Kitabı oku: «Les malheurs de Sophie», sayfa 2
V. Le poulet noir
Sophie allait tous les matins avec sa maman dans la basse-cour, où il y avait des poules de différentes espèces et très belles. Mme de Réan avait fait couver des œufs desquels devaient sortir des poules huppées superbes. Tous les jours, elle allait voir avec Sophie si les poulets étaient sortis de leur œuf. Sophie emportait dans un petit panier du pain, qu’elle émiettait aux poules. Aussitôt qu’elle arrivait, toutes les poules, tous les coqs accouraient, sautaient autour d’elle, becquetaient le pain presque dans ses mains et dans son panier. Sophie riait, courait ; les poules la suivaient : ce qui l’amusait beaucoup.
Pendant ce temps, sa maman entrait dans une grande et belle galerie où demeuraient les poules ; elles étaient logées comme des princesses et soignées mieux que beaucoup de princesses. Sophie venait la rejoindre quand tout son pain était émietté ; elle regardait les petits poulets sortir de leur coquille, et qui étaient trop jeunes encore pour courir dans les champs. Un matin, quand Sophie entra au poulailler, elle vit sa maman qui tenait un magnifique poulet, né depuis une heure.
Sophie. – Ah ! le joli poulet, maman ! ses plumes sont noires comme celles d’un corbeau.
Madame de Réan. – Regarde aussi quelle jolie huppe il a sur la tête ; ce sera un magnifique poulet.
Mme de Réan le replaça près de la poule couveuse. À peine l’avait-elle posé, que la poule donna un grand coup de bec au pauvre poulet. Mme de Réan donna une tape sur le bec de la méchante poule, releva le petit poulet, qui était tombé en criant, et le remit près de la poule. Cette fois la poule, furieuse, donna au pauvre petit deux ou trois coups de bec et le poursuivit quand il chercha à revenir.
Mme de Réan accourut et saisit le poulet, que la mère allait tuer à force de coups de bec. Elle lui fit avaler une goutte d’eau pour le ranimer.
« Qu’allons-nous faire de ce poulet ? dit-elle ; impossible de le laisser avec sa méchante mère, elle le tuerait ; il est si beau que je voudrais pourtant l’élever. »
Sophie. – Écoutez, maman, mettez-le, dans un grand panier, dans la chambre où sont mes joujoux ; nous lui donnerons à manger, et, quand il sera grand, nous le remettrons au poulailler.
Madame de Réan. – Je crois que tu as raison ; emporte-le dans ton panier à pain, et arrangeons-lui un lit.
Sophie. – Oh ! maman ! regardez son cou ; il saigne, et son dos aussi.
Madame de Réan. – Ce sont les coups de bec de la poule ; quand tu l’auras rapporté à la maison, tu demanderas à ta bonne du cérat et tu lui en mettras sur ses plaies.
Sophie n’était certainement pas contente de voir des blessures au poulet, mais elle était enchantée d’avoir à y mettre du cérat ; elle courut donc en avant de sa maman, montra à sa bonne le poulet, demanda du cérat et lui en mit des paquets sur chaque place qui saignait. Ensuite elle lui prépara une pâtée d’œufs, de pain et de lait, qu’elle écrasa et mêla pendant une heure. Le poulet souffrait, il était triste, il ne voulut pas manger ; il but seulement plusieurs fois de l’eau fraîche.
Au bout de trois jours les plaies du poulet furent guéries, et il se promenait devant le perron du jardin. Un mois après il était devenu d’une beauté remarquable et très grand pour son âge ; on lui aurait donné trois mois pour le moins ; ses plumes étaient d’un noir bleu très rare, lisses et brillantes comme s’il sortait de l’eau. Sa tête était couverte d’une énorme huppe de plumes noires, oranges, bleues, rouges et blanches. Son bec et ses pattes étaient roses ; sa démarche était fière, ses yeux étaient vifs et brillants ; on n’avait jamais vu un plus beau poulet.
C’était Sophie qui s’était chargée de le soigner ; c’était elle qui lui apportait à manger ; c’était elle qui le gardait lorsqu’il se promenait devant la maison. Dans peu de jours on devait le remettre au poulailler, parce qu’il devenait trop difficile à garder. Sophie était quelquefois obligée de courir après lui pendant une demi-heure sans pouvoir le rattraper ; une fois même il avait manqué se noyer en se jetant dans un bassin plein d’eau qu’il n’avait pas vu, tant il courait vite pour se sauver de Sophie.
Elle avait essayé de lui attacher un ruban à la patte, mais il s’était tant débattu qu’il avait fallu le détacher, de peur qu’il ne se cassât la jambe. La maman lui défendit alors de le laisser sortir du poulailler.
« Il y a ici beaucoup de vautours qui pourraient l’enlever ; il faut donc attendre qu’il soit grand pour le laisser en liberté », dit Mme de Réan.
Mais Sophie, qui n’était pas obéissante, continuait de le faire sortir en cachette de sa maman, et un jour, sachant sa maman occupée à écrire, elle apporta le poulet devant la maison ; il s’amusait à chercher des moucherons et des vers dans le sable et dans l’herbe. Sophie peignait sa poupée à quelques pas du poulet, qu’elle regardait souvent, pour l’empêcher de s’éloigner. En levant les yeux, elle vit avec surprise un gros oiseau au bec crochu qui s’était posé à trois pas du poulet. Il regardait le poulet d’un air féroce, et Sophie d’un air craintif. Le poulet ne bougeait pas ; il s’était accroupi et il tremblait.
« Quel drôle d’oiseau ! dit Sophie. Il est beau, mais quel air singulier il a ! quand il me regarde, il a l’air d’avoir peur, et, quand il regarde le poulet, il lui fait des yeux furieux ! Ha, ha, ha, qu’il est drôle ! »
Au même instant l’oiseau pousse un cri perçant et sauvage, s’élance sur le poulet, qui répond par un cri plaintif, le saisit dans ses griffes et l’emporte en s’envolant à tire-d’aile.
Sophie resta stupéfaite ; la maman, qui était accourue aux cris de l’oiseau, demande à Sophie ce qui était arrivé. Sophie raconte qu’un oiseau a emporté le poulet, et ne comprend pas ce que cela veut dire.
« Cela veut dire que vous êtes une petite désobéissante, que l’oiseau est un vautour ; que vous lui avez laissé emporter mon beau poulet, qui est tué, dévoré par ce méchant oiseau, et que vous allez rentrer dans votre chambre, où vous dînerez, et où vous resterez jusqu’à ce soir, pour vous apprendre à être plus obéissante une autre fois. »
Sophie baissa la tête et s’en alla tristement dans sa chambre ; elle dîna avec la soupe et le plat de viande que lui apporta sa bonne, qui l’aimait et qui pleurait de la voir pleurer. Sophie pleurait son pauvre poulet, qu’elle regretta bien longtemps.
VI. L’abeille
Sophie et son cousin Paul jouaient un jour dans leur chambre ; ils s’amusaient à attraper des mouches qui se promenaient sur les carreaux de la fenêtre ; à mesure qu’ils en attrapaient, ils les mettaient dans une petite boîte en papier que leur avait faite leur papa.
Quand ils en eurent attrapé beaucoup, Paul voulut voir ce qu’elles faisaient dans la boîte.
« Donne-moi la boîte, dit-il à Sophie qui la tenait ; nous allons regarder ce que font les mouches. »
Sophie la lui donna ; ils entr’ouvrirent avec beaucoup de précaution la petite porte de la boîte. Paul mit son œil contre l’ouverture et s’écria :
« Ah ! que c’est drôle ! comme elles remuent ! elles se battent ; en voilà une qui arrache une patte à son amie… les autres sont en colère… Oh ! comme elles se battent ! en voilà quelques-unes qui tombent ! les voilà qui se relèvent…
– Laisse-moi regarder à mon tour, Paul », dit Sophie.
Paul ne répondit pas et continua à regarder et à raconter ce qu’il voyait.
Sophie s’impatientait ; elle prit un coin de la boîte et tira tout doucement ; Paul tira de son côté ; Sophie se fâcha et tira un peu plus fort ; Paul tira plus fort encore ; Sophie donna une telle secousse à la boîte, qu’elle la déchira. Toutes les mouches s’élancèrent dehors et se posèrent sur les yeux, sur les joues, sur le nez de Paul et de Sophie, qui les chassaient en se donnant de grandes tapes.
« C’est ta faute, disait Sophie à Paul ; si tu avais été plus complaisant, tu m’aurais donné la boîte et nous ne l’aurions pas déchirée.
– Non, c’est ta faute, répondait Paul ; si tu avais été moins impatiente, tu aurais attendu la boîte et nous l’aurions encore. »
Sophie. – Tu es égoïste, tu ne penses qu’à toi.
Paul. – Et toi, tu es colère comme les dindons de la ferme.
Sophie. – Je ne suis pas colère du tout, monsieur ; seulement je trouve que vous êtes méchant.
Paul. – Je ne suis pas méchant, mademoiselle ; seulement je vous dis la vérité, et c’est pourquoi vous êtes rouge de colère comme les dindons avec leurs crêtes rouges.
Sophie. – Je ne veux plus jouer avec un méchant garçon comme vous, monsieur.
Paul. – Moi non plus, je ne veux pas jouer avec une méchante fille comme vous, mademoiselle.
Et tous deux allèrent bouder chacun dans son coin. Sophie s’ennuya bien vite, mais elle voulut faire croire à Paul qu’elle s’amusait beaucoup ; elle se mit donc à chanter et à attraper encore des mouches ; mais il n’y en avait plus beaucoup, et celles qui restaient ne se laissaient pas prendre. Tout à coup elle aperçoit avec joie une grosse abeille qui se tenait bien tranquille dans un petit coin de la fenêtre. Sophie savait que les abeilles piquent ; aussi ne chercha-t-elle pas à la prendre avec ses doigts ; elle tira son mouchoir de sa poche, le posa sur l’abeille et la saisit avant que la pauvre bête eût eu le temps de se sauver.
Paul, qui s’ennuyait de son côté, regardait Sophie et la vit prendre l’abeille.
« Que vas-tu faire de cette bête ? » lui demanda-t-il.
Sophie, avec rudesse. – Laisse-moi tranquille, méchant, cela ne te regarde pas.
Paul, avec ironie. – Pardon, mademoiselle la furieuse, je vous demande bien pardon de vous avoir parlé et d’avoir oublié que vous étiez mal élevée et impertinente.
Sophie, faisant une révérence moqueuse. – Je dirai à maman, monsieur, que vous me trouvez mal élevée ; comme c’est elle qui m’élève, elle sera bien contente de le savoir.
Paul, avec inquiétude. – Non, Sophie, ne lui dis pas : on me gronderait.
Sophie. – Oui, je le lui dirai ; si l’on te gronde, tant mieux ; j’en serai bien contente.
Paul. – Méchante, va ! je ne veux plus te dire un mot.
Et Paul retourna sa chaise pour ne pas voir Sophie, qui était enchantée d’avoir fait peur à Paul et qui recommença à s’occuper de son abeille. Elle leva tout doucement un petit coin du mouchoir, serra un peu l’abeille entre ses doigts à travers le mouchoir, pour l’empêcher de s’envoler, et tira de sa poche son petit couteau.
« Je vais lui couper la tête, se dit-elle, pour la punir de toutes les piqûres qu’elle a faites. »
En effet, Sophie posa l’abeille par terre en la tenant toujours à travers le mouchoir, et d’un coup de couteau elle lui coupa la tête ; puis, comme elle trouva que c’était très amusant, elle continua de la couper en morceaux.
Elle était si occupée de l’abeille, qu’elle n’entendit pas entrer sa maman, qui, la voyant à genoux et presque immobile, s’approcha tout doucement pour voir ce qu’elle faisait ; elle la vit coupant la dernière patte de la pauvre abeille.
Indignée de la cruauté de Sophie, Mme de Réan lui tira fortement l’oreille.
Sophie poussa un cri, se releva d’un bond et resta tremblante devant sa maman.
« Vous êtes une méchante fille, mademoiselle, vous faites souffrir cette bête malgré ce que je vous ai dit quand vous avez salé et coupé mes pauvres petits poissons… »
Sophie. – J’ai oublié, maman, je vous assure.
Madame de Réan. – Je vous en ferai souvenir, mademoiselle, d’abord en vous ôtant votre couteau, que je ne vous rendrai que dans un an, et puis en vous obligeant de porter à votre cou ces morceaux de l’abeille enfilés dans un ruban, jusqu’à ce qu’ils tombent en poussière.
Sophie eut beau prier, supplier sa maman de ne pas lui faire porter l’abeille en collier, la maman appela la bonne, se fit apporter un ruban noir, enfila les morceaux de l’abeille et les attacha au cou de Sophie. Paul n’osait rien dire ; il était consterné ; quand Sophie resta seule, sanglotant et honteuse de son collier, Paul chercha à la consoler par tous les moyens possibles ; il l’embrassait, lui demandait pardon de lui avoir dit des sottises, et voulait lui faire croire que les couleurs jaune, orange, bleue et noire de l’abeille faisaient un très joli effet et ressemblaient à un collier de jais et de pierreries. Sophie le remercia de sa bonté ; elle fut un peu consolée par l’amitié de son cousin ; mais elle resta très chagrine de son collier. Pendant une semaine, les morceaux de l’abeille restèrent entiers ; mais enfin, un beau jour, Paul, en jouant avec elle, les écrasa si bien qu’il ne resta plus que le ruban. Il courut en prévenir sa tante, qui lui permit d’ôter le cordon noir. Ce fut ainsi que Sophie en fut débarrassée, et depuis elle ne fit jamais souffrir aucun animal.
VII. Les cheveux mouillés
Sophie était coquette ; elle aimait à être bien mise et à être trouvée jolie. Et pourtant elle n’était pas jolie ; elle avait une bonne grosse figure bien fraîche, bien gaie, avec de très beaux yeux gris, un nez en l’air et un peu gros, une bouche grande et toujours prête à rire, des cheveux blonds, pas frisés, et coupés courts comme ceux d’un garçon. Elle aimait à être bien mise et elle était toujours très mal habillée : une simple robe en percale blanche, décolletée et à manches courtes, hiver comme été, des bas un peu gros et des souliers de peau noire. Jamais de chapeau ni de gants. Sa maman pensait qu’il était bon de l’habituer au soleil, à la pluie, au vent, au froid.
Ce que Sophie désirait beaucoup, c’était d’avoir les cheveux frisés. Elle avait un jour entendu admirer les jolis cheveux blonds frisés d’une de ses petites amies, Camille de Fleurville, et depuis elle avait toujours tâché de faire friser les siens. Entre autres inventions, voici ce qu’elle imagina de plus malheureux.
Un après-midi il pleuvait très fort et il faisait très chaud, de sorte que les fenêtres et la porte du perron étaient restées ouvertes. Sophie était à la porte ; sa maman lui avait défendu de sortir ; de temps en temps elle allongeait le bras pour recevoir la pluie ; puis elle allongea un peu le cou pour en recevoir quelques gouttes sur la tête. En passant sa tête ainsi en dehors, elle vit que la gouttière débordait et qu’il en tombait un grand jet d’eau de pluie. Elle se souvint en même temps que les cheveux de Camille frisaient mieux quand ils étaient mouillés.
« Si je mouillais les miens, dit-elle, ils friseraient peut-être ! »
Et voilà Sophie qui sort malgré la pluie, qui met sa tête sous la gouttière, et qui reçoit, à sa grande joie, toute l’eau sur la tête, sur le cou, sur les bras, sur le dos. Lorsqu’elle fut bien mouillée, elle rentra au salon et se mit à essuyer sa tête avec son mouchoir, en ayant soin de rebrousser ses cheveux pour les faire friser. Son mouchoir fut trempé en une minute ; Sophie voulut courir dans sa chambre pour en demander un autre à sa bonne, lorsqu’elle se trouva nez à nez avec sa maman. Sophie, toute mouillée, les cheveux hérissés, l’air effaré, resta immobile et tremblante. La maman, étonnée d’abord, lui trouva une figure si ridicule qu’elle éclata de rire.
« Voilà une belle idée que vous avez eue, mademoiselle ! lui dit-elle. Si vous voyiez la figure que vous avez, vous ririez de vous-même comme je le fais maintenant. Je vous avais défendu de sortir ; vous avez désobéi comme d’habitude ; pour votre punition vous allez rester à dîner comme vous êtes, les cheveux en l’air, la robe trempée, afin que votre papa et votre cousin Paul voient vos belles inventions. Voici un mouchoir pour achever de vous essuyer la figure, le cou et les bras. »
Au moment où Mme de Réan finissait de parler, Paul entra avec M. de Réan ; tous deux s’arrêtèrent stupéfaits devant la pauvre Sophie, rouge, honteuse, désolée et ridicule ; et tous deux éclatèrent de rire. Plus Sophie rougissait et baissait la tête, plus elle prenait un air embarrassé et malheureux, et plus ses cheveux ébouriffés et ses vêtements mouillés lui donnaient un air risible. Enfin M. de Réan demanda ce que signifiait cette mascarade et si Sophie allait dîner en mardi gras de carnaval.
Madame de Réan. – C’est sans doute une invention pour faire friser ses cheveux ; elle veut absolument qu’ils frisent comme ceux de Camille, qui mouille les siens pour les faire friser ; Sophie a pensé qu’il en serait de même pour elle.
M. de Réan. – Ce que c’est que d’être coquette ! On veut se rendre jolie et l’on se rend affreuse.
Paul. – Ma pauvre Sophie, va vite te sécher, te peigner et te changer. Si tu savais comme tu es drôle, tu ne voudrais pas rester deux minutes comme tu es.
Madame de Réan. – Non, elle va dîner avec sa belle coiffure en l’air et avec sa robe pleine de sable et d’eau…
Paul, interrompant et avec compassion. – Oh ! ma tante, je vous en prie, pardonnez-lui, et permettez-lui d’aller se peigner et changer de robe. Pauvre Sophie, elle a l’air si malheureux !
M. de Réan. – Je fais comme Paul, chère amie, et je demande grâce pour cette fois. Si elle recommence, ce sera différent.
Sophie, pleurant. – Je vous assure, papa, que je ne recommencerai pas.
Madame de Réan. – Pour faire plaisir à votre papa, mademoiselle, je vous permets d’aller dans votre chambre et de vous déshabiller ; mais vous ne dînerez pas avec nous ; vous ne viendrez au salon que lorsque nous serons sortis de table.
Paul. – Oh ! ma tante, permettez-lui…
Madame de Réan. – Non, Paul, ne me demande plus rien ; ce sera comme je l’ai dit. (À Sophie.) Allez, mademoiselle.
Sophie dîna dans sa chambre, après avoir été peignée et habillée. Paul vint la chercher après dîner et l’emmena jouer dans un salon où étaient les joujoux. Depuis ce jour Sophie n’essaya plus de se mettre à la pluie pour faire friser ses cheveux.
VIII. Les sourcils coupés
Une autre chose que Sophie désirait beaucoup, c’était d’avoir des sourcils très épais. On avait dit un jour devant elle que la petite Louise de Berg serait jolie si elle avait des sourcils. Sophie en avait peu et ils étaient blonds, de sorte qu’on ne les voyait pas beaucoup. Elle avait entendu dire aussi que, pour faire épaissir et grandir les cheveux, il fallait les couper souvent.
Sophie se regarda un jour à la glace, et trouva que ses sourcils étaient trop maigres.
« Puisque, dit-elle, les cheveux deviennent plus épais quand on les coupe, les sourcils, qui sont de petits cheveux, doivent faire de même. Je vais donc les couper pour qu’ils repoussent très épais. »
Et voilà Sophie qui prend des ciseaux et qui coupe ses sourcils aussi court que possible. Elle se regarde dans la glace, trouve que cela lui fait une figure toute drôle, et n’ose pas rentrer au salon.
« J’attendrai, dit-elle, que le dîner soit servi ; on ne pensera pas à me regarder pendant qu’on se mettra à table. »
Mais sa maman, ne la voyant pas venir, envoya le cousin Paul pour la chercher.
« Sophie, Sophie, es-tu là ? s’écria Paul en entrant. Que fais-tu ? viens dîner.
– Oui, oui, j’y vais », répondit Sophie en marchant à reculons, pour que Paul ne vît pas ses sourcils coupés.
Sophie pousse la porte et entre.
À peine a-t-elle mis les pieds dans le salon, que tout le monde la regarde et éclate de rire.
« Quelle figure ! dit M. de Réan.
Elle a coupé ses sourcils, dit Mme de Réan.
Qu’elle est drôle ! qu’elle est drôle ! dit Paul.
C’est étonnant comme ses sourcils coupés la changent, dit M. d’Aubert, le papa de Paul.
Je n’ai jamais vu une plus singulière figure », dit Mme d’Aubert.
Sophie restait les bras pendants, la tête baissée, ne sachant où se cacher. Aussi fut-elle presque contente quand sa maman lui dit :
« Allez-vous-en dans votre chambre, mademoiselle, vous ne faites que des sottises. Sortez, et que je ne vous voie plus de la soirée. »
Sophie s’en alla ; sa bonne se mit à rire à son tour quand elle vit cette grosse figure toute rouge et sans sourcils. Sophie eut beau se fâcher, toutes les personnes qui la voyaient riaient aux éclats et lui conseillaient de dessiner avec du charbon la place de ses sourcils. Un jour Paul lui apporta un tout petit paquet bien ficelé, bien cacheté.
« Voici, Sophie, un présent que t’envoie papa, dit Paul d’un petit air malicieux.
– Qu’est-ce que c’est ? » dit Sophie, en prenant le paquet avec empressement.
Le paquet fut ouvert : il contenait deux énormes sourcils bien noirs, bien épais. « C’est pour que tu les colles à la place où il n’y en a plus », dit Paul. Sophie rougit, se fâcha et les jeta au nez de Paul, qui s’enfuit en riant.
Ses sourcils furent plus de six mois à repousser, et ils ne revinrent jamais aussi épais que le désirait Sophie ; aussi, depuis ce temps, Sophie ne chercha plus à se faire de beaux sourcils.