ai donc fait? dit Steerforth.

– Comment, ce que vous avez fait? reprit Traddles, vous l'avez profondément blessé, et vous lui avez fait perdre sa place.

– Je l'ai blessé! répéta dédaigneusement Steerforth. Il s'en consolera un de ces quatre matins, allez. Il n'a pas le coeur aussi sensible que vous, mademoiselle Traddles. Quant à sa place, qui était fameuse, n'est-ce pas? croyez-vous que je ne vais pas écrire à ma mère pour lui envoyer de l'argent?»

Nous admirâmes tous la noblesse des sentiments de Steerforth: sa mère était veuve et riche, et prête, disait-il, à faire tout ce qu'il lui demanderait. Nous fûmes tous ravis de voir Traddles ainsi remis à sa place, et on éleva jusqu'aux nues la magnanimité de Steerforth, surtout quand il nous eut informés, comme il daigna le faire, qu'il n'avait agi que dans notre intérêt, et pour nous rendre service, mais qu'il n'avait pas eu pour lui la moindre pensée d'égoïsme.

Mais je suis forcé d'avouer que ce soir-là, tandis que je racontais une de mes histoires, le son de la flûte de M. Mell semblait retentir tristement à mon oreille, et lorsque Steerforth fut enfin endormi, je me sentis tout à fait malheureux à la pensée de notre pauvre maître d'études qui peut-être, en cet instant, faisait douloureusement vibrer son instrument mélancolique.

Je l'oubliai bientôt pour contempler uniquement Steerforth qui travaillait tout seul, en amateur, sans l'aide d'aucun livre (il les savait tous par coeur, me disait-il), jusqu'à ce qu'on eût trouvé un nouveau répétiteur. Cet important personnage nous vint d'une école secondaire, et avant d'entrer en fonctions, il dîna un jour chez M. Creakle, pour être présenté à Steerforth. Steerforth voulut bien lui donner son approbation, et nous dit qu'il avait du chic. Sans savoir exactement quel degré de science ou de mérite ce mot impliquait, je respectai infiniment notre nouveau maître, sans me permettre le moindre doute sur son savoir éminent; et pourtant il ne se donna jamais pour ma chétive personne le quart de la peine que s'était donnée M. Mell.

Il y eut, pendant ce second semestre de ma vie scolaire, un autre événement, qui fit sur moi une impression qui dure encore; et cela pour bien des raisons.

Un soir que nous étions tous dans un terrible état d'agitation, M. Creakle, frappant à droite et à gauche dans sa mauvaise humeur, Tungby entra et cria de sa plus grosse voix:

«Des visiteurs pour Copperfield!»

Il échangea quelques mots avec M. Creakle, lui demanda dans quelle pièce il fallait faire entrer les nouveaux venus; puis on me dit de monter par l'escalier de derrière pour mettre un col propre, et de me rendre ensuite dans le réfectoire. J'étais debout, suivant la coutume, pendant ce colloque, prêt à me trouver mal d'étonnement. J'obéis, dans un état d'émotion difficile à décrire; et avant d'entrer dans le réfectoire, à la pensée que peut-être c'était ma mère, je retirai ma main qui soulevait déjà le loquet, et je versai d'abondantes larmes. Jusque-là je n'avais songé qu'à la possibilité de voir apparaître M. ou Mlle Murdstone.

J'entrai enfin; et d'abord je ne vis personne; mais je sentis quelqu'un derrière la porte, et là, à mon grand étonnement, je découvris M. Peggotty et Ham, qui me tiraient leurs chapeaux avec la plus grande politesse. Je ne pus m'empêcher de rire, mais c'était plutôt du plaisir que j'avais à les voir que de la drôle de mine qu'ils faisaient avec leurs plongeons et leurs révérences. Nous nous donnâmes les plus cordiales poignées de main, et je riais si fort, mais si fort, qu'à la fin je fus obligé de tirer mon mouchoir pour m'essuyer les yeux.

M. Peggotty, la bouche ouverte pendant tout le temps de sa visite, parut très-ému lorsqu'il me vit pleurer, et il fit signe à Ham de me dire quelque chose.

«Allons, bon courage, monsieur Davy! dit Ham de sa voix la plus affectueuse. Mais, comme vous voilà grandi!

– Je suis grandi? demandai-je en m'essuyant de nouveau les yeux. Je ne sais pas bien pourquoi je pleurais; ce ne pouvait être que de joie en revoyant mes anciens amis.

– Grandi! monsieur Davy? Je crois bien qu'il a grandi! dit Ham.

– Je crois bien qu'il a grandi! dit M. Peggotty.»

Et ils se mirent à rire de si bon coeur que je recommençai à rire de mon côté, et à nous trois nous rîmes, ma foi, si longtemps, que je voyais le moment où j'allais me remettre à pleurer.

«Savez-vous comment va maman, monsieur Peggotty? lui dis-je. Et comment va ma chère, chère vieille Peggotty?

– Admirablement, dit M. Peggotty.

– Et la petite Émilie, et mistress Gummidge?

– Ad…mirablement, dit M. Peggotty.»

Il y eut un moment de silence. Pour le rompre, M. Peggotty tira de ses poches deux énormes homards, un immense crabe et un grand sac de crevettes, entassant le tout sur les bras de Ham.

«Nous avons pris cette liberté, dit M. Peggotty, sachant que vous aimiez assez nos coquillages quand vous étiez avec nous. C'est la vieille mère qui les a fait bouillir. Vous savez, mistress Gummidge, c'est elle qui les a fait bouillir. Oui, dit lentement M. Peggotty en s'accrochant à son sujet comme s'il ne s'avait où en prendre un autre, c'est mistress Gummidge qui les a fait bouillir; je vous assure.»

Je leur exprimai tous mes remercîments; et M. Peggotty, après avoir jeté les yeux sur Ham qui regardait les crustacés d'un air embarrassé, sans faire le moindre effort pour venir à son secours, il ajouta: «Nous sommes venus, voyez-vous, avec l'aide du vent et de la marée, sur un de nos radeaux de Yarmouth à Gravesend. Ma soeur m'avait envoyé le nom de ce pays-ci, et elle m'avait dit de venir voir M. Davy, si jamais j'allais du côté de Gravesend, de lui présenter ses respects, et de lui dire que toute la famille se portait admirablement bien. Et, voyez-vous, la petite Émilie écrira à ma soeur, quand nous serons revenus, que je vous ai vu, et que vous aussi vous alliez admirablement bien; ça fait que tout le monde sera content: ça fera la navette.»

Il me fallut quelques moments de réflexion pour comprendre ce que signifiait la métaphore employée par M. Peggotty pour figurer les nouvelles respectives qu'il se chargeait de faire circuler à la ronde. Je le remerciai de nouveau, et je lui demandai, non sans rougir, ce qu'était devenue la petite Émilie, depuis le temps où nous ramassions des cailloux et des coquillages sur la plage.

«Mais elle devient une femme, voilà ce qu'elle devient, dit M. Peggotty. Demandez-lui.»

Il me montrait Ham qui faisait un signe de joyeuse affirmation tout en contemplant le sac de crevettes.

«Quelle jolie figure! dit M. Peggotty, et ses yeux rayonnaient de plaisir.

– Et si savante! dit Ham.

– Elle écrit si bien! dit M. Peggotty. C'est noir comme de l'encre, et si gros qu'on pourrait le voir de dix lieues à la ronde.»

Avec quel enthousiasme M. Peggotty parlait de sa petite favorite! Il est là devant moi; son visage s'épanouit avec une expression d'amour et de joyeux orgueil, que je ne saurais peindre; ses yeux honnêtes brillent et s'animent comme s'ils lançaient des étincelles. Sa large poitrine se soulève de plaisir; ses grandes mains se pressent l'une contre l'autre dans son émotion, et il gesticule d'un bras si vigoureux, qu'avec mes yeux de pygmée je crois voir un marteau de forge.

Ham était tout aussi ému que lui. Je crois qu'ils m'auraient parlé beaucoup plus longuement de la petite Émilie, s'ils n'avaient été intimidés par l'entrée inattendue de Steerforth, qui, me voyant causer dans un coin avec deux inconnus, cessa aussitôt de chanter et me dit: «Je ne savais pas que vous fussiez ici, Copperfield» (car ce n'était pas le parloir des visites), puis il passa son chemin.

Je ne sais si c'est que j'étais fier de montrer que j'avais un ami comme Steerforth, ou si je voulais lui expliquer comment il se faisait que j'avais un ami tel que M. Peggotty, mais je le rappelai et je lui dis modestement (grand Dieu! comme tous ces souvenirs sont encore présents à mon esprit): «Ne vous en allez pas, Steerforth, je vous en prie. Ce sont deux marins de Yarmouth, d'excellentes gens, des parents de mon ancienne bonne; ils sont venus de Gravesend pour me voir.

– Ah! ah! dit Steerforth en revenant sur ses pas. Je suis charmé de les voir. Comment allez-vous?»

Il y avait une aisance dans toutes ses manières, une grâce facile et naturelle qui semblait d'une séduction irrésistible.

Dans sa tournure, dans sa gaieté, dans sa voix si douce, dans sa noble figure, il y avait je ne sais quel attrait mystérieux auquel on cédait sans le vouloir. Je vis tout de suite qu'il les charmait l'un et l'autre, et qu'ils étaient tout disposés à lui ouvrir leurs coeurs.

«Quand vous enverrez la lettre à Peggotty, dis-je à ces braves gens, vous leur ferez savoir, je vous prie, que M. Steerforth est très-bon pour moi, et que je ne sais pas ce que je deviendrais ici sans lui.

– Quelle bêtise! dit Steerforth en riant. N'allez pas leur dire ça.

– Et si M. Steerforth vient jamais en Norfolk ou en Suffolk, monsieur Peggotty, continuai-je, vous pouvez être bien sûr que je l'amènerai à Yarmouth pour voir votre maison. Vous n'avez jamais vu une si drôle de maison, Steerforth: elle est faite d'un bateau!

– Faite d'un bateau! dit Steerforth. Eh bien, c'est la maison qui convient à un marin pur-sang.

– C'est bien vrai, monsieur; c'est bien vrai, dit Ham en riant. Vous avez raison. Monsieur Davy, ce jeune monsieur a raison. Un marin pur-sang! Ah, ah! C'est bien ça.»

M. Peggotty était tout aussi ravi que son neveu, mais sa modestie ne lui permettait pas de s'approprier aussi bruyamment un compliment tout personnel.

«Mais oui, monsieur, dit-il en saluant et en rentrant les bouts de sa cravate dans son gilet; je vous suis obligé, monsieur, je vous remercie. Je fais de mon mieux, dans ma profession, monsieur.

– On ne peut rien demander de plus, monsieur Peggotty, dit Steerforth. Il savait déjà son nom.

– C'est ce que vous faites vous-même, j'en suis sûr, monsieur, dit M. Peggotty eu secouant la tête, et vous y réussissez, j'en suis certain, monsieur. Je vous remercie, monsieur, de m'avoir si bien accueilli. Je suis un peu rude, monsieur, mais je suis franc; je l'espère, du moins, vous comprenez. Ma maison n'est pas belle, monsieur, mais elle est toute à votre service, si jamais vous voulez venir la voir avec M. Davy. Mais je reste là comme un colimaçon, dit M. Peggotty, ce qui signifiait qu'il restait attaché là, sans pouvoir s'en aller. Il avait essayé, après chaque phrase, de se retirer, mais sans jamais en venir à bout. «Allons, je vous souhaite une bonne santé et bien du bonheur.»

Ham s'associa à ce voeu, et nous nous quittâmes le plus affectueusement du monde. J'avais un peu envie, ce soir-là, de parler à Steerforth de la jolie petite Émilie, mais la timidité me retint, j'avais trop peur qu'il ne se moquât de moi. Je réfléchis longuement, et non sans anxiété, à ce qu'avait dit M. Peggotty, qu'elle devenait une femme; mais je décidai en moi-même que c'était une bêtise.

Nous transportâmes nos crustacés dons notre dortoir avec un profond mystère, et nous fîmes un grand souper. Mais Traddles n'en sortit pas à son honneur. Il n'avait pas de chance: il ne pouvait pas même se tirer d'un souper comme un autre. Il fut malade toute la nuit, mais malade comme il n'est pas possible, grâce au crabe; et après avoir été forcé d'avaler des médecines noires et des pilules, à une dose suffisante pour tuer un cheval, du moins s'il faut en croire Demple (dont le père était docteur), il eut encore des coups de canne par-dessus le marché avec six chapitres grecs du Nouveau Testament à traduire, pour le punir de n'avoir voulu faire aucun aveu.

Le reste du semestre se confond dans mon esprit avec la routine journalière de notre triste vie: l'été a fini et l'automne est venu; il fait froid le matin, à l'heure où on se lève; quand on se couche, la nuit est plus froide encore; le soir, notre salle d'études est mal éclairée et mal chauffée, le matin c'est une vraie glacière; nous passons du boeuf bouilli au boeuf rôti, et du mouton rôti au mouton bouilli; nous mangeons du pain avec du beurre rance; puis c'est un horrible mélange de livres déchirés, d'ardoises fêlées, de cahiers salis par nos larmes, de coups de canne, de coups de règle, de cheveux coupés, de dimanches pluvieux et de puddings aigres: le tout enveloppé d'une épaisse atmosphère d'encre.

Je me rappelle cependant que la lointaine perspective des vacances, après être restée longtemps immobile, semble enfin se rapprocher de nous; que nous en vînmes bientôt à ne plus compter par mois, ni par semaines, mais bien par jours; que j'avais peur qu'on ne me rappelât pas chez ma mère, et que, lorsque j'appris de Steerforth que ma mère me réclamait, je fus saisi d'une vague terreur à l'idée que je me casserais peut-être la jambe avant le jour fixé pour mon départ. Je me rappelle que je sentais ce jour béni se rapprocher d'heure en heure. C'est la semaine prochaine, c'est cette semaine, c'est après-demain, c'est demain, c'est aujourd'hui, c'est ce soir; je monte dans la malle-poste de Yarmouth, je vais revoir ma mère.

Je fis bien des sommes à bâtons rompus dans la malle-poste, et bien des rêves incohérents où se retrouvaient toutes ces pensées et ces souvenirs. Mais quand je me réveillais de temps à autre, j'avais le bonheur de reconnaître, par la portière de la voiture, que le gazon que je voyais n'était pas celui de la récréation de Salem-House, et que le bruit que j'entendais n'était plus celui des coups que Creakle administrait à Traddles, mais celui du fouet dont le cocher touchait ses chevaux.

CHAPITRE VIII
Mes vacances, et en particulier certaine après-midi où je fus bien heureux

À la pointe du jour, en arrivant à l'auberge où s'arrêtait la malle poste (ce n'était pas celle dont je connaissais trop bien le garçon), on me mena dans une petite chambre très-propre sur laquelle était inscrit le nom de DAUPHIN. J'étais gelé en dépit de la tasse de thé chaud qu'on m'avait donnée, et du grand feu près duquel je m'étais installé pour la boire, et je me couchai avec délices dans le lit du Dauphin, en m'enveloppant dans les couvertures du Dauphin jusqu'au col, puis je m'endormis.

M. Barkis, le messager, devait venir me chercher à neuf heures. Je me levai à huit heures, un peu fatigué par une nuit si courte, et j'étais prêt avant le temps marqué. Il me reçut exactement comme si nous venions de nous quitter quelques minutes auparavant, et que je ne fusse entré dans l'hôtel que pour changer une pièce de six pence.

Dès que je fus monté dans la voiture avec ma malle, le conducteur reprit son siège et le cheval partit à son petit trot accoutumé.

«Vous avez très-bonne mine, monsieur Barkis, lui dis-je, dans l'idée qu'il serait bien aise de l'apprendre.»

M. Barkis s'essuya la joue avec sa manche, puis regarda sa manche comme s'il s'attendait à y trouver quelque trace de la fraîcheur de son teint mais ce fut tout ce qu'obtint mon compliment.

«J'ai fait votre commission, monsieur Barkis, repris-je, j'ai écrit à Peggotty.

«Ah! dit M. Barkis qui semblait de mauvaise humeur et répondait d'un ton sec.

– Est-ce que je n'ai pas bien fait, monsieur Barkis? demandai-je avec un peu d'hésitation.

– Mais non, dit M. Barkis.

– N'était-ce pas là votre commission?

– La commission a peut-être été bien faite, dit M. Barkis, mais tout en est resté là.»

Ne comprenant pas ce qu'il voulait dire, je répétai d'un air interrogateur:

«Tout en est resté là, monsieur Barkis?

– Oui, répondit-il en me jetant un regard de côté. Il n'y a pas eu de réponse.

– On attendait donc une réponse, monsieur Barkis? dis-je en ouvrant les yeux, car l'idée était toute nouvelle pour moi.

– Quand un homme dit qu'il veut bien, dit M. Barkis en tournant lentement vers moi ses regards, c'est comme si on disait que cet homme attend une réponse.

– Eh bien! monsieur Barkis?

– Eh bien, dit M. Barkis en reportant son attention sur les oreilles de son cheval, on est encore à attendre une réponse depuis ce moment-là.

– En avez-vous parlé, monsieur Barkis?

– Non… non… grommela M. Barkis d'un air pensif, je n'ai pas de raison d'aller lui parler. Je ne lui ai jamais adressé dix paroles. Je n'ai pas envie d'aller lui conter ça.

– Voulez-vous que je m'en charge, monsieur Barkis? demandai-je d'un ton timide.

– Vous pouvez lui dire si vous voulez, dit M. Barkis en me regardant de nouveau, que Barkis attend une réponse. Vous dites que le nom est?..

– Son nom?

– Oui, dit M. Barkis avec un signe de tête.

– Peggotty.

– Nom de baptême ou nom propre? dit M. Barkis.

– Oh! ce n'est pas son nom de baptême. Elle s'appelle Clara.

– Est-il possible! dit M. Barkis.»

Il semblait trouver ample matière à réflexions dans cette circonstance, car il resta plongé dans ses méditations pendant quelque temps.

«Eh bien, reprit-il enfin. Dites: «Peggotty, Barkis attend une réponse. «Une réponse, à quoi? dira-t-elle peut-être. Alors vous direz «à ce dont je vous ai parlé. «De quoi m'avez vous parlé?» dira-t-elle. Vous répondrez, «Barkis veut bien.»

À cette suggestion pleine d'artifice, M. Barkis ajouta un coup de coude qui me donna un point de côté. Après quoi il concentra toute son attention sur son cheval comme d'habitude, et ne fit plus d'allusion au même sujet. Seulement au bout d'une demi-heure, il tira un morceau de craie de sa poche et écrivit dans l'intérieur de sa carriole: «Clara Peggotty» probablement pour se souvenir du nom.

Quel étrange sentiment j'éprouvais: revenir chez moi, en sentant que je n'y étais pas chez moi, et me voir rappeler par tous les objets qui frappaient mes regards le bonheur du temps passé qui n'était plus à mes yeux qu'un rêve évanoui! Le souvenir du temps où ma mère et moi et Peggotty nous ne faisions qu'un, où personne ne venait se placer entre nous, m'assaillit si vivement sur la route, que je n'étais pas bien sûr de ne pas regretter d'être venu si loin au lieu de rester là-bas à oublier tout cela dans la compagnie de Steerforth. Mais j'arrivais à la maison, et les branches dépouillées des vieux ormes se tordaient sous les coups du vent d'hiver qui emportait sur ses ailes les débris des nids des vieux corbeaux.

Le conducteur déposa ma malle à la porte du jardin et me quitta. Je pris le sentier qui menait à la maison, en regardant toutes les fenêtres, craignant, à chaque pas, d'apercevoir à l'une d'elles le visage rébarbatif de M. Murdstone ou de sa soeur. Je ne vis personne, et arrivé à la maison, j'ouvris la porte sans frapper. Il ne faisait pas nuit encore, et j'entrai d'un pas léger et timide.

Dieu sait comme ma mémoire enfantine se réveilla dans mon esprit au moment où j'entrai dans le vestibule, en entendant la voix de ma mère quand je mis le pied dans le petit salon. Elle chantait à voix basse, tout comme je l'avais entendue chanter quand j'étais un tout petit enfant reposant dans ses bras. L'air était nouveau pour moi, et pourtant il me remplit le coeur à pleins bords, et je l'accueillis comme un vieil ami après une longue absence.

Je crus, à la manière pensive et solitaire dont ma mère murmurait sa chanson, qu'elle était seule, et j'entrai doucement dans sa chambre. Elle était assise près du feu, allaitant un petit enfant dont elle serrait la main contre son cou. Elle le regardait gaiement et l'endormait en chantant. Elle n'avait point d'autre compagnie.

Je parlai, elle tressaillit et poussa un cri, puis m'apercevant, elle m'appela son David, son cher enfant, et venant au devant de moi, elle s'agenouilla au milieu de la chambre et m'embrassa en attirant ma tête sur son sein près de la petite créature qui y reposait, et elle approcha la main de l'enfant de mes lèvres. Je regrette de ne pas être mort alors. Il aurait mieux valu pour moi mourir dans les sentiments dont mon coeur débordait en ce moment. J'étais plus près du ciel que cela ne m'est jamais arrivé depuis.

«C'est ton frère, dit ma mère en me caressant, David, mon bon garçon! Mon pauvre enfant!» et elle m'embrassait toujours en me serrant dans ses bras. Elle me tenait encore quand Peggotty entra en courant et se jeta à terre à côté de nous, faisant toute sorte de folies pendant un quart d'heure.

On ne m'attendait pas sitôt, le conducteur avait devancé l'heure ordinaire. J'appris bientôt que M. et miss Murdstone étaient allés faire une visite dans les environs et qu'ils ne reviendraient que dans la soirée. Je n'avais pas rêvé tant de bonheur. Je n'avais jamais cru possible de retrouver ma mère et Peggotty seules encore une fois; et je me crus un moment revenu au temps jadis.

Nous dînâmes ensemble au coin du feu. Peggotty voulait nous servir, mais ma mère la fit asseoir et manger avec nous. J'avais ma vieille assiette avec son fond brun représentant un vaisseau de guerre voguant à pleines voiles. Peggotty l'avait cachée depuis mon départ, elle n'aurait pas voulu pour cent livres sterling, dit-elle, qu'elle fût cassée. Je retrouvai aussi ma vieille timbale avec mon nom gravé dessus, et ma petite fourchette, et mon couteau qui ne coupait pas.

À dîner, je crus l'occasion favorable pour parler de M. Barkis à Peggotty, mais avant la fin de mon récit, elle se mit à rire et se couvrit la figure de son tablier.

«Peggotty, dit ma mère, de quoi s'agit-il? Peggotty riait encore plus fort, et serrait contre sa figure le tablier que ma mère essayait de tirer; elle avait l'air de s'être mis la tête dans un sac.

«Que faites-vous donc, folle que vous êtes? dit ma mère en riant.

– Oh! le drôle d'homme, s'écria Peggotty. Il veut m'épouser.

– Ce serait un très-bon parti pour vous, n'est-ce pas? dit ma mère.

– Oh! je n'en sais rien, dit Peggotty. Ne m'en parlez pas. Je ne voudrais pas de lui quand il aurait son pesant d'or. D'ailleurs je ne veux de personne.

– Alors, pourquoi ne le lui dites-vous pas?

– Le lui dire, dit Peggotty en écartant un peu son tablier. Mais il ne m'en a jamais dit un mot lui-même. Il s'en garde bien. S'il avait l'audace de m'en parler je lui donnerais un bon soufflet.»

Elle était rouge, rouge comme le feu, mais elle se cacha de nouveau dans son tablier, et après deux ou trois violents accès d'hilarité, elle reprit son dîner.

Je remarquai que ma mère souriait quand Peggotty la regardait mais que sans cela elle avait pris un air sérieux et pensif. J'avais vu dès le premier moment qu'elle était changée. Son visage était toujours charmant, mais délicat et soucieux, et ses mains étaient si maigres et si blanches qu'elles me semblaient presque transparentes. Mais un nouveau changement venait de se faire dans ses manières, elle semblait inquiète et agitée. Enfin elle avança la main et la posa sur celle de sa vieille servante en lui disant d'un ton affectueux.

«Peggotty, ma chère, vous n'allez pas vous marier?

– Moi, madame, répondit Peggotty en ouvrant de grands yeux, bien certainement non!

– Pas tout de suite? insista tendrement ma mère.

– Jamais, dit Peggotty.»

Ma mère lui prit la main et lui dit:

«Ne me quittez pas, Peggotty, restez avec moi. Ce ne sera peut- être pas bien long. Qu'est-ce que je deviendrais sans vous?

– Moi, vous quitter, ma chérie! s'écria Peggotty. Pas pour tout l'or du monde. Mais qui est-ce qui a pu mettre une semblable idée dans votre petite tête?» Car Peggotty avait depuis longtemps l'habitude de parler quelquefois à ma mère comme à un enfant.

Ma mère ne répondit que pour remercier Peggotty, qui continua à sa façon.

«Moi, vous quitter! il me semble que je n'en ai pas envie. Peggotty, vous quitter! Je voudrais bien voir cela! Non, non, non, dit Peggotty en secouant la tête et en se croisant les bras, il n'y a pas de danger ma chérie. Ce n'est pas qu'il n'y ait de bonnes âmes qui en seraient fort aises, mais on ne s'inquiète guère de ce qui leur plaît. Tant pis pour eux s'ils sont mécontents; je resterai avec vous jusqu'à ce que je sois une vieille femme impotente. Et quand je serai trop sourde, trop infirme, trop aveugle, que je ne pourrai plus parler faute de dents, et que je ne serai plus bonne à rien, même à me faire gronder, j'irai trouver mon David et je le prierai de me recueillir.

– Et je serai bien content de vous voir, Peggotty, et je vous recevrai comme une reine.

– Dieu bénisse votre bon coeur! dit Peggotty, j'en étais bien sûre;» et elle m'embrassa d'avance en reconnaissance de mon hospitalité. Après cela elle se couvrit de nouveau la tête de son tablier, et se mit à rire encore de M. Barkis; après cela elle prit mon petit frère dans son berceau et donna quelques soins à sa toilette; après cela elle desservit le dîner; après cela elle reparut avec un autre bonnet, sa boîte à ouvrage, son mètre, le morceau de cire pour lisser son fil, tout enfin comme par le passé.

Nous étions assis auprès du feu, et nous causions avec délices. Je leur racontai comme M. Creakle était un maître sévère, et elles me témoignèrent une grande compassion. Je leur dis aussi quel bon et aimable garçon c'était que Steerforth et comme il me protégeait, et Peggotty déclara qu'elle ferait bien six lieues à pied pour aller le voir. Mon petit frère se réveillait et je le pris dans mes bras tout doucement pour l'endormir, puis je me glissai près de ma mère comme j'en avais l'habitude autrefois, et je mis mes bras autour de sa taille, en appuyant ma tête sur son épaule, et ses cheveux tombaient sur moi comme les ailes d'un ange. Dieu! que j'étais heureux!

Assis ainsi devant le feu, à voir des figures innombrables dans les charbons ardents, il me semblait presque que celles de M. et miss Murdstone n'existaient que dans mon imagination et qu'elles disparaîtraient comme les autres quand le feu s'éteindrait, mais qu'au fond il n'y avait de réel, dans tous mes souvenirs, que ma mère, Peggotty et moi.

Peggotty ravaudait un bas, elle y travailla tant qu'il fit jour, et resta ensuite la main gauche dans son bas comme dans un gant, et son aiguille dans la main droite prête à faire un point quand le feu jetterait un éclat de lumière. Je ne puis imaginer à qui appartenaient les bas que Peggotty ravaudait toujours, ni d'où pouvait venir une provision si inépuisable de bas à raccommoder. Depuis ma plus tendre enfance je l'ai toujours vue occupée de ce genre de travaux à l'aiguille et de celui-là seulement.

«Je me demande, dit Peggotty qui était saisie parfois d'accès de curiosité dans lesquels elle s'adressait des questions sur les sujets les plus inattendus, je me demande ce qu'est devenue la grand'tante de Davy?

– Bon Dieu! Peggotty! dit ma mère sortant de sa rêverie, quelles folies vous dites!

– Mais, madame, je vous assure vraiment que cela m'étonne, dit Peggotty.

– Comment se fait-il que cette grand'tante vous trotte dans la tête? demanda ma mère. N'y a-t-il pas d'autres gens à qui on puisse penser?

– Je ne sais pas, dit Peggotty, à quoi cela tient, c'est peut- être à ma sottise, mais je ne puis pas choisir mes pensées; elles vont et viennent dans ma tête comme il leur convient. Je me demande ce qu'elle peut être devenue?

– Que vous êtes absurde, Peggotty! reprit ma mère; on dirait que vous espérez d'elle une seconde visite.

– À Dieu ne plaise! s'écria Peggotty.

– Eh bien! je vous en prie, ne parlez pas de choses si désagréables, dit ma mère. Miss Betsy s'est probablement enfermée dans sa petite maison au bord de la mer, et elle y restera. En tout cas, il n'est guère probable qu'elle vienne jamais nous déranger.

– Non, répéta Peggotty d'un air pensif, ce n'est pas probable du tout. Je me demande si, dans le cas où elle viendrait à mourir, elle ne laisserait pas quelque chose à Davy?

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 eylül 2017
Hacim:
690 s. 1 illüstrasyon
Tercüman:
Telif hakkı:
Public Domain
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