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Kitabı oku: «Les grandes espérances», sayfa 16

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Mrs Pocket montra aussitôt une aimable émotion, et dit:

«C'est encore cette odieuse Sophie!

– Que veux-tu dire, Belinda? demanda M. Pocket.

– Oui, c'est Sophie qui vous l'a dit, fit Mrs Pocket; ne l'ai-je pas vue de mes yeux et entendue de mes oreilles, revenir tout à l'heure ici et demander à vous parler?

– Mais ne m'a-t-elle pas emmené en bas, Belinda, répondit M. Pocket, montré la situation dans laquelle se trouvait la cuisinière et jusqu'au paquet de beurre?

– Et vous la défendez, Mathieu, dit Mrs Pocket, quand elle fait mal?»

M. Pocket fit entendre un grognement terrible.

«Suis-je la petite fille de grand-papa pour n'être rien dans la maison? dit Mrs Pocket; sans compter que la cuisinière a toujours été un très bonne et très respectable femme, qui a dit, en venant s'offrir ici, qu'elle sentait que j'étais née pour être duchesse.»

Il y avait un sofa près duquel se trouvait M. Pocket; il se laissa tomber dessus, dans l'attitude du Gladiateur mourant. Sans abandonner cette posture, il dit d'une voix creuse:

«Bonsoir, monsieur Pip.»

Alors je pensai qu'il était temps de le quitter pour m'en aller coucher.

CHAPITRE XXIV

Deux ou trois jours après, quand je me fus bien installé dans ma chambre, que j'eus fait plusieurs courses dans Londres et commandé à mes fournisseurs tout ce dont j'avais besoin, M. Pocket et moi nous eûmes une longue conversation ensemble. Il en savait plus sur ma carrière future que je n'en savais moi-même, car il m'apprit que M. Jaggers lui avait dit que n'étant destiné à aucune profession, j'aurais une éducation suffisante, si je pouvais m'entretenir avec la pension moyenne que reçoivent les jeunes gens dont les familles se trouvent dans une bonne situation de fortune. J'acquiesçai, cela va sans dire, ne sachant rien qui allât à l'encontre.

Il m'indiqua certains endroits de Londres où je trouverais les rudiments des choses que j'avais besoin de savoir, et moi je l'investis des fonctions de directeur et de répétiteur pour toutes mes études. Il espérait qu'avec une direction intelligente, je ne rencontrerais que peu de difficultés et serais bientôt en état de me dispenser de toute autre aide que la sienne. Par le ton avec lequel il me dit cela, et par beaucoup d'autres choses semblables, il sut admirablement gagner ma confiance, et je puis dire dès à présent qu'il remplit toujours ses engagements envers moi, avec tant de zèle et d'honorabilité, qu'il me rendit zélé à remplir honorablement les miens envers lui. S'il m'avait montré l'indifférence d'un maître, je lui aurais, en retour, montré celle d'un écolier; il ne me donna aucun prétexte semblable, et nous agissions tous deux avec une égale justice. Je ne le considérai jamais comme un homme ayant quelque chose de grotesque en lui, ou quoique ce soit qui ne fût sérieux, honnête et bon dans ses rapports de professeur avec moi.

Une fois ces points réglés, et quand j'eus commencé à travailler avec ardeur, il me vint dans l'idée que, si je pouvais garder ma chambre dans l'Hôtel Barnard, mon existence serait agréablement variée, et que mes manières ne pourraient que gagner dans la société d'Herbert. M. Pocket ne fit aucune objection à cet arrangement; mais il pensa qu'avant de rien décider à ce sujet, il devait être soumis à mon tuteur. Je compris que sa délicatesse venait de la considération, que ce plan épargnerait quelques dépenses à Herbert. En conséquence, je me rendis dans la Petite Bretagne, et je fis part à M. Jaggers de mon désir.

«Si je pouvais acheter les meubles que je loue maintenant, dis-je, et deux ou trois autres petites choses, je serais tout à fait comme chez moi dans cet appartement.

– Faites donc, dit M. Jaggers avec un petit sourire, je vous ai dit que vous iriez bien. Allons, combien vous faut-il?»

Je dis que je ne savais pas combien.

«Allons, repartit M. Jaggers, combien?.. cinquante livres?

– Oh! pas à beaucoup près autant.

– Cinq livres?» dit M. Jaggers.

C'était une si grande chute, que je dis tout désappointé:

«Oh! plus que cela.

Plus que cela? Eh?.. dit M. Jaggers, en se posant pour attendre ma réponse, les mains dans ses poches, la tête de côté et les yeux fixés sur le mur qui était derrière moi: combien de plus?

Il est si difficile de fixer une somme, dis-je en hésitant.

Allons, dit M. Jaggers, arrivons-y: deux fois cinq, est-ce assez?.. trois fois cinq, est-ce assez?.. quatre fois cinq, est-ce assez?..»

Je dis que je pensais que ce serait magnifique.

«Quatre fois cinq feront magnifiquement votre affaire, vraiment! dit M. Jaggers en fronçant les sourcils, et que faites-vous de quatre fois cinq?

– Ce que j'en fais?

– Ah! dit M. Jaggers, combien?

– Je suppose que vous en faites vingt livres, dis-je en souriant.

– Ne vous inquiétez pas de ce que j'en fais, mon ami, observa M. Jaggers, en secouant et en agitant sa tête d'une manière contradictoire; je veux savoir ce que vous en ferez, vous?

– Vingt livres naturellement!

– Wemmick! dit M. Jaggers en ouvrant la porte de son cabinet, prenez le reçu de M. Pip et comptez-lui vingt livres.»

Cette manière bien accusée de traiter les affaires me fit une impression très profonde, et qui n'était pas des plus agréables. M. Jaggers ne riait jamais, mais il portait de grandes bottes luisantes et craquantes, et en appuyant ses mains sur ses bottes, avec sa grosse tête penchée en avant et ses sourcils rapprochés pour attendre ma réponse, il faisait craquer ses bottes, comme si elles eussent ri d'un rire sec et méfiant. Comme il sortit en ce moment, et que Wemmick était assez causeur, je dis à Wemmick que j'avais peine à comprendre les manières de M. Jaggers.

«Dites-lui cela, et il le prendra comme un compliment, répondit Wemmick. Il ne tient pas à ce que vous le compreniez. Oh! ajouta-t-il, car je paraissais surpris, ceci n'est pas personnel; c'est professionnel… professionnel seulement.»

Wemmick était à son pupitre; il déjeunait et grignotait un biscuit sec et dur, dont il jetait de temps en temps de petits morceaux dans sa bouche ouverte, comme s'il les mettait à la poste.

«Il me fait toujours l'effet, dit Wemmick, de s'amuser à tendre un piège à homme, et de le veiller de près. Tout d'un coup, clac! vous êtes pris!»

Sans remarquer que les pièges à hommes n'étaient pas au nombre des aménités de cette vie, je dis que je le supposais très adroit.

«Profond, dit Wemmick, comme l'Australie, en indiquant avec sa plume le parquet du cabinet, pour faire comprendre que l'Australie était l'endroit du globe le plus symétriquement opposé à l'Angleterre. S'il y avait quelque chose de plus profond que cette contrée, ajouta Wemmick en portant sa plume sur le papier, ce serait lui.»

Je lui dis ensuite que je supposais que le cabinet de M. Jaggers était une bonne étude. À quoi Wemmick répondit:

«Excellente!»

Je lui demandai encore s'ils étaient beaucoup de clercs. Il me dit:

«Nous ne courons pas beaucoup après les clercs, parce qu'il n'y a qu'un Jaggers, et que les clients n'aiment pas à l'avoir de seconde main. Nous ne sommes que quatre. Voulez-vous voir les autres? Je puis dire que vous êtes des nôtres.»

J'acceptai l'offre. Lorsque M. Wemmick eut mis tout son biscuit à la poste et m'eut compté mon argent, qu'il prit dans la cassette du coffre-fort, la clef duquel coffre-fort il gardait quelque part dans son dos, et qu'il l'eût tirée de son collet d'habit comme une queue de cochon en fer, nous montâmes à l'étage supérieur. La maison était sombre et poussiéreuse, et les épaules graisseuses, dont on voyait les marques dans le cabinet de M. Jaggers semblaient s'être frottées depuis des années contre les parois de l'escalier. Sur le devant du premier étage, un commis qui semblait être quelque chose d'intermédiaire entre le cabaretier et le tueur de rats, gros homme pâle et bouffi, était très occupé avec trois ou quatre personnages de piètre apparence, qu'il traitait avec aussi peu de cérémonie qu'on paraissait traiter généralement toutes les personnes qui contribuaient à remplir les coffres de M. Jaggers.

«En train de trouver des preuves pour Old Bailey,» dit M. Wemmick en sortant.

Dans la chambre au-dessus de celle-ci, un mollasse petit basset de commis, aux cheveux tombants, dont la tonte semblait avoir été oubliée depuis sa plus tendre enfance, était également occupé avec un homme à la vue faible, que M. Wemmick me présenta comme un fondeur qui avait son creuset toujours brûlant, et qui me fondrait tout ce que je voudrais. Il était dans un tel état de transpiration, qu'on eût dit qu'il essayait son art sur lui-même. Dans une chambre du fond, un homme haut d'épaules, à la figure souffreteuse, enveloppé d'une flanelle sale, vêtu de vieux habits noirs, qui avaient l'air d'avoir été cirés, se tenait penché sur son travail, qui consistait à faire de belles copies et à remettre au net les notes des deux autres employés, pour servir à M. Jaggers.

C'était là tout l'établissement quand nous regagnâmes l'étage inférieur, Wemmick me conduisit dans le cabinet de M. Jaggers, et me dit:

«Vous êtes déjà venu ici.

– Dites-moi, je vous prie, lui demandai-je, en apercevant encore les deux bustes au regard étrange, quels sont ces portraits?

– Ceux-ci, dit Wemmick, en montant sur une chaise et soufflant la poussière qui couvrait les deux horribles têtes avant de les descendre, ce sont deux célébrités, deux fameux clients, qui nous ont valu un monde de crédit. Ce gaillard-là… – mais tu as dû, vieux coquin, descendre de ton armoire pendant la nuit, et mettre ton œil sur l'encrier, pour avoir ce pâté-là sur ton sourcil, – a assassiné son maître.

– Cela lui ressemble-t-il? demandai-je en reculant devant cette brute, pendant que Wemmick crachait sur son sourcil et l'essuyait avec sa manche.

– Si cela lui ressemble!.. mais c'est lui-même, le moule a été fait à Newgate, aussitôt qu'il a été décroché. – Tu avais de l'amitié pour moi, n'est-ce pas, mon vieux gredin?» dit Wemmick, en interpellant le buste.

Il m'expliqua ensuite cette singulière apostrophe, en touchant sa broche, et en disant:

«Il l'a fait faire exprès pour moi.

– Est-ce que cet autre animal a eu la même fin? dis-je. Il a le même air.

– Vous avez deviné, dit Wemmick, c'est l'air de tous ces gens-là; on dirait qu'on leur a saisi la narine avec du crin et un petit hameçon. Oui, il a eu la même fin. C'est, je vous assure une fin toute naturelle ici. Il avait falsifié des testaments, et c'est cette lame, si ce n'est pas lui, qui a envoyé dormir les testateurs supposés. – Tu étais un avide gaillard, malgré tout, dit M. Wemmick, en commençant à apostropher le second buste; et tu te vantais de pouvoir écrire le grec; tu étais un fier menteur; quel menteur tu faisais! Je n'en ai jamais vu de pareil à toi!»

Avant de remettre son défunt ami sur sa tablette, Wemmick toucha la plus grosse de ses bagues de deuil, et dit:

«Il l'a envoyée acheter, la veille, tout exprès pour moi.»

Tandis qu'il mettait en place l'autre buste, et qu'il descendait de la chaise, il me vint à l'idée que tous les bijoux qu'il portait provenaient de sources analogues. Comme il n'avait montré aucune discrétion sur ce sujet, je pris la liberté de le lui demander, quand il se retrouva devant moi, occupé à épousseter ses mains.

«Oh! oui, dit-il, ce sont tous des cadeaux de même genre; l'un amène l'autre. Vous voyez, voilà comment cela se joue, et je ne les refuse jamais. Ce sont des curiosités. Elles ont toujours quelque valeur, peut-être n'en ont-elles pas beaucoup; mais, après tout, on les a et on les porte. Cela ne signifie pas grand'chose pour vous, avec vos brillants dehors, mais pour moi, l'étoile qui me guide me dit: «Accepte tout ce qui se peut porter.»

Quand j'eus rendu hommage à cette théorie, il continua d'un ton affable:

«Si un de ces jours vous n'aviez rien de mieux à faire, et qu'il vous fût agréable de venir me voir à Walworth, je pourrais vous offrir un lit, et je considèrerais cela comme un grand honneur pour moi. Je n'ai que peu de choses à vous montrer: seulement deux ou trois curiosités, que vous serez peut-être bien aise de voir. Je raffole de mon petit bout de jardin et de ma maison de campagne.»

Je lui dis que je serais enchanté d'accepter son hospitalité.

«Merci! dit-il alors, nous considèrerons donc la chose comme tout à fait entendue. Venez lorsque cela vous fera plaisir. Avez-vous déjà dîné avec M. Jaggers?

– Pas encore.

– Eh bien! dit Wemmick, il vous donnera du vin et du bon vin. Moi, je vous donnerai du punch et du punch qui ne sera pas mauvais. Maintenant je vais vous dire quelque chose: Quand vous irez dîner chez M. Jaggers, faites attention à sa gouvernante.

– Verrai-je quelque chose de bien extraordinaire?

– Vous verrez, dit Wemmick, une bête féroce apprivoisée. Vous allez me dire que ça n'est pas si extraordinaire; je vous répondrai que cela dépend de la férocité naturelle de la bête et de son degré de soumission. Je ne veux pas amoindrir votre opinion de la puissance de M. Jaggers, mais faites-y bien attention.»

Je lui dis que je le ferais avec tout l'intérêt et toute la curiosité que cette communication éveillait en moi; et, au moment où j'allais partir, il me demanda si je ne pouvais pas disposer de cinq minutes pour voir M. Jaggers à l'œuvre.

Pour plusieurs raisons, et surtout parce que je ne savais pas bien clairement à quelle œuvre nous allions voir M. Jaggers, je répondis affirmativement. Nous plongeâmes dans la Cité, et nous entrâmes dans un tribunal de police encombré de monde, où un individu assez semblable au défunt qui avait du goût pour les broches, se tenait debout à la barre et mâchait quelque chose, tandis que mon tuteur faisait subir à une femme un interrogatoire ou contre-interrogatoire, je ne sais plus lequel. Il la frappait de terreur, et en frappait également le tribunal et toutes les personnes présentes. Si quelqu'un, à quelque classe qu'il appartînt, disait un mot qu'il n'approuvait pas, il demandait aussitôt son expulsion. Si quelqu'un ne voulait pas admettre son affirmation, il disait:

«Je saurai bien vous y forcer!»

Et si, au contraire, quelqu'un l'admettait, il disait:

«Maintenant, je vous tiens!»

Les juges tremblaient au seul mouvement de son doigt. Le voleurs, les policemen étaient suspendus, avec un ravissement mêlé de crainte, à ses paroles, et tremblaient quand un des poils de ses sourcils se tournait de leur côté. Pour qui était-il? Que faisait-il? Je ne pouvais le deviner, car il me paraissait tenir la salle tout entière comme sous la meule d'un moulin. Je sais seulement que quand je sortis sur la pointe des pieds, il n'était pas du côté des juges, car par ses récriminations il faisait trembler convulsivement sous la table les jambes du vieux gentleman qui présidait, et qui représentait sur ce siège la loi et la justice britanniques.

CHAPITRE XXV

Bentley Drummle, qui avait le caractère assez mal fait pour voir dans un livre une injure personnelle que lui faisait l'auteur, ne reçut pas la nouvelle connaissance qu'il faisait en moi dans une meilleure disposition d'esprit. Lourd de tournure, de mouvements et de compréhension, son apathie se révélait dans l'expression inerte de son visage et dans sa grosse langue, qui semblait s'étaler maladroitement dans sa bouche, comme il s'étalait lui-même dans la chambre. Il était paresseux, fier, mesquin, réservé et méfiant. Il appartenait à une famille de gens riches du comté de Sommerset, qui avaient nourri cet amalgame de qualités jusqu'au jour où ils avaient découvert qu'il avançait en âge et n'était qu'un idiot. Ainsi donc Bentlet Drummle était entré chez M. Pocket quand il avait une tête de plus que ce dernier en hauteur, et une demi-douzaine de têtes de plus que la plupart des autres hommes en largeur.

Startop avait été gâté par une mère trop faible et gardé à la maison, au lieu d'être envoyé en pension; mais il était profondément attaché à sa mère, et il l'admirait par-dessus toutes choses au monde; il avait les traits délicats comme ceux d'une femme, et était, – «comme vous pouvez le voir, bien que vous ne l'ayez jamais vu,» me disait Herbert, – tout le portrait de sa mère. Il était donc tout naturel que je me prisse d'amitié pour lui plus que pour Drummle.

Dans les premières soirées de nos parties de canotage, nous ramions, côte à côte, en revenant à la maison, nous parlant d'un bateau à l'autre, tandis que Drummle suivait seul notre sillage sur les bords en saillie, et parmi les roseaux; il s'approchait toujours des rives comme un animal amphibie, qui se trouve mal à l'aise lorsqu'il est poussé par la marée dans le vrai chemin. Il me semble toujours le voir nous suivre dans l'ombre et sur les bas-fonds, pendant que nos deux bateaux glissaient au milieu du fleuve, au soleil couchant, ou aux rayons de la lune.

Herbert était mon camarade et mon ami intime. Je lui offris la moitié de mon bateau, ce qui fut pour lui l'occasion de fréquents voyages à Hammersmith, et comme j'avais la moitié de son appartement, cela m'amenait souvent à Londres. Nous avions coutume d'aller et de venir à toute heure d'un endroit à l'autre. J'éprouve encore de l'affection pour cette route (bien qu'elle ne soit plus ce qu'elle était alors) embellie par les impressions d'une jeunesse pleine d'espoir et qui n'a pas été encore éprouvée.

J'avais déjà passé un ou deux mois dans la famille de M. Pocket, lorsque M. et Mrs Camille firent leur apparition. Camille était la sœur de M. Pocket. Georgiana, que j'avais vue chez miss Havisham, le même jour, fit aussi son apparition. C'était une de ces cousines, vieilles filles, difficiles à digérer, qui donnent à leur roideur le nom de religion, et à leur gaieté le nom d'humour. Ces gens là me haïssaient avec toute la haine de la cupidité et du désappointement. Il va sans dire qu'ils me cajolaient dans ma prospérité avec la bassesse la plus vile. Quant à M. Pocket, ils le regardaient comme un grand enfant n'ayant aucune notion de ses propres intérêts, et ils lui témoignaient cependant la complaisante déférence que je leur avais entendu exprimer à son égard. Ils avaient un profond mépris pour Mrs Pocket, mais ils convenaient que la pauvre âme avait éprouvé un cruel désappointement dans sa vie, parce que cela faisait rejaillir sur eux un faible rayon de considération.

Tel était le milieu dans lequel je m'étais installé, et dans lequel je devais continuer mon éducation. Je contractai bientôt des habitudes coûteuses, et je commençai par dépenser une quantité d'argent, qui, quelque temps auparavant, m'aurait paru fabuleuse; mais, tant bien que mal, je pris goût à mes livres. Je n'avais d'autre mérite que d'avoir assez de sens pour m'apercevoir de mon insuffisance. Entre M. Pocket et Herbert, je fis quelques progrès. J'avais sans cesse l'un ou l'autre sur mes épaules pour me donner l'élan qui me manquait et m'aplanir toutes les difficultés. Si j'avais moins travaillé j'aurais été infailliblement un aussi grand niais que Drummle.

Je n'avais pas revu M. Wemmick depuis quelques semaines, lorsqu'il me vint à l'idée de lui écrire un mot pour lui proposer de l'accompagner chez lui un soir ou l'autre. Il me répondit que cela lui ferait bien plaisir, et qu'il m'attendrait à son étude à six heures. Je m'y rendis et je le trouvai en train de glisser dans son dos la clef de son coffre-fort au moment où l'horloge sonnait.

«Avez-vous pensé aller à pied jusqu'à Walworth? dit-il.

– Certainement, dis-je, si cela vous va.

– On ne peut mieux, répondit Wemmick, car j'ai eu toute la journée les jambes sous mon bureau, et je serai bien aise de les allonger. Je vais maintenant vous dire ce que j'ai pour souper, M. Pip: j'ai du bœuf bouilli préparé à la maison, une volaille froide rôtie, venue de chez le rôtisseur; je la crois tendre, parce que le rôtisseur a été juré dans une de nos causes l'autre jour; or, nous lui avons rendu la besogne facile; je lui ai rappelé cette circonstance en lui achetant la volaille, et je lui ai dit: «Choisissez-en une bonne, mon vieux brave, parce que si vous avions voulu vous clouer à votre banc pour un jour ou deux de plus, nous l'aurions pu facilement.» À cela il me répondit: «Laissez-moi vous offrir la meilleure volaille de la boutique.» Je le laissai faire, bien entendu. Jusqu'à un certain point, ça peut se prendre et se porter. Vous ne voyez pas d'objection, je suppose, à ce que j'aie à dîner un vieux?..»

Je croyais réellement qu'il parlait encore de la volaille, jusqu'à ce qu'il ajoutât:

«Parce que j'ai chez moi un vieillard qui est mon père.»

Je lui dis alors ce que la politesse réclamait.

«Ainsi donc, vous n'avez pas encore dîné avec M. Jaggers? continua-t-il tout en marchant.

– Pas encore.

– Il me l'a dit cet après-midi, en apprenant que vous veniez. Je pense que vous recevrez demain une invitation qu'il doit vous envoyer, il va aussi inviter vos camarades; ils sont trois, n'est-ce pas?»

Bien que je n'eusse pas l'habitude de compter Drummle parmi mes amis intimes, je répondis:

«Oui.

– Oui, il va inviter toute la bande…»

J'eus peine à prendre ce mot pour un compliment.

«Et quel que soit le menu, il sera bon. Ne comptez pas d'avance sur la variété, mais vous aurez la qualité. Il y a encore quelque chose de drôle chez lui, continua Wemmick après un moment de silence, il ne ferme jamais ni ses portes ni ses fenêtres pendant la nuit.

– Et on ne le vole jamais?

– Jamais, répondit Wemmick; il dit, et il le redit à qui veut l'entendre: «Je voudrais voir l'homme qui me volera.» Que Dieu vous bénisse! si je ne l'ai pas entendu cent fois, je ne l'ai pas entendu une, dire dans notre étude, aux voleurs: «Vous savez où je demeure: on ne tire jamais de verrous chez moi. Pourquoi n'y essayeriez-vous pas quelque bon coup? Allons, est-ce que cela ne vous tente pas?» Pas un d'entre eux, monsieur, ne serait assez hardi pour l'essayer, pour amour ni pour argent.

– Ils le craignent donc beaucoup? dis-je.

– S'ils le craignent! dit Wemmick, je crois bien qu'ils le craignent! Malgré cela, il est rusé jusque dans la défiance qu'il a d'eux. Point d'argenterie, monsieur, tout métal anglais jusqu'à la dernière cuiller.

– De sorte qu'ils n'auraient pas grand'chose, observai-je, quand bien même ils…

– Ah! mais, il aurait beaucoup, lui, dit Wemmick en m'interrompant, et ils le savent. Il aurait leurs têtes; les têtes de grand nombre d'entre eux. Il aurait tout ce qu'il pourrait obtenir, et il est impossible de dire ce qu'il n'obtiendrait pas, s'il se l'était mis dans la tête.»

J'allais me laisser aller à méditer sur la grandeur de mon tuteur quand Wemmick ajouta:

«Quant à l'absence d'argenterie, ce n'est que le résultat de sa profondeur naturelle, vous savez. Une rivière a sa profondeur naturelle, et lui aussi, il a sa profondeur naturelle. Voyez sa chaîne de montre, elle est vraie, je pense.

– Elle est très massive, dis-je.

– Massive, répéta Wemmick, je le crois, et sa montre à répétition est en or et vaut cent livres comme un sou. Monsieur Pip, il y a quelque chose comme sept cents voleurs dans cette ville qui savent tout ce qui concerne cette montre; il n'y a pas un homme, une femme ou un enfant parmi eux qui ne reconnaîtrait le plus petit anneau de cette chaîne, et qui ne le laisserait tomber, comme s'il était chauffé à blanc, s'il se laissait aller à y toucher.»

En commençant par ce sujet, et passant ensuite à une conversation d'une nature plus générale, M. Wemmick et moi nous sûmes tromper le temps et la longueur de la route jusqu'au moment où il m'annonça que nous étions entrés dans le district de Walworth.

Cela me parut être un assemblage de ruelles retirées, de fossés et de petits jardins, et présenter l'aspect d'une retraite assez triste. La maison de Wemmick était un petit cottage en bois, élevé au milieu d'un terrain disposé en plates bandes; le faîte de la maison était découpé et peint de manière à simuler une batterie munie de canons.

«C'est mon propre ouvrage, dit Wemmick; c'est gentil, n'est-ce pas?»

J'approuvai hautement l'architecture et l'emplacement. Je crois que c'était la plus petite maison que j'eusse jamais vue; elle avait de petites fenêtres gothiques fort drôles, dont la plus grande partie étaient fausses, et une porte gothique si petite qu'on pouvait à peine entrer.

«C'est un véritable mât de pavillon, dit Wemmick, et les dimanches j'y hisse un vrai drapeau, et puis, voyez: quand j'ai passé ce pont, je le relève ainsi, et je coupe les communications.»

Le pont était une planche qui était jetée sur un fossé d'environ quatre pieds de large et deux de profondeur.

Il était vraiment plaisant de voir avec quel orgueil et quelle promptitude il le leva, tout en souriant d'un sourire de véritable satisfaction, et non pas simplement d'un sourire machinal.

«À neuf heures, tous les soirs, heure de Greenwich, dit Wemmick, le canon part. Tenez, le voilà! En l'entendant partir, ne croyez-vous pas entendre une véritable couleuvrine?»

La pièce d'artillerie en question était montée dans une forteresse séparée, construite en treillage, et elle était protégée contre les injures du temps par une ingénieuse combinaison de toile et de goudron formant parapluie.

«Plus loin, par derrière, dit Wemmick, hors de vue, comme pour empêcher toute idée de fortifications, car j'ai pour principe quand j'ai une idée de la suivre jusqu'au bout et de la maintenir; je ne sais pas si vous êtes de cette opinion…

– Bien certainement, dis-je.

Plus loin, par derrière, reprit Wemmick, nous avons un cochon, des volailles et des lapins. Souvent, je secoue mes pauvres petits membres et je plante des concombres, et vous verrez à souper quelle sorte de salade j'obtiens ainsi, monsieur, dit Wemmick en souriant de nouveau, mais sérieusement cette fois, et en secouant la tête. Supposer, par exemple, que la place soit assiégée, elle pourrait tenir un diable de temps avec ses provisions.»

Il me conduisit ensuite à un berceau, à une douzaine de mètres plus loin, mais auquel on arrivait par des détours si nombreux, qu'il fallait véritablement un certain temps pour y parvenir. Nos verres étaient déjà préparés dans cette retraite, et notre punch rafraîchissait dans un lac factice sur le bord duquel s'élevait le berceau. Cette pièce d'eau, avec une île dans le milieu, qui aurait pu servir de saladier pour le souper, était de forme circulaire et on avait construit à son centre une fontaine qui, lorsqu'on faisait mouvoir un petit moulin en ôtant le bouchon d'un tuyau, jouait avec assez de force pour mouiller complètement le dos de la main.

«C'est moi qui suis mon ingénieur, mon charpentier, mon jardinier, mon plombier; c'est moi qui fais tout, dit Wemmick en réponse à mes compliments. Eh bien, ça n'est pas mauvais; tout cela efface les toiles d'araignées de Newgate, et ça plaît au vieux. Il vous est égal d'être présenté de suite au vieux, n'est-ce pas? Ce serait une affaire faite.»

J'exprimai la bonne disposition dans laquelle je me trouvais, et nous entrâmes au château. Là, nous trouvâmes, assis près du feu, un homme très âgé, vêtu d'un paletot de flanelle, propre, gai, présentable, bien soigné, mais étonnamment sourd.

«Eh bien! vieux père, dit Wemmick en serrant les mains du vieillard d'une manière à la fois cordiale et joviale, comment allez-vous?

– Ça va bien, John, ça va bien, répondit le vieillard.

– Vieux père, voici M. Pip, dit Wemmick, je voudrais que vous pussiez entendre son nom. Faites-lui des signes de tête, M. Pip, il aime ça… faites-lui des signes de tête, s'il vous plaît, comme si vous étiez de son avis!

– C'est une jolie maison qu'a là mon fils, monsieur, dit le vieillard, pendant que j'agitais la tête avec toute la rapidité possible; c'est un joli jardin d'agrément, monsieur; après mon fils, ce charmant endroit et les magnifiques travaux qu'on y a exécutés devraient être conservés intacts par la nation pour l'agrément du peuple.

– Vous en êtes aussi fier que Polichinelle, n'est-ce pas, vieux? dit Wemmick, dont les traits durs s'adoucissaient pendant qu'il contemplait le vieillard. Tenez, voilà un signe de tête pour vous, dit-il en lui en faisant un énorme. Tenez, en voilà un autre… Vous aimez cela, n'est-ce pas?.. Si vous n'êtes pas fatigué, M. Pip, bien que je sache que c'est fatigant pour les étrangers, voulez-vous lui en faire encore un? Vous ne vous imaginez pas combien cela lui plaît.»

Je lui en fis plusieurs, ce qui le mit en charmante humeur. Nous le laissâmes occupé à donner à manger aux poules, et nous nous assîmes pour prendre notre punch sous le berceau, où Wemmick me dit en fumant une pipe qu'il lui avait fallu bien des années pour amener sa propriété à son état actuel de perfection.

«Est-elle à vous, M. Wemmick?

– Oh! oui, dit Wemmick, il y a pas mal de temps que je l'ai. Par Saint-Georges! c'est une propriété dont le sol m'appartient.

– Vraiment? J'espère que M. Jaggers l'admire.

– Il ne l'a jamais vue, dit Wemmick; il n'en a jamais entendu parler, ni jamais vu le vieux, ni jamais entendu parler de lui. Non, les affaires sont une chose et la vie privée en est une autre. Quand je vais à l'étude, je laisse le château derrière moi, de même que, quand je viens au château, je laisse aussi l'étude derrière moi. Si cela ne vous est pas désagréable, vous m'obligerez en faisant de même; je ne tiens pas à ce qu'on parle de mes affaires.»

D'après cela, je sentis que ma bonne foi était engagée, et que je devais obtempérer à la demande. Le punch étant très bon, nous restâmes à boire et à causer jusqu'à près de neuf heures.

«Le moment de tirer le canon approche, dit alors Wemmick, en déposant sa pipe, c'est le régal du vieux.»

Nous rentrâmes au château et nous y trouvâmes le vieillard occupé à rougir un pocker. C'était un de ces préliminaires indispensables à cette grande cérémonie nocturne, et ses yeux exprimaient l'attente la plus vive. Wemmick était là, la montre sous les yeux, attendant le moment de prendre le fer des mains du vieillard pour se rendre à la batterie. Il le prit, sortit, et bientôt le canon partit, en faisant un bruit qui fit trembler la pauvre petite boite de cottage comme si elle allait tomber en pièces, et résonner tous les verres et jusqu'aux tasses à thé. Là-dessus le vieux, qui aurait, je crois, été lancé hors de son fauteuil s'il ne s'était pas retenu à ses bras, s'écria d'une voix exaltée:

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
27 eylül 2017
Hacim:
700 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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