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Kitabı oku: «Recherches nouvelles sur l'histoire ancienne, tome II», sayfa 14

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CHAPITRE XIX.
Résumé

MAINTENANT, si nous résumons ce long article des Babyloniens, nous trouverons pour principaux résultats:

1° Que Babylone n’eut de rois héréditaires et indépendants connus, que pendant environ 80 ans, ou 1 siècle au plus, c’est-à-dire depuis Nabopol-asar inclusivement, jusqu’à la conquête des Perses, sous Kyrus;

2° Qu’avant Nabopol-asar, remontant jusqu’à Bélésys-Mérodak, ses rois purent jouir, pendant un temps, de l’indépendance accordée à tous les sujets de Ninive renversée; mais qu’ensuite ils reconnurent la suzeraineté des Mèdes jusqu’au règne de Nabopol-asar;

3° Qu’avant Bélésys ses rois ne furent réellement que des pachas ou satrapes du grand roi, ou sultan de Ninive, maître de toute la Haute-Asie depuis Ninus et Sémiramis;

4° Que Sémiramis fut véritablement la fondatrice de la grande Babylone, par la création qu’elle fit des ouvrages de fortification et d’assainissement auxquels cette cité dut sa splendeur;

5° Qu’avant Sémiramis il existait en ce même lieu un temple de Bel ayant la forme d’une pyramide, que les traditions chaldéo-juives désignent sous le nom de tour de Babylon ou Babel, et les historiens grecs sous les noms divers de palais, de tombeau, de citadelle, de tour de Bel;

6° Que cette tour ou pyramide fut essentiellement un observatoire d’astronomie, le foyer antique et mystérieux des sciences de ces prêtres chaldéens dont les Grecs font remonter l’origine à des temps inconnus; ce qui s’accorde très-bien avec la date de 3195 ans avant J.-C., que les calculs phéniciens et juifs assignent à la fondation de cette tour;

7° Qu’un établissement de ce genre prouve l’existence d’un peuple civilisé tel que l’indique Ktésias à l’époque où Ninus subjugua la Babylonie;

8° Que ce peuple fut d’origine et de sang arabe, spécialement de la branche éthiopienne ou Kushite, ce qui lui donne des affinités particulières avec les nations phéniciennes;

9° Que ces affinités sont confirmées par le langage et par le système alphabétique appelés chaldaïques, dont on trouve l’usage chez les Chaldéens jusqu’à une époque très-reculée;

10° Que si maintenant les briques des murs de Babylone nous offrent une écriture d’un système différent, c’est parce que Sémiramis, qui bâtit ces murs, dut employer l’écriture du peuple vainqueur qu’elle commandait, c’est-à-dire les caractères assyriens que Darius fit graver sur le monument de sa guerre contre les Scythes; et si Darius employa ces caractères assyriens, c’est parce que ceux des Perses ses sujets étaient du même système, et que sans doute ils en avaient été empruntés pendant les 500 ans que les Perses furent gouvernés par les Assyriens de Sémiramis. Nous pourrions pousser plus loin nos inductions sur ces antiquités; mais nous aurons l’occasion de les reprendre dans l’article des Égyptiens, dont il nous reste à traiter.

CHRONOLOGIE

DES

ÉGYPTIENS.

CHAPITRE I

LA chronologie de l’ancienne Égypte se trouve juste au même degré d’obscurité où la prit et la laissa John Marsham en 1672219, avec cette différence, qu’à cette époque les passages des anciens auteurs, relatifs à ce sujet, étaient disséminés dans une foule de livres et de manuscrits, et que Marsham, en ayant rassemblé le plus grand nombre, en a rendu la discussion plus aisée. Si les sociétés savantes qui proposent des prix annuels eussent systématisé cette méthode et ordonné d’abord le tableau de tous les fragments relatifs au sujet proposé, elles eussent beaucoup hâté les progrès de la science. On aurait cru que la magnifique Collection des monuments égyptiens récemment publiée par la commission des savants français eût dû nous donner des renseignements nouveaux; mais cette Collection ne semble avoir ajouté que de nouveaux problèmes. Nous sommes réduits presque aux mêmes moyens d’instruction que nos prédécesseurs; et cependant nous en avons déduit des résultats absolument différents. Pourquoi cela? parce que nous avons opéré par une méthode impartiale absolument différente, ainsi que le lecteur va le voir dans les chapitres suivants.

Les documents que nous ont transmis les anciens auteurs se réduisent à des extraits de livres originaux, maintenant perdus, à des fragments altérés dans leur passage d’une main à l’autre; en un mot, à des idées vagues et même quelquefois contradictoires: il ne faut donc pas s’étonner si des interprètes partiaux, chacun en son sens, n’ont pu s’accorder sur des hypothèses privées de base; et il ne faudrait pas s’étonner encore si nous-mêmes aujourd’hui, quoique appuyés sur tout ce qui subsiste d’autorités textuelles, nous n’arrivions pas à un degré d’évidence et de certitude dont les moyens nous sont refusés… En de telles matières on ne peut prétendre qu’aux probabilités les plus raisonnables. Commençons par établir nos moyens d’instruction: ils consistent, 1° en un tableau sommaire inséré par Hérodote en son second livre, et qu’il nous donne comme étant le résumé de tout ce que les prêtres de Thèbes, de Memphis et d’Héliopolis répondirent à ses questions, comme étant la substance de leur doctrine historique à l’époque où vivait l’auteur. Pour bien apprécier le mérite de cette pièce, il est nécessaire d’observer qu’Hérodote visita l’Égypte 65 ans seulement (vers l’an 460 avant notre ère) après que les Perses eurent soumis ce pays à leur domination. L’invasion et le mélange de ces étrangers commencèrent d’introduire bien des altérations dans les lois, dans les mœurs et les doctrines nationales; mais parce qu’après la courte tyrannie de Kambyse, le régime tolérant de Darius Hystaspe et de ses successeurs permit au peuple égyptien de revenir à son caractère, l’on peut croire que le système indigène ne fut encore ni oublié ni changé: il dut au contraire se retremper, lorsque, 77 ans après le séjour d’Hérodote (l’an 413 avant J.-C.), le peuple égyptien, las des vexations des Perses, secoua le joug du grand roi (Darius Nothus), et se reconstitua peuple indépendant sous le gouvernement d’Amyrtée220. Les Égyptiens se trouvèrent alors dans une situation politique et morale semblable à celle du peuple juif au moment où, conduit par les Machabeés, il brisa le joug des Grecs et reprit son caractère national avec un enthousiasme mesuré sur sa haine des étrangers.

En Égypte comme en Judée, le peuple insurgé eut à lutter, sous tous les rapports, contre les prétentions du peuple dominateur, et il dut exister une guerre diplomatique et littéraire à laquelle on n’a point fait assez d’attention. Nous verrons bientôt l’importance de cette remarque.

Après 63 ans d’indépendance, les Égyptiens retombèrent sous le joug des Perses, qui prirent à tâche d’effacer tout ce qui fut contraire à leur pouvoir et même à leurs opinions..... Les Grecs d’Alexandre, successeurs des Perses, altérèrent encore plus le caractère égyptien, en ce que, par la douceur de leur régime, ils vainquirent l’antipathie nationale, et finirent par amener le peuple à l’adoption de leurs mœurs et même de leur langue.

Cette époque nous fournit le second de nos documents historiques provenant du livre que le prêtre égyptien Manéthon composa vers l’an 270 avant J.-C., près de deux siècles depuis Hérodote. A cette époque, Ptolomée-Philadelphe provoquait la traduction des livres juif, des livres chaldéens et de tous les livres orientaux; Manéthon, encouragé par ce prince, constitué par lui chef de toutes les archives sacerdotales, publia en langue grecque une compilation de trois volumes qu’il dit être la substance des chroniques anciennes: malheureusement cette compilation s’est perdue, et il ne nous reste qu’un squelette de listes qui, altérées par le prêtre Jules-Africanus, par l’évêque Eusèbe Pamphile, et par le moine Georges le Syncelle, retracent bien mal l’original. Néanmoins elles suffisent à rendre sensible la différence notable qui existe entre Hérodote et Manéthon sur plusieurs chefs, notamment sur l’époque de Sésostris Manéthon, se prévalant de sa qualité d’indigène, a prétendu que l’auteur grec avait erré ou menti en beaucoup de cas. Mais puisque Hérodote proteste qu’il n’a été que l’écho fidèle des prêtres, dont les récits choquent quelquefois son bon sens, nous n’avons pas le droit de l’inculper: il y a plutôt lieu de croire que c’est ici une contestation nationale, élevée de collège à collège de prêtres qui, dans un intervalle de 100 ou de 150 ans, et dans le contact avec les étrangers, auront trouvé ou cru trouver des motifs de penser autrement que leurs ancêtres. Il y a ici cette circonstance remarquable, que, dans la chronologie égyptienne comme dans l’assyrienne, l’opinion de date nouvelle, présentée par Ktésias et Manéthon, soutient le système en plus, tandis que l’opinion ancienne présentée par Hérodote soutient le système en moins, et que la première veut que Sésostris soit, comme Ninus, reculé de six siècles, tandis que la seconde les rapproche dans une proportion égale. L’époque de ce roi est le vrai nœud de la difficulté, comme nous le verrons ci-après.

Un troisième document nous est fourni par le Syncelle, qui, argumentant contre Manéthon, lui oppose une ancienne chronique, dont il cite le résumé à partir de la XVIe dynastie. On a demandé d’où venait cette ancienne chronique, et quelle était son autorité, etc., etc. Quelques-uns ont voulu, parce qu’elle arrive jusqu’au dernier roi national, 18 ans avant Alexandre, qu’elle ne pût avoir été rédigée avant cette époque; mais, si l’on considère qu’en un tel cas elle n’eût point mérité le nom d’ancienne que Manéthon paraît lui avoir donné, et qu’à titre de nouvelle il eût dû la déprécier, d’autant plus qu’elle diffère de son système; on pensera, avec nous, qu’elle a dû être primitivement rédigée sous les règnes de Darius et Artaxercès, dont la tolérance permit aux savants d’Égypte de recueillir les débris de leurs monuments saccagés et dispersés par le tyran Kambyse (et remarquez que ce désir de recueillir et de rassembler est le premier sentiment après toute convulsion, tout naufrage). Ce premier cadre une fois établi, il lui est arrivé, comme à la plupart des autres chroniques (par exemple à celle dite Kanon de Ptolomée), de recevoir des additions successives de la main de chaque savant qui en a possédé un manuscrit; et parce que l’original put avoir déjà 200 ans au temps de Manéthon, cet auteur a pu le classer parmi les documents anciens. Nous en examinerons le mérite à son rang.

Tres-peu de temps après Manéthon, le savant Ératosthènes, bibliothécaire d’Alexandrie, découvrit et publia une liste de rois thébains, que n’avait point connus ou mentionnés le prêtre égyptien, dont le travail s’est borné à la Basse-Égypte. Cette liste, citée par le Syncelle, forme notre cinquième document, qui est très-peu de chose, puis-qu’il se réduit à une nomenclature stérile de princes inconnus, et qu’au lieu de 89 mentionnés par Apollodore, copiste d’Ératosthènes, le Syncelle n’en a conservé que 30; néanmoins ce monument vient à l’appui d’Hérodote et de Diodore de Sicile.

Ce dernier auteur nous fournit un sixième document dont le mérite est surtout de servir à classer les matériaux fournis par les autres. On sait que Diodore, postérieur d’un siècle et demi à Manéthon, eut l’ambition de rassembler en un corps d’histoire tout ce qui était épars en divers auteurs; et il a dû trouver dans Alexandrie et dans l’Égypte, qu’il visita, des moyens qui manquèrent à ses prédécesseurs.

A ces 6 pièces principales ajoutez quelques passages tirés des auteurs anciens, tels que Strabon, Pline, Tacite, Josèphe, les livres juifs, etc., et un fragment anecdotique produit par Eusèbe, comme venant d’un historien persan: voilà tous les matériaux faibles et mutilés mis à notre disposition pour reconstruire l’édifice vaste et compliqué de la chronologie égyptienne. Nous ne parlons point des monuments dont nous enrichit en ce moment l’expédition française d’Égypte, parce que cette magnifique collection, dont il ne faut pas séparer le précieux travail de Denon, en nous offrant les ruines gigantesques des palais et des temples de la Haute-Égypte, nous donne plutôt des problèmes à résoudre que des instructions.

CHAPITRE II.
Exposé d’Hérodote

HÉRODOTE nous apprend qu’étant venu en Égypte recueillir des matériaux pour son histoire, il trouva, dans les villes d’Héliopolis, de Memphis et de Thèbes, des colléges de prêtres avec qui il eut les conférences scientifiques dont son second livre contient le résultat. Comment se tinrent ces conférences? fut-ce en langue persane? nous ne voyons pas qu’Hérodote l’ait sue, encore moins la langue égyptienne; il est plus probable que l’Égypte, ouverte aux Grecs depuis Psammitik, fut remplie de marchands de cette nation; qui auront su la langue du pays; quelqu’un de ces hommes officieux aura servi d’interprète à l’auteur, qui fut son hôte. Cette communication par interprète est moins exacte que directement. Quant à l’exposition, la méthode suivie par l’auteur est excellente: il traite d’abord du sol, du climat et de tout l’état physique de l’Égypte; et le tableau qu’il en fait est tel, que nos plus savants voyageurs ont trouvé aussi peu à y ajouter qu’à y reprendre: il passe ensuite aux coutumes, aux lois, aux rites religieux; enfin il arrive à la partie historique et chronologique: citons ses propres paroles.

§ XCIX. «Jusqu’ici j’ai dit ce que j’ai vu et connu par moi-même, ou ce que j’ai appris par mes recherches; maintenant je vais parler de ce pays selon ce que m’en ont dit les Égyptiens eux-mêmes; j’ajouterai à mon récit quelque chose de ce que j’ai vu par moi.»

Il est clair qu’Hérodote n’ayant rien pu voir de ce qui est historique ancien, tout ce qu’il va en dire est le récit des prêtres mêmes.

«Selon ces prêtres, le premier roi d’Égypte fut Menés; il fit construire les digues de Memphis. Jusqu’alors le Nil avait coulé entièrement le long du Mont libyque: Menès ayant comblé le coude que le fleuve formait au sud, et construit une digue d’environ 100 stades au-dessus de Memphis, il mit à sec l’ancien lit, fit couler le Nil par le nouveau, et fit bâtir la ville actuelle de Memphis sur le sol même d’où il avait détourné le fleuve, et qu’il avait converti en terre ferme. Il fit encore creuser un grand lac au nord et à l’ouest de la ville (pour la défendre), et il éleva un grand et magnifique temple au dieu Phtha (principal dieu des Égyptiens).»

§ C. «Les prêtres me lurent dans leurs annales les noms de 330 autres rois qui régnèrent après Menès: dans une si longue suite de générations il se trouve 18 Éthiopiens et une femme égyptienne: tous les autres furent Égyptiens, hommes et non dieux

§ CI. «Les prêtres me dirent encore que, de tous ces rois, aucun ne s’était rendu célèbre par quelque grand ouvrage ou par quelque action éclatante, excepté Moïris, le dernier de ceux-là (des 330).—Or (dit Hérodote au § XIII) au temps où les prêtres me parlaient ainsi, il n’y avait pas encore 900 ans que Moiris était mort.»

(Nous savons qu’Hérodote visita l’Égypte l’an 460 avant J.-C.; par conséquent les prêtres plaçaient la mort de Moïris vers les années 1350 à 1355).

«Je passerai sous silence ces princes obscurs, poursuit notre auteur, et je me contenterai de parler de Sésostris, qui vint après eux

(Ce dernier mot semblerait dire que Sésostris ne fut pas le successeur immédiat de Moïris; et en effet nous verrons d’autres auteurs placer plusieurs règnes entre ces deux princes).

§ CII. «Selon les prêtres, Sésostris fut le premier qui, partant du golfe Arabique (la mer Rouge) sur des vaisseaux longs221, subjugua les riverains de la mer Erythrée. Il s’avança, jusqu’à une mer remplie de bas-fonds, qui le repoussèrent.—De retour en Égypte, il leva une armée immense, et marchant par le continent (l’isthme de Suez), il subjugua tous les peuples sur sa route, et passa même d’Asie en Europe, où il attaqua et vainquit les Skytes et les Thraces; je crois qu’il n’alla pas plus avant. Revenant sur ses pas, il s’arrêta aux bords du Phase; mais je ne vois pas clairement si ce fut Sésostris qui de son gré y laissa une partie de son armée pour coloniser, ou si ce furent les soldats qui, las et ennuyés de ses courses, s’y arrêtèrent (malgré lui). Quoi qu’il en soit, les habitants du Phase (les Colches) sont des Égyptiens, car ils ont la peau noire, les cheveux crépus; ils pratiquent la circoncision et ils parlent la même langue, etc. A son retour en Égypte, Sésostris, disent les prêtres, faillit de périr à Daphnês (Taphnahs), par les embûches de son frère qui incendia la tente où il dormait (à la suite d’un grand repas). Échappé à ce danger, il employa les nombreux prisonniers qu’il avait amenés, à exécuter divers grands ouvrages, et entre autres, à élever les chaussées et à creuser les canaux dont le pays est aujourd’hui entrecoupé. Avant ce prince, l’Égypte était commode pour les chars et la cavalerie; mais après lui, leur usage est devenu impraticable: il est le seul roi égyptien qui ait régné sur l’Éthiopie (Abissinie moderne).» Tel est en substance le récit des prêtres auteurs d’Hérodote. Mais parce que de plus grands détails sur Sésostris seront; utiles à notre sujet, nous allons en joindre d’autrès tirés de divers auteurs.

Selon Pline222, la borne de l’expédition de Sésostris en Afrique fut le port Mossylicus, d’où vient la cannelle. (Ce lieu situé à l’ouest du cap Guardafui, est distant d’environ 550 lieues de Memphis.)

Strabon223 ajoute que, long-temps après, la route de ce prince était encore marquée par des colonnes inscrites, et par des temples et autres monuments. Il observe que les anciens rois d’Égypte avaient été peu curieux de recherches géographiques avant Sésostris; et cela ferait croire qu’en cette occasion Sésostris eut les mêmes idées de curiosité que nous avons trouvées, à pareille époque, chez les rois homérites de l’Iémen224.

Diodore de Sicile225, qui cite l’opinion des prêtres de son temps, et celle de divers auteurs anciens, ne donne point à ce prince le nom de Sésostris, mais celui de Sésoosis, analogue au Séthosis et au Séthos de Manéthon et des listes226. Ce narrateur dit que les inclinations de Sésostris furent, des le berceau, moulées et dirigées par le roi son père (Amenoph), qui lui donna une éducation entièrement militaire, avec la circonstance singulière d’avoir fait élever avec lui tous les enfants mâles nés le même jour, lesquels devinrent ses camarades pour la vie.... Sésostris et sa petite troupe, au nombre de 1,700, furent élevés dans les exercices les plus pénibles de la guerre; leurs premières expéditions furent en Arabie et en Libye contre les lions et les Arabes. Le jeune prince n’était qu’à la fleur de l’âge.... Diodore joint immédiatement la mort d’Amenoph à l’avènement de Sésostris, et la résolution de celui-ci de conquérir la terre entière; mais il pèche contre les vraisemblances, quand il ajoute que, selon quelques auteurs, sa fille, nommée Athirté, l’excita à cette entreprise, et lui en fournit les moyens: ce conte doit être posthume comme celui du songe d’Amenoph, dans lequel le dieu Phtha lui avait promis l’empire du monde pour son fils.... Sésostris, à la fleur de l’âge, ne dut pas avoir plus de 22 à 24 ans quand il régna. Ses conquêtes durèrent 9 ans227; il s’y prépara pendant 1 ou 2 ans: supposons-lui 35 à 36 ans à son retour en Égypte; ses enfants, à cette époque, sont représentés encore jeunes. Son règne fut en tout de 33 ans; il aurait donc vécu environ 60, ou tout au plus 64 à 65 ans. Devenu aveugle, la vie lui devint odieuse, et par suite de son orgueil, il ne put la supporter et il se tua. Cette circonstance suppose encore la force de l’âge et cadre bien avec notre hypothèse.

Selon Diodore, «l’armée de Sésostris fut de 600,000 hommes de pied, 24,000 chevaux, 27,600 chariots de guerre: sa flotte, composée de 400 voiles, soumit les îles et les côtes de la mer Érythrée jusqu’à l’Inde; tandis que ce roi, conduisant l’armée de terre, subjugua toute l’Asie. Il poussa ses conquêtes plus loin qu’Alexandre même, car ayant passé le Gange et pénétré jusqu’à l’Océan oriental, il revint par le nord subjuguer les Scythes jusqu’au Tanaïs (le Don).» Contre ceci nous observons que le docte et judicieux Strabon228 nie, d’après Mégasthènes, ambassadeur grec dans l’Inde, que ni Sésostris, ni Sémiramis, ni Kyrus, aient jamais pénétré dans cette contrée (jusqu’au Gange). Il paraît qu’ici les prêtres égyptiens cités par Diodore, ont, par émulation nationale, voulu que leur héros eût plus fait que celui des Grecs (Alexandre), et qu’ils ont emprunté de ceux-ci l’idée d’un circuit géographique impossible par lui-même, et inconnu à leurs prédécesseurs: nous pensons donc avec ces derniers et avec Hérodote, leur interprète, que Sésostris sortit par l’isthme de Suez; et Strabon ne dit rien de contraire, lorsqu’il rapporte «que ce prince passa du pays des Troglodytes dans l’Arabie, puis de l’Arabie dans l’Asie,» vu que le pays des Troglodytes s’étend le long de la mer Rouge jusqu’en face de Memphis, et que l’Arabie commence à l’isthme immédiatement où finit l’Égypte.

Aucune mention ne nous est faite des Juifs, ni des Phéniciens, qui purent être laissés sur la gauche, ni des villes de Babylone et de Ninive, qui, dans le système chronologique de Ktésias, auraient dû exister et provoquer l’orgueil du conquérant229, qui nous est attesté avoir soumis le pays, et laissé en Perse une colonie de 15,000 Scythes. Ces villes, dans notre système, n’existèrent que plus de 150 ans après Sésostris. Ce conquérant entra-t-il en Scythie par le Caucase ou par le Bosphore de Thrace? Cela n’est pas clair. Son retour par la Colchide n’est pas douteux; mais il nous paraît, contre l’opinion des prêtres, que Sésostris revint battu: car Pline230 a lu dans des auteurs anciens, qu’il fut vaincu par Æsubopus, roi de Colchide, célèbre par l’immense quantité d’or et d’argent qu’il posséda; et Valerius Flaccus a eu les mêmes documents lorsqu’il a dit231:

«Que Sésostris fut le premier qui fit la guerre aux Gètes, et qu’effrayé de la défaite de son armée, il en ramena une partie à Thèbes et sur les rives du fleuve natal, tandis qu’il fixa l’autre sur les bords du Phase en leur imposant le nom de Colches.»

D’accord avec Hérodote et avec Manéthon (en Josèphe) sur le danger que Sésostris encourut de la part de son frère, qu’il avait laissé vice-roi, Diodore remarque «que le conquérant, de retour, fit l’entrée la plus pompeuse, suivi d’une foule innombrable de captifs et d’une immensité de butin et de riches dépouilles; il en orna tous les temples de l’Égypte; il rapporta aussi plusieurs inventions utiles.—Ayant renoncé à la guerre, il licencia ses troupes, récompensa ses soldats, et leur partagea des terres qu’ils eurent en propriété; mais sa passion pour la renommée ne lui permettant pas le repos, il entreprit une foule d’ouvrages magnifiques, faits pour immortaliser son nom, en même temps qu’ils durent contribuer à la sûreté et à la commodité de l’Égypte. D’abord il fit bâtir en chaque ville un temple en l’honneur du dieu patron: en plusieurs endroits il fit élever des chaussées et des tertres pour servir de refuge pendant l’inondation; en d’autres, il fit creuser des canaux, des fossés…; il en fit creuser un, entre autres, pour communiquer de Memphis à la mer Rouge.»

(Au sujet de celui-ci, nous observons que Strabon232 nie positivement son exécution entière; d’accord avec Aristote (et Pline), sur ce qu’il en eut la première idée et qu’il en fit la première tentative, il assure qu’il s’en désista, parce qu’il reconnut que le niveau de la mer Rouge était plus élevé que celui de la Méditerranée, (et cela est vrai.).

Diodore poursuit et dit «que pour arrêter les courses dévastatrices des Arabes, Sésostris fit élever une muraille de 1,500 stades de longueur, laquelle ferma l’isthme depuis Peluse jusqu’à Héliopolis.—Ayant fait construire un vaisseau en bois de cèdre, long de 280 coudées, plaqué d’argent en dedans et d’or en dehors, il en fit l’offrande au dieu qu’on adore à Thèbes. Il éleva233 deux obélisques d’une pierre très-dure (granit), de 120 coudées de hauteur, sur lesquels il fit graver l’état numératif de ses troupes, de ses revenus, des nations qu’il avait vaincues, des tributs qu’il en percevait. A Memphis il plaça dans le temple de Vulcain sa statue et celle de sa femme, l’une et l’autre de 30 coudées de hauteur, d’un seul morceau: Les plus pénibles ouvrages furent exécutés par les prisonniers qu’il avait amenés, et il eut soin d’y attacher des inscriptions portant qu’aucun Égyptien n’y avait mis; la main234

«Un des traits les plus remarqués parmi les actions de Sésostris, est sa conduite envers les rois qu’il avait vaincus. Ce conquérant leur avait laissé leurs titres et la gestion de leurs états; mais chaque année, à un temps prescrit, ils étaient obligés de lui apporter les présents, c’est-à-dire les tributs qu’il leur avait imposés dans la proportion des moyens de leurs peuples: il accueillait ces rois avec de grands honneurs; mais lorsqu’il allait au temple, il faisait dételer les 4 chevaux de front de son char, et les rois, prenant leur place, traînaient l’orgueilleux vainqueur qui voulait faire sentir que sa valeur l’avait mis hors de comparaison avec les autres hommes. (De là le titre fastueux que portaient les inscriptions de ses monuments: Sésostris, roi des rois, seigneur des seigneurs)».

Ces curieux détails seraient la matière d’un riche commentaire sur l’état politique et moral où se trouvait l’Égypte à l’avènement de ce roi-fléau; sur les éléments qui avaient préparé cet état, dont il fut comme la conséquence; enfin sur les changements dont il devint la cause à son tour. Les récits des voyageurs grecs, romains, arabes, dans les temps postérieurs, sur la perfection des sculptures, des peintures et des constructions de Sésostris, qu’ils virent en masses ou en débris, indiquent un degré de perfection étonnant dans les branches de ces arts… L’article qui nous intéresse le plus, est le système militaire qui, par sa force et sa supériorité relatives, nous indique des guerres antérieures, dont la longue continuité amena ce perfectionnement que la pratique amène dans tout art. Or, comme Hérodote nous assure que jusqu’à Sésostris aucun roi d’Égypte n’avait fait de guerre hors du pays, il s’ensuit que ces guerres furent intérieures, soit de faction à faction, ou de secte à secte, en supposant un seul et même gouvernement; soit d’état à état, en supposant plusieurs royaumes parallèles, selon une hypothèse émise avant ce jour, que nous examinerons en son temps. Reprenons maintenant notre sujet et poursuivons la narration d’Hérodote.

«Le successeur de Sésostris, me dirent encore les prêtres, fut son fils appelé Pheron.»

(Diodore l’appelle Sésoosis II, et Pline, Nunclérus ou Nunchoreus.)

«Pheron eut pour successeur un homme de Memphis appelé Protée, au temps duquel Ménélas aborda en Égypte.» Sésostris serait antérieur de deux règnes à la guerre de Troie.

§ CXXI. «A Protée succéda Rhampsinit…; aucun roi d’Égypte ne posséda une aussi grande quantité d’or et d’argent que ce prince.»

§ CXXIV. «Jusqu’à lui, l’abondance et la justice fleurirent dans ce pays; mais il n’y eut pas de méchanceté où ne se portât son successeur Cheops… Ce fut lui qui bâtit la grande pyramide, dont la construction dura 20 ans, sans compter la taille des pierres dans les montagnes, et leur transport sur la place, qui, pendant 20 autres années, employèrent 100,000 hommes.»

§ CXXVII. «Cheops régna 50 ans. Son frère Chephren lui succéda; se conduisit en tyran comme lui; bâtit aussi une grande pyramide: (§ CXXVIII) il régna 56 ans. Ainsi les Égyptiens furent accablés de toutes sortes de maux pendant 106 ans. Aussi ont-ils gardé tant de haine pour ces deux rois, qu’ils ne les nomment point.»

§ CXXIX. «A Chephren succéda Mykerinus, fils de Cheops; ce prince prit à tâche de consoler et soulager le peuple des cruautés de ses deux prédécesseurs; aussi est-il cité avant tout autre pour son zèle à rendre la justice: un oracle le condamna à mourir, parce que le destin ayant condamné l’Égypte à être tourmentée pendant 150 ans, il n’avait pas rempli le temps.»

§ CXXXVI. «Après Mykerinus régna Asychis

§ CXXXVII. «Après Asychis régna un aveugle de la ville d’Anysis et qui fut appelé de ce nom. Sous son règne, Sabako, roi d’Éthiopie, fondit sur l’Égypte avec une nombreuse armée; Anysis se cacha dans des marais. Sabako régna 50 ans avec douceur et justice; il prépara et perfectionna les digues et chaussées qu’avait élevées Sésostris; puis il se retira en Éthiopie; Anysis reparut et régna encore. Après Anysis, un prêtre du dieu Phtha monta sur le trône, à ce qu’on me dit: ce prêtre, nommé Séthon, fut attaqué par Sennachérib, roi des Arabes et des Assyriens. Séthon l’attendit à Peluse, qui est le boulevard et la clef de l’Égypte; et dans une seule nuit, une immense quantité de rats ayant infesté le camp ennemi, et rongé les carquois, les cordes d’arc, et les courroies de bouclier, les Arabes prirent la fuite et périrent pour la plupart. Séthon mourut ensuite.»

§ CXLII. «Jusqu’à cet endroit de mon histoire, les Égyptiens et les prêtres me firent voir que, depuis le 1er roi (Menès) jusqu’à Séthon, il y avait eu 341 générations de rois et autant de prêtres.»

§ CXLVII. «Maintenant je vais raconter ce qui s’est passé en Égypte, de l’aveu unanime des Égyptiens et des autres peuples; et j’y joindrai les choses dont j’ai été témoin oculaire.»

Remarquons ces mots d’Hérodote: «Maintenant je vais raconter ce qui s’est passé de l’aveu unanime,» c’est-à-dire que ses narrateurs n’étaient pas d’accord sur plusieurs des faits qu’il a récités, et dont quelques-uns sont en effet ridicules; lui-même nous avertit de son opinion, lorsqu’il dit, § CXXII: «Si ces propos des Égyptiens paraissent croyables à quelqu’un, il peut y ajouter foi; pour moi, je n’ai d’autre but, dans tout mon récit, que de transmettre ce que j’ai entendu de chacun…» Par suite de cette candeur, il nous prévient maintenant que ce ne sont plus des ouï-dire, ou des traditions qu’il va raconter, mais des faits vraiment historiques, reconnus pour tels par les Égyptiens et les Grecs: et en effet, à partir du règne de Psammitik, son récit prend, pour les détails d’actions et pour les dates, une précision qu’il n’a point eue dans ce qui précède.

219.Voyez son livre intitulé Canon ægyptiacus, l’un des plus érudits, mais aussi l’un des plus mal fabriqués de l’école moderne: tout y est pétition de principes, jugement sans discussion, décision sans preuves, rapprochement sans analogie, et digression sans motifs.
220.On ne voit pas sans quelque surprise le nom de ce nouveau roi cité par Hérodote en son second livre, § CXI..... Ce n’est pas que cet historien, alors âgé de 71 ans, n’ait pu le connaître; mais outre que le passage cité a l’air d’une note rapportée, il porte une erreur chronologique incompatible avec les idées de l’auteur, en ce qu’il suppose un laps de 700 années entre le règne d’Amyrtée et celui d’Anysis, que précéda l’Éthiopien Sabako. Or, nous verrons que, dans le plan d’Hérodote, Sabako n’a pu précéder l’an 750, ou tout au plus l’an 780 avant N. E., et de là au règne d’Amyrtée (en 413) il n’y a que trois siècles et demi. Aussi les savants critiques regardent-ils comme interpolé ce passage qui d’abord n’était point dans les manuscrits au § CXL. Il a plu à Larcher d’altérer encore ce texte et de substituer de son chef le nombre 500 à celui de 700 que portent les manuscrits.
221.Hérodote, Strabon, Pline, etc., nous apprennent que faute de bois, les naturels n’avaient pour embarcations que des pirogues ou de palmier ou de roseaux tressés recouvertes de peaux goudronnées.
222.Hist. natur., lib. VI, pag. 343, Hardouin.
223.Strabo, lib. XVII, p. 790, Casaubon.
224.Voyez tome IV, p. 468.
225.Diod. Sicul. lib. I.
226.Le son du th grec est sifflant comme l’s.
227.Diodore semble indiquer cette durée pour celle d’Europe seulement. Celle d’Éthiopie n’a pu durer 3 ans.
228.Strabo, lib. XIV, p. 686.
229.Cedreni hist. compendium, p. 20.
230.Lib. XXXIII.
231
Argonauticon, lib. V................................. Ut prima SesostrisIntulerit rex bella Getis, ut clade suorumTerritus hos Thebas patriumque reducat ad amuem,Phasidis bos imponat agris Colchosque vocariJubeat.................

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232.Strabo, lib. I, p. 38. Aristote, Meteorol., lib. I, cap. 14, pag. 548. Pline, lib. VI, cap. 29.
233.Le sens étant continu ici, l’on doit conclure que ce fut en la même ville qu’il éleva ces obélisques, les mêmes que Germanicus y trouva, comme nous le verrons.
234.Les journaux du temps auront bien loué ce trait d’humanité: nous qui calculons que les prisonniers de Sésostris furent le prix du sang et des trésors de l’Égypte, nous pensons que ces travaux coûtèrent à la nation vingt fois, plus que s’ils eussent été faits directement par ses mains, sous un régime de paix. De tout temps l’hypocrisie et la fausse logique ont été l’apanage de la tyrannie.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
30 haziran 2018
Hacim:
382 s. 21 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain