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Kitabı oku: «Les conteurs à la ronde», sayfa 8

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Cependant Peter n'avait commis aucun délit tombant sous le coup de la loi anglaise. Il s'était borné à dire des mensonges et à emprunter de l'argent. J'avais continué d'entendre parler de lui de temps en temps, et toujours comme d'un homme à qui tout réussissait, lorsqu'il y a quelques années, il fit la bévue de conduire à Oporto un Américain avide de trésors, mais difficile à jouer, dont il avait fait rencontre dans un wagon de chemin de fer. En cette occasion, l'Américain revint, et ce fut Peter qui ne revint pas, Quand on demanda à l'Américain des nouvelles de son compagnon de voyage, il répondit avec le plus grand sang-froid, «qu'ayant eu des difficultés avec Peter, il avait dû lui brûler la cervelle.»

X – L'HISTOIRE DE LA MÈRE

Le voyageur… c'était un vieillard à l'aspect vénérable, qui dès sa première jeunesse avait été errant sur la face du globe. Hôte des déserts, hôte des forêts, maintes fois il avait échappé aux périls de l'incendie, de l'inondation, des tremblements de terre. Mais aux étranges aventures de ce long pèlerinage, aux émotions de cette vie agitée avait succédé enfin le repos d'une belle vieillesse, comme après les ardeurs et les tempêtes d'un jour d'été viennent la sérénité du soir et la paisible lumière de l'astre des nuits. Dans ces courses incessantes le voyageur avait conquis tout un monde de souvenirs, au milieu desquels sa mémoire, sympathique et bienveillante, aimait de préférence à retrouver un de ces écrits qui parlent au coeur et le charment comme la source que le pèlerin rencontre après une marche pénible à travers les sables. Il aurait pu faire trembler et pâlir ceux qui l'écoutaient par quelque histoire terrible aux incidentes dramatiques; mais ce vieillard, simple comme un enfant, assis à notre foyer, aima mieux faire couler nos larmes par l'histoire touchante des douleurs et des consolations d'une mère.

Le hasard, nous dit-il, me fit rencontrer dans les forêts du far- west américain un homme avec lequel je contractai une chère et fidèle amitié. Souvent parmi les vastes déserts on trouve plus tôt un ami que dans notre vieux monde. Le mien était un homme de noble race, qui, conduit par une humeur romanesque, avait fixé sa demeure sous la hutte du chasseur. Jeune, beau, doué des plus heureux dons, à la démarche libre et fière, au regard vif, à la physionomie pleine de loyauté, il s'appelait Claude d'Estrelle. Il avait choisi parmi les Indiennes une compagne qui embellit pour lui ces solitudes; c'était la fille d'un chasseur, comme lui laissée orpheline dans la tribu de sa mère. Cette jeune fille l'avait rencontré mourant dans la prairie déserte; elle avait relevé sa tête délirante pour l'appuyer sur son sein; elle avait rafraîchi son front brûlant au contact de ses mains. Revenu à la conscience de lui-même, Claude d'Estrelle l'avait aperçue penchée sur lui comme le bon génie de la solitude; dans ses yeux noirs il avait vu luire le premier regard de l'espérance, ce regard où le sourire brille à travers une larme, double expression de la joie et de la crainte. Cette apparition avait fait naître en lui le premier sentiment de sa passion pour celle dont la pitié secourable l'arrachait à la mort, et il avait déjà prononcé tout bas le serment de lui consacrer le reste de sa vie si ses soins parvenaient à la prolonger. Aussi avant que l'été se fût écoulé, le noble Claude d'Estrelle avait pris pour femme l'Indienne Léna.

Par une des soirées empourprées de l'automne américain, quand les forêts sont dans toute leur magnificence, au milieu de la riche variété du feuillage, je vis pour la première fois la jeune femme de mon ami. Nous nous rencontrâmes dans une clairière, où de longues perspectives de feuillages aux teintes variées allaient se perdre dans le ciel; et tandis que nous regardions, une obscure arcade de verdure s'illuminait soudain des rayons du couchant; des bosquets d'orangers semblaient lutter d'éclat avec les nuages; ça et là, le feuillage de certains arbres, d'un rouge écarlate, prenait des teintes plus foncées dans l'air couleur d'ambre; une pluie d'or tombait sur d'autres arbres toujours verts; la cascade rejaillissait en riches pierreries, et le lac étincelait comme un grand rubis sur le sein verdoyant de la forêt. Toute cette splendeur du désert avait le calme d'un songe. On entendait le frôlement même d'une feuille qui tombait, tant la forêt entière restait silencieuse! La figure de Léna se détachait flexible, élancée, sur ce fond lumineux. Claude avait bien raison de demander si, de toutes les dames qui foulent les somptueuses salles des cours, une seule pouvait rivaliser avec cette fille de la forêt, portant pour toute couronne ses riches bandeaux de jais, aux reflets ondoyants. L'oeil de Léna était aussi doux que celui du faon; son teint, d'un brun clair, ressemblait aux dernières teintes rougeâtres du soleil couchant sur le ciel envahi par le crépuscule. Que de longues et délicieuses soirées je passai près de Claude, dans sa butte solitaire, à côté d'un bon feu de pin, tandis que la gracieuse Léna l'entourait de ses caresses, comme une vigne sauvage pare de ses lianes le chêne de sa forêt natale. L'étrange magie de l'amour métamorphosait en palais cette retraite agreste. Nous interrompions nos causeries pour écouter le bruit des daims bondissant à travers le feuillage, ou le son de la cascade lointaine; et Léna, heureuse comme un enfant, nous prodiguait les richesses de son coeur, les fleurs du désert, les mélodieuses effusions d'une pensée naïve, la profonde poésie qu'avait développée dans son âme un long isolement. Claude souriait avec amour à sa chère enthousiaste. Il savourait le parfum de ces fleurs sauvages, sans songer à quelle rude épreuve le monde pourrait mettre un jour cette âme vierge et primitive. Il suffisait d'observer le regard de Léna pour sentir qu'elle était destinée à de grandes souffrances, car la fatale puissance d'aimer, hélas! semble n'être donnée par la Providence qu'aux élus de la douleur, qui sont aussi les élus de Dieu.

Ce temps d'épreuve arriva enfin: cinq années de délices s'étaient écoulées pour Claude et Léna; j'errais alors loin de leur demeure. Pour la seconde fois, Claude appuya sa tête fiévreuse sur ce sein fidèle, mais il ne la releva plus… Pour obéir aux volontés du mourant, Léna alla trouver le frère aîné de Claude d'Estrelle avec ses deux enfants, présent qui devait être bien accueilli d'une orgueilleuse famille privée d'héritiers. Le frère prit les enfants, mais il n'eut que des regards dédaigneux pour la mère, dont le visage portait l'empreinte de la souffrance. Il lui ordonna durement de s'éloigner, si elle voulait que ces mêmes enfants oubliassent un jour la tache de leur naissance; car l'union d'un blanc avec une Indienne ne pouvait être plus légitime, à ses yeux, que celle d'un blanc avec une négresse; cette union ne répugnait pas moins à l'orgueil du mauvais frère. Quoi! les abandonner! abandonner le précieux legs de Claude! Non, rien ne saurait étouffer l'amour maternel! Cependant, d'un regard résigné, car le désespoir lui enseignait tout à coup la feinte, Léna demanda à rester quelques instants encore. La nuit venue, elle vola ses enfants et les cacha dans la forêt. Pendant sept jours et sept nuits, elle endura bien des souffrances, forcée d'aller chercher leur nourriture en secret; mais un soir, elle trouva son nid vide. Les cris de la mère, redemandant ses enfants, ne purent fléchir la volonté de fer du frère de Claude; mais pour n'en plus être importuné, il donna Léna au chef d'une tribu indienne, qui, pour un peu d'or, se chargea de la tenir dans un humiliant esclavage, car, parmi les siens, le sang blanc de son père faisait sa honte; mais le coeur de la femme, de quelque nom qu'on la nomme, Indienne ou Anglaise, est toujours le même. Une mère comprit les douleurs de Léna et lui rendit la liberté.

La pauvre Indienne se mit alors à la recherche de ses enfants, à travers des régions sauvages, et hérissées de périls! Parvenue dans l'État lointain de l'Union, où habitait le tyran de sa destinée, elle le pria de l'admettre au nombre de ses esclaves, et de lui laisser respirer au moins le même air que ses enfants bien- aimés. Comme elle se résignait à ne plus porter le nom de mère, il consentit d'abord à lui laisser prendre sa part du travail sur le sol arrosé des sueurs et des larmes des autres esclaves. Mais il savait si peu ce que c'est que le coeur d'une mère, qu'il crut le dompter par le travail. Plus fort que la volonté du maître, l'instinct des enfants ne les trompait pas. Pour effacer dans leur esprit jusqu'à la mémoire de leur mère, il fit secrètement transporter Léna dans une plantation lointaine, sous le ciel brûlant et meurtrier de l'Afrique, horrible lieu, tout plein de misère et de larme. Comment put-elle y vivre vingt années? Dieu seul le sait, Dieu, qui pour adoucir son cruel exil, lui envoyait toutes les nuits un songe où elle revoyait Claude et ses petits enfants (car dans son coeur, ils ne grandissaient jamais). Oh! dans quelle amertume s'écoulèrent son printemps et son âge mûr! Que le temps lui parut long et qu'il exerça sur elle de ravages! Ses cheveux noirs blanchirent. Le feu de ses yeux s'éteignit dans les larmes; mais son opiniâtre et robuste espérance grandissait à mesure que les années détachaient les plus frêles rameaux de la tige. La fuite du temps ne pouvait rien contre son amour; l'absence ne faisait que le nourrir; ses larmes mêmes l'entouraient d'une espèce d'auréole. Les fatigues, les douleurs, la cruauté ne l'éprouvaient que pour montrer que cet amour ne pouvait périr. La vie de Léna se résumait dans une seule pensée: revoir ses enfants! Durant vingt années, elle lutta donc contre le désespoir, et le désespoir fut vaincu. Enfin, elle atteignit le rivage de l'Amérique. Le ciel mit dans le coeur d'un pauvre marin plus de générosité que dans celui d'un des puissants du monde; il prit Léna à son bord sans lui demander le prix du passage.

Léna atteignit le sol natal au déclin de l'année. Étaient-ils morts ces chers enfants? L'avaient-ils oubliée?.. oublier leur mère! Oh! non, cela est impossible! Elle allait, demandant son chemin; l'ardeur du but la rendait forte. Des étrangers insouciants lui donnaient des nouvelles qui la faisaient tour-à- tour brûler et frissonner. Ils lui disaient qu'au bout d'un certain nombre d'années, son cruel persécuteur était mort; qu'un autre frère de Claude d'Estrelle, également célibataire, avait voulu alors prendre chez lui les deux enfants; mais que le fils avait préféré, comme son père, la forêt sauvage à une chaîne dorée, et qu'il était devenu habile chasseur. D'autres le disaient mort en bas âge. Quant à sa fille, elle, était l'orgueil de l'opulente maison de son oncle, et partout on citait sa rare beauté. Léna n'a pas besoin d'en savoir davantage. Ce n'est donc pas en vain qu'elle sera revenue. Ses yeux se remplissent de larmes. L'un, au moins, de ses enfants vit encore.

Bientôt Léna debout devant une belle jeune femme dans un splendide salon, admire les longues boucles de sa chevelure. Cependant elle réprime à peine un soupir en pensant combien elle était folle de croire qu'un petit enfant accourrait à sa rencontre sur le seuil de la porte, se laisserait couvrir de caresses et retrouverait son nid sur le sein de sa mère comme aux jours d'autrefois. Ce n'en est pas moins avec un joyeux tressaillement d'orgueil qu'elle voyait sa fille si grande et si belle. «Léna!» c'est le nom de sa mère et le sien, mais la jeune femme ne se retourne pas à ce nom; ni au son de cette voix. Pauvre mère! Cette froide surprise! Ce doute! Quoi! si peu émue! Elle a pourtant les yeux de son père. Comment avec ces yeux-là, peut-elle regarder d'un air si étrange le visage que Claude aimait tant? Pauvre mère! Léna a perdu le petit enfant de ses songes et peut-être ne trouvera-t-elle pas une nouvelle fille. Non, c'est impossible!

Elle a tant de souvenirs à évoquer pour réveiller son instinct filial. Sûrement il lui suffira de lui apprendre qui elle est.

Elle ne lui avait pas encore dit son nom. Elle embrasse ses genoux et cherche à attendrir son orgueil en la pressant des plus touchantes questions de l'amour maternel; à chacune, elle s'arrête pour épier quelque émotion dans ce regard si froid! n'a-t-elle donc pas vu, l'oublieuse jeune fille, ces mêmes yeux la contempler lorsque dans son enfance elle trouvait à son réveil une femme penchée sur son berceau. Ces mêmes mains n'ont-elles pas orné souvent sa tête enfantine d'une guirlande des fleurs de la forêt, et cet air, cet air que son père aimait, combien de fois elle s'est endormie en l'écoutant!

Une inspiration soudaine venait de faire jaillir cet air de la poitrine de Léna. Ce n'était qu'un chant pour faire dormir les enfants; mais elle voulait essayer de son influence. La douce et vieille mélodie réveillerait peut-être les sympathies assoupies de la nature. Imagination bizarre en apparence et née de la crédulité de l'amour! Cet air! oh, comme la voix de Léna tremblait en le chantant! on eût dit un long et douloureux soupir, le dernier adieu de l'Espérance à la Joie et à l'Amour. Ce ne pouvait être un air banal, que cette mélodie à laquelle Claude d'Estrelle lui-même avait adapté de naïves paroles. Ces paroles et cette mélodie, ce visage si rêveur et si doux, cet oeil plein de tendresse, ces joues qui changeaient de couleur exerçaient un charme bien puissant. La main de Léna s'était posée avec amour sur la tête hautaine de sa fille émue et sa fille ne la repoussait pas. Oui, les souvenirs de son enfance semblaient à la fin se réveiller. Mais silence! on entend des pas sur l'escalier, ce sont les pas de l'homme que la fille de Léna aime et qui fier de son sang ne voudrait jamais s'allier au sang indien. Il y a lutte entre l'orgueil de la jeune femme et le charme dont elle sent déjà l'influence: c'est son orgueil qui l'emporte enfin et son orgueil l'égare jusqu'à lui faire dire à sa mère: «Nous ne devons jamais nous revoir!» Après cet adieu cruel elle offrit d'acheter le secret avec de l'or.

La pauvre mère s'enfuit comme épouvantée. Durant deux jours et deux nuits, elle poursuit sa route. Ses pieds brûlants ne s'arrêtent plus. On était à l'époque de la nativité du Sauveur; les portes et les coeurs étaient ouverts partout; les amis resserraient les liens de leur amitié et les ennemis se réconciliaient. Partout les lumières et les foyers étincelaient autour de Léna; mais son sentier n'en était pas moins glacé, triste emblème de sa destinée! Cependant l'oeil qui jamais ne se ferme et qui guide les oiseaux dans le ciel, observait aussi ses pas.

Léna tomba enfin de lassitude, dans la troisième nuit, sous un vieux chêne nu et dépouillé, ignorant où elle était. Pour son imagination souffrante et malade, la neige semblait être la seule chose qui n'eût pas changé en ce monde; et ce fut sur la neige qu'elle posa sa tête pour mourir.

Encore un peu plus loin, pauvre amie désolée! soutiens seulement tes pas qui chancellent jusqu'au premier coude du chemin. Mourir ici serait une trop dure destinée. Tu n'es plus qu'à une portée de flèche du bonheur. Écoute! Quelle mélodie s'élève dans l'air glacé de la nuit. C'est un hymne de Noël dont les doux sons parviennent sous le vieux chêne et excitent dans Léna au milieu de l'isolement de la mort le vague sentiment qu'un peu plus loin quelqu'un pourra recevoir son dernier soupir; peut-être son corps épuisé fut-il un instant ranimé par la puissante et mystérieuse impulsion de celui qui l'avait conduit là. Ses pieds la traînèrent encore jusqu'à l'entrée d'un grand village écarté, à la porte d'une maison de prières. D'abord elle ne put voir, car l'éclat soudain des lumières aveuglait ses yeux appesantis; elle ne put voir la foule composée de Peaux-Rouges et de Pâles-Visages, s'agiter, sous le souffle puissant d'un jeune et éloquent ministre de l'Évangile, comme les épis de blé sous le vent.

À la fin, son oreille saisit ces paroles consolantes:

«Une mère même peut oublier, mais moi, je n'oublierai point, dit le Seigneur.» Et la grande et poétique langue indienne sortant à flots harmonieux de la bouche du jeune prédicateur, tandis que son imagination essayait de peindre cet amour auquel le Sauveur divin comparait celui qu'il éprouvait pour ses élus, le plus dévoué des amours terrestres, l'amour d'une mère.

Il racontait une histoire gravée dans sa mémoire et si semblable à celle de Léna, que Léna ferma les yeux de peur de dissiper en le regardant un bienheureux songe. Car tandis que son oreille savourait les sons de cette voix, une folle espérance s'élevait ou s'abaissait avec elle dans son coeur: «Et moi aussi j'avais une mère, dit-il en finissant. Plût au ciel que je connusse sa destinée! J'ignore si elle vit à l'heure où je parle, mais ce que je sais bien c'est que, souffrante encore en cette vallée de larmes ou en paix dans le ciel, elle n'a point oublié Claude d'Estrelle!» En entendant ce nom, Léna ne poussa aucun cri, mais sa tête s'affaissa un peu plus sur sa poitrine. Son existence fut un instant suspendue et c'était une grâce de Dieu, car l'émotion l'eût tuée: ni les paroles du ministre, ni les prières, ni les hymnes, ni le bruit des pas ne purent la tirer de sa longue extase et quand elle reprit ses sens, elle se trouva appuyée sur le bras de son fils; elle vit son grand oeil noir fixé sur elle et rayonnant de tendresse; elle était sous le charme de ce regard, elle eût voulu toujours rester ainsi. Son coeur se trouvait sans force contre l'excès du bonheur. Tout ce qu'elle put dire fut de répéter les dernières paroles du jeune ministre: «Non, elle n'a pas oublié Claude d'Estrelle!» Alors, ses mains tremblantes cherchèrent à écarter les cheveux du front de son fils, pour mieux contempler son visage. Tout en lui rappelait celui qui n'était plus. La vie du jeune homme, consacrée à la nature et à Dieu, lui avait donné de vives perceptions. Son coeur était trop plein pour qu'il pût parler; mais il serrait sa mère dans ses bras en versant de délicieuses larmes. Les femmes sanglotaient à ce spectacle et les hommes d'une écorce plus rude ne se sentaient pas moins attendris; les Indiens mêmes des forêts voisines pleuraient comme des enfants, quand un vieillard, plein de sagesse et de reconnaissance pour l'auteur de tous ces biens, calma toute cette foule émue par un seul mot: «Prions!»

Quelle douce soirée après tant d'infortunes! Claude et sa femme, jeune et belle, s'empressaient autour de Léna avec une joie fière. Le récit de ses malheurs passés faisait couler leurs larmes; ils pansaient ses pieds meurtris; ils la faisaient asseoir entre eux deux, et la jeune femme pressait ce front halé, empreint de tant de souffrances contre ses cheveux blonds soyeux ou ses joues éclatantes de fraîcheur; Claude ne pouvait non plus se lasser de baiser ce pauvre front. Jamais foyer domestique ne vit une plus brillante, une plus heureuse nuit de Noël!

J'appris la fin de cette histoire, à mon retour dans le pays, en partie par le fils de Claude et de Léna, en partie par une femme qui ne pouvait prononcer le nom de sa mère sans une profonde amertume, sans une rougeur plus brûlante que la fièvre, alors que tous les faux amis et tous les gens à gages avaient fui loin d'elle, et que l'homme qui l'avait épousée pour l'or de son oncle, n'osait approcher d'un lit contagieux. Oh! combien elle regrettait alors ce visage aimant qu'elle avait si durement repoussé! Cette mélodie si triste et si touchante, qui avait autrefois charmé le sommeil dans son berceau, hantait son souvenir au milieu de ses douleurs. J'allai chercher Léna, et Léna vint. Son amour était l'amour véritable qui souffre en silence et n'oublie que le mal. Léna pressait de ses lèvres cette bouche brûlante, la disputant aux baisers de la mort. Elle répandit sur cet esprit en proie au remords, la rosée du pardon; la colombe céleste finit par se poser sur la couche fatale avec un rameau d'olivier. Il restait un dernier désir à la mourante, celui d'entendre l'air qui l'avait bercée. Léna ne voulut pas lui refuser cette consolation. Elle chanta donc au milieu de la chambre lugubre où commençait à s'étendre l'ombre de la mort; elle chanta son air favori; mais si sa voix s'efforçait d'être calme, son coeur saignait, car elle savait que celle qui l'écoutait, mourrait avec les derniers accords. Quand le chant qui berçait l'enfance de la malade eut cessé de résonner, nous la trouvâmes endormie du dernier sommeil.

Nous devions encore nous rencontrer souvent, Léna et moi. Sa vieillesse ressemblait à une belle soirée après une journée de pluie et d'orage. Elle lisait d'un oeil serein le Livre de la Vie arrivé pour elle à ses dernières pages. Entourée de ses petits enfants et de tous les petits enfants comme le divin maître, cette femme simple et naïve, mais grande par l'amour et la foi, semblait déjà appartenir au ciel.