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Kitabı oku: «Oliver Twist», sayfa 31

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CHAPITRE XLVII. Conséquences fatales

C'était environ deux heures avant l'aube du jour, à cette heure qu'en automne on peut bien appeler le fort de la nuit, quand les rues sont désertes et silencieuses, que le bruit même parait sommeiller et que l'ivrogne et le débauché ont regagné leur maison d'un pas chancelant. À cette heure de calme et de silence, le juif veillait dans son repaire, le visage si pâle et si contracté, les yeux si rouges et si injectés de sang qu'il ressemblait moins à un homme qu'à un hideux fantôme échappé du tombeau et poursuivi par un esprit malfaisant.

Il était accroupi devant son feu éteint, enveloppé dans une vieille couverture déchirée et le visage tourné vers la chandelle qui était posée sur la table, à côté de lui. Il portait sa main droite à ses lèvres et, absorbé dans ses réflexions, il se mordait les ongles et laissait voir ses gencives dégarnies de dents et armées seulement de quelques crocs comme en aurait un chien ou un rat.

Noé Claypole dormait profondément sur un matelas étendu sur le plancher. Parfois le vieillard tournait un instant ses regards vers lui, puis les ramenait vers la chandelle dont la longue mèche brûlée attestait, ainsi que les gouttes de suif qui tombaient sur la table, que les pensées du juif étaient occupées ailleurs.

Elles l'étaient en effet.

Mortification de voir ses plans renversés, haine contre la jeune fille qui avait osé entrer en relation avec des étrangers, défiance profonde de sa sincérité quand elle avait refusé de le trahir, amer désappointement de perdre l'occasion de se venger de Sikes, crainte d'être découvert, ruiné, peut-être pendu; tout cela lui donnait un accès terrible de rage furieuse; toutes ces réflexions se croisaient rapidement et se heurtaient dans l'esprit de Fagin, et mille projets criminels plus noirs les uns que les autres s'agitaient dans son coeur.

Il resta ainsi complètement immobile et sans avoir l'air de faire la moindre attention au temps qui s'écoulait, jusqu'à ce qu'un bruit de pas dans la rue vint frapper son oreille exercée et attirer son attention.

«Enfin! murmura-t-il en essuyant ses lèvres sèches et agitées par la fièvre; enfin!»

Au même instant un léger coup de sonnette se fit entendre. Il grimpa l'escalier pour aller ouvrir et revint presque aussitôt accompagné d'un individu enveloppé jusqu'au menton et qui portait un papier sous le bras. Celui-ci s'assit, se dépouilla de son manteau et laissa voir les formes athlétiques du brigand Sikes.

«Tenez, dit-il en posant le paquet sur la table; serrez cela et tâchez d'en tirer le meilleur parti possible. J'ai eu assez de mal à me le procurer. Il y a trois heures que je devrais être ici.»

Fagin mit la main sur le paquet, l'enferma dans l'armoire et se rassit sans dire un mot. Mais il ne perdit pas de vue le brigand un seul instant, et, quand ils furent assis de nouveau face à face et tout près l'un de l'autre, il le regarda fixement. Ses lèvres tremblaient si fort et ses traits étaient si altérés par l'émotion à laquelle il était en proie, que le brigand recula involontairement sa chaise et examina Fagin d'un air effrayé.

«Eh bien! quoi? dit Sikes; qu'avez-vous à me regarder ainsi?

Allons, parlez!»

Le juif leva la main droite et agita un doigt tremblant, puis sa fureur était telle qu'il fut hors d'état d'articuler un seul mot.

«Morbleu! dit Sikes qui n'avait pas l'air trop rassuré, il est devenu fou; il faut que je prenne garde à moi.

– Non, non, dit Fagin en retrouvant la voix, ce n'est pas… ce n'est pas vous, Guillaume; je n'ai rien… rien du tout à vous reprocher.

– Oh! vraiment! dit Sikes en le regardant d'un air sombre et en mettant ostensiblement un pistolet dans une poche plus à sa portée. C'est heureux, pour l'un de nous du moins. Lequel est-ce, peu importe.

– Ce que j'ai à vous dire, Guillaume, dit le juif en rapprochant sa chaise de celle du brigand, vous rendra encore plus furieux que moi.

– En vérité? répondit Sikes d'un air d'incrédulité; parlez et dépêchez-vous, ou Nancy me croira perdu.

– Perdu! dit Fagin, elle s'est arrangée pour ça, n'ayez pas peur.»

Sikes regarda le juif d'un air très inquiet, et ne lisant sur ses traits aucune explication satisfaisante, il lui mit sa grosse main sur le collet et le secoua rudement.

«Voulez-vous parler, dit-il, ou je vous étrangle. Desserrez les dents et dites clairement ce que vous avez à dire. Assez de grimaces, vieux mâtin que vous êtes, finissons-en.

– Supposons, commença Fagin, que ce garçon qui est là couché…»

Sikes se tourna vers l'endroit où Noé était endormi, comme s'il ne l'avait pas remarqué tout à l'heure. «Après? dit-il en reprenant sa première position.

– Supposons, continua Fagin, que ce garçon ait jasé pour nous perdre tous; qu'il ait cherché d'abord les gens propres à réaliser ses vues, et qu'il ait eu avec eux un rendez-vous dans la rue pour donner notre signalement, pour indiquer tous les signes auxquels on pourrait nous reconnaître et les souricières où l'on pourrait le mieux nous prendre. Supposons qu'il ait voulu faire tout cela de son plein gré sans être arrêté, interrogé, espionné ou mis au pain et à l'eau pour faire des aveux: mais, de son plein gré! pour sa propre satisfaction! allant rôder la nuit pour rencontrer nos ennemis déclarés et jasant avec eux! m'entendez-vous, s'écria le juif, dont les yeux lançaient des flammes. Supposons qu'il ait fait tout cela, qu'arriverait-il?

– Ce qui arriverait! répondit Sikes avec un affreux jurement. S'il avait vécu jusqu'à mon arrivée, je lui broierais le crâne sous les talons ferrés de mes bottes en autant de morceaux qu'il a de cheveux sur la tête.

– Et si moi j'avais fait cela, hurla le juif, moi qui en sais si long et qui pourrais faire pendre tant de gens, sans me compter?

– Je ne sais, dit Sikes en grinçant des dents et en pâlissant rien qu'à l'idée d'une telle trahison: je ferais dans la prison quelque chose qui me ferait mettre aux fers; et si on me mettait en jugement en même temps que vous, je tomberais sur vous en plein tribunal et je vous briserais le crâne devant tout le monde. J'aurais assez de force, murmura le brigand en brandissant son bras nerveux, j'aurais assez de force pour vous écraser la tête comme si une lourde charrette eût passé dessus.

– Vous!

– Moi! dit le brigand. Essayez. Et si c'était Charlot, ou le Matois, ou Betsy, ou…

– Peu importe qui, interrompit Sikes avec colère. Celui-là, quel qu'il soit, peut être sûr de son affaire.»

Fagin se remit à considérer fixement le brigand; puis, lui faisant signe de garder le silence, il se pencha vers le matelas où dormait Noé et secoua le dormeur pour l'éveiller: Sikes, penché aussi sur sa chaise et les mains appuyées sur les genoux, regardait de tous ses yeux, comme s'il se demandait avec surprise à quoi allaient aboutir ce manège et toutes ces questions.

«Bolter! Bolter! dit Fagin en levant la tête avec une expression diabolique et en appuyant sur chaque parole. Le pauvre garçon! il est fatigué… fatigué d'avoir épié si longtemps les démarches de cette fille… les démarches de cette fille, entendez-vous, Guillaume?

– Que voulez-vous dire?» demanda Sikes en se redressant de toute sa hauteur.

Le juif ne répondit rien, mais se pencha de nouveau vers le dormeur et le fit asseoir sur le matelas. Après s'être fait répéter plusieurs fois son nom d'emprunt, Noé se frotta les yeux et regarda autour de lui en bâillant.

«Redites-moi encore tout cela, encore une fois, pour qu'il l'entende, dit le juif en montrant du doigt le brigand.

– Redire quoi? demanda Noé à demi endormi.

– Ce qui concerne… Nancy, dit le juif en saisissant le poignet de Sikes, comme pour l'empêcher de s'en aller avant d'avoir tout entendu. Vous l'avez suivie?

– Oui.

– Jusqu'au pont de Londres?

– Oui.

– Où elle a rencontré deux personnes?

– En effet.

– Un monsieur et une demoiselle qu'elle avait été trouver précédemment, de son propre mouvement: ils lui ont demandé de livrer tous ses complices, à commencer par Monks… ce qu'elle a fait… de donner leur signalement… elle l'a donné… de dire où nous nous réunissions… elle l'a dit… et d'où l'on pouvait le mieux nous guetter… elle l'a dit encore… et à quel moment nous avions l'habitude de nous y rendre… elle l'a indiqué. Voilà ce qu'elle a fait; elle a conté tout cela d'un bout à l'autre, sans qu'on lui fît une menace, sans la moindre hésitation. Est-ce vrai? s'écria le juif presque fou de colère.

– Parfaitement vrai, répondit Noé en se grattant la tête; c'est exactement comme cela que tout s'est passé.

– Et qu'ont-ils dit relativement à dimanche dernier? demanda le juif.

– Relativement à dimanche dernier! répondit Noé en réfléchissant; je vous l'ai déjà dit.

– Redites-le! redites-le! s'écria Fagin écumant de rage en étreignant d'une main le bras de Sikes, et en brandissant l'autre en l'air comme un furieux.

– Ils lui ont demandé, dit Noé qui, mieux éveillé, semblait commencer à comprendre qui était Sikes, ils lui ont demandé pourquoi elle n'était pas venue le dimanche précédent comme elle l'avait promis; elle a répondu qu'elle n'avait pas pu…

– Et la cause, la cause? interrompit le juif d'un air triomphant; contez-lui cela!

– Parce qu'elle avait été retenue de force chez elle par Guillaume, cet homme dont elle leur avait déjà parlé précédemment, répondit Noé.

– Et puis encore? s'écria le juif; qu'a-t-elle dit encore de cet homme dont elle leur avait déjà parlé précédemment? Contez-lui cela! contez-lui cela!

– Eh bien, reprit Noé, elle a dit qu'il ne lui était pas facile de sortir à moins que cet homme ne sût où elle allait; et que la première fois qu'elle était sortie pour aller trouver la demoiselle, elle… ha! ha! ha! j'ai bien ri en entendant cela… elle avait donné à cet homme une dose de laudanum.

– Mort et damnation! s'écria Sikes en se dégageant brusquement de l'étreinte du juif. Laissez-moi m'en aller!»

Il repoussa loin de lui le vieillard, s'élança hors de la chambre et escalada les degrés comme un furieux.

«Guillaume! Guillaume! cria le juif en courant après lui. Un mot, un mot seulement!»

Il n'aurait pas eu le temps d'échanger un seul mot avec le brigand, si celui-ci ne s'était trouvé dans l'impossibilité d'ouvrir la porte; il était là, jurant et blasphémant quand le juif le rejoignit tout essoufflé.

«Laissez-moi sortir, dit Sikes. Ne me parlez pas, si vous tenez à la vie. Laissez-moi sortir, vous dis-je.

– Un mot seulement, reprit Fagin en posant sa main sur la serrure… Ne soyez pas…

– Quoi? dit l'autre.

– Ne soyez pas… trop violent, Guillaume, dit le juif avec des larmes dans la voix.»

Le jour commençait à poindre, et il faisait assez clair pour que les deux hommes pussent se voir; ils échangèrent un rapide coup d'oeil; leurs yeux brillaient d'un éclat sinistre; il n'y avait pas à se méprendre sur leur pensée.

«J'entends par là, dit Fagin, jugeant inutile de déguiser plus longtemps sa pensée, que vous ne devez pas être trop violent… par prudence: de la ruse, Guillaume, et pas d'esclandre.»

Sikes ne répondit rien, mais poussant vivement la porte dès que le juif eut tourné la clef dans la serrure, il s'élança dans la rue déserte.

Sans s'arrêter, sans réfléchir un instant, sans tourner une seule fois la tête à droite ou à gauche, sans lever les yeux vers le ciel ni les baisser vers la terre, le brigand prit sa course, l'oeil hagard et les dents si serrées qu'il en avait la mâchoire saillante; il ne murmura pas une parole, pas un de ses muscles ne se détendit, jusqu'à ce qu'il eut gagné la porte de sa demeure. Il fit tourner doucement la clef dans la serrure, monta rapidement l'escalier, entra dans sa chambre, ferma la porte à double tour, appuya une lourde table contre la porte et tira le rideau du lit.

La jeune fille était couchée, à demi vêtue. L'entrée de Sikes l'avait réveillée en sursaut.

«Debout, dit l'homme.

– Est-ce toi, Guillaume? dit-elle avec une expression de plaisir en le voyant de retour.

– Oui, répondit-il. Debout.»

Une chandelle brûlait près du lit; l'homme l'ôta vivement du chandelier et la jeta dans la cheminée; la jeune fille voyant que le jour commençait à poindre, se leva pour tirer le rideau de la fenêtre.

«Laisse-le, dit Sikes, en lui barrant le passage. Il fait assez clair pour ce que j'ai à faire.

– Guillaume, dit Nancy d'une voix étouffée par la terreur, pourquoi me regardes-tu ainsi?»

Les narines gonflées, la poitrine haletante, le brigand la considéra quelques instants; puis, la saisissant par la tête et par le cou, il la traîna jusqu'au milieu de la chambre, et, jetant un coup d'oeil vers la porte, il lui mit sa grosse main sur la bouche.

«Guillaume, Guillaume!.. dit la jeune fille d'une voix étouffée, en se débattant avec l'énergie que donne la crainte de la mort, je ne crierai pas… écoute-moi… parle-moi… dis-moi ce que j'ai fait?

– Tu le sais bien misérable! répliqua le brigand. Tu as été guettée cette nuit… Tout ce que tu as dit a été entendu.

– Alors épargne ma vie comme j'ai épargné la tienne, dit Nancy en se cramponnant après lui. Guillaume, cher Guillaume, tu n'auras pas le coeur de me tuer. Oh! songe à tout ce que j'ai refusé cette nuit à cause de toi! Épargne-toi ce crime; je ne te lâcherai pas; tu ne pourras pas me faire lâcher prise. Guillaume, pour l'amour de Dieu, pour toi, pour moi, arrête, avant de verser mon sang. Sur mon âme, je ne t'ai pas trahi.»

L'homme fit un violent effort pour dégager son bras; mais la jeune fille l'étreignait convulsivement, et il eut beau faire, il ne put lui faire lâcher prise.

«Guillaume, criait-elle en s'efforçant d'appuyer sa tête sur la poitrine du brigand, ce monsieur et cette bonne demoiselle m'ont proposé cette nuit d'aller vivre à l'étranger et d'y finir mes jours dans la solitude et la tranquillité. Laisse-moi les revoir et les supplier à genoux d'avoir pour toi la même bonté; nous quitterons cet affreux séjour; nous irons bien loin, chacun de notre côté, mener une vie meilleure, et oublier, sauf dans nos prières, la vie que nous avons menée jusqu'ici: après cela, nous ne nous reverrons jamais. Il n'est jamais trop tard pour se repentir; ils me l'ont dit… Je sais bien maintenant qu'ils disaient vrai; mais il nous faut du temps, un peu de temps!

Le brigand dégagea un de ses bras et saisit son pistolet. La pensée qu'il serait immédiatement découvert s'il faisait feu, lui traversa l'esprit malgré l'accès de rage auquel il était en proie. Il frappa deux fois de toute sa force, avec la crosse du pistolet, la tête de la jeune fille qui touchait presque la sienne.

Elle chancela et tomba, aveuglée par les flots de sang qui jaillissaient de son front; puis, parvenant avec peine à se soulever sur les genoux, elle tira de son sein un mouchoir blanc, – celui que lui avait donné Rose Maylie, – et l'élevant à mains jointes vers le ciel, aussi haut que ses forces défaillantes le lui permettaient, elle murmura une prière pour implorer la pitié du Créateur.

C'était un affreux spectacle. L'assassin gagna la muraille d'un pas chancelant; puis, mettant sa main sur ses yeux, il se saisit d'un lourd gourdin et acheva sa victime.

CHAPITRE XLVIII. Fuite de Sikes

De toutes les actions coupables qui, à la faveur des ténèbres, avaient été commises dans la vaste enceinte de Londres, depuis que la nuit l'avait jamais enveloppée, celle-ci était la plus criminelle. De toutes les horreurs qui allaient empester de leur odeur infecte l'air pur du matin, celle-ci était la plus lâche et la plus odieuse.

Le soleil brillant qui ne ramène pas seulement avec lui la lumière, mais qui rend l'homme à la vie et à l'espérance, le soleil se levait radieux sur la populeuse cité; ses rayons tombaient également sur les vitraux richement colorés et sur les misérables vitres de la mansarde, sur le dôme des cathédrales et sur les masures en ruines. Il éclairait la chambre où gisait la femme assassinée; il l'éclairait en dépit des efforts du brigand pour empêcher ses rayons d'y pénétrer: ils y pénétraient à torrent. Si ce spectacle était affreux dans le crépuscule du matin, qu'était-ce maintenant au milieu de cette éclatante lumière!

Sikes n'avait pas changé de place: il avait eu peur de se sauver; sa victime avait poussé un gémissement plaintif et remué la main. Alors, avec une rage que la terreur augmentait encore. Il avait frappé à coups redoublés. Un instant il avait jeté une couverture sur le cadavre; mais se représenter les yeux de la victime, s'imaginer qu'ils se tournaient vers lui, était encore plus insupportable que de les voir fixés, immobiles, pour regarder la mare de sang qui tremblait et dansait au soleil, sur le plancher, et il avait retiré la couverture. Le corps était là gisant; un corps, rien de plus, de la chair et du sang: mais quelle chair et que de sang!

Il battit le briquet, alluma du feu et y jeta le gourdin. Des cheveux de femme étaient restés collés à l'extrémité; ils s'enflammèrent en pétillant et produisirent quelques légères étincelles que le courant d'air entraîna rapidement dans la cheminée. Cela seul le remplit d'effroi, tout barbare qu'il était. Il continua pourtant à tenir le gourdin, jusqu'à ce que le feu l'eût réduit en plusieurs morceaux; il les réunit sur les charbons pour les consumer entièrement et les réduire en cendres. Il se lava les mains et frotta ses vêtements; il y avait des taches qu'il ne put faire disparaître; il coupa les endroits tachés et les jeta au feu. Toute la chambre était teinte de sang: les pattes même du chien en étaient pleines.

Pendant tout ce temps, il n'avait pas un instant tourné le dos au cadavre. Après avoir terminé ses préparatifs, il gagna la porte à reculons, tirant le chien après lui. Il la ferma doucement, tourna deux fois la clef dans la serrure, la retira et sortit de la maison.

Il traversa la rue et jeta un regard vers la fenêtre, pour s'assurer qu'on ne pouvait rien voir du dehors. Le rideau était toujours baissé, le rideau que Nancy avait voulu tirer pour laisser pénétrer ce jour qu'elle ne devait plus revoir. Elle était gisante tout près de la fenêtre: l'assassin le savait. Dieu! comme le soleil dardait ses rayons dans cet endroit!

Sikes ne jeta sur la fenêtre qu'un coup d'oeil rapide; il se sentit soulagé en pensant qu'il avait pu sortir sans être vu. Il siffla son chien et s'éloigna rapidement.

Il traversa Islington et gravit la colline de Highgate, où se trouve le monument en l'honneur de Whittington; mais il marchait à l'aventure et sans savoir où il irait. Il prit à droite, suivit un sentier à travers champs, longea Caen-Wood, arriva à la bruyère de Hampstead, franchit la vallée au Val-de-Santé, puis gravit la pente opposée, et, traversant la route qui unit les villages de Hampstead et de Highgate, il gagna les champs de North-End, et se coucha le long d'une haie.

Il s'endormit; mais bientôt il fut debout de nouveau et se remit à marcher, non plus du côté de la campagne, mais dans la direction de Londres, en suivant la grande route; puis il revint encore sur ses pas, refit le même trajet qu'il venait de faire, et arpenta les champs en tout sens, tantôt se couchant au bord des fossés pour se reposer, tantôt se remettant à errer à l'aventure.

Où trouver un endroit assez rapproché et pas trop fréquenté pour s'y procurer quelque nourriture? S'il allait à Hendon? L'endroit semblait propice, étant à peu de distance et assez à l'écart. Il se dirigea de ce côté, tantôt courant, tantôt, par une étrange contradiction, marchant comme une tortue, où s'arrêtant tout à fait, et battant négligemment les buissons avec sa canne. Mais à Hendon, il lui sembla que tous les gens qu'il rencontrait, et jusqu'aux enfants qui se tenaient sur les portes, le regardaient d'un air de soupçon; il revint sur ses pas, sans avoir le courage de demander une goutte d'eau ou un morceau de pain, quoiqu'il fût à jeun depuis la veille; il reprit la route de Hampstead sans savoir où se diriger.

Il erra ainsi sans s'arrêter, et revint à son point de départ. La matinée, l'après-midi, s'étaient écoulées; le jour allait décliner et il était toujours là, allant à droite, à gauche, en avant, en arrière, et revenant toujours au même endroit. Enfin il s'éloigna et se dirigea vers Hatfield.

À neuf heures du soir, il était à bout de forces, et son chien, harassé d'une course si extraordinaire, cheminait derrière lui en boitant. Sikes descendit la colline, près de l'église du village silencieux, et, se traînant le long d'une rue étroite, se glissa dans un petit cabaret où il apercevait un peu de lumière. Quelques paysans en train de boire étaient assis autour du foyer; ils firent place au nouveau venu: mais il alla s'asseoir au fond de la salle pour y boire et manger seul, ou plutôt avec son chien, auquel il jetait de temps à autre quelques bouchées de pain.

Les paysans réunis en ce lieu s'entretenaient des terres et des fermiers des environs. Quand ce sujet fut épuisé, ils se mirent à parler de l'âge auquel était parvenu un vieillard qu'on avait enterré le dimanche précédent. Les jeunes gens trouvaient qu'il était mort très vieux, tandis que les vieillards présents soutenaient qu'il était encore bien jeune. «Il n'était pas plus âgé que moi, dit un vieux grand-père à la tête blanchie, et il avait encore dix ou quinze ans au moins à vivre… s'il avait pris des précautions…»

Il n'y avait rien dans tout cela qui pût attirer l'attention ou éveiller les craintes de Sikes. Il paya son écot et resta silencieux et inaperçu dans son coin; il allait s'endormir profondément, quand il fut tiré de son demi-sommeil par l'arrivée d'un nouveau venu.

C'était un vieux routier, à la fois colporteur et charlatan, qui parcourait à pied les campagnes pour vendre des pierres à repasser, des cuirs à rasoir, des rasoirs, des savonnettes, du cirage pour les harnais, des drogues pour les chiens et les chevaux, de la parfumerie commune, du cosmétique et autres articles semblables, contenus dans une balle qu'il portait sur son dos. Son entrée fut saluée par les paysans de mille plaisanteries qui ne tarirent pas jusqu'à ce qu'il eût fini de souper. Alors il eut l'idée ingénieuse d'unir l'utile à l'agréable, et déballa sa pacotille pour tenter les chalands.

«Qu'est-ce que c'est que ça, Henry? est-ce bon à manger? demanda un plaisant de village en montrant du doigt des tablettes de savon posées dans un coin.

– Ça? dit le colporteur, en en prenant une qu'il montra à toute l'assistance, c'est une composition infaillible et inappréciable pour enlever toutes les taches; taches de rouille, taches de boue, taches d'humidité, taches de toute sorte, petites ou grandes, sur la soie, le satin, la batiste, la toile, le drap, le crêpe, les tapis, le mérinos, la mousseline, et tous les tissus possibles; taches de vin, taches de fruits, taches de bière, taches d'eau, taches de peinture, taches de poix, taches quelconques, disparaissent à l'instant à l'aide de cette infaillible et inappréciable composition. Une dame a-t-elle une tache à son honneur? elle n'a qu'à avaler une de ces tablettes, et elle est guérie pour toujours… car c'est du poison. Un monsieur, a-t-il besoin de fournir une preuve du sien, il n'a qu'à en prendre une tablette, et son honneur est pour toujours hors de question… Le résultat est tout aussi satisfaisant qu'avec une balle de pistolet, et, comme la saveur en est bien plus désagréable, il y a d'autant plus d'honneur à s'en servir… Un penny la tablette!.. Tout ça pour la bagatelle d'un penny!»

Deux acheteurs se présentèrent aussitôt; le reste de l'auditoire hésitait; ce que voyant, le vendeur redoubla de loquacité.

«On ne peut suffire à en fabriquer assez, dit-il; c'est enlevé à l'instant. Quatorze moulins, six machines à vapeur et une pile électrique, marchent sans s'arrêter, et ça ne suffit pas. Les ouvriers travaillent si fort qu'ils en crèvent, et leurs veuves reçoivent une pension annuelle de vingt livres sterling par enfant, avec une prime de cinquante livres pour deux jumeaux. Un penny la tablette!.. ou un penny, si vous voulez…c'est tout comme; ou quatre pièces de deux liards, ça m'est égal. Un penny la tablette! Taches de vin, taches de fruits, taches de bière, taches d'eau, taches de peinture, taches de poix, taches de boue, taches de sang… Voici une tache au chapeau de quelqu'un de la société; je vais la faire disparaître avant qu'il ait eu le temps de me faire servir une pinte de bière.

– Holà! s'écria Sikes en tressaillant. Rendez-moi mon chapeau…

– Je vais vous le nettoyer, monsieur, répondit le colporteur en faisant signe de l'oeil à la société, avant que vous ayez le temps de traverser la salle pour le reprendre. Observez bien, messieurs, cette tache noire sur le chapeau de monsieur: que ce soit une tache de vin, une tache de fruit, une tache de bière, une tache d'eau, une tache de peinture, une tache de poix, une tache de houe, ou une tache de sang…»

Il ne put continuer: car Sikes, en proférant d'affreuses imprécations, renversa la table, lui arracha le chapeau des mains, et s'élança hors du cabaret.

De nouveau en proie à l'irrésolution qui l'avait tourmenté, malgré lui, toute la journée, le meurtrier, voyant qu'il n'était pas suivi et que probablement on l'avait pris pour un ivrogne de mauvaise humeur, reprit le chemin de Londres; il évita la lueur des lanternes d'une diligence arrêtée dans la rue, et il poursuivait sa route, quand il s'aperçut que c'était la malle venant de Londres et qu'elle était arrêtée à la porte du bureau de poste. Il était presque sûr de ce qui allait se passer, mais il s'arrêta pour écouter.

Le courrier était devant la porte, attendait le sac aux dépêches; survint un individu en costume de garde-chasse, auquel il remit un panier déposé sur le trottoir.

«Voici pour chez vous, dit le courrier. Ah ça! avez-vous bientôt fini, là dedans? Déjà, avant-hier, vos maudites dépêches n'étaient pas prêtes; ça ne peut pas aller comme ça, entendez-vous?

– Quoi de nouveau en ville, Benjamin? demanda le garde-chasse en regardant les chevaux avec admiration.

– Rien que je sache, répondit l'autre en mettant ses gants. Le blé est un peu en hausse. J'ai aussi entendu parler d'un assassinat du coté de Spitalflelds, mais je n'y crois guère.

– Oh! ce n'est que trop vrai, dit un voyageur en mettant la tête à la portière; c'est un affreux assassinat.

– En vérité, monsieur? reprit le courrier en mettant la main à son chapeau. Est-ce un homme ou une femme?

– C'est une femme, répondit le voyageur; on suppose que…

– Allons, allons, Benjamin! s'écria le postillon avec impatience.

– Les maudites dépêches! dit le courrier. Ah ça! dormez-vous, là dedans?

– On y va, dit le directeur du bureau en apportant les lettres.

– On y va, on y va! grommela le courrier… c'est comme la jeune millionnaire qui doit un jour avoir un caprice pour moi; mais quand? je n'en sais rien. Allons, donnez vite!.. En route!»

Il sonna du cor et la voiture partit.

Sikes resta immobile dans la rue, indifférent, en apparence, à ce qu'il venait d'entendre, et sans autre préoccupation que celle de savoir où aller. À la fin il revint encore une fois sur ses pas, et prit la route qui mène de Hatfield à Saint-Albans. Il marchait d'un pas résolu; mais quand il eut laissé Londres derrière lui et qu'il se fut enfoncé de plus en plus dans la solitude et les ténèbres de la route, il se sentit gagné par un sentiment de terreur et d'épouvante qui l'ébranla jusqu'au fond du coeur. Autour de lui tous les objets, réels ou imaginaires, immobiles ou agités, prenaient une apparence formidable; mais ces craintes n'étaient rien au prix de ce que lui faisait éprouver le souvenir incessant de cet affreux cadavre du matin qu'il croyait sentir sur ses talons. Il pouvait distinguer, jusque dans les moindres détails, ses formes au milieu de l'ombre; il le voyait s'avancer d'un air sinistre et solennel; il entendait le frôlement des vêtements de sa victime contre les buissons, et chaque souffle du vent apportait à son oreille le son de ce cri, suprême et étouffé; s'il s'arrêtait, le fantôme s'arrêtait aussi; s'il courait, le fantôme le suivait, non pas en courant: ç'aurait été une consolation; mais non, c'était comme un cadavre encore doué du simple mécanisme de la vie, emporté tout droit sur quelque vent funèbre qui rasait le sol.

Parfois il se retournait avec l'énergie du désespoir, résolu à éloigner de force le fantôme, qu'il savait pourtant bien être privé de vie; mais alors ses cheveux se dressaient sur sa tête et son sang se glaçait dans ses veines; le fantôme avait suivi son mouvement et se tenait toujours derrière lui; ce cadavre qu'il n'avait pas perdu de vue un instant, le matin, il l'avait maintenant à ses trousses, et sans relâche. Il s'adossa à un talus, le long de la route; le fantôme se posta au-dessus de lui, et il le voyait parfaitement, malgré les ténèbres; il se jeta à terre, se coucha sur le dos; le fantôme se tint près de sa tête, tout droit, silencieux et immobile, semblable à une pierre sépulcrale avec l'épitaphe tracée en lettres de sang.

Qu'on ose parler après cela des assassins qui échappent à la justice! Qu'on vienne nous dire qu'il faut que la Providence sommeille! Une seule longue minute passée dans ce paroxysme de terreur ne valait-elle pas mille morts violentes?

Dans un champ, près de la route, il y avait un hangar qui lui offrit un abri pour la nuit. Devant la porte étaient plantés trois grands peupliers dont le vent agitait les branches avec un sifflement sinistre. Le brigand était hors d'état de continuer sa route avant le retour du jour; il se blottit contre le mur… Mais là de nouvelles tortures l'attendaient.

Il eut une vision aussi obstinée et plus terrible que celle à laquelle il venait de se soustraire: ces yeux hagards et ternes, que le matin il avait préféré regarder plutôt que de se les figurer cachés sous la couverture, ses deux yeux lui apparurent au milieu des ténèbres; ils brillaient, mais ne répandaient autour d'eux aucune clarté; il n'y en avait que deux, et ils étaient partout. Si lui-même fermait les yeux, il voyait par la pensée la chambre de la victime avec les moindres objets qu'elle renfermait, et chacun d'eux à sa place accoutumée. Le cadavre aussi était à sa place, et les yeux étaient tels qu'il les avait vus en quittant la chambre. Il se leva et s'élança dans les champs: l'apparition l'y suivit; il revint sous le hangar et se tapit de nouveau contre le mur: avant qu'il eût eu le temps de s'étendre à terre, les deux yeux étaient déjà là devant lui.

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Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
11 ağustos 2017
Hacim:
580 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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