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Kitabı oku: «Les conteurs à la ronde», sayfa 5

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Miss Rosemonde, entraînée par une puissance surnaturelle, continuait de se tordre dans mes bras et de sangloter; mais je sentais ses forces faiblir, et je la laissais crier:

«Elles veulent que j'aille avec elles sur les Fells. Elles m'attirent à elles! Ô ma petite fille! Je viendrais si la méchante, la cruelle Hester ne me retenait de force.»

Enfin, quand elle vit la béquille levée sur l'enfant, elle s'évanouit, et j'en rendis grâces à Dieu.

Au moment où le grand vieillard, dont les cheveux flottaient comme sous le vent d'une fournaise, allait frapper la pauvre petite toute tremblante, miss Furnivall, la vieille dame que j'avais à mes côtés, s'écriait d'un ton lamentable: «Ô mon père! mon père! épargnez cette pauvre enfant!» Mais alors même, je vis, nous vîmes tous un autre fantôme se détacher de la lumière bleue et vague qui remplissait la salle. C'était une autre dame qui se tenait debout près du vieillard avec un regard de cruelle rancune et de mépris triomphant. Sa beauté était remarquable; ses lèvres rouges et dédaigneuses. Un chapeau de castor blanc, orné d'une longue plume, couvrait son front altier. Elle portait une robe de satin bleu ouverte sur la poitrine. J'avais déjà vu cette figure. C'était la ressemblance de miss Furnivall dans sa jeunesse.

Les fantômes continuaient de se mouvoir vers la porte de la grande salle, sans prendre garde aux ardentes supplications de la vieille miss Furnivall; et quand la béquille que brandissait le vieux lord tomba sur l'épaule droite de l'enfant, la sérénité de marbre de la cruelle jeune fille n'en parut pas même altérée. Soudain ces lumières étranges qui ne dissipaient pas les ténèbres, ce feu qui ne répandait aucune chaleur, s'éteignirent d'eux-mêmes; et nous vîmes la vieille miss Furnivall gisante à nos pieds, mortellement frappée.

On la porta dans son lit, d'où elle ne devait pas se relever. Durant son agonie, elle tenait son regard tourné vers la muraille, murmurant tout bas, mais ne cessant de murmurer: «Hélas! Hélas! la vieillesse ne peut réparer le mal qu'a fait la jeunesse. Non, jamais, on ne peut la réparer!»

V – L'HISTOIRE DE L'HÔTE

Il y avait une fois, comme disent les contes d'enfants, un marchand qui revint des contrées lointaines dans son pays natal, où il rapportait, dans un petit coffret, des diamants qui auraient suffi pour la rançon d'un roi. Ce marchand avait vieilli dans son commerce. Tous les instincts généreux avaient disparu de son coeur refroidi, et les cendres du feu de la jeunesse couvraient ce coeur qui ne connaissait plus ni joie, ni pitié. En revanche, il était toujours habile et dur en affaires, ne calculant que le tant pour cent. Pour enfler ses bénéfices ou sauver un denier, il eût vu d'un oeil sec tous ses enfants descendre au tombeau s'il avait eu des enfants. Comme un bloc de pierre, il semblait complet en lui- même, isolé de tout; ni sang ni sève ne couraient dans ses veines; mais il avait la soif de l'or, comme la terre béante après la malédiction d'une longue sécheresse, aspire après la pluie; et lorsqu'il voyait un autre marchand aussi riche que lui, il brûlait du désir de le dépouiller, par la force ou la ruse.

Le voilà descendu sur le rivage sablonneux de la mer, une fois de plus, il foule le sol natal. Il reconnaît tous les rochers de l'aride plage; il reconnaît la rivière qui serpente au loin. Il revoit des scènes qui lui sont familières; il entend parler une langue qui l'est également pour lui. Il s'arrête. Peut-être que les années ont un instant laissé son cerveau libre, comme le reflux de la mer découvre la grève, et qu'il va se retrouver jeune un instant? Peut-être, par une émotion étrange et toute nouvelle pour lui, l'amour de la patrie va-t-il rafraîchir son coeur comme une rosée? Hélas! non, il ne pense qu'une chose, au moyen de se coucher cette nuit sans qu'il lui en coûte rien.

Il gravit donc le chemin tortueux de la petite ville; là il entend parler du renom d'un prince marchand qui habite le voisinage, et dont la libéralité égale le luxe royal. On lit ces mots, inscrits sur la porte toujours ouverte de sa demeure hospitalière:

«Ici, tout le monde est bien venu, riche ou pauvre!» Notre avare se hâte de tourner ses pas de ce côté. Bientôt il aperçoit dans un agréable lieu, entouré de masses de feuillages où murmure la brise, les reflets du marbre blanc au milieu des sombres arbres. En approchant plus près, il voit s'élever des murs d'une architecture splendide, percés de nombreuses croisées qui étincellent comme des yeux, et ornés de statues, qui de la hauteur où elles sont placées, ressemblent à des anges faisant halte un instant dans leur vol vers le ciel. Il admire de longs rangs de colonnades, des lampes d'or sous des portiques, de vastes terrasses couronnant l'édifice et offrant de paisibles retraites au milieu des airs: tel était le palais du prince marchand.

À travers les vastes portes, on entendait retentir sans cesse les sons des instruments de musique, ces accords qui, portés sur des ailes légères, semblent planer autour de nous et murmurer des choses d'un monde lointain dans une langue divine et inconnue.

Le marchand avare entra dans la salle, et voyant le maître assis à table, il lui cria: «Ô noble et grand prince, tu vois à tes pieds un pauvre marchand ruiné, qui implore de ta miséricorde un peu de nourriture, pour ne pas mourir de faim sur la grand'route. C'est à ta gracieuse charité qu'il a recours, et il s'agenouille devant toi.» L'hôte se leva, prit le marchand par la main avec un sourire de bonté, lui parla avec chaleur d'âme, et lui donna à boire et à manger de ses mains. Mais l'avare regardait tout ce qui l'entourait d'un oeil de convoitise, et bientôt la splendeur éclatante de cette maison, toute cette prodigalité de richesse, toutes ces merveilles du luxe, l'or étincelant partout, les pierres précieuses dans l'air scintillant comme des étoiles, éveillèrent en lui une pensée infernale de l'enfer, suspendirent sa respiration, précipitèrent le mouvement de son sang et souillèrent dans son oreille un diabolique conseil. «Quand toute la maison reposera, se dit-il; quand le sommeil aura scellé toutes les oreilles et tous les yeux; quand, fatigués par l'éclat et le bruit du festin, tous les sens seront assoupis, je me lèverai, je saisirai tout ce que je pourrai saisir et je le placerai en sûreté dans la cour d'honneur jusqu'à l'aube. Puis pour m'échapper sans éveiller les soupçons, je mettrai le feu à ce palais; je brûlerai le phénix dans son lit de parfums.»

Quand la fête fut finie, tout le monde se retira pour se livrer au repos, et le vieux marchand, aux lèvres perfides, dit à l'hôte: «Mon doux seigneur! un esprit blessé vient d'être guéri par le baume de votre amour. Puisse celui qui règne dans les cieux augmenter encore vos richesses. Cette nuit même contribuera peut- être à remplir vos coffres-forts. Pourquoi me regarder d'un air incrédule? Souvent le ciel accomplit son oeuvre dans les ténèbres et durant le sommeil. Oui, j'en ai le pressentiment, ma langue vient de prophétiser.»

L'hôte lui répondit du ton le plus courtois. On conduisit les convives dans les chambres préparées pour les recevoir. La lumière et la gaîté s'évanouirent à la fois de la salle, et le sommeil appesantit toutes les paupières, hors celles du meurtrier. Le voyez-vous assis, les yeux fixés sur la large flamme de la lampe, qui vacille et secoue les ombres comme la main d'un spectre. Il pense au noir dessein qu'il a formé, il écoute le silence qui l'entoure; il entend au dehors souffler la bise, chanter le grillon et gémir le solitaire oiseau de la bruyère voisine, Enfin il prend sa lampe et sort furtivement de sa chambre La maison silencieuse semble sa complice. Les ombres s'agitent le long des escaliers et ses pas comme des démons couverts d'un linceul noir. Les colonnes de marbre, avec leur blancheur de spectre, semblent, du milieu des ténèbres, venir au-devant de la lumière. Un silence sinistre règne partout. Personnification de l'avarice ou visage astucieux, le criminel marchand entre dans la salle du banquet, maintenant froide et déserte. Il remplit un sac de vaisselle d'or, de bijoux et de pierreries; il prend tout ce qu'il trouve à sa fantaisie, et joignant à son butin la caisse qui renferme ses propres diamants, il cache tout dans un coin de la cour d'honneur.

Et maintenant, réveillez-vous, imprudents qui dormez; car autour de vous, le meurtre rôde. Un démon s'est glissé dans la maison hospitalière, et pendant votre sommeil, il rampe autour des fondements de l'édifice; il amasse les fagots et la paille; il y met le feu. Bientôt les flammes, prenant de la force, feront éclater ces pierres massives; elles les envelopperont d'un épais manteau de fumée, et leur clarté sinistre déchirera la nuit. Déjà la Terreur montre sa tête hideuse. Le crime, enfant, grandit et se fortifie. Adieu la joie! adieu les fêtes! Les flammes mordent et dévorent les poutres, s'élancent à travers les croisées et se tordent comme des serpents. Les énormes colonnes sont embrasées; les conduits de plomb se fondent et coulent comme des ruisseaux; le feu agile s'élance au sommet de l'édifice et trace dans le ciel des arabesques d'un rouge sanglant. Partout bondissant des flammes, partout éclatent des gerbes d'étincelles. La nuit s'est enfuie!

Aux premières rumeurs de l'incendie, l'hôte, ses convives et tous ses serviteurs se précipitent pêle-mêle, en tumulte, hors de la maison et dans la vaste cour. Alors seulement ils osent regarder derrière eux; ils voient l'édifice hospitalier dévoré par des serpents de feu; ils pleurent et se tordent les mains; ils invoquent le ciel!

Cependant le marchand criminel, qu'au milieu même de l'incendie l'avarice dévore, cherche encore du butin dans les chambres désertées par les plus riches convives, et que le feu n'a pas encore atteintes. Enfin, il songe à fuir et regarde dans la cour, mais il est trop tard; la cour est pleine de monde, ce qui lui ôte l'espoir de parvenir, en ce moment du moins, jusqu'au trésor qu'il a caché. «Je suis perdu! s'écrie-t-il, je suis perdu!» La maison n'a pas de porte dérobée qu'il connaisse, et quand il essaie de franchir le seuil hospitalier, un feu vengeur se dresse devant lui et le tient, pour ainsi dire, en arrêt comme un limier. C'est le feu maintenant qui est le maître du logis, et lui l'esclave. Il fuit, il court comme un insensé; il va et revient sur ses pas; il implore du secours, mais il sait qu'il ne peut lui en venir; il grince des dents comme une bête féroce en cage. Les flammes impitoyables rugissent autour de lui et brûlent déjà ses vêtements. Il hurle à son tour: «Je ne puis plus fuir: le feu que j'ai allumé me tient emprisonné.» Les dalles sont brûlantes; l'air même s'embrase et siffle. Pour sauver sa vie, il monte au haut de la maison; il court à une fenêtre de derrière et voit au loin le ciel rouge comme du sang. C'est la seule chance qui lui reste. Il s'élance par la croisée au milieu des arbres; tout meurtri et à demi-étourdi par sa chute, il se lève de nouveau, proférant d'étranges paroles et se maudissant lui-même. La tête lui tourne, il bronche à chaque pas; mais cependant il poursuit sa course et finit par disparaître dans l'obscurité lointaine.

Le bruit et les clameurs ont enfin réveillé tous les voisins, qui aperçoivent la clarté sinistre et la fumée. Ils se lèvent, ils accourent; ils jettent de l'eau sur les flammes, et bientôt l'incendie se laisse maîtriser. La lueur rougeâtre du ciel se dissipe et la nuit revient. Les fenêtres vides, avec leur feu intérieur, ressemblent encore à des yeux luisants dans les ténèbres. Ces yeux scintillent longtemps et finissent par se fermer. Alors, avec des cris joyeux, les fugitifs rentrent dans la maison, dont la plus grande partie est restée intacte, et tous se réjouissent en leur coeur que les ravages ne soient pas plus grands. Le maître de ce brillant palais regarde autour de lui, et voit que tous ses convives, tous ses serviteurs sont sains et saufs; personne n'a perdu un cheveu. Il ne manque que le vieux marchand; lui seul ne répond pas à l'appel; on ne trouve nulle part ses traces, quoiqu'on cherche dans toutes les salles vides et sous les ruines fumantes amoncelées contre les murs. On aurait fini par croire qu'il ne s'était pas réveillé à temps pour fuir, lorsque, sous un monceau de bois calciné, la lanterne est découverte. C'est par là que le fou a commencé; alors ils se disent entre eux: «C'est donc cet homme qui a allumé l'incendie où nous avons failli périr tous.» Et, dans le même instant, d'autres personnes trouvent dans la cour le butin que le misérable avait amassé. Mais, ô surprise étrange! ce butin est prodigieusement augmenté par un petit coffret où sont enfermés les plus beaux diamants de l'Orient, diamants plus précieux qu'une couronne!

Une proclamation fut faite dans tout le pays d'alentour, pour savoir si personne ne réclamait ces riches pierreries; mais personne ne les réclama. Leur véritable possesseur se gardait bien de reparaître pour faire valoir ses titres. Ils finirent donc par appartenir bien légitimement à celui que leur premier propriétaire avait payé d'une si noire ingratitude; et leur valeur était préférable mille fois aux dommages causés par l'incendie.

Ce fut ainsi qu'une joie nouvelle sortit d'une calamité imprévue; et l'avare marchand, qui croyait mentir, avait été prophète malgré lui.

VI – L'HISTOIRE DU GRAND-PÈRE

Lorsque j'occupai pour la première fois une place de commis dans notre banque, le pays jouissait de bien moins de sécurité qu'aujourd'hui. Non seulement les routes, attendant la réforme de Macadam, étaient fatales, en beaucoup d'endroits, aux roues et aux essieux; mais ce qui était plus alarmant encore il fallait s'y prémunir contre les insultes et les vols auxquels étaient exposés les voyageurs. Les incidents de la guerre où nous venions d'entrer agitaient tous les esprits; le commerce était interrompu, le crédit anéanti et la détresse commençait à se manifester dans des classes entières de la population qui avaient jusqu'ici vécu dans l'abondance. La loi, malgré son application draconienne, semblait n'avoir pas d'épouvante pour les malfaiteurs, et il est certain que la cruauté, sans discernement, du Livre des Statuts, allait contre son but en punissant tous les crimes des mêmes peines. Du reste, un temps de pénurie financière n'est pas une mauvaise saison pour une banque. La nôtre florissait au milieu de la grande gêne du pays, et les énormes bénéfices réalisés à cette époque par les banquiers, bénéfices qui leur permirent d'acheter de vastes propriétés et d'éclipser la vieille aristocratie territoriale, rendaient la profession aussi impopulaire parmi les hautes classes qu'elle l'était depuis longtemps parmi les masses irréfléchies. Un banquier leur semblait une sorte de faussaire patenté, qui créait d'énormes sommes d'argent en signant des chiffons de papier; et le vol d'une banque, j'en suis persuadé, aurait été considéré par beaucoup de gens comme une action tour aussi méritoire que la dispersion d'une bande de faux-monnayeurs. Tels n'étaient pas, bien entendu, les sentiments des commis de la banque. Nous sentions, au contraire, que nous appartenions à une corporation puissante, du bon vouloir de laquelle dépendait la prospérité de la moitié des maisons du commerce du pays. Nous nous regardions comme un véritable gouvernement exécutif, et nous remplissions les devoirs de notre charge avec toute la dignité et tout l'orgueil que peuvent déployer des secrétaires d'État. Nous nous promenions même dans les rues d'un air de matamore, comme si nos poches étaient remplies d'or; si deux d'entre nous louaient un cabriolet pour faire une excursion à la campagne, nous affections de regarder à chaque instant sous la banquette, comme pour voir si nos trésors étaient en sûreté; puis nous examinions avec attention nos pistolets pour montrer que nous étions résolus à les défendre jusqu'à la mort. Souvent ces précautions étaient réellement requises; car lorsqu'il y avait disette de numéraire chez nos clients, on expédiait deux des plus courageux commis avec les fonds nécessaires, dans des sacoches de cuir déposées sous le siége du cabriolet. En raison de la vigueur physique dont j'étais doué, ou peut-être dans l'idée qu'étant peu fanfaron, de mon naturel, je possédais réellement la dose de hardiesse demandée, j'étais souvent choisi pour l'un des gardes de ces précieuses cargaisons; pour preuve de leur impartialité, sans doute, outre le plus silencieux et le plus bavard de leurs employés, les directeurs m'adjoignaient d'ordinaire, pour ce service, le plus grand hâbleur, le plus grand rodomont le plus grand crâne et le meilleur coeur que j'aie jamais connu. Vous avez, la plupart, entendu parler du fameux orateur et meneur d'élections. Tom Ruddle, qui se présentait à toutes les vacances pour le comté et le bourg, et passait sa vie entière entre deux élections, à solliciter des suffrages pour lui ou pour ses amis. Eh bien, Tom Ruddle était précisément mon collègue à l'époque dont je vous parle; jeune comme moi et le compagnon habituel de mes excursions, lorsqu'il s'agissait de convoyer des trésors.

«Que feriez-vous, disais je à Tom, si nous étions attaqués?»

«S'il faut vous le dire? répondait Tom, dont c'était là le préambule favori et la formule, s'il faut vous le dire? je leur enverrais une balle dans la tête.»

«Vous pensez donc qu'il y en aurait plus d'un?»

«S'il faut vous le dire? je le crois, disait Tom; mais s'il n'y en avait qu'un, je sauterais à bas du cabriolet et lui donnerais une bonne volée. Ne serait-ce pas le juste châtiment de son impertinence?»

«Et si une demi-douzaine s'en mêlaient?»

«Je les tuerais tous.»

Jamais les sacoches d'or, on le voit, n'avaient été sous la garde d'un plus déterminé champion que Tom Ruddle, jeune alors comme moi.

Par une froide soirée de décembre, on nous fit soudain mettre en route avec trois sacoches d'or que nous devions délivrer à des clients de la banque, à dix ou douze milles de la ville. L'air éclairci par la gelée nous portait à la belle humeur; notre courage était excité par la rapidité du mouvement, la dignité de notre charge, l'importance de notre responsabilité et une paire de pistolets d'arçon couchés en travers du tablier.

S'il faut vous le dire? me dit Tom, en prenant un des pistolets dont il arma la double détente, comme je m'en aperçus plus tard, je ne serais pas fâché de rencontrer quelques voleurs, certain que je suis de les arranger comme j'ai arrangé ces trois soldats licenciés.»

«Comment cela?»

«Ah! il vaut autant, dit Tom, affectant de prendre un air soucieux, ne pas parler de ces malheureux accidents. Le sang versé est toujours une terrible chose pour la conscience, c'est un vilain spectacle que celui d'une cervelle qu'on a fait sauter; mais s'il faut vous le dire? je suis prêt à recommencer. C'est une chance que courent tous les gens qui risquent leur vie, mon garçon.»

En parlant ainsi, Tom arma de même l'autre pistolet, et regardant d'un air d'audace des deux côtés de la route, il semblait porter, aux bandits qui pouvaient y être cachés, le défi de se montrer et de venir recevoir la récompense de leurs forfaits. Quant à l'histoire des trois soldats et aux sanglantes allusions à un acte de justice sommaire accompli sur l'un d'eux ou sur tous les trois, c'était une prodigieuse rodomontade. Tom avait le coeur si tendre, que le meurtre d'un petit chat l'aurait rendu malheureux toute une semaine! Cependant, à l'entendre, vous l'auriez pris pour un Richard III civil, sans amour, pitié, ni peur.» Ses favoris n'étaient pas moins féroces que ses paroles et lui donnaient l'air d'un homme ne voulant entendre que batailles, meurtre et ruine! Il continua donc de jouer avec son pistolet et de se poser en implacable exécuteur des vengeances des lois, jusqu'à ce que nous eussions atteint la petite ville où résidait un de nos clients et où l'un de nous devait descendre pour porter une des sacoches à sa destination. Tom entreprit cette tâche. Le village ou devaient être délivrées les autres sacoches n'étant situé qu'à un mille plus loin, il fut convenu qu'il me rejoindrait à travers champs, après s'être débarrassé de l'argent. Avant de me quitter, il visita soigneusement l'amorce de son pistolet, l'enfonça d'un air crâne dans la poche extérieure de son par-dessus et s'éloigna d'un pas majestueux, tenant la sacoche à la main.

Resté seul, je fis sentir le fouet au cheval et je trottai gaîment vers ma destination, ne songeant pas le moins du monde aux voleurs, malgré la conversation de Tom Ruddle.

Notre second client habitait à l'entrée du village; c'était un fermier dont les opérations agricoles exigeaient l'emploi de beaucoup de numéraire. Je m'arrêtai au coin de la petite rue étroite et sombre qui conduisait à sa maison, et mon absence ne pouvant se prolonger au-delà de quelques minutes, je quittai le cabriolet pour porter plus vite une des sacoches à son destinataire. Cette opération faite, je pris congé de lui, après avoir refusé stoïquement toutes ses invitations, tant il me tardait d'être dans mon cabriolet. Tout-à-coup, j'aperçus à la clarté des étoiles, car la nuit était venue, un homme monté sur le marche-pied et fouillant sous le siège. Je m'élançai sur lui. L'homme, alarmé par mon approche, se retourna rapidement, et, me présentant le canon d'un pistolet, il fit feu si près de mes yeux qu'un instant je restai comme aveuglé. L'action fut si soudaine et ma surprise si grande, que, durant quelques minutes aussi, je fus tout hors de moi, sachant à peine si j'étais vivant ou mort!

Quant au vieux cheval, il ne bronchait jamais lorsqu'il entendait la détonation d'une arme à feu. J'appuyai ma main sur la jante de la roue, tâchant de recouvrer mon assiette ordinaire. La première chose dont je pus m'assurer, c'est que l'homme avait disparu. Je me hâtai alors de regarder sous le siège, et, à mon grand soulagement, je vis que la troisième et dernière sacoche était bien en place; mais il y avait une coupure qui semblait faite avec un couteau: apparemment le voleur s'était proposé d'emporter l'or sans l'accompagnement dangereux du sac qui pouvait mettre sur ses traces.

«S'il faut vous le dire? dit une voix tout près de moi, au moment où j'achevais ma recherche, je n'aime pas les mauvaises plaisanteries. Décharger des pistolets pour faire peur aux gens! Cela a-t-il le sens commun? Vous aurez jeté l'alarme dans tout le village.»

«Tom, lui répondis-je, voici le moment de montrer votre courage. Un homme a volé l'argent resté dans le cabriolet, ou du moins tenté de le faire; et il a fait feu sur moi presque à bout portant.»

Tom devint visiblement pâle à cette nouvelle «N'y en avait-il qu'un?» demanda-t-il.

«Un seul!»

«Alors ses complices sont près d'ici. Que faut-il faire? Si je réveillais le fermier Malins pour lui dire de venir à notre aide avec tout son monde!»

«Non, gardez-vous-en bien, lui répondis-je. J'aimerais mieux affronter une douzaine de balles de pistolet que de faire connaître à la banque mon manque de prévoyance. Cela me ruinerait pour la vie. Comptons d'abord l'argent de la sacoche: remettons-la tranquillement, si le compte est juste, à son destinataire qui habite aussi près d'ici, cherchons ensuite les traces du voleur.»

Ce n'était qu'une sacoche de cent guinées; nous ne les comptâmes pas néanmoins sans un tremblement nerveux. Il y manquait trois guinées, que nous pouvions heureusement suppléer de notre poche, grâce à nos appointements trimestriels tout récemment touchés. Je laissai Tom un instant seul, je remis la sacoche à sa destination, sans dire un mot du vol, et rejoignis mon compagnon.

«Maintenant il s'agit de savoir par où il s'en est allé!» dit Tom, reprenant un peu de son ancien air et brandissant sou pistolet comme le chef d'un choeur de bandits dans un mélodrame.

Je lui avais dit que, dans ma première stupéfaction, je n'avais pas remarqué de quel côté le voleur battait en retraite. Tom était un braconnier expérimenté, quoique fils d'un ecclésiastique: il eût pu donner un meilleur exemple.

«J'ai entendu un lièvre bouger à cent pas de distance, me répondit-il en collant son oreille contre la terre gelée; fût-il à un quart de mille, j'entendrai notre voleur se mouvoir.» Je me couchai à terre comme lui. Nous fîmes longtemps silence; on n'entendait que notre respiration et celle de notre vieux cheval.

«Chut! dit enfin Tom, il sort de son couvert; j'entends les pas d'un homme, bien loin à gauche. Prenez votre pistolet et venez avec moi.

Je pris donc le pistolet, dont je trouvai la pierre abaissée sur le bassinet; le voleur avait tiré sur moi avec ma propre arme. Il n'était pas étonnant qu'il eût tiré si vite et si mal, car Tom avoua qu'il croyait se souvenir d'avoir oublié de désarmer le pistolet.

«Que cela ne vous inquiète pas, dit Tom; s'il faut vous le dire? mon intention est de lui brûler d'abord la cervelle avec mon pistolet. Vous pouvez ensuite lui briser le crâne avec la crosse du vôtre. S'il faut vous le dire? il ne sert à rien d'épargner ces malfaiteurs. Je fais feu dès que je le vois.»

«Attendez au moins que je vous dise si c'est le voleur ou non.»

«Croyez-vous le reconnaître?»

«À la lueur de l'amorce, j'ai vu deux yeux hagards que je n'oublierai jamais…»

«En avant donc! dit Tom, prenant, comme on dit, son courage à deux mains; nous gagnerons les trois cents livres sterling de récompense, et nous aurons de plus la satisfaction de voir prendre le vaurien.

Nous nous acheminâmes donc à pas de loup dans la direction indiquée par Tom. De temps en temps, il appliquait son oreille à terre et murmurait toujours: «Nous le tenons! nous le tenons! Il continuait d'avancer avec les mêmes précautions. Tout-à-coup Tom s'arrêta et dit: Il nous a donné le change; après nous avoir attirés tout ce temps sur la mauvaise piste, il a rebroussé chemin vers le village.»

«Alors notre plan, lui dis-je, doit être de l'y devancer. De cette manière il ne saurait échapper, et je suis certain de constater son identité, si je le vois à la lueur d'une chandelle.

«S'il faut vous le dire? c'est là le bon plan, répliqua mon compagnon, nous le guetterons à l'entrée du village et nous le happerons dès qu'il y rentrera.»

Nous nous glissâmes donc par une ouverture de la haie et nous regagnâmes la route directe du village; Il était maintenant très tard et il faisait un froid si intense que tout le monde restait renfermé chez soi; on n'entendait d'autre son dans le village que celui de l'horloge de l'église, dont le carillon sonnant les quarts d'heure au haut des airs, produisait sur nos esprits et nos sens surexcités l'effet de salves d'artillerie. Tout près de l'église, qui semblait garder l'entrée du village, avec ses vieux contreforts et sa vieille tour, se trouvait un cottage en ruines, avançant assez loin dans la rue, pour ne laisser entre l'église et cette misérable hutte qu'un espace de huit à neuf pieds. Une idée nous frappa au même instant, c'est que si nous pouvions nous y loger, il serait impossible à l'homme en question de se glisser dans le village sans être aperçu par nous.

Après avoir écouté un moment aux fenêtres et aux portes du cottage, nous conclûmes qu'il était inhabité. Poussant alors doucement la porte, nous montâmes un étroit escalier de pierre et nous nous dirigions à tâtons vers une croisée percée dans un pignon que nous avions remarquée de la route et qui devait commander l'approche du village, quand nous entendîmes une voix murmurer ces mots:

«Est-ce vous, William?» au moment même où nous entrions dans le galetas.

Après nous être arrêtés une minute ou deux, retenant notre haleine et désappointant l'attente de la personne qui parlait, nous nous plaçâmes à notre poste d'observation. Plusieurs quarts d'heure carillonnés par l'horloge s'étaient évanouis «dans les mélodies éternelles» au sommet de la tour, et je commençais à désespérer de voir apparaître l'objet de nos recherches, quand Tom m'allongea en silence un coup de coude.

«S'il faut vous le dire? murmura-t-il tout bas, j'entends des pas autour du coin. Regardez. Il y a derrière la haie un homme qui a la tête levée vers la fenêtre voisine. Le voilà qui bouge. Suivons-le. Non, ne bougez pas. Attendons. Il traverse la rue. Il vient dans cette maison même!»

Je vis en effet une figure d'homme se glisser silencieusement à travers la route et disparaître sous le porche du vieux cottage. Notre embarras était grand. Nous n'avions pas de lumière et nous ne connaissions aucunement les dispositions des lieux. Un autre quart d'heure carillonné par l'horloge, nous avertit que la nuit s'écoulait rapidement. Nous avions presque résolu de retourner sur nos pas si faire se pouvait, et de regagner l'endroit où nous avions laissé notre infortuné cheval, quand je sentis de nouveau dans mes côtes les coudes de mon ami Tom.

«S'il faut vous le dire?» murmura-t-il, «il se passe quelque chose ici;» et il me montra une faible lueur réfléchie sur les charpentes intérieures du toit, au-dessus de nos têtes.

Cette lueur sortait de la chambre voisine, le mur de séparation n'ayant pas été élevé plus haut que les solives transversales; en sorte que la toiture était commune aux deux chambres. Le mur même n'avait guère que sept ou huit pieds de haut. Nous pouvions donc entendre tout ce qu'on disait; mais on ne disait rien, et notre oreille épiait en vain le moindre son. Cependant la lumière continuait de brûler; on la voyait vaciller au-dessus du mur et se jouer dans le sombre chaume.

«S'il faut vous le dire? dit Tom, il nous serait aisé de voir dans la chambre voisine, en grimpant sur ces vieilles solives. Tenez mon pistolet tant que j'y sois monté; et, s'il faut vous le dire? il me sera aisé de le tuer de là.»

«Au nom du ciel, Tom! lui dis-je, prenez garde à ce que vous faites. Laissez-moi voir d'abord si c'est bien le voleur.»

«Alors, grimpez aussi,» dit Tom, qui, déjà à cheval sur une des solives, me tendit la main pour m'aider à monter. Nous étions tous deux de niveau avec le mur de séparation, et, en allongeant un peu la tête, nous pouvions voir tout ce qui se passait dans la chambre voisine. C'était une bien misérable chambre. Il y avait une petite table ronde et une couple de vieilles chaises; mais la plus profonde misère était le trait caractéristique de ce galetas désolé, sans feu, malgré le rigoureux hiver.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
11 ağustos 2017
Hacim:
180 s. 1 illüstrasyon
Tercüman:
Telif hakkı:
Public Domain
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