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Kitabı oku: «Les conteurs à la ronde», sayfa 6

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Une femme, bravant apparemment le froid, était assise près de la table et lisait un livre. La petite lampe, qui avait été allumée sans bruit, projetait à peine sa lueur sur le visage de la lectrice et sur son livre. Ses traits étaient pâles et défaits; mais elle était encore jeune et belle, ou du moins le mystère et l'étrangeté de cet incident répandaient un si grand intérêt sur sa personne, que je la trouvai telle. Ses vêtements étaient pauvres, et le châle; étroitement serré sur ses épaules, manifestait plutôt qu'il ne cachait leur exiguïté. Tout à coup nous vîmes à l'autre extrémité de la chambre une figure sortir de l'obscurité; Tom serra son pistolet d'une main plus ferme et l'arma, en prévenant le bruit avec son pouce. L'homme se tenait sur le seuil, comme s'il ne savait s'il devait entrer. Il regarda longtemps la femme qui continuait de lire; puis il s'approcha d'elle en silence. Elle entendit ses pas, leva la tête, et le regarda en face sans dire un mot. Je n'avais vu de ma vie une figure si pâle et si émue.

«Nous partirons demain, dit-il; j'ai quelque argent comme je l'espérais.» Et, en disant ces mots, il déposa sur la table, devant elle, trois guinées d'or. Cependant elle continua de se taire, et elle épiait ses traits la bouche à demi-béante.

«S'il faut vous le dire? dit Tom, à n'en pas douter, c'est notre argent. Est-ce bien là l'homme?»

«Je ne le sais pas encore. Il faut que je voie ses yeux.»

Cependant la conversation continuait en dessous de nous.

«J'ai emprunté ces trois pièces à un ami,» continua l'homme, comme pour répondre au regard fixé sur lui; «à un ami, m'entendez-vous? J'aurais pu en avoir davantage, mais je n'ai voulu en prendre que trois. Cela suffit pour nous conduire à Liverpool, et une fois là, nous sommes sûrs de trouver un passage pour l'Ouest. Une fois dans l'Ouest, le monde est devant nous. Je puis travailler, Marie. Nous sommes jeunes. Un homme pauvre n'a pas de chance ici, mais nous pouvons passer en Amérique avec des espérances toutes fraîches.

«Et une bonne conscience aussi! dit la femme à voix basse, mais d'un ton interrogatif et aussi profondément tragique que celui de lady Macbeth.

L'homme restait silencieux. À la fin, pourtant, il sembla s'irriter de la fixité de son regard. Pourquoi me regardez-vous ainsi? lui dit-il. Je vous dis que nous partirons demain.»

«Et l'argent?» dit la femme.

«Je le renverrai à celui à qui je l'ai emprunté, sur mes premiers gains. Je n'ai pris que trois guinées, de peur de le gêner en prenant davantage.

«Je veux voir cet ami moi-même, dit Marie, avant de toucher à l'argent.»

«S'il faut vous le dire? demanda de nouveau Tom, c'est bien-sûr là, notre homme!»

«Chut! lui dis-je; écoutons.»

«J'ai reconnu un de mes amis dans l'un des commis de la banque de Melfield. C'est de lui que je tiens ces guinées. Je vous en donne ma parole.»

«S'il faut vous le dire? qu'attendons-nous? Il avoue tout, dit Tom. Tombons sur lui à l'improviste. Je n'ai jamais vu un plus laid scélérat.»

«Avec cette somme, continua l'homme, voyez tout ce que nous pouvons faire. Elle nous tirera de la détresse où nous sommes tombés, Marie; vous savez qu'en cela je dis la vérité, sans qu'il y ait de ma part d'autre faute qu'une excessive confiance dans un faux ami. Je ne puis vous voir mourir de faim. Je ne puis voir notre petit enfant, né dans une position confortable, réduit à coucher sur la paille, au fond d'une grange comme cette maison. Non, je ne le puis, je ne le veux pas.»

Il poursuivit, se passionnant davantage à mesure qu'il parlait. «À tout prix, je veux vous rendre une chance de confort et d'indépendance.

«Et la paix d'esprit? répliqua Marie. Oh! William! je dois vous dire les horribles craintes qui ont rempli mon âme pendant votre absence, durant cette terrible nuit. J'ai lu et prié. J'ai demandé des consolations au ciel. Oh! William! rendez l'argent à votre ami. – Je ne dis rien de l'emprunt; – rendez cet argent. Je ne puis le regarder. Manquons de tout; mourons, s'il le faut, mais rendez cet argent.

Tom Ruddle désarma tout doucement son pistolet et passa la manche de son pardessus sur ses yeux.

«Ayons confiance en Dieu, William, poursuivit la femme, et la délivrance viendra. Le temps est très froid, ajouta-t-elle. Il n'y a plus d'espérance visible, mais je ne puis désespérer de tout à cette époque de l'année. Cette grange, comme vous l'appelez, William, n'est pas un séjour plus humble que la crèche de Bethléem, dont je viens de lire la touchante histoire.»

En ce moment, les cloches de la vieille église sonnèrent à pleine volée. Nous étions si près de la tour que leurs vibrations ébranlaient les solives sur lesquelles nous nous tenions à cheval et remplissaient tout le cottage de leur rude harmonie. «Écoutez! s'écria l'homme étonné, qu'est-ce que c'est que cela? – C'est le matin de Noël, répondit la femme. Ah! William, William! dans quel esprit nous devrions accueillir ce jour! dans quel esprit différent nous l'avons maintes et maintes fois accueilli dans des temps plus heureux!»

L'homme prêta l'oreille aux cloches pendant une minute ou deux; puis il s'agenouilla et cacha sa tête sur les genoux de sa femme. Il se fit un profond silence, sauf la musique de Noël. «S'il faut vous le dire? dit Tom, je me rappelle qu'à cette heure nous chantions toujours un hymne dans la maison de mon père. Allons- nous-en: je ne voudrais pas pour mille guinées troubler ces pauvres gens.

Nos préparatifs pour descendre firent un peu de bruit. L'homme regarda en l'air, tandis que la femme restait absorbée dans ses prières. Comme ma tête dépassait juste le niveau du mur, nos yeux se rencontrèrent. C'étaient bien les mêmes yeux qui étincelaient d'un éclat sauvage, quand le coup de pistolet était parti du cabriolet. Nous continuâmes notre descente. L'homme se releva tranquillement de sa position agenouillée et mit son doigt sur sa bouche. En descendant les escaliers, nous le trouvâmes qui nous attendait sur le seuil de la porte. «Non pas devant elle, dit-il. Je veux lui épargner ce triste spectacle, si je puis. Je suis coupable du vol, mais je ne voulais pas vous faire mal, monsieur. Le pistolet est parti dès que je l'ai touché. Au nom du ciel, dites-le-lui avec des ménagements quand vous m'aurez emmené!»

«S'il faut vous le dire? dit Tom Ruddle, dont les dispositions belliqueuses s'étaient tout-à-fait évanouies, le pistolet était mon erreur, et tout ceci est une erreur aussi. Venez me voir, mon ami et moi, à la banque, après demain, et s'il faut vous le dire? le diable de vent! il est si piquant qu'il me fait venir les larmes aux yeux; oui, s'il faut vous le dire, nous nous arrangerons pour vous en prêter davantage.»

Les cloches continuaient de sonner dans l'air. Il était près de minuit, et notre retour au logis à travers les chemins durcis par la gelée fut la plus agréable promenade en voiture que nous eussions faite de notre vie.

VII – L'HISTOIRE DE LA FEMME DE JOURNÉE

Une personne n'est pas sans éprouver un certain embarras, quand elle se voit appelée par les maîtres dans la salle à manger, pour y porter de joyeux toasts de Noël; et Dieu sait si je souhaite à toutes les personnes présentes autant de bonnes fêtes qu'elles peuvent s'en souhaiter à elles-mêmes; mais aussi on me demande mon histoire du Revenant. Vraiment!.. ce n'est pas aussi aisé qu'on le croirait de se rappeler tout de suite, comme cela, les circonstances d'une apparition qu'on a vue et vue de ses propres yeux! Heureusement je n'ai pas précisément vu moi-même la chose, car ce fut Thomas qui la vit et qui l'entendit. Cependant, puisque l'histoire du Revenant semble être arrivée aux oreilles des jeunes ladies par la bonne, et qu'elles veulent en savoir les détails exacts, je vais vous les dire.

J'étais cuisinière chez l'alderman Playford, quand il mourut subitement; et nous eûmes un bien beau deuil, nous autres, les domestiques. Je dis nous, quoique je ne sois plus aujourd'hui qu'une femme de journée, gagnant péniblement ma pauvre vie.

L'alderman tenait deux maisons sa maison de ville à Dewcester, pour son commerce et sa maison de campagne à Brownham, à cinq ou six milles de distance. J'étais à Brownham, et je préférais y être, parce que les jeunes ladies le préféreraient aussi; c'étaient de vraies ladies, sur mon âme. Tout était confortable à Brownham; je puis même dire dans le grand style: il y avait des jardins, des étangs pleins de poissons, une brasserie, une laiterie, sans parler des écuries et de tout ce qui suit.

Dans les dernières années, l'alderman passait aussi la plus grande partie de son temps à Brownham. Thomas, le cocher, le conduisait et le ramenait quand il était obligé d'aller à Dewcester, où il couchait quelquefois, s'il y avait une affaire importante en train dans la chambre des aldermen ou une prochaine élection dans le district; car l'alderman, vous le savez, était fameux pour les élections. Mais Thomas revenait toujours à la maison, et son maître, lors même qu'il restait à Dewcester, le renvoyait à Brownham pour nous protéger, nous autres femmes, et faire son service.

Maintenant il faut vous dire que l'alderman avait eu une attaque de paralysie peu d'années auparavant, et que depuis lors, malgré son rétablissement, il avait conservé une manière de marcher très curieuse, car un de ses souliers faisait entendre un craquement singulier, ne ressemblant à aucun autre bruit. Lorsqu'il descendait l'allée de gravier devant la façade ou qu'il allait d'un endroit à l'autre dans la maison, son soulier craquait, craquait si bien, que sans voir l'alderman on savait toujours où il était. Il ne marchait ni lourdement, ni vite, et longtemps avant qu'il fût en vue nous étions avertis qu'il arrivait par le craquement de son soulier, même avant d'entendre le bruit de ses pas. J'ai bien entendu des souliers craquer en ma vie, mais jamais comme celui-là!

Nous étions très bons amis, Thomas et moi. J'ai cru longtemps qu'il avait des intentions plus sérieuses, et je ne peux penser, même aujourd'hui, que ce fut uniquement de l'amour à l'office, comme on dit, mais il y avait quelque chose de cela. Qui peut dire ce qui fût arrivé, s'il n'avait pas épousé la veuve Rogers que tout le monde croyait si bien pourvue après la mort de son défunt, et qui, pourtant, n'avait rien. Pauvre Thomas! Le lendemain de ses noces fut un triste jour pour lui; mais il n'y avait plus à revenir là-dessus. Nous n'en restâmes pas moins bons amis à Brownham, comme il convient aux personnes attachées au même service. J'étais maîtresse absolue dans ma cuisine, et il n'en faisait pas plus mauvaise chère.

Un soir, il était revenu de conduire l'alderman à Dewcester, et il devait aller le chercher le lendemain dans l'après-midi. La nuit était humide et pluvieuse; il faisait grand vent. Assis dans la cuisine, nous entendions battre la pluie contre les volets et l'eau ruisseler des gouttières. Le vent s'époumonait comme un homme en colère, et tourbillonnait autour de la maison comme s'il cherchait un endroit pour y pénétrer. Thomas avait ôté ses grandes guêtres et ses autres effets mouillés pour mettre ses habits de service. Rassemblés tous autour du feu, nous bavardions un peu plus tard qu'à l'ordinaire. Les jeunes ladies étaient déjà montées se coucher et les autres servantes finirent par gagner leur lit, nous laissant un moment à nous-mêmes, Thomas et moi. Alors nous recommençâmes à causer de la famille et des voisins. Je pensai que Thomas profiterait de l'occasion pour me faire ses confidences; mais il fut comme tous les jours. Quand l'horloge de la cuisine marqua minuit moins un quart, je pris ma chandelle et je lui dis: «Bonsoir, Thomas, je vais me coucher. – Bonne nuit, dit-il, cuisinière. Après avoir débarrassé la table dans la salle à manger, je gagnerai aussi mon lit, car je suis très fatigué.»

Je n'étais pas montée depuis plus d'un quart d'heure, et je n'avais pas fini de me déshabiller, lorsque j'entendis tapoter à ma porte. «Qui est là? Demandai-je un peu effrayée. – C'est moi, cuisinière, répondit Thomas, j'ai besoin de vous parler.» Je ne pouvais m'imaginer ce qu'il me voulait, car il avait eu tout le temps de me dire les choses les plus particulières. J'avais d'ailleurs un peu raison de croire qu'il avait vu la veuve Rogers cette après-midi là même. Je me rhabillai donc et je sortis dans le corridor, où se tenait Thomas d'un air plus grave que je ne lui avais jamais vu, même à l'église. «Descendez, cuisinière, murmura- t-il, j'ai quelque chose à vous dire;» tout cela d'un air si solennel que je ne pouvais vraiment deviner ce dont il était question.

Nous voilà donc descendus dans la cuisine. Je ranimai le feu et je m'assis tout près; Thomas prit une chaise et se plaça de l'autre côté. Il avait l'air d'être à un enterrement. «Cuisinière, dit-il, je suis certain que vous apprendrez bientôt du nouveau. – Bon Dieu, Thomas, lui répondis-je, qu'apprendrai je donc? – Eh bien! dit-il, vous apprendrez que l'alderman est mort. – Mort! m'écriai-je, voilà qui est bien étrange!»

«Pas à moitié si étrange que ce que je viens d'entendre, cuisinière, ajouta Thomas d'une vois sépulcrale, je viens d'entendre le spectre de l'alderman et je suis certain que nous ne le reverrons plus en vie! En entrant dans la salle à manger pour débarrasser le souper des jeunes ladies, j'ai trouvé un grand verre de punch au milieu du plateau. Vous savez que c'est la manière dont elles s'y prennent souvent quand je reviens trempé après avoir conduit l'alderman. (Pour de véritables ladies comme elles, il eût été trop familier de dire: Thomas, voilà un verre de punch pour vous). J'allais donc boire le verre de punch à la santé de l'alderman, poursuivit Thomas, lorsque j'entends la porte du vestibule s'ouvrir et crac, crac, crac, le son des pas de l'alderman qui le traverse. D'abord je ne trouvai rien de bien extraordinaire à son retour à Brownham, malgré l'heure avancée de la nuit. Je déposai donc mon verre de punch, et prenant une chandelle, je sortis de la salle à manger pour éclairer. Je ne vis rien du tout; mais les pas de mon maître me devançaient, crac, crac, crac, et montaient l'escalier. Je les suivis jusqu'au premier palier; mais là encore, je n'aperçus pas d'alderman, rien absolument. Bon Dieu! monsieur, m'écriai-je alors, où êtes-vous? Ne faites pas cela pour me faire peur! Je m'arrêtai et j'écoutai; aucune réponse, aucun son que le crac, crac, crac! Les pas montèrent jusqu'à la porte de la chambre à coucher de l'alderman; je l'entendis s'ouvrir et se fermer; puis je n'entendis plus rien. Mais, cuisinière, toutes les portes extérieures sont fermées et barrées pour la nuit. Comment donc l'alderman aurait-il pu entrer dans la maison? Aussi sûr que vous êtes en vie, c'est son spectre que j'ai entendu!»

Je le crus aussi dans le moment, et maintenant j'en suis certaine. Nous passâmes toute la nuit assis au coin du feu, pour être prêts quand la nouvelle viendrait de Dewcester. Le lendemain, de grand matin, il arriva un exprès. Thomas le fit entrer, et avant qu'il nous eût expliqué ce qui l'amenait à Brownham, Thomas lui dit: «L'alderman Playford est mort.» Le messager fut fort étonné, comme vous le pensez bien. Miséricorde! s'écria-t-il, comment donc le savez-vous?.. – Il est mort, la nuit dernière, repartit Thomas, au moment où l'horloge sonnait minuit. J'ai entendu ses pas dans le vestibule et sur l'escalier. Le pas de l'alderman ne ressemble à aucun autre, et j'ai su par là qu'il devait être mort.

Je nous souhaite à tous en attendant l'autre monde, une vie longue et heureuse en celui-ci.

VIII – L'HISTOIRE DE L'ÉCOLIER SOURD

Je ne sais comment vous avez fait tous, ni ce que vous avez raconté. Je pensais pendant ce temps-là à ce que je pourrais vous dire à mon tour d'intéressant; mais je ne sais rien de bien particulier qui me soit arrivé, si ce n'est pourtant tout ce qui concerne Charley Felkin, et comment il m'invita à aller chez lui. Je vous dirai cette histoire si vous voulez.

Charley, vous le savez, est d'une année plus jeune que moi. J'étais depuis douze mois chez le docteur Owen quand il y arriva. Il devait être dans ma salle d'études et dans mon dortoir; il ne savait rien des usages des écoles, ce qui le mit d'abord fort mal à son aise, comme la plupart des nouveaux. Ce fut moi qui fus chargé de le mettre au courant, et nous eûmes beaucoup de rapports ensemble. Bientôt sa tristesse se dissipa; il prit son parti comme les autres; nous devînmes grands amis. Il prit goût à nos jeux, et il cessa d'être mélancolique. Nous avions de longues causeries les jours de pluie et pendant les grandes promenades de l'été; mais nos meilleures conversations avaient toujours lieu quand nous étions couchés. Je n'étais pas sourd alors. Oh! comme nous aimions à parler de la maison paternelle, à raconter des histoires de revenants Et toutes sortes d'autres histoires. Personne, que je sache, ne nous entendit jamais, sauf une seule fois; encore en fûmes-nous quittes pour un terrible roulement sur la porte, et l'ordre du docteur de nous endormir à l'instant.

Les choses allèrent ainsi assez longtemps, jusqu'à l'époque où je commençai à avoir mon mal d'oreille. D'abord Charley fut très bon pour moi. Je me rappelle qu'un jour il me dit de m'appuyer sur son épaule, et me tint la tête chaudement jusqu'à ce que la douleur fût passée: pendant tout ce temps-là il ne bougea pas. Peut-être finit-il par se fatiguer de toutes ses complaisances; peut-être bien aussi ce fut moi qui eus tort. Je sentais mon caractère s'altérer; je redoublais mes efforts pour me contenir; mais quelquefois la douleur était si vive et durait si longtemps, que j'aurais voulu être mort. Je crois bien qu'alors je devais être d'une fâcheuse humeur ou taciturne, ce que les écoliers aiment encore moins. Charley ne semblait pas croire que j'eusse aucun motif d'être ainsi. J'avais pris l'habitude de grimper sur le pommier et de là sur le mur, où je faisais semblant de dormir, pour me débarrasser des autres; mais eux ils accouraient tout exprès de ce côté, et disaient: «Voilà encore le boudeur assis sur son mur, comme Humpty Dumpty.» Un jour que j'entendais Charley en dire autant, je lui criai, d'un ton de reproche, ces deux mots: «Oh! Charley!» Et il me répondit: «Pourquoi grimpez-vous toujours là pour bouder?» Il prétendait aussi que je faisais beaucoup d'embarras pour rien. Je sais qu'il ne le croyait pas réellement, mais il s'impatientait de me voir comme cela. Je le sais, parce qu'il était toujours si bon pour moi, si joyeux quand mon mal semblait s'apaiser et que je revenais jouer avec les autres. Alors, j'étais content aussi, et je croyais que j'avais eu tort de penser ce que j'avais pensé. Nous n'avions donc jamais d'explications; cela nous aurait pourtant épargné bien des choses arrivées plus tard. Plût à Dieu que nous nous fussions franchement expliqués tous les deux.

Charley, à son arrivée chez le docteur Owen, était fort en arrière de moi, car il avait une année de moins, et c'était sa première pension. Je croyais alors pouvoir me maintenir en tête de toute la classe, à l'exception de trois élèves, et je faisais de grands efforts pour cela; mais, au bout d'un certain temps, je commençai à descendre. J'apprenais aussi bien mes leçons qu'auparavant, mais les autres écoliers étaient plus prompts dans leurs réponses, et il y en eut bientôt six qui s'emparèrent de ma place habituelle avant que je susse comment cela se faisait. Le docteur Owen, m'apercevant un jour au dernier rang de la classe, dit qu'il ne m'avait jamais vu là. Le sous-maître ajouta que j'étais stupide, mais le docteur préféra attribuer la chose à ma paresse. Les autres élèves en diront autant et me donnèrent des sobriquets. Je commençais moi-même à croire comme eux, et j'en ressentis bien de la peine. Charley entra dans notre classe avant que j'eusse été moi-même jugé capable d'entrer dans une autre, et le fait est que je n'en sortis jamais. Je crois que son père et sa mère m'avaient d'abord cité à lui comme un exemple, car il avait dû lui-même bien parler de moi quand il m'aimait.

À la fin, il parut s'appliquer à me repasser dans la classe. Je fis tout mon possible pour l'en empêcher. Il s'en aperçut et redoubla d'application. Je ne pouvais guère l'aimer alors. J'avoue même que j'étais de très mauvaise humeur, et cela l'exaspérait à son tour. J'avais beau me fatiguer jusqu'à tomber malade pour bien apprendre mes leçons et bien répondre aux questions du maître, Charley l'emportait sur moi et abusait de son triomphe. Je ne voulais pas me battre avec lui, parce qu'il n'était pas aussi fort que moi; et d'ailleurs, je devais convenir qu'il savait mieux ses leçons. Nous allions nous coucher sans nous dire un mot. C'en était fait depuis longtemps des histoires que nous nous racontions la nuit. Un matin, Charley me dit en se levant que j'étais l'être le plus morose qu'il ait jamais vu. Je craignais bien depuis quelque temps de devenir morose, mais je ne voyais aucune raison pour qu'il me le dît justement ce matin-là. Il y en avait une pourtant, comme je le sus plus tard. Je lui dis tout ce que je pensais, c'est-à-dire qu'il était devenu très malveillant pour moi, et que s'il ne se conduisait pas comme autrefois, je ne supporterais pas son injustice. Il me répondit que, lorsqu'il essayait de le faire, je le boudais. Je ne savais pas alors la raison qu'il avait pour le dire, ni ce que signifiait tout cela. La vérité est, qu'éprouvant la veille au soir du remords de sa conduite envers moi en une circonstance, il m'avait parlé à l'oreille pour me demander pardon; mais il faisait noir, il parlait bas: je n'avais rien vu, rien entendu. Il m'avait prié de me retourner et de lui parler; mais, naturellement, je n'avais pas bougé, et il avait dû croire que je lui gardais rancune. Tout cela est très fâcheux: je passe à d'autres choses.

Mistress Owen étant un jour dans le verger, et venant à regarder par-dessus la haie, me vit couché la face contre terre. J'avais pris l'habitude de me coucher ainsi, car j'étais stupide à tous les jeux où l'on devait s'appeler, et les autres élèves se moquaient de moi. Mistress Owen avertit le docteur: le docteur dit que je n'étais certainement pas dans mon état normal, et que pour sa satisfaction personnelle, il consulterait M. Prat. M. Prat vint en effet me voir, et trouva que j'étais sourd, sans pouvoir dire ce que j'avais aux oreilles. Il conseillait une application de ventouses, et je ne sais quoi encore; mais le docteur fit observer que, vu la proximité des vacances, il valait mieux attendre mon retour chez mes parents. J'y gagnai, toutefois, de n'avoir plus à disputer les places. Le docteur dit à tous les écoliers qu'on voyait bien maintenant pourquoi j'avais semblé tant reculer. Non seulement il s'en faisait un reproche à lui-même, disait-il, mais il s'étonnait que personne n'eût découvert plus tôt la véritable raison.

Le premier de la classe était toujours le plus rapproché du sous- maître ou du docteur, quand il faisait réciter lui-même les leçons. Cette place me fut assignée d'une manière permanente. Je n'eus plus à la disputer contre personne. Après cela, tous les élèves, et Charley en particulier, se montrèrent de nouveau bons pour moi; et j'ose dire que, si j'avais eu un meilleur caractère, tout serait bien allé; mais je ne sais pourquoi tout semblait aller de travers partout où j'étais, et je désirais toujours être ailleurs. Il me tardait maintenant de voir arriver les vacances. Tous les écoliers, sans doute, les désiraient comme moi, mais moi plus que tous les autres, parce que tout à la maison me semblait si gai, si distinct, si brillant, dans mon souvenir au moins, comparativement à l'école pendant ce dernier semestre. On eût dit que tout le monde avait appris à parler bas. La plupart des oiseaux semblaient s'être exilés, ce qui me faisait d'autant plus désirer de voir mes tourterelles, dont Peggy m'avait promis de prendre soin. La cloche même de l'église paraissait assourdie; et quand l'orgue jouait, il y avait dans la musique de grandes lacunes qui me faisaient penser qu'il vaudrait mieux ne pas entendre de musique du tout. Mais ces souvenirs-là sont trop désagréables. J'en reviens à Charley.

Son père et sa mère m'invitèrent à venir passer la première semaine des vacances avec lui. Mon père me dit d'y aller; j'obéis, et jamais de ma vie je ne fus si mal à mon aise. Je n'entendais pas ce qu'ils se disaient les uns aux autres, à moins d'être tout à fait au milieu d'eux, et je ne pouvais manquer d'avoir l'air stupide quand ils riaient aux éclats et que je ne savais pas même ce dont il s'agissait. J'étais sûr que les soeurs de Charley se moquaient de moi, Catherine en particulier. Il me semblait toujours que tout le monde me regardait et je sais qu'on parlait quelquefois de moi; je le sais par quelque chose que j'entendis dire à mistress Felkin, un jour qu'il y avait du bruit dans la rue, et qu'elle parlait très haut sans le savoir, «on ne nous a jamais prévenus, disait-elle, que ce pauvre enfant était sourd.» Je ne sais pourquoi, mais cela me parut insupportable; et à dater de ce moment, plusieurs personnes prirent l'habitude de me dire les moindres choses d'un ton si criard que tout le monde se retournait pour me regarder. Parfois aussi je me trompais sur ce qu'on me disait; et une de mes bévues fut si ridicule que je vis Catherine se tourner pour rire et elle ne cessa plus de rire pendant bien longtemps. C'était plus que je n'en pouvais supporter; je m'enfuis. Il y avait sans doute folie à moi d'agir ainsi. Je sais que j'avais fini par avoir un très mauvais caractère, je sais que M. et mistress Felkin durent trouver qu'ils s'étaient bien trompés à mon égard et dans leur choix d'un camarade pour Charley; mais que me servait-il de rester plus longtemps pour être l'objet de la commisération ou du ridicule, sans faire de bien à personne? Je m'enfuis donc au bout de trois jours; j'aspirais au moment d'être de retour à la maison, car là, je n'en doutais pas, je trouverais tous les conforts réunis. Je savais où passait la diligence, à un mille et demi de l'habitation de M. Felkin, de très grand matin. Je sortis donc par la croisée du cabinet d'étude, et je me mis à courir; j'avais tort d'être si effrayé, car personne n'était encore levé dans la maison; je fus seulement forcé de demander au jardinier la clé de la porte de derrière, qu'il me jeta par la croisée de sa loge. Une fois dehors je lui criai de recommander à Charley de m'envoyer mes effets chez mon père. Au bord de la route, il y avait un étang au pied d'une grande haie que couvraient des arbres très sombres; il me vint subitement l'idée de m'y noyer, de n'être plus un embarras pour personne et d'en finir avec mes peines. Ah! quand j'aperçus le clocher de notre église, je n'en fus pas moins heureux! et quand je vis la porte de notre maison, je crus à la durée de ce bonheur!

Mon espoir s'évanouit bientôt. Je n'entendais pas ce que murmurait ma mère quand elle m'embrassait. Toutes les voix étaient confuses et tout me semblait devenu plus silencieux et plus triste; j'aurais dû savoir cela d'avance, mais je ne m'y attendais pas. J'avais été vexé d'être appelé sourd par les Felkins, et maintenant je me sentais blessé de la manière dont mes frères et mes soeurs me trouvaient en faute, parce que je n'entendais pas toujours. «Il n'y a pire sourd que celui qui ne veut pas entendre;» me dit un jour Ned, et ma mère répétait sans cesse que c'était pure faute d'attention; que si je n'avais pas l'esprit distrait j'entendrais aussi bien que personne. Je ne crois pas que je fusse jamais distrait; je désirais tellement entendre, je faisais tant d'efforts pour cela, que souvent les larmes m'en venaient aux yeux; alors je courais m'enfermer dans ma chambre pour pleurer tout à mon aise. Sûrement j'étais à moitié fou alors, à en juger par ce que je fis à mes tourterelles dans un moment de fureur. Peggy en avait pris grand soin pendant mon absence; elles me reconnurent tout de suite et vinrent, selon leur ancienne habitude, percher sur ma tête et mes épaules, comme si je n'avais jamais quitté la maison; mais leurs roucoulements quand elles n'étaient pas sur moi, ne ressemblaient plus du tout à ce qu'ils avaient été. Pour les entendre j'étais forcé de mettre ma tête contre leur cage; j'entendais cependant bien d'autres oiseaux. Je m'imaginai que c'était la faute des tourterelles et qu'elles ne voulaient plus roucouler pour moi. Un jour j'en pris une hors de la cage; je la caressai d'abord et j'employai tous les moyens de douceur. À la fin je pressai un peu son cou dans mon impatience, puis saisi d'un accès de frénésie parce qu'elle s'obstinait à ne pas roucouler, je la tuai… oui, je lui tordis le cou! Vous vous rappelez tous cette triste histoire-là, comme je fus puni sévèrement et justement, et ce qui s'en suivit; mais personne ne sut combien je me sentais misérable, je me faisais horreur à moi- même pour ma cruauté. Je n'en dirai pas davantage, et si j'ai fait mention de ce malheur, c'est pour expliquer ses conséquences.

La première chose qui en résulta fut que toute la famille eut plus ou moins peur de moi. Les servantes s'enfuyaient à ma vue et ne me laissaient jamais jouer avec la plus jeune enfant, comme si j'allais l'étrangler! J'affectais de ne redouter aucun châtiment et je me conduisais, je le sais, d'une manière horrible. Une chose très désagréable dont je m'aperçus, c'est que mon père et ma mère ne savaient pas tout. Jusqu'alors j'avais toujours cru le contraire, mais maintenant ils me comprenaient, et me conduisant comme je le faisais, cela n'avait rien d'étonnant. Souvent ils me conseillaient de faire des choses impossibles, de demander, par exemple, ce que tout le monde disait; mais nous passions tous les dimanches près de la tombe de la vieille miss Chapman; et je me rappelais bien ce qui avait lieu lorsqu'on la voyait de son vivant approcher de la porte: «Miséricorde!» criait-on de tous côtés, «voilà encore miss Chapman! Qu'allons-nous faire? elle va rester jusqu'au dîner et nous serons enroués pour une semaine. Ne faut-il pas lui dire tout ce qu'elle demande? Jamais elle n'est contente, quel fléau!» Et ainsi de suite jusqu'à ce qu'elle entrât. Tout cela parce qu'elle voulait savoir ce que chacun disait. Je ne pouvais supporter l'idée d'être comme elle, mais je ne pouvais comprendre non plus pourquoi on se plaignait tant d'elle, moi tout le premier. C'était par une sorte d'instinct que je ne faisais pas alors ce que mon père et ma mère me disaient de faire, et je suis sûr qu'ils n'y comprenaient rien. Maintenant je vois bien pourquoi et eux aussi. Un sourd ne peut savoir ce qui mérite d'être répété et ce qui ne le mérite pas. S'il ne demande rien, quelqu'un prend toujours la peine de lui dire ce qui vaut la peine d'être dit; mais s'il fait sans cesse d'ennuyeuses questions, on est bientôt aussi las de lui que nous l'étions de la pauvre miss Chapman.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
11 ağustos 2017
Hacim:
180 s. 1 illüstrasyon
Tercüman:
Telif hakkı:
Public Domain
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