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Kitabı oku: «David Copperfield – Tome II», sayfa 15

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– Elle sait assez bien jouer du piano pour l'enseigner à ses petites soeurs, dit Traddles.

– Est-ce qu'elle chante?

– Elle chante quelquefois des ballades pour amuser les autres, quand elles ne sont pas en train, dit Traddles, mais elle n'exécute rien de bien savant.

– Elle ne chante pas en s'accompagnant de la guitare?

– Oh ciel! non!»

– Est-ce qu'elle peint?

– Non, pas du tout,» dit Traddles.

Je promis à Traddles qu'il entendrait chanter Sophie et que je lui montrerais de ses peintures de fleurs.

Il dit qu'il en serait enchanté, et nous rentrâmes bras dessus bras dessous, le plus gaiement du monde. Je l'encourageai à me parler de Sophie; il le fit avec une tendre confiance en elle qui me toucha fort. Je la comparais à Dora dans mon coeur, avec une grande satisfaction d'amour-propre; mais, c'est égal, je reconnaissais bien volontiers en moi-même que ça ferait évidemment une excellente femme pour Traddles.

Naturellement ma tante fut immédiatement instruite de l'heureux résultat de notre conférence, et je la mis au courant de tous les détails. Elle était heureuse de me voir si heureux, et elle me promit d'aller très-prochainement voir les tantes de Dora. Mais, ce soir-là, elle arpenta si longtemps le salon, pendant que j'écrivais à Agnès, que je commençais à croire qu'elle avait l'intention de continuer jusqu'au lendemain matin.

Ma lettre à Agnès était pleine d'affection et de reconnaissance, elle lui détaillait tous les bons effets des conseils qu'elle m'avait donnés. Elle m'écrivit par le retour du courrier. Sa lettre à elle était pleine de confiance, de raison et de bonne humeur, et à dater de ce jour, elle montra toujours la même gaieté.

J'avais plus de besogne que jamais. Putney était loin de Highgate où je me rendais tous les jours, et pourtant je voulais y aller le plus souvent possible. Comme il n'y avait pas moyen que je pusse me rendre chez Dora à l'heure du thé, j'obtins, par capitulation, de miss Savinia, la permission de venir tous les samedis dans l'après-midi, sans que cela fit tort au dimanche. J'avais donc deux beaux jours à la fin de chaque semaine, et les autres se passaient tout doucement dans l'attente de ceux-là.

Je fus extrêmement soulagé de voir que ma tante et les tantes de Dora s'accommodèrent les unes des autres, à tout prendre, beaucoup mieux que je ne l'avais espéré. Ma tante fit sa visite quatre ou cinq jours après la conférence, et deux ou trois jours après, les tantes de Dora lui rendirent sa visite, dans toutes les règles, en grande cérémonie. Ces visites se renouvelèrent, mais d'une manière plus amicale, de trois en trois semaines. Je sais bien que ma tante troublait toutes les idées des tantes de Dora, par son dédain pour les fiacres, dont elle n'usait guère, préférant de beaucoup venir à pied jusqu'à Putney, et qu'on trouvait qu'elle avait bien peu d'égards pour les préjugés de la civilisation, en arrivant à des heures indues, tout de suite après le déjeuner, ou un quart d'heure avant le thé, ou bien en mettant son chapeau de la façon la plus bizarre, sous prétexte que cela lui était commode. Mais les tantes de Dora s'habituèrent bientôt à regarder ma tante comme une personne excentrique et tant soit peu masculine, mais d'une grande intelligence; et, quoique ma tante exprimât parfois, sur certaines convenances sociales, des opinions hérétiques qui étourdissaient les tantes de Dora, cependant elle m'aimait trop pour ne pas sacrifier à l'harmonie générale quelques-unes de ses singularités.

Le seul membre de notre petit cercle qui refusât positivement de s'adapter aux circonstances, ce fut Jip. Il ne voyait jamais ma tante sans aller se fourrer sous une chaise en grinçant des dents, et en grognant constamment; de temps à autre il faisait entendre un hurlement lamentable, comme si elle lui portait sur les nerfs. On essaya de tout, on le caressa, on le gronda, on le battit, on l'amena à Buckingham-Street (où il s'élança immédiatement sur les deux chats, à la grande terreur des spectateurs); mais jamais on ne put l'amener à supporter la société de ma tante. Parfois il semblait croire qu'il avait fini par se raisonner et vaincre son antipathie; il faisait même l'aimable un moment, mais bientôt il retroussait son petit nez, et hurlait si fort qu'il fallait bien vite le fourrer dans le réchaud aux assiettes pour qu'il ne pût rien voir. À la fin, Dora prit le parti de l'envelopper tout prêt dans une serviette, pour le mettre dans le réchaud dès qu'on annonçait l'arrivée de ma tante.

Il y avait une chose qui m'inquiétait beaucoup, même au milieu de cette douce vie, c'était que Dora semblait passer, aux yeux de tout le monde, pour un charmant joujou. Ma tante, avec laquelle elle s'était peu à peu familiarisée, l'appelait sa petite fleur; et miss Savinia passait son temps à la soigner, à refaire ses boucles, à lui préparer de jolies toilettes: on la traitait comme un enfant gâté. Ce que miss Savinia faisait, sa soeur naturellement le faisait aussi de son côté. Cela me paraissait singulier; mais tout le monde avait, jusqu'à un certain point, l'air de traiter Dora, à peu près comme Dora traitait Jip.

Je me décidai à lui en parler, et un jour que nous étions seuls ensemble (car miss Savinia nous avait, au bout de peu de temps, permis de sortir seuls), je lui dis que je voudrais bien qu'elle pût leur persuader de la traiter autrement.

«Parce que, voyez-vous, ma chérie! vous n'êtes pas un enfant.

– Allons! dit Dora; est-ce que vous allez devenir grognon, à présent?

– Grognon? mon amour!

– Je trouve qu'ils sont tous très-bons pour moi, dit Dora, et je suis très-heureuse.

– À la bonne heure; mais, ma chère petite, vous n'en sériez pas moins heureuse, quand on vous traiterait en personne raisonnable.»

Dora me lança un regard de reproche. Quel charmant petit regard! et elle se mit à sangloter, en disant que, «puisque je ne l'aimais pas, elle ne savait pas pourquoi j'avais tant désiré d'être son fiancé? et que, puisque je ne pouvais pas la souffrir, je ferais mieux de m'en aller.»

Que pouvais-je faire, que d'embrasser ces beaux yeux pleins de larmes, et de lui répéter que je l'adorais?

«Et moi qui vous aime tant, dit Dora; vous ne devriez pas être si cruel pour moi, David!

– Cruel? mon amour! comme si je pouvais être cruel pour vous!

– Alors ne me grondez pas, dit Dora avec cette petite moue qui faisait de sa bouche un bouton de rose, et je serai très-sage.»

Je fus ravi un instant après de l'entendre me demander d'elle- même, si je voulais lui donner le livre de cuisine dont je lui avais parlé une fois, et lui montrer à tenir des comptes comme je le lui avais promis. À la visite suivante, je lui apportai le volume, bien relié, pour qu'il eût l'air moins sec et plus engageant; et tout en nous promenant dans les champs, je lui montrai un vieux livre de comptes à ma tante, et je lui donnai un petit carnet, un joli porte-crayon et une boîte de mine de plomb pour qu'elle pût s'exercer au ménage.

Mais le livre de cuisine fit mal à la tête à Dora, et les chiffres la firent pleurer. Ils ne voulaient pas s'additionner, disait- elle; aussi se mit-elle à les effacer tous, et à dessiner à la place sur son carnet des petits bouquets, ou bien le portait de Jip et le mien.

J'essayai ensuite de lui donner verbalement quelques conseils sur les affaires du ménage, dans nos promenades du samedi. Quelquefois, par exemple, quand nous passions devant la boutique d'un boucher, je lui disais:

«Voyons, ma petite, si nous étions mariés, et que vous eussiez à acheter une épaule de mouton pour notre dîner, sauriez-vous l'acheter?»

Le joli petit visage de Dora s'allongeait, et elle avançait ses lèvres, comme si elle voulait fermer les miennes par un de ses baisers.

«Sauriez-vous l'acheter, ma petite?» répétais-je alors d'un air inflexible.

Dora réfléchissait un moment, puis elle répondait d'un air de triomphe:

«Mais le boucher saurait bien me la vendre; est-ce que ça ne suffit pas? Oh! David que vous êtes niais!»

Une autre fois, je demandai à Dora, en regardant le livre de cuisine, ce qu'elle ferait si nous étions mariés, et que je lui demandasse de me faire manger une bonne étuvée à l'irlandaise. Elle me répondit qu'elle dirait à sa cuisinière: «Faites-moi une étuvée.» Puis elle battit des mains en riant si gaiement qu'elle me parut plus charmante que jamais.

En conséquence, le livre de cuisine ne servit guère qu'à mettre dans le coin, pour faire tenir dessus tout droit maître Jip. Mais Dora fut tellement contente le jour où elle parvint à l'y faire rester, avec le porte crayon entre les dents, que je ne regrettai pas de l'avoir acheté.

Nous en revînmes à la guitare, aux bouquets de fleurs, aux chansons sur le plaisir de danser toujours, tra la la! et toute la semaine se passait en réjouissances. De temps en temps j'aurais voulu pouvoir insinuer à miss Savinia qu'elle traitait un peu trop ma chère Dora comme un jouet, et puis je finissais par m'avouer quelquefois, que moi aussi je cédais à l'entraînement général, et que je la traitais comme un jouet aussi bien que les autres; quelquefois, mais pas souvent.

CHAPITRE XII
Une noirceur

Je sais qu'il ne m'appartient pas de raconter, bien que ce manuscrit ne soit destiné qu'à moi seul, avec quelle ardeur je m'appliquai à faire des progrès dans tous les menus détails de cette malheureuse sténographie, pour répondre à l'attente de Dora et à la confiance de ses tantes. J'ajouterai seulement, à ce que j'ai dit déjà de ma persévérance à cette époque et de la patiente énergie qui commençait alors à devenir le fond de mon caractère, que c'est à ces qualités surtout que j'ai dû plus tard le bonheur de réussir. J'ai eu beaucoup de bonheur dans les affaires de cette vie; bien des gens ont travaillé plus que moi, sans avoir autant de succès; mais je n'aurais jamais pu faire ce que j'ai fait sans les habitudes de ponctualité, d'ordre et de diligence que je commençai à contracter, et surtout sans la faculté que j'acquis alors de concentrer toutes mes attentions sur un seul objet à la fois, sans m'inquiéter de celui qui allait lui succéder peut-être à l'instant même. Dieu sait que je n'écris pas cela pour me vanter! Il faudrait être véritablement un saint pour n'avoir pas à regretter, en repassant toute sa vie comme je le fais ici, page par page, bien des talents négligés, bien des occasions favorables perdues, bien des erreurs et bien des fautes. Il est probable que j'ai mal usé, comme un autre, de tous les dons que j'avais reçus. Ce que je veux dire simplement, c'est que, depuis ce temps-là, tout ce que j'ai eu à faire dans ce monde, j'ai essayé de le bien faire; que je me suis dévoué entièrement à ce que j'ai entrepris, et que dans les petites comme dans les grandes choses, j'ai toujours sérieusement marché à mon but. Je ne crois pas qu'il soit possible, même à ceux qui ont de grandes familles, de réussir s'ils n'unissent pas à leur talent naturel des qualités simples, solides, laborieuses, et surtout une légitime confiance dans le succès: il n'y a rien de tel en ce monde que de vouloir. Des talents rares, ou des occasions favorables, forment pour ainsi dire les deux montants de l'échelle où il faut grimper, mais, avant tout, que les barreaux soient d'un bois dur et résistant; rien ne saurait remplacer, pour réussir, une volonté sérieuse et sincère. Au lieu de toucher à quelque chose du bout du doigt, je m'y donnais corps et âme, et, quelle que fût mon oeuvre, je n'ai jamais affecté de la déprécier. Voilà des règles dont je me suis trouvé bien.

Je ne veux pas répéter ici combien je dois à Agnès de reconnaissance dans la pratique de ces préceptes. Mon récit m'entraîne vers elle comme ma reconnaissance et mon amour.

Elle vint faire chez le docteur une visite de quinze jours. M. Wickfield était un vieil ami de cet excellent homme qui désirait le voir pour tâcher de lui faire du bien. Agnès lui avait parlé de son père à sa dernière visite à Londres, et ce voyage était le résultat de leur conversation. Elle accompagna M. Wickfield. Je ne fus pas surpris d'apprendre qu'elle avait promis à mistress Heep de lui trouver un logement dans le voisinage; ses rhumatismes exigeaient, disait-elle, un changement d'air, et elle serait charmée de se trouver en si bonne compagnie. Je ne fus pas surpris non plus de voir le lendemain Uriah arriver, comme un bon fils qu'il était, pour installer sa respectable mère.

«Voyez-vous, maître Copperfield, dit-il en m'imposant sa société tandis que je me promenais dans le jardin du docteur, quand on aime, on est jaloux, ou tout au moins on désire pouvoir veiller sur l'objet aimé.

– De qui donc êtes-vous jaloux, maintenant? lui dis-je.

– Grâce à vous, maître Copperfield, reprit-il, de personne en particulier pour le moment, pas d'un homme, au moins!

– Seriez-vous par hasard jaloux d'une femme?»

Il me lança un regard de côté avec ses sinistres yeux rouges et se mit à rire.

«Réellement, maître Copperfield, dit-il… je devrais dire monsieur Copperfield, mais vous me pardonnerez cette habitude invétérée; vous êtes si adroit, vrai, vous me débouchez comme avec un tire-bouchon! Eh bien! je n'hésite pas à vous le dire, et il posa sur moi sa main gluante et poissée, je n'ai jamais été l'enfant chéri des dames, je n'ai jamais beaucoup plu à mistress Strong.»

Ses yeux devenaient verts, tandis qu'il me regardait avec une ruse infernale.

«Que voulez-vous dire? lui demandai-je.

– Mais bien que je sois procureur, maître Copperfield, reprit-il avec un petit rire sec, je veux dire, pour le moment, exactement ce que je dis.

– Et que veut dire votre regard? continuai-je avec calme.

– Mon regard? Mais Copperfield, vous devenez bien exigeant. Que veut dire mon regard?

– Oui, dis-je, votre regard?»

Il parut enchanté, et rit d'aussi bon coeur qu'il savait rire. Après s'être gratté le menton, il reprit lentement et les yeux baissés:

«Quand je n'étais qu'un humble commis, elle m'a toujours méprisé. Elle voulait toujours attirer mon Agnès chez elle, et elle avait bien de l'amitié pour vous, maître Copperfield. Mais moi, j'étais trop au-dessous d'elle pour qu'elle me remarquât.

– Eh bien! dis-je, quand cela serait?

– Et au-dessous de lui aussi, poursuivit Uriah très- distinctement et d'un ton de réflexion, tout en continuant à se gratter le menton.

– Vous devriez connaître assez le docteur, dis-je, pour savoir qu'avec son esprit distrait il ne songeait pas à vous quand vous n'étiez pas sous ses yeux.»

Il me regarda de nouveau de côté, allongea son maigre visage pour pouvoir se gratter plus commodément, et me répondit:

«Oh! je ne parle pas du docteur; oh! certes non; pauvre homme! Je parle de M. Maldon.»

Mon coeur se serra; tous mes doutes, toutes mes appréhensions sur ce sujet, toute la paix et tout le bonheur du docteur, tout ce mélange d'innocence et d'imprudence dont je n'avais pu pénétrer le mystère, tout cela, je vis en un moment que c'était à la merci de ce misérable grimacier.

«Jamais il n'entrait dans le bureau sans me dire de m'en aller et me pousser dehors, dit Uriah; ne voilà-t-il pas un beau monsieur! Moi j'étais doux et humble comme je le suis toujours. Mais, c'est égal, je n'aimais pas ça dans ce temps-là, pas plus que je ne l'aime aujourd'hui.»

Il cessa de se gratter le menton et se mit à sucer ses joues de manière qu'elles devaient se toucher à l'intérieur, toujours en me jetant le même regard oblique et faux.

«C'est ce que vous appelez une jolie femme, continua-t-il quand sa figure eut repris peu à peu sa forme naturelle; et je comprends qu'elle ne voie pas d'un très-bon oeil un homme comme moi. Elle aurait bientôt, j'en suis sûr, donné à mon Agnès le désir de viser plus haut; mais si je ne suis pas un godelureau à plaire aux dames, maître Copperfield, cela n'empêche pas qu'on ait des yeux pour voir. Nous autres, avec notre humilité, en général, nous avons des yeux, et nous nous en servons!»

J'essayai de prendre un air libre et dégagé, mais je voyais bien, à sa figure, que je ne lui donnais pas le change sur mes inquiétudes.

«Je ne veux pas me laisser battre, Copperfield, continua-t-il tout en fronçant, avec un air diabolique, l'endroit où auraient dû se trouver ses sourcils roux, s'il avait eu des sourcils, et je ferai ce que je pourrai pour mettre un terme à cette liaison. Je ne l'approuve pas. Je ne crains pas de vous avouer que je ne suis pas, de ma nature, un mari commode, et que je veux éloigner les intrus. Je n'ai pas envie de m'exposer à ce qu'on vienne comploter contre moi.

– C'est vous qui complotez toujours, et vous vous figurez que tout le monde fait comme vous, lui dis-je.

– C'est possible, maître Copperfield, répondit-il; mais j'ai un but, comme disait toujours mon associé, et je ferai des pieds et des mains pour y parvenir. J'ai beau être humble, je ne veux pas me laisser faire. Je n'ai pas envie qu'on vienne en mon chemin. Tenez, réellement, il faudra que je leur fasse tourner les talons, maître Copperfield.

– Je ne vous comprends pas, dis-je.

– Vraiment! répondit-il avec un de ses soubresauts habituels. Cela m'étonne, maître Copperfield, vous qui avez tant d'esprit. Je tâcherai d'être plus clair une autre fois. Tiens! n'est-ce pas M. Maldon que je vois là-bas à cheval? Il va sonner à la grille, je crois!

– Il en a l'air,» répondis-je aussi négligemment que je pus.

Uriah s'arrêta tout court, mit ses mains entre ses genoux, et se courba en deux, à force de rire; c'était un rire parfaitement silencieux: on n'entendait rien. J'étais tellement indigné de son odieuse conduite, et surtout de ses derniers propos, que je lui tournai le dos sans plus de cérémonie, le laissant là, courbé en deux, rire à son aise dans le jardin, où il avait l'air d'un épouvantail pour les moineaux.

Ce ne fut pas ce soir-là, mais deux jours après, un samedi, je me le rappelle bien, que je menai Agnès voir Dora. J'avais arrangé d'avance la visite avec miss Savinia, et on avait invité Agnès à prendre le thé.

J'étais également fier et inquiet, fier de ma chère petite fiancée, inquiet de savoir si elle plairait à Agnès. Tout le long de la route de Putney (Agnès était dans l'omnibus et moi sur l'impériale) je cherchais à me représenter Dora sous un de ces charmants aspects que je lui connaissais si bien; tantôt je me disais que je voudrais la trouver exactement comme elle était tel jour; puis je me disais que j'aimerais peut-être mieux la voir comme tel autre; je m'en donnais la fièvre.

En tout cas, j'étais sûr qu'elle serait très-jolie; mais il arriva que jamais elle ne m'avait paru si charmante. Elle n'était pas dans le salon quand je présentai Agnès à ses deux petites tantes; elle s'était sauvée par timidité. Mais maintenant, je savais où il fallait aller la chercher, et je la retrouvai qui se bouchait les oreilles, la tête appuyée contre le même mur que le premier jour.

D'abord elle me dit qu'elle ne voulait pas venir, puis elle me demanda de lui accorder cinq minutes à ma montre. Puis enfin elle passa son bras dans le mien; son gentil petit minois était couvert d'une modeste rougeur; jamais elle n'avait été si jolie; mais, quand nous entrâmes dans le salon, elle devint toute pâle, ce qui la rendait dix fois plus jolie encore.

Dora avait peur d'Agnès. Elle m'avait dit qu'elle savait bien qu'Agnès «avait trop d'esprit.» Mais quand elle la vit qui la regardait de ses yeux à la fois si sérieux et si gais, si pensifs et si bons, elle poussa un petit cri de joyeuse surprise, se jeta dans les bras d'Agnès, et posa doucement sa joue innocente contre la sienne.

Jamais je n'avais été si heureux, jamais je n'avais été si content que quand je les vis s'asseoir tout près l'une de l'autre. Quel plaisir de voir ma petite chérie regarder si simplement les yeux si affectueux d'Agnès! Quelle joie de voir la tendresse avec laquelle Agnès la couvait de son regard incomparable.

Miss Savinia et miss Clarissa partageaient ma joie à leur manière; jamais vous n'avez vu un thé si gai. C'était miss Clarissa qui y présidait; moi je coupais et je faisais circuler le pudding glacé au raisin de Corinthe: les deux petites soeurs aimaient, comme les oiseaux, à en becqueter les grains et le sucre; miss Savinia nous regardait d'un air de bienveillante protection, comme si notre amour et notre bonheur étaient son ouvrage; nous étions tous parfaitement contents de nous et des autres.

La douce sérénité d'Agnès leur avait gagné le coeur à toutes. Elle semblait être venue compléter notre heureux petit cercle. Avec quel tranquille intérêt elle s'occupait de tout ce qui intéressait Dora! avec quelle gaieté elle avait su se faire bien venir tout de suite de Jip! avec quel aimable enjouement elle plaisantait Dora, qui n'osait pas venir s'asseoir à côté de moi! avec quelle grâce modeste et simple elle arrachait à Dora enchantée une foule de petites confidences qui la faisaient rougir jusque dans le blanc des yeux!

«Je suis si contente que vous m'aimiez, dit Dora quand nous eûmes fini de prendre le thé! Je n'en étais pas sûre, et maintenant que Julia Mills est partie, j'ai encore plus besoin qu'on m'aime.»

Je me rappelle que j'ai oublié d'annoncer ce fait important. Miss Mills s'était embarquée, et nous avions été, Dora et moi, lui rendre visite à bord du bâtiment en rade à Gravesend; on nous avait donné, pour le goûter, du gingembre confit, du guava, et toute sorte d'autres friandises de ce genre; nous avions laissé miss Mills en larmes, assise sur un pliant à bord. Elle avait sous le bras un gros registre où elle se proposait de consigner jour par jour, et de soigneusement renfermer sous clef, les réflexions que lui inspirerait le spectacle de l'océan.

Agnès dit qu'elle avait bien peur que je n'eusse fait d'elle un portrait peu agréable, mais Dora l'assura aussitôt du contraire.

«Oh! non, dit-elle en secouant ses jolies petites boucles, au contraire, il ne tarissait pas en louanges sur votre compte. Il fait même tant de cas de votre opinion, que je la redoutais presque pour moi.

– Ma bonne opinion ne peut rien ajouter à son affection pour certaines personnes, dit Agnès en souriant: il n'en a que faire.

– Oh! mais, dites-le-moi tout de même, reprit Dora de sa voix la plus caressante, si cela se peut.»

Nous nous divertîmes fort de ce que Dora tenait tant à ce qu'on l'aimât.

Là-dessus, pour se venger, elle me dit des sottises, déclarant qu'elle ne m'aimait pas du tout; et, dans tous ces heureux enfantillages, la soirée nous sembla bien courte. L'omnibus allait passer, il fallait partir. J'étais tout seul devant le feu. Dora entra tout doucement pour m'embrasser avant mon départ, selon sa coutume.

«N'est-ce pas, Dody, que si j'avais eu une pareille amie depuis bien longtemps, me dit-elle avec ses yeux pétillants et sa petite main occupée après les boutons de mon habit, n'est-ce pas que j'aurais peut-être plus d'esprit que je n'en ai?

– Mon amour! lui dis-je; quelle folie!

– Croyez-vous que ce soit une folie? reprit Dora sans me regarder. En êtes-vous bien sûr?

– Mais parfaitement sûr!

– J'ai oublié, dit Dora tout en continuant à tourner et retourner mon bouton, quel est votre degré de parenté avec Agnès, méchant?

– Elle n'est pas ma parente, répondis-je, mais nous avons été élevés ensemble, comme frère et soeur.

– Je me demande comment vous avez jamais pu devenir amoureux de moi, dit Dora, en s'attaquant à un autre bouton de mon habit.

– Peut-être parce qu'il n'était pas possible de vous voir sans vous aimer, Dora.

– Mais si vous ne m'aviez jamais vue? dit Dora, en passant à un autre bouton.

– Mais si nous n'étions nés ni l'un ni l'autre, lui répondis-je gaiement.»

Je me demandais à quoi elle pensait, tandis que j'admirais en silence la douce petite main qui passait en revue successivement tous les boutons de mon habit, les boucles ondoyantes qui tombaient sur mon épaule, ou les longs cils qui abritaient ses yeux baissés. À la fin elle les leva vers moi, se dressa sur la pointe des pieds pour me donner, d'un air plus pensif que de coutume, son précieux petit baiser une fois, deux fois, trois fois; puis elle sortit de la chambre.

Tout le monde rentra cinq minutes après: Dora avait repris sa gaieté habituelle. Elle était décidée à faire exécuter à Jip tous ses exercices avant l'arrivée de l'omnibus. Cela fut si long (non pas par la variété des évolutions, mais par la mauvaise volonté de Jip) que la voiture était devant la porte avant qu'on en eût vu seulement la moitié. Agnès et Dora se séparèrent à la hâte, mais fort tendrement; il fut convenu que Dora écrirait à Agnès (à condition qu'elle ne trouverait pas ses lettres trop niaises) et qu'Agnès lui répondrait. Il y eut de nouveaux adieux à la porte de l'omnibus, qui se répétèrent quand Dora, en dépit des remontrances de miss Savinia, courut encore une fois à la portière de la voiture, pour rappeler à Agnès sa promesse, et pour faire voltiger devant moi ses charmantes petites boucles.

L'omnibus devait nous déposer près de Covent-Garden, et là nous avions à prendre une autre voiture pour arriver à Highgate. J'attendais impatiemment le moment où je me trouverais seul avec Agnès, pour savoir ce qu'elle me dirait de Dora. Ah! quel éloge elle m'en fit! avec quelle tendresse et quelle bonté elle me félicita d'avoir gagné le coeur de cette charmante petite créature, qui avait déployé devant elle toute sa grâce innocente! avec quel sérieux elle me rappela, sans en avoir l'air, la responsabilité qui pesait sur moi!

Jamais, non jamais, je n'avais aimé Dora si profondément ni si efficacement que ce jour-là. Lorsque nous fûmes descendus de voiture, et que nous fûmes entrés dans le tranquille sentier qui conduisait à la maison du docteur, je dis à Agnès que c'était à elle que je devais ce bonheur.

«Quand vous étiez assise près d'elle, lui dis-je, vous aviez l'air d'être son ange gardien, comme vous êtes le mien, Agnès.

– Un pauvre ange, reprit-elle, mais fidèle.»

La douceur de sa voix m'alla au coeur; je repris tout naturellement:

«Vous semblez avoir retrouvé toute cette sérénité qui n'appartient qu'à vous, Agnès; cela me fait espérer que vous êtes plus heureuse dans votre intérieur.

– Je suis plus heureuse dans mon propre coeur, dit-elle; il est tranquille et joyeux.»

Je regardai ce beau visage à la lueur des étoiles: il me parut plus noble encore.

«Il n'y a rien de changé chez nous, dit Agnès, après un moment de silence.

– Je ne voudrais pas faire une nouvelle allusion… je ne voudrais pas vous tourmenter, Agnès, mais je ne puis m'empêcher de vous demander… vous savez bien ce dont nous avons parlé la dernière fois que je vous ai vue?

– Non, il n'y a rien de nouveau, répondit-elle.

– J'ai tant pensé à tout cela!

– Pensez-y moins. Rappelez-vous que j'ai confiance dans l'affection simple et fidèle: ne craignez rien pour moi, Trotwood, ajouta-t-elle au bout d'un moment; je ne ferai jamais ce que vous craignez de me voir faire.»

Je ne l'avais jamais craint dans les moments de tranquille réflexion, et pourtant ce fut pour moi un soulagement inexprimable que d'en recevoir l'assurance de cette bouche candide et sincère. Je le lui dis avec vivacité.

«Et quand cette visite sera finie, lui dis-je, car nous ne sommes pas sûrs de nous retrouver seuls une autre fois; serez-vous bien longtemps sans revenir à Londres, ma chère Agnès?

– Probablement, répondit-elle. Je crois qu'il vaut mieux, pour mon père que nous restions chez nous. Nous ne nous verrons donc pas souvent d'ici à quelque temps, mais j'écrirai à Dora, et j'aurai par elle de vos nouvelles.»

Nous arrivions dans la cour de la petite maison du docteur. Il commentait à être tard. On voyait briller une lumière à la fenêtre de la chambre de mistress Strong, Agnès me la montra et me dit bonsoir.

«Ne soyez pas troublé, me dit-elle en me donnant la main; par la pensée de nos chagrins et de nos soucis. Rien ne peut me rendre plus heureuse que votre bonheur. Si jamais vous pouvez me venir en aide, soyez sûr que je vous le demanderai. Que Dieu continue de vous bénir!»

Son sourire était si tendre, sa voix était si gaie qu'il me semblait encore voir et entendre auprès d'elle ma petite Dora. Je restai un moment sous le portique, les yeux fixés sur les étoiles, le coeur plein d'amour et de reconnaissance, puis je rentrai lentement. J'avais loué une chambre tout près, et j'allais passer la grille, lorsque, en tournant par hasard la tête, je vis de la lumière dans le cabinet du docteur. Il me vint à l'esprit que peut-être il avait travaillé au Dictionnaire sans mon aide. Je voulus m'en assurer, et, en tout cas, lui dire bonsoir, pendant qu'il était encore au milieu de ses livres; traversant donc doucement le vestibule, j'entrai dans son cabinet.

La première personne que je vis à la faible lueur de la lampe, ce fut Uriah. J'en fus surpris. Il était debout près de la table du docteur, avec une de ses mains de squelette étendue sur sa bouche. Le docteur était assis dans son fauteuil, et tenait sa tête cachée dans ses mains. M. Wickfield, l'air cruellement troublé et affligé, se penchait en avant, osant à peine toucher le bras de son ami.

Un instant, je crus que le docteur était malade. Je fis un pas vers lui avec empressement, mais je rencontrai le regard d'Uriah; alors je compris de quoi il s'agissait. Je voulais me retirer, mais le docteur fit un geste pour me retenir: je restai.

«En tout cas, dit Uriah, se tordant d'une façon horrible, nous ferons aussi bien de fermer la porte: il n'y a pas besoin d'aller crier ça par-dessus les toits.»

En même temps, il s'avança vers la porte sur la pointe du pied, et la ferma soigneusement. Il revint ensuite reprendre la même position. Il y avait dans sa voix et dans toutes ses manières un zèle et une compassion hypocrites qui m'étaient plus intolérables que l'impudence la plus hardie.

«J'ai cru de mon devoir, maître Copperfield, dit Uriah, de faire connaître au docteur Strong ce dont nous avons déjà causé, vous et moi, vous savez, le jour où vous ne m'avez pas parfaitement compris?»

Je lui lançai un regard sans dire un seul mot, et je m'approchai de mon bon vieux maître pour lui murmurer quelques paroles de consolation et d'encouragement. Il posa sa main sur mon épaule, comme il avait coutume de le faire quand je n'étais qu'un tout petit garçon, mais il ne releva pas sa tête blanchie.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 eylül 2017
Hacim:
670 s. 1 illüstrasyon
Tercüman:
Telif hakkı:
Public Domain
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