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Kitabı oku: «Le magasin d'antiquités. Tome I», sayfa 16

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– Ma foi! dit Richard, qui s'arrêta au moment de porter son verre à ses lèvres et fixa sur le nain un regard de stupeur en le voyant agiter tout à la fois ses bras et ses jambes; vous êtes un joyeux compère; mais de tous les joyeux compères que j'aie jamais vus ou connus, vous êtes bien celui qui a les manières les plus bizarres, les plus extraordinaires, ma parole d'honneur.»

Cette naïve déclaration, loin de diminuer les excentricités de M. Quilp, ne servit qu'à les accroître. Richard Swiveller, étonné de le voir dans une telle veine d'humeur bruyante, et buvant assez bien pour son compte afin de lui tenir compagnie, commença à se livrer, à devenir plus expansif, et peu à peu, grâce à l'habile tactique de M. Quilp, il épancha complètement son coeur. L'ayant amené où il voulait, et sachant bien maintenant la note qu'il lui faudrait attaquer au besoin, Daniel Quilp trouva sa tâche très- simplifiée, et bientôt il fut instruit de tous les détails du plan ourdi entre le brave Dick et son meilleur ami.

«Arrêtez! dit Quilp. L'affaire est bonne, l'affaire est bonne. Elle peut réussir, elle réussira; j'y mettrai la main; dès à présent je suis tout à vous.

– Comment! vous croyez qu'il reste encore une chance! demanda Dick, surpris de l'encouragement qu'il recevait.

– Une chance! répéta le nain; certainement!.. Sophie Wackles peut devenir une Cheggs ou tout ce qu'il lui plaira, mais non une Swiveller. Faut-il que vous soyez né coiffé! Le vieux est plus riche qu'aucun juif vivant; votre fortune est faite. Je ne vois plus en vous que l'époux de Nelly, roulant sur l'or et sur l'argent. Je vous aiderai. Cela se fera. Rappelez-vous bien ce que je vous dis. Cela se fera.

– Mais comment? dit Richard.

– Nous avons du temps devant nous; cela se fera. Nous nous réunirons encore pour parler de ce sujet tout à notre aise. Remplissez donc votre verre tandis que je m'en vais. Je reviens tout de suite, tout de suite.»

En achevant ces paroles jetées à la hâte, Daniel Quilp se glissa dans un ancien jeu de quilles abandonné qui se trouvait derrière le cabaret. Là il se jeta sur le sol et se mit à se rouler en hurlant de joie.

«Voilà, criait-il, un divertissement fait pour moi, tout prêt, tout arrangé pour que je n'aie plus qu'à en jouir à mon aise. C'est ce garçon sans cervelle qui m'a rompu les os l'autre jour, n'est-ce pas? C'est son ami et complice M. Trent qui autrefois faisait les yeux doux à mistress Quilp et la poursuivait de ses oeillades, n'est-ce pas? Eh bien! ils vont poursuivre deux ou trois ans leur précieux projet pour aboutir à quoi? à devenir un mendiant, voilà pour l'un; à se mettre la corde au cou par un lien indissoluble, voilà pour l'autre. Ah! ah! ah! Il épousera Nell. Il la possédera; et moi je serai le premier, dès que le noeud sera bien serré autour de son cou, à leur dire tout ce qu'ils y auront gagné et la part que j'y aurai prise. Alors nous réglerons nos vieux comptes; alors le moment viendra de leur rappeler que je suis un ami excellent, et combien ils me doivent de reconnaissance de les avoir aidés à obtenir cette héritière. Ah! ah! ah!»

Au milieu de son paroxysme, M. Quilp faillit avoir une aventure désagréable, car en se roulant contre une niche à moitié ruinée, il vit s'en élancer un gros chien féroce qui, si sa chaîne n'eût été trop courte, n'eût pas marqué de le saluer d'une façon assez brutale. Quoi qu'il en soit, le nain resta couché sur son dos, en parfaite sûreté, narguant le chien avec sa face hideuse et triomphant de ce que l'animal ne pouvait avancer d'un pouce de plus, bien qu'il n'y eût pas plus de deux pieds d'intervalle entre eux.

«Tiens donc, viens donc me mordre, lâche que tu es! dit Quilp sifflant et agaçant l'animal au point de le rendre enragé. Tu n'oses pas, gros poltron, tu vois bien que tu n'oses pas, xi… xi…»

Le chien tira sa chaîne et s'y pendit avec des yeux étincelants et un aboiement furieux; mais le nain resta couché, faisant claquer ses doigts avec des gestes de défi et de dédain. Quand il eut suffisamment savouré son plaisir, il se leva, et posant le poing sur la hanche, il exécuta une danse de démon autour de la niche jusqu'aux limites extrêmes de la chaîne, laissant le chien presque enragé. Ayant ainsi donné à son humeur une disposition des plus agréables, il retourna auprès de son compagnon qui ne s'était douté de rien, et le retrouva contemplant la marée d'un air extrêmement grave et réfléchissant à ces monceaux d'or et d'argent dont M. Quilp avait parlé.

CHAPITRE XXII

Le reste de la journée et tout le lendemain furent très-remplis pour la famille Nubbles; les préparatifs de l'équipement et du départ du Kit n'étaient pas un moins grand sujet de préoccupation que si le jeune homme s'était mis en route pour pénétrer au coeur de l'Afrique ou pour entreprendre le tour du monde. Je ne crois pas qu'il y ait jamais eu de boîte qui se soit aussi souvent ouverte et fermée en l'espace de vingt-quatre heures, que la petite caisse qui contenait sa garde-robe et ses effets; ce qu'il y a de sûr, c'est que jamais deux petits yeux n'eurent à contempler un ensemble d'habillements semblable à ce que cette caisse merveilleuse offrit aux regards stupéfaits de Jacob, avec ses trois chemises et un nombre proportionné de paires de bas et de mouchoirs de poche. Enfin on se décida à porter la boîte au voiturier chez lequel Kit devait la retrouver, à Finchley. Cette besogne accomplie, il restait deux questions graves: d'abord, le voiturier ne pourrait-il pas perdre ou feindre d'avoir perdu la boîte; et ensuite, la mère de Kit saurait-elle bien se soigner en l'absence de son fils?

Quant au premier point, Mme Nubbles dit avec appréhension:

«Je ne pense pas qu'il y ait réellement lieu de craindre que la boîte ne se perde; quoique les voituriers soient toujours bien tentés d'affirmer qu'ils ont perdu les choses.

– Assurément, dit Kit d'un air sérieux; sur ma parole, chère mère, je crois que nous avons eu tort de la lui confier. Il aurait fallu que quelqu'un l'accompagnât; plus j'y pense, et moins je suis rassuré.

– Nous n'y pouvons plus remédier maintenant, mais nous avons fait là une grande imprudence; nous avons eu tort. Il ne faut pas tenter les gens.»

Kit résolut intérieurement de ne plus jamais induire en tentation un voiturier, sauf à risquer pourtant une malle vide; et ayant bien arrêté dans son esprit cette résolution chrétienne il passa au second point:

«Vous savez, ma mère, qu'il faut prendre du courage et ne pas rester solitaire à la maison parce que je n'y serai plus. Je, pourrai souvent donner un coup de pied jusqu'ici, quand je viendrai en ville; de temps en temps je vous écrirai une lettre; à chaque trimestre, j'espère obtenir un jour de congé, et alors nous verrons si nous n'emmènerons pas notre petit Jacob à la comédie et si nous ne lui ferons pas savoir ce que c'est que des huîtres.

– Vos comédies, je l'espère, ne seront pas oeuvres de péché; mais je ne suis pas bien rassurée là-dessus.

– Je sais, répliqua Kit d'un ton chagrin, qui vous a mis toutes ces idées en tête. C'est encore la congrégation du Petit Béthel. Je vous en prie, ma mère, n'allez pas trop souvent par là. Si je devais voir votre visage dont la bonne humeur a toujours fait la joie de la maison, devenir chagrin; si je voyais le petit élevé dans la même tristesse; si je l'entendais s'appeler lui-même un petit pécheur (est-il possible?) et enfant du diable, ce qui est une insulte au pauvre père défunt, s'il me fallait voir tout cela, et voir aussi notre Jacob avoir un air triste de petit Béthel, comme tout le monde, je prendrais tellement la chose à coeur que j'irais sûrement m'enrôler comme soldat et me faire casser la tête par le premier boulet de canon que je rencontrerais sur mon chemin!

– O Kit, ne parlez pas ainsi!..

– Je le ferais, ma mère; et tenez, si vous ne voulez pas me rendre malheureux, vous laisserez sur votre chapeau ce noeud que vous vouliez absolument en retirer la semaine dernière. Pouvez- vous supposer qu'il y ait aucun mal à paraître et à être aussi joyeux que le permet notre humble position? Y a-t-il rien dans la tournure de mon caractère qui doive faire de moi un pleurnicheur, un tartufe avec de grands airs, pleurant tout bas, humblement, se glissant modestement, sans se laisser voir, comme si je ne pouvais pas marcher sans ramper, ni m'exprimer sans parler du nez. Au contraire, est-ce qu'il n'y a pas toutes les raisons du monde pour que je ne sois pas comme cela? Ma foi! tenez! j'aime mieux rire tout franchement! Ah! ah! ah! N'est-ce pas aussi naturel que de marcher et aussi salutaire pour la santé? Ah! ah! ah! N'est-ce pas aussi naturel qu'au mouton de bêler, ou au cochon de grogner, ou au cheval de hennir, ou à l'oiseau de chanter? Ah! ah! ah! n'est- il pas vrai, mère?»

Il y avait quelque chose de contagieux dans le rire de Kit; car sa mère, qui avait paru d'abord sérieuse, commença par sourire, et enfin éclata de si bon coeur, que Kit redoubla de gaieté en répétant que c'était bien naturel. Kit et sa mère, en riant à l'unisson et à voix haute, éveillèrent le petit enfant; celui-ci remarquant qu'il y avait dans l'air quelque chose de comique et d'animé, ne fut pas plutôt entre les bras de sa mère, qu'il se mit à rire et à gigoter de toutes ses forces. Cette nouvelle victoire, remportée par son argumentation, chatouilla si vivement Kit, qu'il tomba en arrière sur son siège dans un véritable état de fou rire, montrant l'enfant et se tenant les côtes tout en se balançant sur sa chaise. Après deux ou trois autres accès d'hilarité, il s'essuya les yeux et dit le bénédicité. Leur modeste souper fut un repas bien joyeux.

Le lendemain matin de bonne heure, le jeune homme quitta la maison et prit la direction de Finchley, avec plus de baisers, d'étreintes, de larmes échangés dans l'adieu que ne voudraient le croire, s'ils s'abaissaient à de si minces sujets, bien des jeunes gentlemen, qui partent tranquillement pour de longs voyages et laissent derrière eux des maisons bien approvisionnées. Kit était si fier de sa tournure, que son orgueil eût suffi pour attirer sur lui les foudres d'excommunication du Petit Béthel, s'il avait jamais été membre de cette congrégation bigote et lugubre.

Si quelqu'un était curieux de savoir de quelle façon Kit était habillé, nous ferons remarquer sommairement qu'il ne portait pas de livrée, mais qu'il avait un habit poivre et sel mélangés, avec un gilet jaune serin, un pantalon gris de fer; à ce brillant ajustement se joignaient une paire de bottes neuves, un chapeau roide et lustré, qui résonnait sous les doigts comme un tambour. Ce fut dans cette parure qu'il prit la direction d'Abel-Cottage, s'étonnant seulement de fixer si peu l'attention, mais n'attribuant le fait qu'à la froide insensibilité des gens qu'il rencontrait, sans doute encore engourdis par le sommeil, pour s'être levés si matin.

Sans autre incident de voyage que la rencontre d'un jeune garçon qui portait un chapeau sans bords, exacte antithèse du sien, et à qui il donna la moitié des cinquante centimes qu'il possédait, Kit arriva avec le temps à la maison du voiturier, et là, il faut le dire à l'honneur de l'humanité, il trouva sa malle saine et sauve. La femme de cet intègre voiturier indiqua à Kit la maison de M. Garland, et notre jeune homme, sa malle sur l'épaule, prit aussitôt cette direction.

À coup sûr, c'était un joli petit cottage, avec un toit de chaume et de petites girouettes aux pignons, et à quelques-unes des fenêtres des morceaux de verre colorié, larges comme un porte- monnaie. Sur un côté de la maison se trouvait une écurie juste assez grande pour le poney, avec une chambre au-dessus, juste assez grande pour Kit. On voyait flotter des rideaux blancs; des oiseaux chantaient aux fenêtres dans leur cage, aussi brillante que si elle était en or; des plantes étaient disposées le long du sentier qui conduisait à la porte, autour de laquelle on les avait réunies et enlacées en berceau; le jardin resplendissait de fleurs dans tout leur éclat, qui répandaient une douce senteur et charmaient la vue par leurs couleurs variées et leurs formes élégantes. Soit dans la maison, soit dehors, tout était parfait de soin et de propreté. Dans le jardin, pas une mauvaise herbe; et, à en juger par de bons outils de jardinage, un panier à bras et une paire de gants qui se trouvaient à terre, dans une des allées, le vieux M. Garland avait, dû s'occuper à jardiner le matin même.

Kit regardait, admirait, regardait encore, et ne pouvait s'arracher à ce spectacle, ni détourner la tête pour sonner la cloche. Il eut encore le temps après de regarder la maison et le jardin, car il sonna deux ou trois fois sans que personne vînt, et finit par prendre le parti de s'asseoir sur sa malle et d'attendre.

Bien des fois encore il tira le cordon de la sonnette; personne ne venait. Mais à la fin, tandis que, assis sur sa malle, il évoquait dans sa mémoire les châteaux de Géants, les princesses attachées par les cheveux à un clou à crochet, les dragons s'élançant de derrière les portes, et autres incidents de même nature qui, dans les livres de contes, arrivent à tous les jeunes gens d'humble condition, lorsqu'ils se présentent pour la première fois devant des maisons inconnues, la porte s'ouvrit vivement, et une petite servante, très-propre, très-modeste, ce qui ne l'empêchait pas d'être très-jolie, parut sur le seuil.

«Je suppose, monsieur, dit-elle, que vous êtes Christophe?»

Kit se leva de dessus sa malle et répondit affirmativement.

«J'ai peur que vous n'ayez sonné bien des fois; mais nous ne pouvions entendre, parce que nous étions en train de rattraper le poney.»

Kit en était à se demander ce que cela signifiait; mais, comme il ne pouvait rester là à faire des questions, il remit sa malle sur son épaule et suivit la jeune fille dans la cour d'entrée où, par une porte de derrière, il aperçut M. Garland ramenant triomphalement du jardin le poney volontaire qui, durant une heure trois quarts (à ce qu'on lui dit plus tard) s'était amusé à faire courir après lui toute la famille dans un petit enclos situé à l'extrémité de la propriété.

Le vieux monsieur le reçut très-cordialement; il en fut de même de la vieille dame: la bonne opinion qu'elle avait déjà conçue de lui se fortifia encore lorsqu'elle vit avec quel soin il frottait ses bottes sur le paillasson pour bien ratisser les semelles. On l'introduisit dans le parloir où il passa l'inspection dans son nouveau costume; après avoir subi à plusieurs reprises cet examen d'une manière que sa bonne tenue rendit tout à fait satisfaisante, il fut conduit à l'écurie, où le poney lui fit un accueil des plus gracieux; de là, dans la petite chambre très-propre et très- commode qu'il avait déjà remarquée; de là, dans le jardin, où le vieux gentleman lui dit qu'il aurait de la besogne, énumérant en outre tous les avantages qu'il retirerait de sa position si l'on trouvait qu'il s'en montrât digne. À toutes ces marques de bienveillance, Kit répondit par mille protestations de reconnaissance, et il souleva si souvent son chapeau, que le bord en souffrit considérablement. Quand le vieux gentleman eut épuisé le chapitre des recommandations et des promesses, et Kit celui des remercîments et des protestations, notre garçon fut conduit de nouveau vers Mme Garland qui, appelant sa petite servante nommée Barbe, lui recommanda de mener Kit à la cuisine et de lui donner à manger et à boire pour le reposer de sa course.

Cette cuisine, jamais Kit n'en avait vu de semblable, si ce n'est dans quelque image: tout y était aussi propre, aussi luisant, aussi bien rangé que Barbe elle-même. Kit s'y assit à une table aussi blanche qu'une nappe; Barbe lui servit de la viande froide et de la petite bière; mais Kit était bien embarrassé. Il fallait voir avec quelle maladresse il maniait sa fourchette et son couteau, en pensant qu'il y avait là une demoiselle Barbe, une inconnue, qui le regardait et l'observait.

Il n'y a pas lieu cependant de croire que Barbe fût bien terrible; car cette enfant, qui avait jusque-là mené la vie la plus tranquille, était toute rouge, tout embarrassée, et paraissait ne savoir que dire ou faire, absolument comme Kit. Après être resté assis, un bout de temps, attentif au tic tac de l'horloge de bois, il hasarda un regard curieux sur le buffet. Là, parmi les assiettes et les plats, se trouvaient la petite boîte à ouvrage de Barbe, avec un couvercle à coulisses pour y serrer des pelotes de coton, le livre de prières de Barbe, le livre de psaumes de Barbe, la bible de Barbe. Près de la fenêtre était suspendu au jour le petit miroir de Barbe, et le chapeau de Barbe était accroché à un clou derrière la porte. Ces signes muets, ces témoignages de la présence de Barbe, amenèrent naturellement Kit à regarder Barbe elle-même qui était là sur sa chaise, aussi muette que sa bible, son miroir et son chapeau. Elle écossait des pois dans un plat: et juste au moment où il contemplait ses cils et se demandait, dans la simplicité de son coeur, de quelle couleur étaient les yeux de la jeune fille, il arriva par malheur que Barbe leva un peu la tête pour le regarder. Aussitôt les deux paires d'yeux se baissèrent bien vite, ceux de Kit sur son assiette, ceux de Barbe sur ses cosses de pois, chacun d'eux extrêmement confus d'avoir été surpris par l'autre.

CHAPITRE XXIII

En quittant le Désert pour retourner à son logis, – le Désert était le nom très-convenable, du reste, donné à la retraite favorite de Quilp, – M. Richard Swiveller décrivait en zigzag la sinueuse spirale d'un tire-bouchon; il s'arrêtait tout à coup et regardait devant lui; puis tout à coup il s'élançait, faisait quelques pas, et ensuite s'arrêtait de nouveau et branlait la tête. Tout cela, par saccade involontaire, et sans se rendre compte de ses mouvements. Or, tandis qu'il retournait chez lui, au milieu de toutes ces évolutions que les mauvaises langues considèrent comme un symbole d'enivrement et non comme cet état de profonde sagesse et de réflexion où le personnage est censé se connaître et se posséder, M. Richard Swiveller commença à penser qu'il avait pu mal placer sa confiance, et que le nain n'était pas précisément la personne à qui il convint de communiquer un secret si délicat et si important. Plongé par ces idées pénibles dans une situation que les mauvaises langues appelleraient l'état stupide ou l'hébétement de l'ivresse, il lança son chapeau à terre et se mit à gémir, criant très-haut qu'il était un malheureux orphelin, et que s'il n'eût pas été un malheureux orphelin, les choses n'eussent point tourné ainsi.

«Privé de mes parents dès mon bas âge, disait Richard se lamentant sur sa disgrâce, rebuté dans le monde durant mes plus tendres années, et livré à la merci d'un nain trompeur, qui pourrait s'étonner de ma faiblesse?.. Vous avez devant les yeux un malheureux orphelin. Oui, continua M. Swiveller, élevant sa voix sur un ton criard, et promenant autour de lui un regard somnolent, vous voyez ici un malheureux orphelin!..

– Alors, dit quelqu'un derrière lui, permettez-moi de vous servir de père.»

M. Swiveller oscilla à droite et à gauche, et s'efforçant de conserver son équilibre et de voir à travers une sorte de vapeur ténébreuse qui semblait l'envelopper, il aperçut enfin deux yeux dont l'éclat perçait l'obscurité du nuage, et bientôt il reconnut que ces yeux étaient voisins d'un nez et d'une bouche. Portant son regard vers l'endroit où, eu égard à une face humaine, on est habitué à trouver des jambes, il remarqua qu'un corps était attaché à cette face; et enfin un examen plus approfondi lui fit découvrir que l'individu était M. Quilp, qui sans doute ne l'avait pas quitté depuis leur sortie du cabaret, quoiqu'il eût une idée vague de l'avoir laissé derrière lui, à une distance d'un ou deux milles.

«Monsieur, dit solennellement Dick, vous avez trompé un orphelin.

– Moi!.. répliqua Quilp. Je suis un second père pour vous.

– Vous mon père!.. Je n'ai besoin de personne, monsieur, je désire être seul, je ne demande qu'une chose, c'est qu'on me laisse seul, à l'instant même.

– Quel drôle de garçon vous êtes! s'écria Quilp.

– Allez, monsieur, dit Richard, s'appuyant contre un poteau et agitant sa main. Allez, enjôleur, allez; quelque jour, peut-être, monsieur, serez-vous tiré de vos rêves de plaisirs pour connaître aussi les peines des orphelins abandonnés. Voulez-vous vous en aller, monsieur?»

Comme le nain ne tenait aucun compte de cette adjuration, M. Swiveller s'avança contre lui avec l'intention de lui infliger un châtiment proportionné au méfait. Mais oubliant tout à coup son dessein ou changeant d'idée avant d'arriver jusqu'à Quilp, il lui prit la main et lui jura une éternelle amitié, déclarant avec une agréable franchise qu'à partir de ce jour ils étaient frères, sauf la ressemblance. Alors il confia au nain son secret tout entier, en trouvant moyen d'être pathétique au sujet de miss Wackles. Cette jeune personne, donna-t-il à entendre à M. Quilp, cause le léger embarras que mon langage trahit en ce moment; ce trouble ne doit être attribué qu'à la force de l'affection et non au vin rosé, ou à toute autre liqueur fermentée.

Quilp et Richard s'en allèrent, bras dessus, bras dessous, comme une véritable paire d'amis.

«Je suis, dit Quilp en le quittant, aussi pénétrant qu'un furet et aussi fin qu'une belette. Amenez-moi Trent; assurez-le que je suis son ami, quoique j'aie lieu de craindre qu'il ne se méfie un peu de moi, – j'ignore pourquoi; je sais seulement que je n'ai rien fait pour cela, – et votre fortune à tous deux est faite… en perspective.

– Voilà le diable, répliqua Dick. Ces fortunes en perspective ont toujours l'air d'être si loin!

– Oui, mais aussi elles paraissent de loin plus petites qu'elles ne le sont réellement, répliqua Quilp en pressant le bras de son compagnon. Vous ne sauriez vous faire une idée de la valeur de votre prise avant de l'avoir entre les mains, voyez-vous.

– Vous croyez cela?

– Si je le crois! dites que j'en suis certain. Amenez-moi Trent. Dites-lui que je suis son ami, le vôtre; comment ne le serais-je pas?

– Il n'y a pas de raison, certainement, pour que vous ne le soyez pas, répondit Richard, et peut-être, au contraire, y en a-t-il beaucoup pour que vous le soyez. Du moins, il n'y aurait rien d'étrange dans votre désir d'être mon ami si vous étiez un esprit distingué, mais vous savez bien vous-même que vous n'êtes point un esprit distingué.

– Je ne suis pas un esprit distingué! s'écria le nain.

– Du diable si vous l'êtes! répliqua Richard. Un homme de votre tournure ne peut pas l'être. En fait d'esprit, mon cher monsieur, vous ne pouvez être qu'un esprit malin. Les esprits distingués, ajouta-t-il en se frappant la poitrine, ont un tout autre air, croyez-moi, j'en sais quelque chose.»

Quilp lança à son trop franc ami un regard mêlé de finesse et de mécontentement, et lui serrant la main avec force, il lui dit:

«Vous êtes un drôle de corps, mais c'est égal, comptez sur mon estime.»

Après cela ils se séparèrent, M. Swiveller pour retourner chez lui le mieux possible et se remettre de son excès par le sommeil, et Quilp pour réfléchir à la découverte qu'il avait faite, et se réjouir de la magnifique perspective de satisfaction et de représailles qu'elle lui ouvrait.

Ce ne fut pas sans de grandes répugnances et des soupçons fâcheux que, le lendemain matin, M. Swiveller, la tête encore lourde des fumées du fameux schiedam, se rendit chez son ami Trent – sous le toit d'une vieille maison garnie qui avait l'air d'un repaire de revenants – et lui raconta, avec ménagements toutefois, ce qui s'était passé la veille entre Quilp et lui. Ce ne fut pas non plus sans une vive surprise, sans se demander quels motifs avaient pu dicter la conduite de Quilp, ni sans amèrement blâmer la folie de Dick Swiveller que son ami entendit ce récit.

«Je ne chercherai pas à m'excuser, dit Richard d'un ton contrit, mais ce drôle a des façons si originales, c'est un chien si adroit, qu'il m'a amené d'abord à me demander quel mal cela pouvait faire de lui parler à coeur ouvert, et j'en étais encore à y songer que déjà il m'avait arraché mon secret. Si vous l'aviez vu boire et fumer, comme je l'ai vu, vous auriez fait comme moi, vous lui auriez tout dit. C'est une salamandre, vous le savez, pas autre chose.»

Sans examiner si les salamandres sont de leur nature de très-bons confidents à prendre dans les affaires délicates, ou si un homme à l'épreuve du feu comme l'amateur de schiedam était par là digne de toute confiance, Frédéric Trent se jeta sur un siège et, plongeant sa tête entre ses mains, il s'efforça de sonder les motifs qui avaient pu conduire Quilp à s'insinuer dans les secrets de Richard Swiveller: car c'était lui qui avait cherché à tirer les vers du nez de Dick, et non pas l'autre qui avait été entraîné à lui révéler tout par une confiance spontanée: d'ailleurs, Frédéric en pouvait douter moins que jamais, en voyant que le nain tâchait de l'amorcer lui-même, et recherchait sa société. Le nain l'avait rencontré deux fois, à la poursuite de renseignements sur les fugitifs, et, comme il n'avait pas montré jusque-là qu'il prît un grand intérêt à leur sort, cet empressement subit avait suffi pour éveiller des soupçons dans le coeur d'une créature naturellement ombrageuse et défiante, sans parler de sa curiosité instinctive si heureusement secondée par les manières ingénues de M. Dick. Mais comment se faisait-il que Quilp, informé du plan qu'ils avaient tramé, se fût offert pour le seconder? C'était là une question plus difficile à résoudre: cependant, comme généralement les frisons s'abusent eux-mêmes en imputant à d'autres leurs propres desseins, Frédéric pensa aussitôt que certaine mésintelligence avait pu s'élever entre Quilp et le vieillard, par suite de leurs relations secrètes, et peut-être même n'être pas étrangère à la disparition soudaine du marchand de curiosités, et que ce motif avait inspiré au nain le désir de se venger en arrachant au vieillard l'unique objet de son amour et de son anxiété, pour le faire passer entre les mains d'un homme, l'objet de sa terreur et de sa haine. Comme Frédéric Trent lui-même, sans seulement songer aux intérêts de sa soeur, avait à coeur de voir réussir ce projet, qui satisfaisait également sa haine et sa cupidité, il n'en fut que mieux disposé à croire que c'était là aussi le principe de la conduite de Quilp. Une fois que le nain, selon lui, avait son avantage personnel à les aider dans leur projet, il devenait aisé de croire à sa sincérité et à la chaleur de son zèle dans une cause qui leur était commune; et comme il ne pouvait douter que ce ne fût un utile et puissant auxiliaire, Trent se détermina à accepter l'invitation qu'il lui avait faite et à se rendre chez lui le soir même; et là, s'il était confirmé dans ses idées parce que dirait ou ferait le nain, il l'admettrait à partager les peines de l'exécution, mais non pas le profit.

Tout cela bien médité et bien arrêté dans son esprit, il communiqua à M. Swiveller – qui se fût contenté de moins encore – une petite partie de ses idées, et, lui laissant toute la journée pour se remettre des étreintes bachiques de la salamandre, il l'accompagna le soir chez M. Quilp.

M. Quilp fut enchanté de les voir, ou fit semblant de l'être, et il se montra même terriblement poli envers Mme Quilp et Mme Jiniwin. Pourtant il ne manqua point de lancer un regard scrutateur sur sa femme pour observer l'effet que produirait en elle la visite du jeune Trent.

Mme Quilp n'éprouva pas plus d'émotion que n'en ressentît sa mère, en reconnaissant Frédéric Trent; mais comme le regard de son mari la remplissait d'embarras et de confusion, et qu'elle ne savait ni ce qu'il fallait faire ni ce que M. Quilp exigeait d'elle, le nain ne manqua point d'assigner à son embarras la cause qu'il avait dans l'esprit; et tout en riant sous cape pour s'applaudir de sa pénétration, il était secrètement exaspéré par la jalousie.

Cependant il n'en laissa rien percer. Au contraire, il fut tout sucre et tout miel, et présida avec l'empressement le plus cordial à la distribution du rhum.

«Voyons, dit Quilp, savez-vous qu'il doit bien y avoir près de deux ans que nous nous connaissons?

– Près de trois, je pense, dit Trent.

– Près de trois! s'écria Quilp. Comme le temps passe! Est-ce qu'il vous semble qu'il y ait si longtemps que cela, madame Quilp?

– Oui, Quilp, répondit la jeune femme avec une exactitude de mémoire malheureuse, je crois qu'il y a trois ans accomplis.

– En vérité, madame!.. pensa Quilp, on voit que le temps vous a paru long: vous avez bien compté! très-bien, madame!»

Et il ajouta, s'adressant à Frédéric:

«Il me semble que c'est hier que vous êtes parti pour Demerari sur le Mary-Anne… pas plus tard qu'hier, je vous jure. Eh bien! moi, j'aime cela, qu'un jeune homme s'amuse un peu Moi-même j'ai fait mes farces comme un autre.»

M. Quilp accompagna cette déclaration de si terribles clignements d'yeux attestant ses anciens déportements, que mistress Jiniwin se sentit pénétrée d'indignation et ne put s'empêcher de remarquer à voix basse qu'il pourrait bien au moins remettre le chapitre de ses confessions au moment où sa femme serait absente. M. Quilp répondit à cet acte de hardiesse et d'insubordination par un regard qui fit perdre contenance à Mme Jiniwin, puis il but cérémonieusement à la santé de sa belle-mère.

«J'avais bien pensé, dit-il en posant son verre, que vous reviendriez tout de suite, mon cher Fred. Je l'avais toujours dit. Et quand le Mary-Anne vous ramena à son bord, au lieu d'apporter une lettre qui annonçât votre repentir et le bonheur que vous goûtiez dans la position qu'on vous avait procurée, cela me divertit, – mais me divertit plus que vous ne sauriez croire. Ah! ah! ah!»

Le jeune homme sourit, mais non pas tout à fait comme si le thème était le plus agréable qu'on pût choisir pour l'amuser; aussi Quilp, qui s'en aperçut, jugea-t-il à propos de continuer en ces termes: «Je dirai toujours que si un riche parent, ayant deux jeunes rejetons – soeur ou frère, ou frère et soeur – dépendants de lui, s'attache exclusivement à l'un d'eux et chasse l'autre, il a tort.»

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 eylül 2017
Hacim:
440 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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