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Kitabı oku: «Le magasin d'antiquités. Tome I», sayfa 17

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Frédéric fit un mouvement d'impatience; mais Quilp poursuivit avec autant de calme que s'il discutait quelque question abstraite dans laquelle aucun assistant n'eût eu le moindre intérêt personnel.

«Il est très-vrai, dit-il, que votre grand-père vous accusa maintes fois d'oubli, d'ingratitude, de légèreté, d'extravagance, etc.; mais comme je le lui ai souvent répété, «ce sont là des peccadilles ordinaires. – Mais c'est un drôle! disait-il. – Je vous l'accorde, lui répondais-je (pour faire triompher mon raisonnement, bien entendu), que de jeunes nobles, que de jeunes gentlemen sont aussi des drôles!» Mais il ne voulait pas se rendre à l'évidence.

– Cela m'étonne, monsieur, dit le jeune homme d'un air railleur.

– Oui, voilà ce que je lui disais dans le temps, reprit Quilp; mais le vieux était obstiné. Sans doute c'était un de mes amis, mais cela ne l'empêchait pas d'être obstiné et mauvaise tête La petite Nelly est une bonne, une charmante jeune fille; mais vous êtes son frère, Frédéric. Vous êtes son frère après tout, comme vous le dîtes au vieux la dernière fois que vous vîntes chez lui. Il ne peut pas empêcher cela.

– Il le ferait s'il le pouvait, dit le jeune homme avec impatience. C'est à ajouter au chapitre de sa tendresse à mon égard Mais il n'y a rien de neuf à apprendre sur ce sujet; finissons en, au nom du diable!

– D'accord, répliqua Quilp; je ne demande pas mieux. Pourquoi y faisais-je allusion? Précisément pour vous montrer, mon cher Frédéric, que j'ai toujours été votre ami. Vous ne saviez pas mettre de différence entre votre ami et votre ennemi; en mettez- vous maintenant? Vous vous étiez imaginé que j'étais contre vous, et partant, il y avait entre nous de la froideur; mais ce n'était que de votre côté, entièrement de votre côté. Une poignée de main, Frédéric.»

Avec sa tête enfoncée entre ses épaules et un hideux sourire sur la lèvre, le nain se dressa et étendit à travers la table son bras exigu. Après un moment d'hésitation, le jeune homme présenta sa main: Quilp lui serra les doigts d'une telle force, que le cours du sang y fut arrêté un moment; puis portant à sa bouche son autre main d'un air discret, et lançant un regard de travers à Swiveller qui ne s'en doutait guère, il lâcha les doigts meurtris de Frédéric et se rassit.

Ce mouvement ne fut pas perdu pour Trent qui, sachant bien que Richard était un simple instrument entre ses mains et qu'il ne connaissait de ses projets que ce qu'il daignait lui en communiquer, comprit que le nain était parfaitement au courant de leur position respective et du caractère de son ami. C'est déjà quelque chose que de se sentir apprécié à sa valeur, même en fait de coquinerie. L'hommage silencieux rendu par le nain à sa supériorité, et l'opinion qu'il s'était faite, avec son esprit vif et pénétrant, de l'ascendant exercé par Frédéric sur son ami, décidèrent Trent à s'appuyer sur ce hideux auxiliaire et à profiter de son aide.

M. Quilp, jugeant à propos de couper court au sujet de la conversation, de peur que Richard Swiveller ne révélât dans son étourderie quelque chose que les femmes ne dussent point connaître, proposa une partie de piquet à quatre; les cartes décidèrent le sort: Mme Quilp échut comme partenaire à Frédéric Trent, et Dick à M. Quilp. Mme Jiniwin, qui aimait beaucoup le jeu, en fut par conséquent soigneusement exclue par son gendre qui lui confia le soin de remplir de temps en temps les verres avec les liqueurs contenues dans les flacons. M. Quilp ne la perdait pas de vue, afin qu'elle ne s'avisât pas de prendre un avant-goût de ces breuvages exquis; et comme les liqueurs ne plaisaient pas moins que les cartes à la vieille dame, M. Quilp trouva ce moyen ingénieux d'infliger à la fois à Mme Jiniwin un double supplice de Tantale.

Mais ce n'était pas à Mme Jiniwin que se bornait l'attention de M. Quilp, et d'autres objets encore exerçaient sa constante vigilance. Parmi ses habitudes excentriques, le nain avait celle de tricher aux cartes: il fallait que non seulement il observât avec soin la marche du jeu et fît en même temps des tours d'escamoteur en comptant les points et en les marquant, mais encore qu'il donnât sans cesse des avertissements à Richard Swiveller par des regards, des froncements de sourcil et des coups de pied par-dessous la table; car Richard, tout ahuri par la rapidité avec laquelle les cartes étaient appelées et les fiches voyageaient sur le tapis, ne pouvait s'empêcher d'exprimer de temps en temps sa surprise et ses doutes. Mme Quilp, nous l'avons dit, était la partenaire du jeune Trent; aussi, à chaque regard qu'ils échangeaient, à chaque parole qu'ils prononçaient, à chaque carte qu'ils jetaient, le nain ouvrait les yeux et les oreilles; ce n'était pas seulement ce qui se passait sur la table qui l'occupait, mais encore les signes d'intelligence qui pouvaient être échangés en dessous, et il employait toutes sortes de ruses pour les surprendre; par exemple, il appuyait souvent son pied sur celui de sa femme pour voir si elle jetterait un cri ou si elle se tiendrait coite malgré la douleur, parce que, dans ce dernier cas, il lui eût été démontré que Trent lui avait déjà marché sur le pied. Cependant, au plus fort de ses préoccupations, il n'en continuait pas moins de tenir un de ses yeux fixés sur la vieille dame; et, si à la dérobée elle approchait une cuiller à thé d'un verre voisin, – ce qu'elle faisait fréquemment, – pour attraper une petite goutte du nectar qu'il contenait, la main de Quilp dérangeait ses plans au moment même du triomphe de Mme Jiniwin, et, d'une voix moqueuse, Quilp la suppliait de ménager sa précieuse santé. Et ces soins si multipliés n'empêchaient pas Quilp d'y satisfaire sans relâche et sans faute, depuis le premier jusqu'au dernier.

Enfin, quand ils eurent joué bon nombre de parties liées et largement festoyé les liqueurs, M. Quilp ordonna à sa femme d'aller se coucher; la douce Betzy obéit et se retira, suivie de sa mère indignée. Swiveller s'était endormi. Le nain, appelant du doigt Frédéric à l'autre extrémité de la chambre, y tint à voix basse avec lui une courte conférence.

«Nous ferons aussi bien de ne dire, devant votre digne ami, que ce que nous ne pouvons pas taire, dit Quilp en se tournant avec une grimace vers Dick endormi. C'est marché conclu entre nous, Fred. Voyons, lui ferons-nous épouser cette petite rose de Nelly?

– Vous y avez aussi votre intérêt, je suppose, répliqua l'autre.

– Oui, j'en ai un naturellement, dit Quilp riant de l'idée que Frédéric ne soupçonnait pas son but réel; peut-être des représailles à exercer, peut-être une fantaisie. J'ai des moyens, Fred, de seconder ce projet ou de m'y opposer. Quel parti prendrai-je? Voici une paire de balances, je la ferai pencher du côté que je voudrai.

– Faites-la pencher de mon côté, dit Trent.

– Voilà qui est fait, mon cher Fred, répondit Quilp tendant sa main fermée, puis l'ouvrant comme s'il en laissait tomber quelque objet pesant; le poids est dans le plateau et il l'entraîne. Faites attention.

– Oui, mais où sont-ils partis, les plateaux?» demanda Trent.

Quilp secoua la tête et dit que le point restait à découvrir, mais que ce ne serait peut-être pas bien difficile. Une fois la chose faite, ils auraient à concerter leurs démarches préliminaires. Il se chargeait de voir le vieillard, ou bien Richard Swiveller pourrait l'aller voir, lui montrer de la chaleur pour ses intérêts, le presser de se loger dans une maison convenable et, par la reconnaissance qu'il inspirerait à la jeune fille, ferait du progrès dans son estime. Grâce à cette impression, il serait facile de la gagner d'ici à un ou deux ans: car elle supposait que le vieillard était pauvre, celui-ci affectant, par une politique qui n'était pas rare chez les avares, d'étaler les dehors de l'indigence aux yeux de ceux qui l'entouraient.

«Il a bien assez souvent caché son jeu avec moi, dit Trent, et tout dernièrement encore.

– Et avec moi aussi, dit le nain. Ce qui est d'autant plus extraordinaire, que je sais parfaitement combien en réalité il est riche.

– Vous devez le savoir.

– Je crois que je dois le savoir…» dit le nain; et en cela du moins, avec sa parole à double entente, il ne mentait pas.

Après avoir échangé encore quelques mots à voix basse, ils se remirent à table. Le jeune homme éveilla Richard Swiveller et lui apprit qu'il était temps de partir. Richard, à cette bonne nouvelle, se leva vivement. Le nain et Frédéric se dirent encore deux mots du succès assuré de leur plan, puis on souhaita le bonsoir à Quilp qui grimaça un adieu.

Il grimpa à la fenêtre au moment où les deux amis passaient dans la rue au-dessous de lui et il écouta. Trent faisait à haute voix l'éloge de sa femme, et tous deux se demandaient par quelle fascination elle avait été amenée à épouser ce misérable avorton. Le nain, après avoir vu s'éloigner ces deux ombres en les accompagnant de la plus formidable grimace qu'il eût jamais faite, alla tout doucement gagner son lit.

En formant leur plan, ni Trent ni Quilp n'avaient songé au bonheur ou au malheur de la pauvre innocente Nelly. Il n'eût pas été moins étrange que l'insouciant dissipateur dont ils faisaient leur instrument eût été lui-même occupé d'y penser pour eux; car la haute opinion qu'il avait de sa personne et de son mérite justifiait, à ses yeux, le projet concerté; et, quand il eût reçu, par extraordinaire, la visite d'un hôte aussi rarement accueilli à sa porte que la réflexion, adonné comme il l'était à la pleine satisfaction de ses appétits, il eût pleinement rassuré sa conscience avec l'idée qu'il ne songeait ni à maltraiter ni à tuer sa femme, et que, par conséquent, après tout, il serait dans la bonne moyenne des maris très-supportables.

CHAPITRE XXIV

Ce ne fut que lorsqu'ils se sentirent épuisés de fatigue et hors d'état de continuer à marcher comme ils l'avaient fait depuis le champ de courses, que le vieillard et l'enfant se hasardèrent à s'arrêter et à s'asseoir sur la limite d'un petit bois. Là, bien que l'arène fût cachée à leur vue, ils pouvaient percevoir encore le bruit affaibli des cris éloignés, le brouhaha des voix et le roulement des tambours. Gravissant l'éminence qui les séparait de ces lieux, l'enfant put reconnaître les drapeaux flottants et les blancs pavillons des baraques; mais personne ne venait de leur côté, et l'endroit où ils se reposaient était solitaire et paisible.

Il se passa quelque temps avant que Nelly pût rassurer son compagnon craintif et lui rendre le calme nécessaire. L'imagination désordonnée du vieillard lui représentait une foule de gens se glissant jusqu'à lui et sa petite-fille dans l'ombre des buissons, s'embusquant dans chaque fossé et les épiant derrière chaque branche des arbres agités. Il était obsédé de la crainte d'être jeté dans quelque cabanon obscur où on l'enchaînerait et le fouetterait; pis que cela, où Nelly ne serait jamais admise à le voir, sinon à travers des barreaux de fer et des grilles scellées à la muraille. Ses terreurs gagnaient l'enfant. Être séparée de son grand-père, c'était le plus cruel supplice qu'elle put redouter; et pensant que dans l'avenir, partout où ils iraient, ils étaient exposés à être ainsi traqués et poursuivis sans pouvoir espérer de salut qu'à la condition de rester cachés, elle sentit son coeur se briser et son courage faiblir.

Cet accablement d'esprit n'avait rien de surprenant chez un être si jeune et si peu habitué aux scènes parmi lesquelles il lui avait fallu vivre depuis quelque temps. Mais souvent la nature place de nobles et généreux coeurs dans de faibles poitrines, – très-souvent, Dieu merci! dans des poitrines de femme; – et quand l'enfant, attachant sur le vieillard ses yeux mouillés de larmes, se rappela combien il était débile, et combien il serait abandonné et sans ressources si elle venait à lui manquer, son coeur se ranima et se trouva rempli d'une force et d'une constance nouvelles.

«Nous voici à l'abri de tout danger et nous n'avons plus rien à craindre, mon cher grand-papa, dit-elle.

– Rien à craindre!.. répéta le vieillard. Rien à craindre, et s'ils m'arrachaient d'auprès de toi! Rien à craindre, et s'ils nous séparaient! Je ne crois plus personne: pas même Nell!

– Oh! ne parlez pas ainsi! répliqua l'enfant. Car si jamais quelqu'un vous fut fidèle et dévoué, c'est moi. Et je sais bien que vous n'en doutez pas.

– Comment alors, dit le vieillard, regardant d'un air craintif autour de lui, pouvez-vous avoir le coeur de me dire que nous sommes en sûreté lorsqu'on me cherche de tous côtés, lorsqu'on peut venir ici, se glisser vers nous, au moment même où nous parlons!

– Parce que je suis bien sûre que nous n'avons pas été suivis. Jugez-en par vous-même, cher grand-papa; regardez autour de vous, et voyez combien tout est calme. Nous sommes seuls ensemble, et libres d'aller où il nous plaira Vous dites que vous n'êtes pas en sûreté! Pourrais-je donc être si tranquille, et le serais-je si vous aviez à craindre quelque danger?

– Oh! oui! oh! oui! dit-il en lui pressant la main, mais sans cesser de regarder au loin avec anxiété. – Quel est ce bruit?

– Un oiseau, dit l'enfant; un oiseau qui voltige à travers le bois et nous indique le chemin que nous avons à suivre. Vous vous rappelez quand nous disions que nous irions par les bois et les champs et le long du bord des rivières, et que nous serions bien heureux… Vous vous le rappelez?.. Mais ici, tandis que le soleil brille au-dessus de nos têtes, et que tout est lumière et bonheur, nous restons tristement assis, à perdre notre temps! – Voyez, quel joli sentier! l'oiseau nous y mène, – le même oiseau; – le voilà qui se pose sur un autre arbre et qui s'arrête pour chanter. Venez!»

Lorsqu'ils se levèrent et prirent l'allée ombreuse qui devait les conduire à travers les bois, Nelly s'élança en avant; imprimant ses petits pieds sur la mousse qui se relevait après, souple et élastique sous ces pieds légers, gardant pourtant l'empreinte de ses pieds mignons comme une glace fidèle. Puis alors elle appela le vieillard de ce côté, tant du regard que de son geste gai et pressant. Elle lui montrait d'un signe furtif quelque oiseau solitaire se balançant et gazouillant sur une branche qui s'égarait au-dessus de l'allée; ou bien, elle s'arrêtait pour écouter les chants qui rompaient l'heureux silence; ou bien elle contemplait le rayon de soleil qui tremblait parmi les feuilles, et, se glissant le long des troncs énormes des vieux chênes couverts de lierre, projetait au loin des traits lumineux. Comme ils cheminaient en avant, écartant les buissons qui bordaient l'allée, la sérénité que Nelly avait feint d'éprouver d'abord pénétra véritablement dans son coeur; le vieillard cessa de jeter derrière lui des regards d'effroi, il montra même plus d'assurance et de gaieté: car plus ils s'enfonçaient dans le sein de l'ombre verte, plus ils sentaient que l'esprit de Dieu était là et répandait la paix sur eux.

Enfin le sentier devint plus clair; la marche, plus libre; ils atteignirent la limite du bois et se trouvèrent sur une grande route. Ils la suivirent quelque temps et entrèrent bientôt dans une ruelle ombragée par deux rangées d'arbres si serrés et si touffus que leurs cimes se rejoignaient en berceau et formaient une arcade au-dessus de l'étroit sentier. Un poteau mutilé indiquait que cette ruelle menait à un village situé à trois milles, et ce fut là que les voyageurs résolurent de diriger leurs pas.

Le trajet leur parut si long qu'ils crurent parfois s'être égarés. Mais enfin, à leur grande joie, le chemin aboutit à une descente rapide avec une double chaussée sur laquelle étaient pratiqués des trottoirs; et les maisons du village leur apparurent groupées et étagées du fond de leur ceinture boisée.

C'était un lieu modeste. Les hommes et les enfants s'amusaient à jouer au cricket10 sur le gazon. Les regards s'attachèrent sur Nelly et le vieillard qui erraient en se demandant où ils chercheraient un humble asile. Dans un petit jardin, devant sa chaumière, se trouvait tout seul un homme âgé. Les voyageurs éprouvaient un certain embarras à l'aborder, car c'était le maître d'école, et au-dessus de sa fenêtre le mot École était tracé en lettres noires sur un écriteau blanc. C'était un homme pâle, d'un extérieur simple; il portait un habit usé et étriqué, et se tenait assis parmi ses fleurs et ses ruches, fumant sa pipe, sous le petit portique devant sa porte. «Parle-lui, ma chère, dit tout bas le vieillard.

– J'ai peur de le déranger, dit timidement l'enfant: il n'a pas l'air de nous apercevoir. Peut-être, si nous attendons un peu, regardera-t-il de notre côté.»

Ils attendirent, mais le maître d'école ne regardait pas de leur côté et restait sous son petit portique, pensif et silencieux. Il paraissait bon. Son habillement, tout noir, faisait ressortir encore son teint pâle et sa maigreur. Ils trouvèrent aussi à sa personne, à sa maison, un air de solitude et d'isolement qui venait peut-être de ce que les autres étaient réunis sur la pelouse à se donner du plaisir. Il n'y avait que lui qui fût resté seul dans tout le village.

Cependant le vieillard et sa compagne étaient bien las. Nelly se serait peut-être senti le courage de s'adresser même à un maître d'école; mais elle hésitait, parce que la physionomie de cet homme révélait la tristesse ou le malheur.

Tandis qu'ils étaient là, incertains, à peu de distance, ils le virent de temps en temps demeurer plongé chaque fois dans une sombre méditation, puis poser sa pipe de côté et faire deux ou trois tours dans son jardin; s'approcher ensuite de la porte et regarder du côté de la pelouse, puis reprendre sa pipe en soupirant et s'asseoir de nouveau dans la même attitude pensive.

Comme aucune autre personne ne paraissait et que la nuit commençait à tomber, Nelly s'arma enfin de résolution; et lorsque le maître d'école eut repris sa pipe et son siège, elle s'aventura à s'approcher en tenant son grand-père par la main. Le bruit qu'ils firent en levant le loquet de la porte, attira l'attention du maître d'école. Il les considéra avec bienveillance, mais cependant comme un homme désappointé, et agita doucement la tête.

Nelly fit une révérence et lui dit qu'ils étaient de pauvres voyageurs qui cherchaient pour la nuit un abri qu'ils payeraient volontiers, selon leurs faibles moyens. Le maître d'école la regarda avec attention pendant qu'elle parlait; il mit sa pipe de côté et se leva aussitôt.

«Si vous pouviez nous indiquer un endroit, dit l'enfant, nous vous en serions bien reconnaissants.

– Vous venez de faire un long chemin? dit le maître d'école.

– Très-long, répéta Nelly.

– Vous commencez de bonne heure à voyager, mon enfant, dit-il en posant amicalement la main sur la tête de Nelly. C'est votre petite-fille, mon brave homme?

– Oui, monsieur, s'écria le vieillard; c'est l'appui et la consolation de ma vie.

– Entrez ici,» dit le maître d'école.

Sans autres préliminaires, il les mena dans une petite classe qui servait indifféremment de salle à manger et de cuisine, en leur disant qu'ils étaient les bienvenus et pourraient rester chez lui jusqu'au lendemain matin. Avant même qu'ils l'eussent remercié, il étendit sur la table une grosse nappe bien blanche, y posa des couteaux et des assiettes; et mettant sur la table du pain, de la viande froide et un pot de bière, il les invita à manger et à boire.

L'enfant jeta un regard autour d'elle tout en s'asseyant. Il y avait deux bancs entaillés et tout tachés d'encre; une petite chaire perchée sur ses quatre pieds, où sans doute le maître était assis pendant la classe; quelques livres rangés sur une tablette haute, avec des coins au haut des pages; en outre, une collection bigarrée de toupies, de balles, de cerfs-volants, de lignes à pêcher, de billes, de trognons de pommes et autres objets confisqués aux paresseux de l'école. Accrochés à la muraille, on voyait se carrer dans toute leur majesté terrifique, sur deux supports, la canne et le martinet; et près de là, sur une petite planchette ad hoc le bonnet d'âne, fait de vieux journaux et décoré d'une quantité de pains à cacheter des plus larges et des plus apparents. Mais le principal ornement des murs consistait en des sentences morales parfaitement transcrites en belle écriture ronde, en un certain nombre d'additions et de multiplications fort bien chiffrées: tout cela venait évidemment de la même main, et ces tableaux se trouvaient disposés tout autour de la salle dans le double but, très-évident, d'offrir un témoignage de l'excellent enseignement de l'école et d'exciter l'émulation dans le coeur des écoliers.

«Eh bien! dit le vieux maître d'école, remarquant que l'attention de Nelly était absorbée par ces spécimens, voilà une belle écriture! n'est-ce pas, ma chère petite?

– Très-belle, monsieur, répondit-elle modestement. Est-ce la vôtre?

– La mienne! s'écria-t-il, tirant ses lunettes et les mettant sur son nez pour jouir mieux d'un triomphe toujours cher à son coeur. Oh! non, je ne pourrais pas écrire aujourd'hui comme cela. Non! tous ces tableaux sont de la même main, une petite main, plus jeune que la vôtre, mais pourtant très-habile.»

En parlant ainsi, le maître d'école s'aperçut qu'une légère tache d'encre avait été jetée sur un des tableaux. Il tira de sa poche un canif, et, s'approchant du mur, il gratta soigneusement la tache. Cette besogne achevée, il alla lentement à reculons contempler l'exemple d'écriture avec admiration, comme on pourrait contempler la plus belle peinture. Mais, dans sa voix, dans son geste, il y avait quelque chose de triste qui émut profondément Nelly, bien qu'elle en ignorât la cause.

«Oh! oui, une petite main!.. dit le pauvre maître d'école. Un enfant bien supérieur à tous ses camarades, à l'étude comme au jeu. Comment se fait-il qu'il se soit tant attaché à moi? Que je l'aime, il n'y a rien d'étonnant à cela; mais qu'il m'aime ainsi, lui!..»

Ici, le maître d'école s'arrêta; il retira ses lunettes pour les essuyer, car les verres s'en étaient obscurcis.

«J'espère que vous n'avez aucun motif d'être inquiet pour lui, monsieur, dit Nelly avec anxiété.

– Non, pas précisément, ma chère. Je comptais le voir ce soir sur la pelouse. Il était toujours le premier à prendre sa part du cricket. Mais il y sera sans doute demain.

– Est-ce qu'il a été malade? demanda l'enfant avec la sympathie de son âge.

– Malade! oui, un peu indisposé. On dit qu'il a eu du délire hier, ce cher enfant, et aussi la veille; mais c'est inévitable avec ce genre de maladie: ce n'est pas un mauvais symptôme; il n'y a pas là de mauvais symptôme.»

L'enfant se tut. Le maître d'école alla à la porte et regarda attentivement dehors. Les ombres de la nuit s'épaississaient, et tout était tranquille.

«S'il pouvait trouver quelqu'un pour lui donner le bras, il viendrait ici, bien sûr, dit-il en rentrant dans la chambre. Il ne manque jamais de venir au jardin me souhaiter le bonsoir. Mais peut-être sa maladie ne fait-elle que de prendre meilleure tournure, et il est sans doute trop tard pour qu'il vienne; car il y a beaucoup d'humidité, et la rosée est très-abondante. Il vaut mieux qu'il ne vienne pas ce soir.»

Le maître d'école alluma une chandelle, assujettit le contrevent de la croisée et ferma la porte. Mais, après avoir pris ces soins et s'être assis en silence, au bout de quelques instants il décrocha son chapeau et dit à Nelly qu'il avait besoin de sortir pour aller aux nouvelles, qu'elle l'obligerait si elle voulait bien rester là jusqu'à ce qu'il fût de retour. L'enfant le lui promit, et le brave homme sortit.

Nelly resta assise et immobile durant une demi-heure et même davantage, toute seule, toute seule; car elle avait déterminé son grand-père à aller se coucher, et elle n'entendait que le tic tac d'une vieille horloge et le sifflement du vent à travers les arbres.

Lorsque le maître d'école revint, il reprit sa place au coin de la cheminée, mais demeura silencieux pendant longtemps. Enfin il se tourna vers Nelly, et, d'une voix douce, il l'invita à vouloir bien, cette nuit, faire une prière pour un enfant malade.

«Mon élève favori! dit le pauvre maître d'école, fumant sa pipe qu'il avait oublié d'allumer, et, regardant tristement les exemples collés sur les murs oui c'est sa petite main qui a fait tout cela… et tout amaigrie par la maladie! Pauvre petite, petite main!..»

10.Jeu de balle, en grand honneur dans toute l'Angleterre.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 eylül 2017
Hacim:
440 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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