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Kitabı oku: «David Copperfield – Tome II», sayfa 9

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J'exprimai l'opinion que c'était là ce qui s'appelait marcher dans le droit chemin.

«On me dira que c'est s'immoler, dit mistress Micawber, que d'aller m'enfermer dans une ville presque ecclésiastique. Mais certes, monsieur Copperfield, pourquoi ne m'immolerais-je pas, quand je vois un homme doué des facultés que possède M. Micawber consommer un sacrifice bien plus grand encore?

– Oh! vous allez vivre dans une ville ecclésiastique?» demandai- je.

M. Micawber, qui venait de nous servir à la ronde avec son pot-à- l'eau, répliqua:

«À Canterbury. Le fait est, mon cher Copperfield, que j'ai pris des arrangements en vertu desquels je suis lié par un contrat à notre ami Heep, pour l'aider et le servir en qualité de… clerc de confiance.»

Je regardai avec étonnement M. Micawber, qui jouissait grandement de ma surprise.

«Je dois vous dire, reprit-il d'un air officiel, que les habitudes pratiques et les prudents avis de mistress Micawber ont puissamment contribué à ce résultat. Le gant dont mistress Micawber vous avait parlé naguère a été jeté à la société sous la forme d'une annonce, et notre ami Heep l'a relevé, de là une reconnaissance mutuelle. Je veux parler avec tout le respect possible de mon ami Heep, qui est un homme d'une finesse remarquable. Mon ami Heep, continua M. Micawber, n'a pas fixé le salaire régulier à une somme très-considérable, mais il m'a rendu de grands services pour me délivrer des embarras pécuniaires qui pesaient sur moi, comptant d'avance sur mes services, et il a raison: je mets mon honneur à lui rendre des services sérieux. L'intelligence et l'adresse que je puis posséder, dit M. Micawber d'un air de modestie orgueilleuse et de son ancien ton d'élégance, seront consacrées tout entières au service de mon ami Heep. J'ai déjà quelque connaissance du droit, comme ayant eu à soutenir pour mon compte plusieurs procès civils, et je vais m'occuper immédiatement d'étudier les commentaires de l'un des plus éminents et des plus remarquables juristes anglais; il est inutile, je crois, d'ajouter que je parle de M. le juge de paix Blackstone.»

Ces observations furent souvent interrompues par des représentations de mistress Micawber à maître Micawber, son fils, sur ce qu'il était assis sur ses talons, ou qu'il tenait sa tête à deux mains comme s'il avait peur de la perdre, ou bien qu'il donnait des coups de pieds à Traddles sous la table; d'autres fois il posait ses pieds l'un sur l'autre, ou étendait ses jambes à des distances contre nature; ou bien il se couchait de côté sur la table, trempant ses cheveux dans les verres; enfin il manifestait l'agitation qui régnait dans tous ses membres par une foule de mouvements incompatibles avec les intérêts généraux de la société, prenant d'ailleurs en mauvaise part les remarques que sa mère lui faisait à ce propos. Pendant tout ce temps, j'étais à me demander ce que signifiait la révélation de M. Micawber, dont je n'étais pas encore bien remis jusqu'à ce qu'enfin mistress Micawber reprit le fil de son discours et réclama toute mon attention.

«Ce que je demande à M. Micawber d'éviter surtout, dit-elle, c'est en se sacrifiant à cette branche secondaire du droit, de s'interdire les moyens de s'élever un jour jusqu'au faite. Je suis convaincue que M. Micawber, en se livrant à une profession qui donnera libre carrière à la fertilité de ses ressources et à sa facilité d'élocution, ne peut manquer de se distinguer. Voyons, monsieur Traddles, s'il s'agissait, par exemple, de devenir un jour juge ou même chancelier, ajouta-t-elle d'un air profond, ne se placerait-on pas en dehors de ces postes importants en commençant par un emploi comme celui que M. Micawber vient d'accepter?

– Ma chère, dit M. Micawber tout en regardant aussi Traddles d'un air interrogateur, nous avons devant nous tout le temps de réfléchir à ces questions-là.

– Non, Micawber! répliqua-t-elle. Votre tort, dans la vie, est toujours de ne pas regarder assez loin devant vous. Vous êtes obligé, ne fût-ce que par sentiment de justice envers votre famille, si ce n'est envers vous-même, d'embrasser d'un regard les points les plus éloignés de l'horizon auxquels peuvent vous porter vos facultés.»

M. Micawber toussa et but son punch de l'air le plus satisfait en regardant toujours Traddles, comme s'il attendait son opinion.

«Voyez-vous, la vraie situation, mistress Micawber, dit Traddles en lui dévoilant doucement la vérité, je veux dire le fait dans toute sa nudité la plus prosaïque…

– Précisément, mon cher monsieur Traddles, dit mistress Micawber, je désire être aussi prosaïque et aussi littéraire que possible dans une affaire de cette importance.

– C'est que, dit Traddles, cette branche de la carrière, quand même M. Micawber serait avoué dans toutes les règles…

– Précisément, repartit mistress Micawber… Wilkins, vous louchez, et après cela vous ne pourrez plus regarder droit.

– Cette partie de la carrière n'a rien à faire avec la magistrature. Les avocats seuls peuvent prétendre à ces postes importants, et M. Micawber ne peut pas être avocat sans avoir fait cinq ans d'études dans l'une des écoles de droit.

– Vous ai-je bien compris? dit mistress Micawber de son air le plus capable et le plus affable. Vous dites, mon cher monsieur Traddles, qu'à l'expiration de ce terme, M. Micawber pourrait alors occuper la situation de juge ou de chancelier?

– À la rigueur, il le pourrait, repartit Traddles en appuyant sur le dernier mot.

– Merci, dit mistress Micawber, c'est tout ce que je voulais savoir. Si telle est la situation, et si M. Micawber ne renonce à aucun privilège en se chargeant de semblables devoirs, mes inquiétudes cessent. Vous me direz que je parle là comme une femme, dit mistress Micawber, mais j'ai toujours cru que M. Micawber possédait ce que papa appelait l'esprit judiciaire, et j'espère qu'il entre maintenant dans une carrière où ses facultés pourront se développer et l'élever à un poste important.»

Je ne doute pas que M. Micawber ne se vit déjà, avec les yeux de son esprit judiciaire, assis sur le sac de laine. Il passa la main d'un air de complaisance sur sa tête chauve, et dit avec une résignation orgueilleuse:

«N'anticipons pas sur les décrets de la fortune, ma chère. Si je suis destiné à porter perruque, je suis prêt, extérieurement du moins, ajouta-t-il en faisant allusion à sa calvitie, à recevoir cette distinction. Je ne regrette pas mes cheveux, et qui sait si je ne les ai pas perdus dans un but déterminé. Mon intention, mon cher Copperfield, est d'élever mon fils pour l'Église; j'avoue que c'est surtout pour lui que je serais bien aise d'arriver aux grandeurs.

– Pour l'Église? demandai-je machinalement, car je ne pensais toujours qu'à Uriah Heep.

– Oui, dit M. Micawber. Il a une belle voix de tête, et il commencera dans les choeurs. Notre résidence à Canterbury et les relations que nous y possédons déjà, nous permettront sans doute de profiter des vacances qui pourront se présenter parmi les chanteurs de la cathédrale.»

En regardant de nouveau maître Micawber, je trouvai qu'il avait une certaine expression de figure qui semblait plutôt indiquer que sa voix partait de derrière ses sourcils, ce qui me fut bientôt démontré quand je lui entendis chanter (on lui avait donné le choix, de chanter ou d'aller se coucher) le Pivert au bec perçant. Après de nombreux compliments sur l'exécution de ce morceau, on retomba dans la conversation générale, et comme j'étais trop préoccupé de mes intentions désespérées pour taire le changement survenu dans ma situation, je racontai le tout à M. et mistress Micawber. Je ne puis dire combien ils furent enchantés tous les deux d'apprendre les embarras de ma tante, et comme cela redoubla leur cordialité et l'aisance de leurs manières.

Quand nous fûmes presque arrivés au fond du pot à l'eau, je m'adressai à Traddles et je lui rappelai que nous ne pouvions nous séparer sans souhaiter à nos amis une bonne santé et beaucoup de bonheur et de succès dans leur nouvelle carrière. Je priai M. Micawber de remplir les verres, et je portai leur santé avec toutes les formes requises: je serrai la main de M. Micawber à travers la table, et j'embrassai mistress Micawber en commémoration de cette grande occasion. Traddles m'imita pour le premier point, mais ne se crut pas assez intime dans la maison pour me suivre plus loin.

«Mon cher Copperfield, me dit M. Micawber en se levant, les pouces dans les poches de son gilet, compagnon de ma jeunesse, si cette expression m'est permise, et vous, mon estimable ami Traddles, si je puis vous appeler ainsi, permettez-moi, au nom de mistress Micawber, au mien et au nom de notre progéniture, de vous remercier de vos bons souhaits dans les termes les plus chaleureux et les plus spontanés. On peut s'attendre à ce qu'à la veille d'une émigration qui ouvre devant nous une existence toute nouvelle (M. Micawber parlait toujours comme s'il allait s'établir à deux cents lieues de Londres), je tienne à adresser quelques mots d'adieu à deux amis comme ceux que je vois devant moi. Mais j'ai dit là-dessus tout ce que j'avais à dire. Quelque situation dans la société que je puisse atteindre en suivant la profession savante dont je vais devenir un membre indigne, j'essayerai de ne point démériter et de faire honneur à mistress Micawber. Sous le poids d'embarras pécuniaires temporaires, qui venaient d'engagements contractés dans l'intention d'y répondre immédiatement, mais dont je n'ai pu me libérer par suite de circonstances diverses, je me suis vu dans la nécessité de revêtir un costume qui répugne à mes instincts naturels, je veux dire des lunettes, et de prendre possession d'un surnom sur lequel je ne pouvais établir aucune prétention légitime. Tout ce que j'ai à dire sur ce point, c'est que le nuage a disparu du sombre horizon, et que le Dieu du jour règne de nouveau sur le sommet des montagnes. Lundi, à quatre heures, à l'arrivée de la diligence à Canterbury, mon pied foulera ses bruyères natales, et mon nom sera… Micawber!»

M. Micawber reprit son siège après ces observations et but de suite deux verres de punch de l'air le plus grave; puis il ajouta d'un ton solennel:

«Il me reste encore quelque chose à faire avant de nous séparer, il me reste un acte de justice à accomplir. Mon ami, M. Thomas Traddles, a, dans deux occasions différentes, apposé sa signature, si je puis employer cette expression vulgaire, à des billets négociés pour mon usage. Dans la première occasion, M. Thomas Traddles a été… je dois dire qu'il a été pris au trébuchet. L'échéance du second billet n'est pas encore arrivée. Le premier effet montait (ici M. Micawber examina soigneusement des papiers), montait, je crois, à vingt-trois livres sterling, quatre shillings, neuf pence et demi; le second, d'après mes notes sur cet article, était de dix-huit livres, six shillings, deux pence. Ces deux sommes font ensemble un total de quarante une livres, dix shillings, onze pence et demi, si mes calculs sont exacts. Mon ami Copperfield veut-il me faire le plaisir de vérifier l'addition?»

Je le fis et je trouvai le compte exact.

«Ce serait un fardeau insupportable pour moi, dit M. Micawber, que de quitter cette métropole et mon ami M. Thomas Traddles, sans m'acquitter de la partie pécuniaire de mes obligations envers lui. J'ai donc préparé, et je tiens, en ce moment, à la main un document qui répondra à mes désirs sur ce point. Je demande à mon ami M. Thomas Traddles la permission de lui remettre mon billet pour la somme de quarante une livres, dix shillings onze pence et demi, et, cela fait, je rentre avec bonheur en possession de toute ma dignité morale, car je sens que je puis marcher la tête levée devant les hommes mes semblables!»

Après avoir débité cette préface avec une vive émotion, M. Micawber remit son billet entre les mains de Traddles, et l'assura de ses bons souhaits pour toutes les circonstances de sa vie. Je suis persuadé que non-seulement cette transaction faisait à M. Micawber le même effet que s'il avait payé l'argent, mais que Traddles lui-même ne se rendit bien compte de la différence que lorsqu'il eut eu le temps d'y penser.

Fortifié par cet acte de vertu, M. Micawber marchait la tête si haute devant les hommes ses semblables que sa poitrine semblait s'être élargie de moitié quand il nous éclaira pour descendre l'escalier. Nous nous séparâmes très-cordialement, et quand j'eus accompagné Traddles jusqu'à sa porte, en retournant tout seul chez moi, entre autres pensées étranges et contradictoires qui me vinrent à l'esprit, je me dis que probablement c'était à quelque souvenir de compassion pour mon enfance abandonnée que je devais que M. Micawber, avec toute ses excentricités, ne m'eût jamais demandé d'argent. Je n'aurais certainement pas eu assez de courage moral pour lui en refuser, et je ne doute pas, soit dit à sa louange, qu'il le sût aussi bien que moi.

CHAPITRE VII
Un peu d'eau froide jetée sur mon feu

Ma nouvelle vie durait depuis huit jours déjà, et j'étais plus que jamais pénétré de ces terribles absolutions pratiques que je regardais comme impérieusement exigées par la circonstance. Je continuais à marcher extrêmement vite, dans une vague idée que je faisais mon chemin. Je m'appliquais à dépenser ma force, tant que je pouvais, dans l'ardeur avec laquelle j'accomplissais tout ce que j'entreprenais. J'étais enfin une véritable victime de moi- même; j'en vins jusqu'à me demander si je ne ferais pas bien de me borner à manger des légumes, dans l'idée vague qu'en devenant un animal herbivore, ce serait un sacrifice que j'offrirais sur l'autel de Dora.

Jusqu'alors ma petite Dora ignorait absolument mes efforts désespérés et ne savait que ce que mes lettres avaient pu confusément lui laisser entrevoir. Mais le samedi arriva, et c'est ce soir-là qu'elle devait rendre visite à miss Mills, chez laquelle je devais moi-même aller prendre le thé, quand M. Mills se serait rendu à son cercle pour jouer au whist, événement dont je devais être averti par l'apparition d'une cage d'oiseau à la fenêtre du milieu du salon.

Nous étions alors complètement établis à Buckingham-Street, et M. Dick continuait ses copies avec une joie sans égale. Ma tante avait remporté une victoire signalée sur mistress Crupp en la soldant, en jetant par la fenêtre la première cruche qu'elle avait trouvée en embuscade sur l'escalier, et en protégeant de sa personne l'arrivée et le départ d'une femme de ménage qu'elle avait prise au dehors. Ces mesures de vigueur avaient fait une telle impression sur mistress Crupp, qu'elle s'était retirée dans sa cuisine, convaincue que ma tante était atteinte de la rage. Ma tante, à qui l'opinion de mistress Crupp comme celle du monde entier était parfaitement indifférente, n'était pas fâchée d'ailleurs d'encourager cette idée, et mistress Crupp, naguère si hardie, perdit bientôt si visiblement tout courage que, pour éviter de rencontrer ma tante sur l'escalier, elle tâchait d'éclipser sa volumineuse personne derrière les portes ou de se cacher dans des coins obscurs, laissant toutefois paraître, sans s'en douter, un ou deux lés de jupon de flanelle. Ma tante trouvait une telle satisfaction à l'effrayer que je crois qu'elle s'amusait à monter et à descendre tout exprès, son chapeau posé effrontément sur le sommet de sa tête, toutes les fois qu'elle pouvait espérer de trouver mistress Crupp sur son chemin.

Ma tante, avec ses habitudes d'ordre et son esprit inventif, introduisit tant d'améliorations dans nos arrangements intérieurs qu'on aurait dit que nous avions fait un héritage au lieu d'avoir perdu notre argent. Entre autres choses, elle convertit l'office en un cabinet de toilette à mon usage, et m'acheta un bois de lit qui faisait l'effet d'une bibliothèque dans le jour, autant qu'un bois de lit peut ressembler à une bibliothèque. J'étais l'objet de toute sa sollicitude, et ma pauvre mère elle-même n'eût pu m'aimer davantage, ni se donner plus de peine pour me rendre heureux.

Peggotty avait regardé comme une haute faveur le privilège de se faire accepter pour participer à tous ces travaux, et, quoiqu'elle conservât à l'égard de ma tante un peu de son ancienne terreur, elle avait reçu d'elle, dans les derniers temps, de si grandes preuves de confiance et d'estime, qu'elles étaient les meilleures amies du monde. Mais le temps était venu, pour Peggotty (je parle du samedi où je devais prendre le thé chez miss Mills), de retourner chez elle pour aller remplir auprès de Ham les devoirs de sa mission.

«Ainsi donc, adieu, Barkis! dit ma tante; soignez-vous bien. Je n'aurais jamais cru que je dusse éprouver tant de regrets à vous voir partir!»

Je conduisis Peggotty au bureau de la diligence et je la mis en voiture. Elle pleura en partant et confia son frère à mon amitié comme Ham l'avait déjà fait. Nous n'avions pas entendu parler de lui depuis qu'il était parti par cette belle soirée.

«Et maintenant, mon cher David, dit Peggotty, si pendant votre stage vous aviez besoin d'argent pour vos dépenses, ou si, votre temps expiré, mon cher enfant, il vous fallait quelque chose pour vous établir, dans l'un ou l'autre cas, ou dans l'un et l'autre, qui est-ce qui aurait autant de droit à vous le prêter que la pauvre vieille bonne de ma pauvre chérie?»

Je n'étais pas possédé d'une passion d'indépendance tellement sauvage que je ne voulusse pas au moins reconnaître ses offres généreuses, en l'assurant que, si j'empruntais jamais de l'argent à personne, ce serait à elle que je voudrais m'adresser et je crois, qu'à moins de lui faire à l'instant même l'emprunt d'une grosse somme, je ne pouvais pas lui faire plus de plaisir qu'en lui donnant cette assurance.

«Et puis, mon cher, dit Peggotty tout bas, dites à votre joli petit ange que j'aurais bien voulu la voir, ne fût-ce qu'une minute; dites-lui aussi qu'avant son mariage avec mon garçon, je viendrai vous arranger votre maison comme il faut, si vous le permettez.»

Je lui promis que personne autre n'y toucherait qu'elle, et elle en fut si charmée qu'elle était, en partant, à la joie de son coeur.

Je me fatiguai le plus possible ce jour-là à la Cour par une multitude de moyens pour trouver le temps moins long, et le soir, à l'heure dite, je me rendis dans la rue qu'habitait M. Mills. C'était un homme terrible pour s'endormir toujours après son dîner; il n'était pas encore sorti, et la cage n'était pas à la fenêtre.

Il me fit attendre si longtemps que je me mis à souhaiter, par forme de consolation, que les joueurs de whist, qui faisaient sa partie, le missent à l'amende pour lui apprendre à venir si tard. Enfin, il sortit, et je vis ma petite Dora suspendre elle-même la cage et faire un pas sur le balcon pour voir si j'étais là, puis, quand elle m'aperçut, elle rentra en courant pendant que Jip restait dehors pour aboyer de toutes ses forces contre un énorme chien de boucher qui était dans la rue et qui l'aurait avalé comme une pilule.

Dora vint à la porte du salon pour me recevoir; Jip arriva aussi en se roulant et en grognant, dans l'idée que j'étais un brigand, et nous entrâmes tous les trois dans la chambre d'un air très- tendre et très-heureux. Mais je jetai bientôt le désespoir au milieu de notre joie (hélas! c'était sans le vouloir, mais j'étais si plein de mon sujet!) en demandant à Dora, sans la moindre préface, si elle pourrait se décider à aimer un mendiant.

Ma chère petite Dora jugez de son épouvante! La seule idée que ce mot éveillât dans son esprit, c'était celle d'un visage ridé, surmonté d'un bonnet de coton, avec accompagnement de béquilles, d'une jambe de bois ou d'un chien tenant une sébile dans la gueule; aussi me regarda-t-elle tout effarée avec un air d'étonnement le plus drôle du monde.

«Comment pouvez-vous me faire cette folle question? dit-elle en faisant la moue; aimer un mendiant!

– Dora, ma bien-aimée, lui dis-je, je suis un mendiant!

– Comment pouvez-vous être assez fou, me répliqua-t-elle en me donnant une tape sur la main, pour venir nous faire de pareils contes! Je vais vous faire mordre par Jip.»

Ses manières enfantines me plaisaient plus que tout au monde, mais il fallait absolument m'expliquer, et je répétai d'un ton solennel:

«Dora, ma vie, mon amour, votre David est ruiné!

– Je vous assure que je vais vous faire mordre par Jip si vous continuez vos folies,» reprit Dora en secouant ses boucles de cheveux.

Mais j'avais l'air si grave que Dora cessa de secouer ses boucles, posa sa petite main tremblante sur mon épaule, me regarda d'abord d'un air de trouble et d'épouvante, puis se mit à pleurer. C'était terrible. Je tombai à genoux à côté du canapé, la caressant et la conjurant de ne pas me déchirer le coeur; mais pendant un moment ma pauvre petite Dora ne savait que répéter:

«Ô mon Dieu! mon Dieu! J'ai peur, j'ai peur! Où est Julia Mills?

Menez-moi à Julia Mills et allez-vous-en, je vous en prie!»

Je ne savais pas plus moi-même où j'en étais.

Enfin, à force de prières et de protestations, je décidai Dora à me regarder. Elle avait l'air terrifié, mais je la ramenai peu à peu par mes caresses à me regarder tendrement, et elle appuya sa bonne petite joue contre la mienne. Alors je lui dis, en la tenant dans mes bras, que je l'aimais de tout mon coeur, mais que je me croyais obligé en conscience de lui offrir de rompre notre engagement puisque j'étais devenu pauvre; que je ne pourrais jamais m'en consoler, ni supporter l'idée de la perdre; que je ne craignais pas la pauvreté si elle ne la craignait pas non plus; que mon coeur et mes bras puiseraient de la force dans mon amour pour elle; que je travaillais déjà avec un courage que les amants seuls peuvent connaître; que j'avais commencé à entrer dans la vie pratique et à songer à l'avenir; qu'une croûte de pain gagnée à la sueur de notre front était plus doux au coeur qu'un festin dû à un héritage; et beaucoup d'autres belles choses comme celles-là, débitées avec une éloquence passionnée qui m'étonna moi-même, quoique je me fusse préparé à ce moment-là nuit et jour depuis l'instant où ma tante m'avait surpris par son arrivée imprévue.

«Votre coeur est-il toujours à moi, Dora, ma chère? lui dis-je avec transport, car je savais qu'il m'appartenait toujours en la sentant se presser contre moi.

– Oh oui, s'écria Dora, tout à vous, mais ne soyez pas si effrayant!»

Moi effrayant! Pauvre Dora!

«Ne me parlez pas de devenir pauvre et de travailler comme un nègre, me dit-elle en se serrant contre moi, je vous en prie, je vous en prie!

– Mon amour, dis-je, une croûte de pain… gagnée à la sueur…

– Oui, oui, mais je ne veux plus entendre parler de croûtes de pain, et il faut à Jip tous les jours sa côtelette de mouton à midi, sans quoi il mourra!»

J'étais sous le charme séduisant de ses manières enfantines. Je lui expliquai tendrement que Jip aurait sa côtelette de mouton avec toute la régularité accoutumée. Je lui dépeignis notre vie modeste, indépendante, grâce à mon travail; je lui parlai de la petite maison que j'avais vue à Highgate, avec la chambre au premier pour ma tante.

«Suis-je encore bien effrayant, Dora? lui dis-je avec tendresse.

– Oh non, non! s'écria Dora. Mais j'espère que votre tante restera souvent dans sa chambre, et puis aussi que ce n'est pas une vieille grognon.»

S'il m'eût été possible d'aimer Dora davantage, à coup sûr je l'eusse fait alors. Mais pourtant je sentais qu'elle n'était pas bonne à grand'chose dans le cas présent. Ma nouvelle ardeur se refroidissait en voyant qu'il était si difficile de la lui communiquer. Je fis un nouvel effort. Quand elle fut tout à fait remise et qu'elle eut pris Jip sur ses genoux pour rouler ses oreilles autour de ses doigts, je repris ma gravité:

«Ma bien-aimée, puis-je vous dire un mot?

– Oh! je vous en prie, ne parlons pas de la vie pratique, me dit- elle d'un ton caressant; si vous saviez comme cela me fait peur!

– Mais, ma chérie, il n'y a pas de quoi vous effrayer dans tout ceci. Je voudrais vous faire envisager la chose autrement. Je voudrais, au contraire, que cela vous inspirât du nerf et du courage.

– Oh! mais c'est précisément ce qui me fait peur, cria Dora.

– Non, ma chérie. Avec de la persévérance et de la force de caractère, on supporte des choses bien plus pénibles.

– Mais je n'ai pas de force du tout, dit Dora en secouant ses boucles. N'est-ce pas Jip? Oh! voyons! embrassez Jip et soyez aimable!»

Il était impossible de refuser d'embrasser Jip quand elle me le tendait exprès, en arrondissant elle-même, pour l'embrasser aussi, sa jolie petite bouche rose, tout en dirigeant l'opération qui devait s'accomplir avec une précision mathématique sur le milieu du nez de son bichon. Je fis exactement ce qu'elle voulait, puis je réclamai la récompense de mon obéissance; et Dora réussit pendant assez longtemps à tenir ma gravité en échec.

«Mais, Dora, ma chérie, lui dis-je en reprenant mon air solennel, j'ai encore quelque chose à vous dire!»

Le juge de la Cour des prérogatives lui-même en serait tombé amoureux rien que de la voir joindre ses petites mains qu'elle tendait vers moi en me suppliant de ne plus lui faire peur.

«Mais je ne veux pas vous faire peur, mon amour, répétais-je; seulement, Dora, ma bien-aimée, si vous vouliez quelquefois penser, sans découragement, bien loin de là; mais si vous vouliez quelquefois penser, pour vous encourager au contraire, que vous êtes fiancée à un homme pauvre…

– Non, non, je vous en prie! criait Dora. C'est trop effrayant!

– Mais pas du tout, ma chère petite, lui dis-je gaiement; si vous vouliez seulement y penser quelquefois, et vous occuper de temps en temps des affaires du ménage de votre papa, pour tâcher de prendre quelque habitude… des comptes, par exemple…»

Ma pauvre Dora accueillit cette idée par un petit cri qui ressemblait à un sanglot.

«… Cela vous serait bien utile un jour, continuai-je. Et si vous vouliez me promettre de lire… un petit livre de cuisine que je vous enverrai, comme ce serait excellent pour vous et pour moi! Car notre chemin dans la vie est rude et raboteux pour le moment, ma Dora, lui dis-je en m'échauffant, et c'est à nous à l'aplanir. Nous avons à lutter pour arriver. Il nous faut du courage. Nous avons bien des obstacles à affronter: et il faut les affronter sans crainte, les écraser sous nos pieds.»

J'allais toujours, le poing fermé et l'air résolu, mais il était bien inutile d'aller plus loin, j'en avais dit bien assez. J'avais réussi… à lui faire peur une fois de plus! Oh! où était Julia Mills! «Oh! menez-moi à Julia Mills, et allez-vous-en, s'il vous plaît!» En un mot, j'étais à moitié fou et je parcourais le salon dans tous les sens.

Je croyais l'avoir tuée cette fois. Je lui jetai de l'eau à la figure. Je tombai à genoux. Je m'arrachai les cheveux. Je m'accusai d'être une bête brute sans remords et sans pitié. Je lui demandai pardon. Je la suppliai d'ouvrir les yeux. Je ravageai la boite à ouvrage de miss Mills pour y trouver un flacon, et dans mon désespoir je pris un étui d'ivoire à la place et je versai toutes les aiguilles sur Dora. Je montrai le poing à Jip qui était aussi éperdu que moi. Je me livrai à toutes les extravagances imaginables, et il y avait longtemps que j'avais perdu la tête quand miss Mills entra dans la chambre.

«Qu'y a-t-il! que vous a-t-on fait? s'écria miss Mills en venant au secours de son amie.»

Je répondis: «C'est moi, miss Mills, c'est moi qui suis le coupable! Oui, vous voyez le criminel!» et un tas de choses dans le même genre; puis, détournant ma tête, pour la dérober à la lumière, je la cachai contre le coussin du canapé.

Miss Mills crut d'abord que c'était une querelle, et que nous étions égarés dans le désert du Sahara, mais elle ne fut pas longtemps dans cette incertitude, car ma chère petite Dora s'écria en l'embrassant que j'étais un pauvre manoeuvre; puis elle se mit à pleurer pour mon compte en me demandant si je voulais lui permettre de me donner tout son argent à garder, et finit par se jeter dans les bras de miss Mills en sanglotant comme si son pauvre petit coeur allait se briser.

Heureusement miss Mills semblait née pour être notre bénédiction. Elle s'assura par quelques mots de la situation, consola Dora, lui persuada peu à peu que je n'étais pas un manoeuvre. D'après ma manière de raconter les choses, je crois que Dora avait supposé que j'étais devenu terrassier, et que je passais et repassais toute la journée sur une planche avec une brouette. Miss Mills, mieux informée, finit par rétablir la paix entre nous. Quand tout fut rentré dans l'ordre, Dora monta pour baigner ses yeux dans de l'eau de rose, et miss Mills demanda le thé. Dans l'intervalle, je déclarai à cette demoiselle qu'elle serait toujours mon amie, et que mon coeur cesserait de battre avant d'oublier sa sympathie.

Je lui développai alors le plan que j'avais essayé avec si peu de succès de faire comprendre à Dora. Miss Mills me répliqua d'après des principes généraux que la chaumière du contentement valait mieux que le palais de la froide splendeur, et que l'amour suffisait à tout.

Je dis à miss Mills que c'était bien vrai, et que personne ne pouvait le savoir mieux que moi, qui aimais Dora comme jamais mortel n'avait aimé avant moi. Mais sur la mélancolique observation de miss Mills qu'il serait heureux pour certains coeurs qu'ils n'eussent pas aimé autant que moi, je lui demandai par amendement la permission de restreindre ma remarque au sexe masculin seulement.

Je posai ensuite à miss Mills la question de savoir s'il n'y avait pas en effet quelque avantage pratique dans la proposition que j'avais voulu faire touchant les comptes, la tenue du ménage et les livres de cuisine?

Après un moment de réflexion, voici ce que miss Mills me répondit:

«Monsieur Copperfield, je veux être franche avec vous. Les souffrances et les épreuves morales suppléent aux années chez de certaines natures, et je vais vous parler aussi franchement que si nous étions à confesse. Non, votre proposition ne convient pas à notre Dora. Notre chère Dora est l'enfant gâté de la nature. C'est une créature de lumière, de gaieté et de joie. Je ne puis pas vous dissimuler que, si cela se pouvait, ce serait très-bien sans doute, mais…» Et miss Mills secoua la tête.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 eylül 2017
Hacim:
670 s. 1 illüstrasyon
Tercüman:
Telif hakkı:
Public Domain
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