Kitabı oku: «Les malheurs de Sophie», sayfa 3
IX. Le pain des chevaux
Sophie était gourmande. Sa maman savait que trop manger est mauvais pour la santé ; aussi défendait-elle à Sophie de manger entre ses repas : mais Sophie, qui avait faim, mangeait tout ce qu’elle pouvait attraper.
Mme de Réan allait tous les jours après déjeuner, vers deux heures, donner du pain et du sel aux chevaux de M. de Réan ; il en avait plus de cent.
Sophie suivait sa maman avec un panier plein de morceaux de pain bis, et lui en présentait un dans chaque stalle où elle entrait ; mais sa maman lui défendait sévèrement d’en manger, parce que ce pain noir et mal cuit lui ferait mal à l’estomac.
Elle finissait par l’écurie des poneys. Sophie avait un poney à elle, que lui avait donné son papa : c’était un tout petit cheval noir, pas plus grand qu’un petit âne ; on lui permettait de donner elle-même du pain à son poney. Souvent elle mordait dedans avant de le lui présenter.
Un jour qu’elle avait plus envie de ce pain bis que de coutume, elle prit le morceau dans ses doigts, de manière à n’en laisser passer qu’un petit bout.
« Le poney mordra ce qui dépasse de mes doigts, dit-elle, et je mangerai le reste. »
Elle présenta le pain à son petit cheval, qui saisit le morceau et en même temps le bout du doigt de Sophie, qu’il mordit violemment. Sophie n’osa pas crier, mais la douleur lui fit lâcher le pain, qui tomba à terre : le cheval laissa alors le doigt pour manger le pain.
Le doigt de Sophie saignait si fort, que le sang coulait à terre. Elle tira son mouchoir et s’enveloppa le doigt bien serré, ce qui arrêta le sang, mais pas avant que le mouchoir eût été trempé. Sophie cacha sa main enveloppée sous son tablier, et la maman ne vit rien.
Mais, quand on se mit à table pour dîner, il fallut bien que Sophie montrât sa main, qui n’était pas encore assez guérie pour que le sang fût tout à fait arrêté. Il arriva donc qu’en prenant sa cuiller, son verre, son pain, elle tachait la nappe. Sa maman s’en aperçut.
« Qu’as-tu donc aux mains, Sophie ? dit-elle ; la nappe est remplie de taches de sang autour de ton assiette. »
Sophie ne répondit rien.
Madame de Réan. – N’entends-tu pas ce que je te demande ? D’où vient le sang qui tache la nappe ?
Sophie. – Maman… c’est… c’est… de mon doigt.
Madame de Réan. – Qu’as-tu au doigt ? Depuis quand y as-tu mal ?
Sophie. – Depuis ce matin, maman. C’est mon poney qui m’a mordue.
Madame de Réan. – Comment ce poney, qui est doux comme un agneau, a-t-il pu te mordre ?
Sophie. – C’est en lui donnant du pain, maman.
Madame de Réan. – Tu n’as donc pas mis le pain dans ta main toute grande ouverte, comme je te l’ai tant de fois recommandé ?
Sophie. – Non, maman ; je tenais le pain dans mes doigts.
Madame de Réan. – Puisque tu es si sotte, tu ne donneras plus de pain à ton cheval.
Sophie se garda bien de répondre ; elle pensa qu’elle aurait toujours le panier dans lequel on mettait le pain pour les chevaux, et qu’elle en prendrait par-ci par-là un morceau.
Le lendemain donc, elle suivait sa maman dans les écuries, et, tout en lui présentant les morceaux de pain, elle en prit un, qu’elle cacha dans sa poche et qu’elle mangea pendant que sa maman ne la regardait pas.
Quand on arriva au dernier cheval, il n’y avait plus rien à lui donner. Le palefrenier assura qu’il avait mis dans le panier autant de morceaux qu’il y avait de chevaux. La maman lui fit voir qu’il en manquait un. Tout en parlant, elle regarda Sophie, qui, la bouche pleine, se dépêchait d’avaler la dernière bouchée du morceau qu’elle avait pris. Mais elle eut beau se dépêcher et avaler son pain sans même se donner le temps de le mâcher, la maman vit bien qu’elle mangeait et que c’était tout juste le morceau qui manquait ; le cheval attendait son pain et témoignait son impatience en grattant la terre du pied et en hennissant.
« Petite gourmande, dit Mme de Réan, pendant que je ne vous regarde pas, vous volez le pain de mes pauvres chevaux et vous me désobéissez, car vous savez combien de fois je vous ai défendu d’en manger. Allez dans votre chambre, mademoiselle ; vous ne viendrez plus avec moi donner à manger aux chevaux, et je ne vous enverrai pour votre dîner que du pain et de la soupe au pain, puisque vous l’aimez tant. »
Sophie baissa tristement la tête et alla à pas lents à la maison et dans sa chambre.
« Hé bien ! hé bien ! lui dit sa bonne, vous voilà encore avec un visage triste ? Êtes-vous encore en pénitence ? Quelle nouvelle sottise avez-vous faite ?
– J’ai seulement mangé le pain des chevaux, répondit Sophie en pleurant ; je l’aime tant ! Le panier était si plein que je croyais que maman ne s’en apercevrait pas. Je n’aurai que de la soupe et du pain sec à dîner », ajouta-t-elle en pleurant plus fort.
La bonne la regarda avec pitié et soupira. Elle gâtait Sophie ; elle trouvait que sa maman était quelquefois trop sévère, et elle cherchait à la consoler et à rendre ses punitions moins dures. Aussi, quand un domestique apporta la soupe, le morceau de pain et le verre d’eau qui devaient faire le dîner de Sophie, elle les prit avec humeur, les posa sur une table et alla ouvrir une armoire, d’où elle tira un gros morceau de fromage et un pot de confitures ; puis elle dit à Sophie :
« Tenez, mangez d’abord le fromage avec votre pain, puis les confitures. » Et, voyant que Sophie hésitait, elle ajouta : « Votre maman ne vous envoie que du pain, mais elle ne m’a pas défendu de mettre quelque chose dessus. »
Sophie. – Mais, quand maman me demandera si on m’a donné quelque autre chose avec mon pain, il faudra bien le dire, et alors…
La Bonne. – Alors, alors vous direz que je vous ai donné du fromage et des confitures, que je vous ai ordonné d’en manger, et je me charge de lui expliquer que je n’ai pas voulu vous laisser manger votre pain sec, parce que cela ne vaut rien pour l’estomac, et qu’on donne aux prisonniers même autre chose que du pain.
La bonne faisait très mal en conseillant à Sophie de manger en cachette ce que sa maman lui défendait ; mais Sophie, qui était bien jeune et qui avait envie du fromage qu’elle aimait beaucoup et des confitures qu’elle aimait plus encore, obéit avec plaisir et fit un excellent dîner ; sa bonne ajouta un peu de vin à son eau, et, pour remplacer le dessert, lui donna un verre d’eau et de vin sucré, dans lequel Sophie trempa ce qui lui restait de pain.
« Savez-vous ce qu’il faudra faire une autre fois, quand vous serez punie ou que vous aurez envie de manger ? Venez me le dire ; je trouverai bien quelque chose de bon à vous donner, et qui vaudra mieux que ce mauvais pain noir des chevaux et des chiens. »
Sophie promit à sa bonne qu’elle n’oublierait pas sa recommandation chaque fois qu’elle aurait envie de quelque chose de bon.
X. La crème et le pain chaud
Sophie était gourmande, nous l’avons déjà dit ; elle n’oublia donc pas ce que sa bonne lui avait recommandé, et, un jour qu’elle avait peu déjeuné, parce qu’elle avait su que la fermière devait apporter quelque chose de bon à sa bonne, elle lui dit qu’elle avait faim.
« Ah bien ! répondit la bonne, cela se trouve à merveille : la fermière vient de me faire cadeau d’un grand pot de crème et d’un pain bis tout frais. Je vais vous en faire manger ; vous verrez comme c’est bon ! »
Et elle apporta sur la table un pain tout chaud et un grand vase plein d’une crème épaisse excellente. Sophie se jeta dessus comme une affamée. Au moment même où la bonne lui disait de ne pas trop en manger, elle entendit la voix de la maman qui appelait : « Lucie ! Lucie ! » (C’était le nom de la bonne.)
Lucie courut tout de suite chez Mme de Réan pour savoir ce qu’elle désirait ; c’était pour lui dire de préparer et de commencer un ouvrage pour Sophie.
« Elle aura bientôt quatre ans, dit Mme de Réan, il est temps qu’elle apprenne à travailler. »
La Bonne. – Mais quel ouvrage madame veut-elle que fasse une enfant si jeune ?
Madame de Réan. – Préparez-lui une serviette à ourler, ou un mouchoir.
La bonne ne répondit rien, et sortit du salon d’assez mauvaise humeur.
En entrant chez elle, elle vit Sophie qui mangeait encore. Le pot de crème était presque vide et il manquait un énorme morceau de pain.
« Ah ! mon Dieu ! s’écria-t-elle tout en préparant un ourlet pour Sophie, vous allez vous rendre malade ! Est-il possible que vous ayez avalé tout cela ? Que dira votre maman, si elle vous voit souffrante ? Vous allez me faire gronder ! »
Sophie. – Soyez tranquille, ma bonne ! j’avais très grand’faim, et je ne serai pas malade. C’est si bon, la crème et le pain tout chaud !
La Bonne. – Oui, mais c’est bien lourd à l’estomac. Dieu ! quel énorme morceau de pain vous avez mangé ! J’ai peur, très peur que vous soyez malade.
Sophie, l’embrassant. – Non, ma chère Lucie, soyez tranquille, je vous assure que je me porte très bien.
La bonne lui donna un petit mouchoir à ourler et lui dit de le porter à sa maman, qui voulait la faire travailler.
Sophie courut au salon où l’attendait sa maman, et lui présenta le mouchoir. La maman montra à Sophie comment il fallait piquer et tirer l’aiguille ; ce fut très mal fait pour commencer ; mais, après quelques points, elle fit assez bien et trouva que c’était très amusant de travailler.
« Voulez-vous me permettre, maman, dit-elle, de montrer mon ouvrage à ma bonne ?
– Oui, tu peux y aller, et ensuite tu reviendras ranger toutes tes affaires et jouer dans ma chambre. »
Sophie courut chez sa bonne, qui fut fort étonnée de voir l’ourlet presque fini et si bien fait. Elle lui demanda avec inquiétude si elle n’avait pas mal à l’estomac.
« Non, ma bonne, pas du tout, dit Sophie ; seulement je n’ai pas faim.
– Je le crois bien, après tout ce que vous avez mangé. Mais retournez vite près de votre maman, de crainte qu’elle ne vous gronde. »
Sophie retourna au salon, rangea toutes ses affaires et se mit à jouer. Tout en jouant, elle se sentit mal à l’aise, la crème et le pain chaud lui pesaient sur l’estomac ; elle avait mal à la tête ; elle s’assit sur sa petite chaise et resta sans bouger et les yeux fermés.
La maman, n’entendant plus de bruit, se retourna et vit Sophie pâle et l’air souffrant.
« Qu’as-tu, Sophie ? dit-elle avec inquiétude ; es-tu malade ?
– Je suis souffrante, maman, répondit-elle ; j’ai mal à la tête.
Depuis quand donc ?
Depuis que j’ai fini de ranger mon ouvrage.
As-tu mangé quelque chose ? »
Sophie hésita et répondit bien bas :
« Non, maman, rien du tout.
– Je vois que tu mens ; je vais aller le demander à ta bonne, qui me le dira. »
La maman sortit et resta quelques minutes absente. Quand elle revint, elle avait l’air très fâché.
« Vous avez menti, mademoiselle ; votre bonne m’a avoué qu’elle vous avait donné du pain chaud et de la crème, et que vous en aviez mangé comme une gloutonne. Tant pis pour vous, parce que vous allez être malade et que vous ne pourrez pas venir dîner demain chez votre tante d’Aubert, avec votre cousin Paul. Vous y auriez vu Camille et Madeleine de Fleurville ; mais, au lieu de vous amuser, de courir dans les bois pour chercher des fraises, vous resterez toute seule à la maison et vous ne mangerez que de la soupe. »
Mme de Réan prit la main de Sophie, la trouva brûlante et l’emmena pour la faire coucher.
« Je vous défends, dit-elle à la bonne, de rien donner à manger à Sophie jusqu’à demain ; faites-lui boire de l’eau ou de la tisane de feuilles d’oranger, et, si jamais vous recommencez ce que vous avez fait ce matin, je vous renverrai immédiatement. »
La bonne se sentait coupable ; elle ne répondit pas. Sophie, qui était réellement malade, se laissa mettre dans son lit sans rien dire. Elle passa une mauvaise nuit, très agitée ; elle souffrait de la tête et de l’estomac ; vers le matin elle s’endormit. Quand elle se réveilla, elle avait encore un peu mal à la tête, mais le grand air lui fit du bien. La journée se passa tristement pour elle à regretter le dîner de sa tante.
Pendant deux jours encore, elle fut souffrante. Depuis ce temps elle prit en tel dégoût la crème et le pain chaud, qu’elle n’en mangea jamais.
Elle allait quelquefois avec son cousin et ses amies chez les fermières du voisinage ; tout le monde autour d’elle mangeait avec délices de la crème et du pain bis, Sophie seule ne mangeait rien ; la vue de cette bonne crème épaisse et mousseuse et de ce pain de ferme lui rappelait ce qu’elle avait souffert pour en avoir trop mangé, et lui donnait mal au cœur. Depuis ce temps aussi elle n’écouta plus les conseils de sa bonne, qui ne resta pas longtemps dans la maison. Mme de Réan, n’ayant plus confiance en elle, en prit une autre, qui était très bonne, mais qui ne permettait jamais à Sophie de faire ce que sa maman lui défendait.
XI. L’écureuil
Un jour Sophie se promenait avec son cousin Paul dans le petit bois de chênes qui était tout près du château ; ils cherchaient tous deux des glands pour en faire des paniers, des sabots, des bateaux. Tout à coup Sophie sentit un gland qui lui tombait sur le dos ; pendant qu’elle se baissait pour le ramasser, un autre gland vint lui tomber sur le bout de l’oreille.
« Paul, Paul, dit-elle, viens donc voir ces glands qui sont tombés sur moi : ils sont rongés. Qui est-ce qui a pu les ronger là-haut ? les souris ne grimpent pas aux arbres, et les oiseaux ne mangent pas de glands. »
Paul prit les glands, les regarda ; puis il leva la tête et s’écria :
« C’est un écureuil ; je le vois ; il est tout en haut sur une branche ; il nous regarde comme s’il se moquait de nous. »
Sophie regarda en l’air et vit un joli petit écureuil, avec une superbe queue relevée en panache. Il se nettoyait la figure avec ses petites pattes de devant ; de temps en temps il regardait Sophie et Paul, faisait une gambade et sautait sur une autre branche.
« Que je voudrais avoir cet écureuil ! dit Sophie. Comme il est gentil et comme je m’amuserais à jouer avec lui, à le mener promener, à le soigner. »
Paul. – Ce ne serait pas difficile de l’attraper : mais les écureuils sentent mauvais dans une chambre, et puis ils rongent tout.
Sophie. – Oh ! je l’empêcherais bien de ronger, parce que j’enfermerais toutes mes affaires ; et il ne sentirait pas mauvais, parce que je nettoierais sa cage deux fois par jour. Mais comment ferais-tu pour le prendre ?
Paul. – J’aurais une cage un peu grande ; je mettrais dedans des noix, des noisettes, des amandes, tout ce que les écureuils aiment le mieux, j’apporterais la cage près de ce chêne ; je laisserais la porte ouverte ; j’y attacherais une ficelle ; je me cacherais tout près de l’arbre, et, quand l’écureuil entrerait dans la cage pour manger, je tirerais la ficelle pour fermer la porte, et l’écureuil serait pris.
Sophie. – Mais l’écureuil ne voudra peut-être pas entrer dans la cage ; cela lui fera peur.
Paul. – Oh ! il n’y a pas de danger : les écureuils sont gourmands, il ne résistera pas aux amandes et aux noix.
Sophie. – Attrape-le-moi, je t’en prie, mon cher Paul ; je serai si contente !
Paul. – Mais ta maman, que dira-t-elle ? elle ne voudra peut-être pas.
Sophie. – Elle le voudra ; nous le lui demanderons tant et tant, tous les deux, qu’elle consentira.
Les deux enfants coururent à la maison ; Paul se chargea d’expliquer l’affaire à Mme de Réan, qui refusa d’abord, mais qui finit par consentir en disant à Sophie :
« Je te préviens que ton écureuil t’ennuiera bientôt : il grimpera partout ; il rongera tes livres, tes joujoux ; il sentira mauvais, il sera insupportable. »
Sophie. – Oh non ! maman ; je vous promets de le si bien garder, qu’il ne gâtera rien.
Madame de Réan. – Je ne veux pas de ton écureuil au salon ni dans ma chambre, d’abord ; tu le garderas toujours dans la tienne.
Sophie. – Oui, maman, il restera chez moi, excepté quand je le mènerai promener.
Sophie et Paul coururent tout joyeux chercher une cage ; ils en trouvèrent une au grenier, qui avait servi jadis à un écureuil. Ils l’emportèrent, la nettoyèrent avec l’aide de la bonne, et mirent dedans des amandes fraîches, des noix et des noisettes.
Sophie. – À présent, allons vite porter la cage sous le chêne. Pourvu que l’écureuil y soit encore !
Paul. – Attends que j’attache une ficelle à la porte. Il faut que je la passe dans les barreaux, pour que la porte se ferme quand je tirerai.
Sophie. – J’ai peur que l’écureuil ne soit parti.
Paul. – Non ; il va rester là ou tout auprès jusqu’à la nuit. Là, … c’est fini ; tire la ficelle, pour voir si c’est bien.
Sophie tira, la porte se referma tout de suite. Les enfants, enchantés, allèrent porter la cage dans le petit bois ; arrivés près du chêne, ils regardèrent si l’écureuil y était ; ils ne virent rien ; ni les feuilles ni les branches ne remuaient. Les enfants, désolés, allaient chercher sous d’autres chênes, lorsque Sophie reçut sur le front un gland rongé comme ceux du matin.
« Il y est, il y est ! s’écria-t-elle. Le voilà ; je vois le bout de sa queue qui sort derrière cette branche touffue. »
En effet, l’écureuil, entendant parler, avança sa petite tête pour voir ce qui se passait.
« C’est bien, mon cher ami, dit Paul. Te voilà : tu seras bientôt en prison. Tiens, voilà des provisions que nous t’apportons ; sois gourmand, mon ami, sois gourmand ; tu verras comme on est puni de la gourmandise. »
Le pauvre écureuil, qui ne s’attendait pas à devenir un malheureux prisonnier, regardait d’un air moqueur, en faisant aller sa tête de droite et de gauche. Il vit la cage que Paul posait à terre, et jeta un œil d’envie sur les amandes et les noix. Quand les enfants se furent cachés derrière le tronc du chêne, il descendit deux ou trois branches, s’arrêta, regarda de tous côtés, descendit encore un peu, et continua ainsi à descendre petit à petit, jusqu’à ce qu’il fût sur la cage. Il passa une patte à travers les barreaux, puis l’autre ; mais, comme il ne pouvait rien attraper et que les amandes lui paraissaient de plus en plus appétissantes, il chercha le moyen d’entrer dans la cage, et il ne fut pas longtemps à trouver la porte ; il s’arrêta à l’entrée, regarda la ficelle d’un air méfiant, allongea encore une patte pour atteindre les amandes ou les noix : mais, ne pouvant y parvenir, il se hasarda enfin à entrer dans la cage. À peine y fut-il, que les enfants, qui regardaient du coin de l’œil et qui avaient suivi avec un battement de cœur les mouvements de l’écureuil, tirèrent la ficelle, et l’écureuil fut pris. La frayeur lui fit jeter l’amande qu’il commençait à grignoter, et il se mit à tourner autour de la cage pour s’échapper. Hélas ! le pauvre petit animal devait payer cher sa gourmandise et rester prisonnier ! Les enfants se précipitèrent sur la cage ; Paul ferma soigneusement la porte et emporta la cage dans la chambre de Sophie. Elle courait en avant et appela sa bonne d’un air triomphant pour lui faire voir son nouvel ami.
La bonne ne fut pas contente de ce petit élève.
« Que ferons-nous de cet animal ? dit-elle. Il va nous mordre et nous faire un bruit insupportable. Quelle idée avez-vous eue, Sophie, de nous embarrasser de cette vilaine bête. »
Sophie. – D’abord, ma bonne, elle n’est pas vilaine : l’écureuil est une très jolie bête. Ensuite il ne fera pas de bruit du tout et il ne nous mordra pas. C’est moi qui le soignerai.
La Bonne. – En vérité, je plains le pauvre animal ; vous le laisserez bientôt mourir de faim.
Sophie, avec indignation. – Mourir de faim ! certainement non ; je lui donnerai des noisettes, des amandes, du pain, du sucre, du vin.
La Bonne, d’un air moqueur. – Voilà un écureuil qui sera bien nourri ! Le sucre lui gâtera les dents, et le vin l’enivrera.
Paul, riant. – Ha ! ha ! ha ! un écureuil ivre ! ce sera bien drôle.
Sophie. – Pas du tout, monsieur ; mon écureuil ne sera pas ivre. Il sera très raisonnable.
La Bonne. – Nous verrons cela. Je vais d’abord lui apporter du foin, pour qu’il puisse se coucher. Il a l’air tout effaré : je ne crois pas qu’il soit content de s’être laissé prendre.
Sophie. – Je vais le caresser pour l’habituer à moi et pour lui faire voir qu’on ne lui fera pas de mal.
Sophie passa sa main dans la cage : l’écureuil, effrayé, se sauva dans un coin. Sophie allongea la main pour le saisir : au moment où elle allait le prendre, l’écureuil lui mordit le doigt. Sophie se mit à crier et retira promptement sa main pleine de sang. La porte restant ouverte, l’écureuil se précipita hors de sa cage et se mit à courir dans la chambre. La bonne et Paul coururent après ; mais, quand ils croyaient l’avoir attrapé, l’écureuil faisait un saut, s’échappait, et continuait à galoper dans la chambre ; Sophie, oubliant son doigt qui saignait, voulut les aider. Ils continuèrent leur chasse pendant une demi-heure ; l’écureuil commençait à être fatigué et il allait être pris, lorsqu’il aperçut la fenêtre qui était restée ouverte : aussitôt il s’élança dessus, grimpa le long du mur en dehors de la fenêtre, et se trouva sur le toit.
Sophie, Paul et la bonne descendirent au jardin en courant ; levant la tête, ils aperçurent l’écureuil perché sur le toit, à moitié mort de fatigue et de peur.
« Que faire, ma bonne, que faire ? s’écria Sophie.
– Il faut le laisser, dit la bonne. Vous voyez bien qu’il vous a déjà mordue. »
Sophie. – C’est parce qu’il ne me connaît pas encore, ma bonne ; mais, quand il verra que je lui donne à manger, il m’aimera.
Paul. – Je crois qu’il ne t’aimera jamais, parce qu’il est trop vieux pour s’habituer à rester enfermé. Il aurait fallu en avoir un tout jeune.
Sophie. – Oh ! Paul, jette-lui des balles, je t’en prie, pour le faire descendre. Nous le rattraperons et nous le renfermerons.
Paul. – Je veux bien, mais je ne crois pas qu’il veuille descendre.
Et voilà Paul qui va chercher un gros ballon et qui le lance si adroitement qu’il attrape l’écureuil à la tête. Le ballon descend en roulant, et après lui le pauvre écureuil ; tous deux tombent à terre ; le ballon bondit et rebondit, mais l’écureuil se brise en touchant à terre et reste mort, la tête ensanglantée, les reins et les pattes cassés. Sophie et Paul courent pour le ramasser et restent stupéfaits devant le pauvre animal mort.
« Méchant Paul, dit Sophie, tu as fait mourir mon écureuil. »
Paul. – C’est ta faute, pourquoi as-tu voulu que je le fisse descendre en lui lançant des balles ?
Sophie. – Il fallait seulement lui faire peur et non le tuer.
Paul. – Mais je n’ai pas voulu le tuer ; le ballon l’a attrapé, je ne croyais pas être si adroit.
Sophie. – Tu n’es pas adroit, tu es méchant. Va-t’en, je ne t’aime plus du tout.
Paul. – Et moi, je te déteste. Tu es plus sotte que l’écureuil. Je suis enchanté de t’avoir empêchée de le tourmenter.
Sophie. – Vous êtes un mauvais garçon, monsieur. Je ne jouerai jamais avec vous : je ne vous demanderai jamais rien.
Paul. – Tant mieux, mademoiselle : je ne serai que plus tranquille, et je n’aurai plus à me creuser la tête pour vous aider à faire des sottises.
La Bonne. – Voyons, mes enfants, au lieu de vous disputer, avouez que vous avez agi tous deux sans réflexion et que vous êtes tous deux coupables de la mort de l’écureuil. Pauvre bête ! il est plus heureux que s’il était resté vivant, car il ne souffre plus, du moins. Je vais appeler quelqu’un pour qu’on l’emporte et qu’on le jette dans quelque fossé, et vous, Sophie, montez dans votre chambre et trempez votre doigt dans l’eau ; je vais vous y rejoindre.
Sophie s’en alla suivie de Paul, qui était un bon petit garçon, sans rancune, de sorte qu’au lieu de bouder il aida Sophie à verser de l’eau dans une cuvette et à y tremper sa main. Quand la bonne monta, elle enveloppa le doigt de Sophie de quelques feuilles de laitue et d’un petit chiffon. Les enfants étaient un peu honteux, en rentrant au salon pour dîner, d’avoir à raconter la fin de leur aventure de l’écureuil.
Les papas et les mamans se moquèrent d’eux. La cage de l’écureuil fut reportée au grenier. Le doigt de Sophie lui fit mal encore pendant quelques jours, après lesquels elle ne pensa plus à l’écureuil que pour se dire qu’elle n’en aurait jamais.