Kitabı oku: «Recherches nouvelles sur l'histoire ancienne, tome II», sayfa 9
CHAPITRE VIII.
Histoire probable de Sémiramis
APRÈS avoir ramené à un état admissible et croyable les ouvrages de Sémiramis, qui cependant conservent leur caractère gigantesque, ne quittons pas ce sujet digne d’intérêt, sans essayer de nous faire des idées raisonnables de cette femme extraordinaire, qui dans l’histoire tient le premier rang de son sexe. Diodore de Sicile nous présente deux récits de sa fortune, et de la manière dont elle parvint au pouvoir suprême, qu’elle géra d’une main si hardie. Selon l’un de ces récits, qui est celui de Ktésias: «Sémiramis naquit en Syrie, à Ascalon, des amours clandestins de la déesse Derketo et d’un jeune sacrificateur de son temple: l’enfant exposée dans un lieu désert, parmi des rochers, fut par miracle nourrie et sauvée par les soins d’un essaim de pigeons sauvages qui avaient leur fuye127 en ce lieu. Au bout d’un an, des bergers découvrirent cette orpheline, et la trouvant très-jolie, ils la menèrent et la donnèrent à l’intendant des haras royaux (appelé Simma), lequel, privé d’enfants, l’adopta et la nomma Sémiramis, c’est-à-dire colombe, en langue syrienne; de là serait venu le culte des pigeons dans le pays.» Voilà, dit Diodore (ou Ktésias), la fable que l’on débite sur Sémiramis. Et, en effet, c’est bien là une fable; mais en écartant le conte des pigeons et de la déesse, il resterait pour fait raisonnable que réellement Sémiramis serait née à Ascalon, du commerce clandestin de quelque prêtresse, et qu’élevée en secret, elle aurait été adoptée par le personnage indiqué. Tout cela est dans les mœurs du pays et du temps.
«Parvenue à l’âge nubile, continue Ktésias, l’éclat de sa beauté et de ses talents subjugua l’un des principaux officiers du roi. Cet officier s’appelait Memnon; étant venu inspecter les haras, il emmena Sémiramis à Ninive et il en eut deux enfants..... La guerre de Bactriane survint, Sémiramis y suivit son époux..... Ninus vainquit les Bactriens en rase campagne, mais il assiégeait inutilement leur capitale, où ils s’étaient renfermés, lorsque Sémiramis, travestie en guerrier, trouva le moyen d’escalader les rochers de la forteresse, et, par un signal élevé sur le mur, avertit de son succès les troupes de Ninus, qui alors emportèrent la ville.... Ninus, charmé du courage et de la beauté de Sémiramis, pria Memnon de la lui céder; celui-ci refusa. Ninus n’en tint compte, Memnon se tua de dépit, et Sémiramis devint reine des Assyriens.» Tel est, dit Diodore, le récit de Ktésias (p. 134, liv II).
Mais Athénée et d’autres écrivains assurent «que Sémiramis fut originairement une courtisane dont les grâces et la beauté fixèrent l’attention de Ninus. D’abord le crédit de cette femme n’eut rien de remarquable; mais ensuite il s’accrut au point d’amener Ninus à l’épouser, et finalement elle lui persuada, dans une fête, de lui céder 5 jours pour régner.»
Cette seconde version, plus naturelle, plus historique que la première, est encore appuyée par une anecdote que nous a conservée Pline. «Vers la 107e olympiade, dit cet auteur (de 352 à 349 avant J.-C.), parmi plusieurs peintres habiles fleurit Échion, qui se rendit célèbre par divers beaux tableaux: l’on admire entre autres sa Sémiramis, qui, de servante, devient reine128.»
Voilà, en faveur du récit d’Athénée, un témoignage remarquable. On sait que les anciens peintres étaient savants et scrupuleux en histoire. Si Echion, qui fleurit moins de 30 ans après Ktésias, a dédaigné son récit et préféré celui-ci, il s’ensuit que dès cette époque existait la version suivie par Athénée, et qu’elle passait pour plus vraie. En effet elle porte un caractère réellement historique, conforme aux mœurs de l’Asie ancienne et moderne. Qu’une fille d’une naissance obscure, qu’un enfant trouvé soit élevé par des étrangers; que donnée ou vendue elle arrive au séraï du sultan; qu’elle soit introduite dans le harem à titre d’odalisque129, c’est-à-dire de servante de chambre; qu’enfin elle parvienne au grade de sultane-reine, c’est un roman historique encore réalisé chaque siècle en Asie. D’ailleurs cette version d’Athénée, qui se lie très-bien au début rectifié de Ktésias, a encore le mérite de résoudre les embarras chronologiques qui naissent de son récit, où les événements sont trop serrés, et, de plus, elle se trouve appuyée d’un fait qu’attestent deux autres écrivains; car, Moïse de Chorène et Képhalion s’accordent à dire que Sémiramis fit mourir tous ses enfants, excepté le jeune Ninyas. Dans le récit de Ktésias, elle en eut deux de Memnon, son premier mari; mais ils n’étaient pas enfants de roi, ni capables de lui faire ombrage; au lieu que, suivant le récit d’Athénée, elle eût pu, dans son état d’odalisque, avoir de Ninus plusieurs enfants âgés déjà, et aptes à régner, par conséquent faits pour l’inquiéter. Alors nous pouvons supposer sans effort que Sémiramis était entrée au séraï vers l’âge de 20 ans, qu’elle y vécut en qualité d’odalisque et eut des enfants de Ninus pendant un espace qui put durer 20 autres années. Ce temps fut employé par elle à fonder ce crédit et cet ascendant qui enfin subjuguèrent Ninus. La guerre de Bactriane étant survenue, elle y suivit le roi, et ce fut a|ors que l’acte de bravoure mentionné par Ktésias la fit devenir reine. Son nom même semble faire allusion à ce trait; car il n’est pas vrai que Sémiramis signifie pigeon ou colombe130, en syriaque; au lieu que ce mot, décomposé (shem rami), signifie le signe élevé sur les murs de Bactre, lequel devint le signal de la victoire de Ninus et de la fortune de la favorite. A dater de cette année, qui fut l’an 1201, tous les événements seraient tels que les a établis l’auteur de la chronologie d’Hérodote, page 278. Mais nous corrigerions les dates précédentes, en disant que Sémiramis serait entrée au séraï vers 1221, et qu’elle serait née vers 1241. Alors elle eût vécu 61 à 62 ans, précisément comme le dit Ktésias; si son orgueil voulut que l’on comptât dans son règne tout le temps de sa cohabitation avec Ninus, elle aurait régné 42 ans, comme le dit encore cet auteur; et tout prend de l’accord dans le récit et dans les vraisemblances: par ces gradations naturelles, par cet apprentissage nécessaire, Sémiramis, arrivée au pouvoir suprême, donne l’essor à son caractère avide de tout ce qui est grand131: jalouse de surpasser la gloire de ceux qui l’avaient précédée, elle conçoit, après la mort de Ninus, le dessein de bâtir une ville dans la Babylonie. Ninus venait d’en construire une immense à 100 lieues de là, et voilà sa veuve qui veut en élever une autre, non pas plus grande (Strabon dit que Babylone fut plus petite), mais une mieux entendue. Ninive avait donc des défauts de position déjà sentis..... Le local de Babylone offrait donc des avantages supérieurs: le talent de Sémiramis fut de les apercevoir, et le succès est devenu une preuve de son génie. Effectivement, en examinant les circonstances géographiques et politiques de cette opération, il nous semble découvrir plusieurs des motifs qui ont dû la susciter. Ninive assise au bord oriental du Tigre, dans une plaine fertile en tout genre de grains, voisine de coteaux riches en arbres fruitiers, sous un ciel brillant et pur, Ninive jouissait d’une situation très-heureuse à plusieurs égards; mais elle était privée de l’un des éléments nécessaires à la prospérité des capitales. Elle manquait de navigation..... Le Tigre, quoique fleuve large et profond, est si rapide en son cours, si encaissé dans son lit, que les transports y sont toujours dangereux, difficiles et partiels. On ne peut le remonter; et de plus, au-dessus de Ninive, son cours est borné à si peu de pays, qu’on ne saurait en apporter beaucoup de denrées.
L’Euphrate, au contraire, a un développement immense au-dessus de Babylone; il touche à la Syrie; il pénètre dans l’Asie mineure par une de ses branches; il exploite toute l’Arménie par les autres; il appelle les produits de tous les pays montueux qui bordent l’Euxin, il les transporte avec moins de dangers que son rival; mais ce qui surtout lui assure la prépondérance, il communiqué à l’Océan par un cours plus lent, par un lit plus commode que le Tigre, en sorte que, depuis le golfe Persique, les bateaux peuvent le remonter bien plus haut et plus aisément que le Tigre. Une ville placée sur l’Euphrate était donc appelée à la splendeur que donne le commerce: et à cette époque le golfe Persique était le centre des communications les plus riches et les plus actives entre l’Asie occidentale, la Syrie, la Perse, l’Arabie heureuse, l’Éthiopie et l’intérieur de l’Afrique; à cette époque ce commerce valait celui de l’Inde. Les guerres habituelles des peuples riverains, en rendant la circulation difficile, en forçant de recourir aux caravanes dispendieuses des Arabes bédouins, s’étaient opposées à son développement. Cette cause venait de cesser; toute l’Asie limitrophe obéissait à un même souverain, et sa puissance le faisait respecter au loin. Ce motif commercial était déjà suffisant; Sémiramis dut en avoir deux autres, politiques et militaires.
Les habitants de la Chaldée étaient un peuple récemment conquis, par conséquent mécontent et disposé à secouer le joug. Un moyen propre à les contenir était d’établir près d’eux, dans leur sein, une forteresse dont la garnison fût un épouvantail ou un instrument. Cet objet fut rempli par la position de Babylone bâtie dans l’île Euphratique; mais pourquoi bâtir l’autre portion à l’ouest du fleuve au bord du désert? Ici se montre encore l’habileté du fondateur: alors que les armes projectiles avaient peu de portée, si l’on n’eût occupé qu’une rive du fleuve, l’on n’eût pas commandé l’autre suffisamment. On avait dans le désert un ennemi vagabond, turbulent, qu’il importait de tenir en respect: une citadelle formidable opéra cet effet. Babylone, assise sur les deux rives de l’Euphrate, épouvanta les Arabes bédouins; mais, en même temps, elle devint un moyen de les attirer et de les affectionner, parce qu’elle leur offrit le marché le plus commode et le plus avantageux pour vendre le superflu de leurs troupeaux, ou le butin de leurs lointaines rapines.
Cette domination plénière du fleuve, qui fut un raffinement d’art sur Ninive, fut aussi un surcroît de puissance militaire et commerciale. Tous les Bédouins devinrent vassaux par crainte ou par intérêt. Le choix du local précis de Babel fut un trait de politique plein d’astuce et de sagacité. L’on pouvait indifféremment asseoir la forteresse plus haut ou plus bas; mais Sémiramis trouvant en un point donné un temple célèbre, qui, suivant l’usage du temps, était un lieu de pèlerinage pour tous les peuples arabes, Sémiramis saisit ce moyen religieux de manier les esprits; en ornant ce temple, en le comblant de présents, elle flatta le peuple; en caressant les prêtres chaldéens, en les dotant, elle se les attacha, et par eux elle devint maîtresse des cœurs. Enfin, un dernier motif de son choix dut être que, quelques lieues plus haut, l’Euphrate avait et a encore des rapides ou brisants qui empêchent les bateaux de remonter à pleine charge… La ville devint un entrepôt.
D’après ces combinaisons trop naturelles pour n’être pas vraies, il ne faut plus s’étonner du succès de Sémiramis. Il fut complet contre Ninive, puisque cette cité ne subsista que 6 siècles, tandis qu’il en fallut 12 pour anéantir Babylone; encore ses immenses ruines, enfouies dans un espace de plusieurs lieues132, demeurent-elles comme un monument de son existence. Il faut lire dans Diodore le reste des actions de cette femme prodigieuse, et voir comment, après avoir établi sa métropole, elle créa en peu de mois, dans la Médie, un palais et un vaste jardin, puis entreprit contre les Indiens une guerre malheureuse, puis revint en Assyrie se livrer à des travaux dont Moïse de Chorène continue les détails curieux dans le chapitre 14 de son Histoire d’Arménie. Telles furent son activité et sa renommée, qu’après elle, tout grand ouvrage en Asie fut attribué par les traditions à Sémiramis133. Alexandre trouva son nom inscrit sur les frontières de la Scythie, alors considérée comme borne du monde habité. C’est sans doute cette inscription que nous a conservée Polyæn, dans son intéressant Recueil d’anecdotes. (Stratag., liv. VIII, chap. 26).
Sémiramis parle elle même:
LA NATURE ME DONNA LE CORPS D’UNE FEMME;
MAIS MES ACTIONS M’ONT ÉGALÉE
AU PLUS VAILLANT DES HOMMES (à Ninus):
J’AI RÉGI L’EMPIRE DE NINUS,
QUI VERS L’ORIENT TOUCHE AU FLEUVE HINAMAM (l’Indus);
VERS LE SUD AU PAYS DE L’ENCENS ET DE LA MYRRHE
(l’Arabie-Heureuse);
VERS LE NORD AUX SAKKAS (Scythes),
ET AUX SOGDIENS134 (Samarkand)
AVANT MOI AUCUN ASSYRIEN N’AVAIT VU LA MER;
J’EN AI VU QUATRE OU PERSONNE NE VA,
TANT ELLES SONT DISTANTES
QUEL POUVOIR S’OPPOSE A LEURS DÉBORDEMENTS?
J’AI CONTRAINT LES FLEUVES DE COULER OU JE VOULAIS,
ET JE N’AI VOULU QU’OU IL ÉTAIT UTILE:
J’AI RENDU FÉCONDE LA TERRE STÉRILE,
EN L’ARROSANT DE MES FLEUVES:
J’AI ÉLEVÉ DES FORTERESSES INEXPUGNABLES:
J’AI PERCÉ DE REDOUTES DES ROCHERS IMPRATICABLES:
J’AI PAYÉ DE MON ARGENT DES CHEMINS,
OU L’ON NE VOYAIT QUE LES TRACES DES BÊTES SAUVAGES;
ET DANS CES OCCUPATIONS,
J’AI SU TROUVER ASSEZ DE TEMPS POUR MOI
ET POUR MES AMIS
Dans ce tableau si simple et si grand, la dignité de l’expression et la convenance des faits semblent elles-mêmes garantir la vérité du monument. Nous ne saurions donc admettre l’opinion de quelques écrivains qui veulent regarder Sémiramis comme un personnage mythologique de l’Inde ou de la Syrie135. Il est possible que le mot semirami reçoive une étymologie zende ou sanscrite; mais outre le cas fortuit des analogies de ce genre, ce mot, qui nous est transmis par les Perses, peut avoir été substitué par eux au nom syrien de l’épouse de Ninus, comme le nom de Zohâk fut substitué au nom de Haret, comme celui d’Esther le fut au mot hadossa, signifiant myrte en hébreu. L’article suivant va confirmer cet aperçu par des rapprochements singuliers auxquels donne lieu un récit que nous a conservé Photius dans sa Bibliothèque grecque136.
CHAPITRE IX.
Récit de Conon, et roman d’Esther
«J’ai lu, dit Photius (page 427 de sa Bibliothèque), j’ai lu le petit ouvrage de Conon, dédié à Archelaüs Philopator, contenant 50 anecdotes tirées de divers auteurs anciens. La 9e traite de Sémiramis. Conon la présente comme fille, et non comme femme de Ninus. Pour m’expliquer sommairement, il attribue à Sémiramis tout ce que les autres écrivains racontent de l’Assyrienne Attossa (Atossa). Aurait-elle porté deux noms? ou a-t-il été le plus savant? Voilà ce que je ne sais pas. Il raconte que Sémiramis eut d’abord un commerce clandestin avec son propre fils, sans le connaître; qu’ensuite, la chose étant découverte, elle l’épousa publiquement; d’où il est arrivé chez les Mèdes et chez les Perses que le mariage des enfants avec leurs mères, qui d’abord était une chose exécrable, devint un acte légal et permis.»
Il s’agit de savoir si ce récit est purement paradoxal, ou s’il contient quelques lumières dans notre question.
1° Nous observons que Conon fut un auteur assez tardif, puisque son patron, Archelaüs, fut un des Hérodes emmené par Jules-César à Rome, où il passa de longues années.
2° Les 50 anecdotes dont Photius donne l’extrait sont pour la plupart tirées de la haute antiquité, en des temps dits héroïques et fabuleux, avec une affectation de singularité qui décèle l’intention formelle d’amuser un prince ennuyé; mais on n’y découvre point un caractère d’absolue fausseté, ni d’invention apocryphe qui en fasse un pur roman. Dans l’anecdote de Sémiramis, Photius observe que les faits attribués par Conon à cette princesse, le sont par d’autres auteurs à l’Assyrienne Atossa. Il n’y aurait donc que transposition et confusion de noms. Quelle fut cette Atossa, ou Attossa? Les Perses nous en citent une née fille de Kyrus, devenue épouse de Cambyse (son propre frère), puis de Smerdis; ce ne doit point être celle-là.
L’historien Hellanicus, contemporain d’Hérodote, en citait une autre qui, dans un temps ancien, avait inventé l’art d’écrire ou d’envoyer des lettres missives137: ce pourrait être celle-là; mais il l’appelle reine des Perses, et l’on n’en connaît aucune autre action.
Enfin Eusèbe, dans sa Chronique138, nous fournit un trait plus précis. «Atosse, qui est Sémiramis139 (ou qui est appelée Sémiramis), fut fille de Bélochus (18e roi d’Assyrie), et elle régna 12 ans avec son père.»
Ici nous avons une Atosse assyrienne, comme celle de Conon, et deux noms pour une même personne, comme l’a soupçonné Photius. De ces divers exemples nous pouvons conclure,
1° Que le nom d’Atosse fut commun à plusieurs femmes chez les Perses et les Assyriens;
2° Que, par un autre cas possible, ces femmes ont pu vouloir s’appeler du nom illustre de Sémiramis, ou que Sémiramis a pu d’abord porter le nom d’Atosse quand elle était simple particulière. De ce double cas ont pu venir des méprises, des confusions; et en parcourant l’histoire des Mèdes et des Perses, nous trouvons un trait qui réunit d’une manière remarquable plusieurs circonstances du récit de Conon.
Selon Ktésias, la fille du roi mède Astyag, nommée Amytis, devint l’épouse de Kyrus: selon Hérodote, la fille de ce même Astyag était mère du même Kyrus: Ktésias, qui contredit Hérodote, n’ose avouer ce fait, mais il l’insinue lorsqu’il dit: «Kyrus ne connaissait pas d’abord Astyag pour son parent (ou aïeul); lorsqu’il l’eut en son pouvoir, il le relâcha, et il honora Amytis comme sa propre mère; ensuite il l’épousa.» Maintenant observons qu’aucun auteur ne parle de l’inceste comme légal chez les Assyriens et les Babyloniens, tandis que tous attestent cet usage chez les Perses et chez les Mèdes..... Le mariage des frères avec les sœurs, des mères avec leurs fils, était un usage antique et légal de la caste des mages, a dit Xantus de Lydie140, dès avant le temps d’Hérodote. De là ce vers de Catulle:
Nam magus ex matre et gnato nascatur oportet.
Pour être mage, il faut naître d’une mère mariée avec son fils.
D’autre part, nous savons que la religion et les rites des mages, essentiellement mèdes et zoroastriens, furent adoptés par Kyrus. Son fils Cambyse épousa sa propre sœur Atossa: n’est-il pas naturel d’en tirer la conséquence que ce fut Kyrus qui introduisit l’inceste chez les Perses, comme le dit Conon, et qu’il représente ici Ninyas, comme Astyag représente Ninus? Mais d’où vient cette méprise? sans doute le voici. Ninus, chez les Mèdes, était un zohâq, comme Astyag l’était chez les Persans. Or comme il y avait quelque analogie entre l’aventure de Sémiramis qui s’éprit de son fils et voulut en jouir, et l’aventure d’Amytis qui vécut clandestinement avec son fils, et qui l’épousa, ces divers personnages auront été confondus par quelque historien romancier, comme le sont encore les historiens persans141.
Quant à la Sémiramis dite Atossa, fille de Bélochus selon Eusèbe, ses 12 ans de règne approchent beaucoup des 14 ou 15 ans que nous avons trouvés à l’épouse de Ninus142, et Ninus pourrait être ce Bel-ochus, qui signifie frère de Bel: car, placé vers la moitié des 1,200 ans de Ktésias, il se trouve à la tête de la liste redoublée dont la chronologie d’Hérodote démontre l’erreur (t. 4, pag. 468).
Mais ce nom d’Atossa ou Attossa donné à Sémiramis, d’où vient-il? En lisant l’anecdote juive d’Esther, nous remarquons que son nom syrien ou hébreu fut Hadossa, signifiant myrte; qu’elle vint de Syrie comme Sémiramis; qu’elle fut odalisque à la cour du grand roi Assuérus: or Assuérus est le nom que le texte grec donne à l’Assur ou l’Assyrien de la Genèse qui bâtit Ninive: cet Assuérus épousa la Juive Hadossa, comme Ninus épousa l’Ascalonite Atossa; l’une et l’autre de servantes devinrent reines, comme le représentait le tableau du peintre Échion, dès avant Alexandre. Jamais les commentateurs n’ont pu prouver en quel temps vécut cet Assuérus, ni où il fut roi, ni qui fut cette Esther, dont les critiques placent l’histoire au rang des livres apocryphes. Il nous semble assez évident que le nom prononcé Atosa par les Grecs, est identique à l’Hadossa des Syriens; qu’Esther n’est pas autre que Sémiramis, dont un auteur juif a modifié l’histoire tirée du même livre que le tableau d’Échion, pour en faire honneur à sa nation; en sorte que nous avons ici deux écrivains juifs qui ont défiguré la vérité pour amuser leurs lecteurs: nous en verrons bientôt d’autres dans le même cas, mais beaucoup moins amusants.
Sur ce texte nous remarquons que la plupart des écrivains grecs placent cette prise l’an 1184 avant notre ère: dans nos calculs le règne de Sémiramis a eu lieu depuis 1195 jusqu’en 1180: on voit que le synchronisme est complet, et il est d’autant plus concluant, que Porphyre nous le donne comme le résultat des 3 chronologies assyrienne, phénicienne et grecque, comparées entre elles. Les interpolations de Ktésias se trouvent ici jugées et rejetées.
Ce même fragment de Porphyre donne lieu à une autre combinaison singulière: cet écrivain dit «que Sanchoniaton, pour mieux s’assurer de la vérité des faits, consulta de très-anciens monuments ammonites, et un certain Ierombal juif, prêtre du dieu Ieou.»
En parcourant les livres juifs, nous trouvons l’un des juges spécialement désigné par le surnom de Ierobaal (ennemi de Baal); ce juge est Gédéon, qui, à titre de prophète envoyé de Dieu, mérite aussi le nom de prêtre: Gédéon nous serait donc indiqué ici comme ayant gouverné jusque vers l’an 1190 et au-dessus: sa fin aurait précédé de 50 à 60 ans l’avènement de Héli en 1131. La liste informe que nous avons critiquée à l’article des Juges (première partie des Recherches nouvelles), en présente beaucoup plus, comme on le voit ici.
Écartons le fabuleux Samson; admettons, avec plusieurs chronologistes, que les 40 ans de servitude sous les Philistins, ont été parallèles aux 40 ans de Héli: déjà nous n’aurons que 28 à 30 ans depuis ce grand-prêtre, en 1131, jusqu’à Jephté, qui aura géré vers 1166. D’autre part, entre Jephté et Gédéon, Josèphe n’admet point Thola; la servitude sous les Ammonites et les Philistins a pu n’affecter que quelques tribus, tandis que Iaïr gouvernait les autres. Il ne resterait donc que 25 ans entre Jephté et Gédéon, qui serait mort vers 1190; et comme les indications de Porphyre ne sont pas précises, Gédéon peut être reculé jusque vers 1200. Ce ne sont là que des hypothèses, dira-t-on; mais l’autorité de Porphyre, qui, de l’aveu même de ses ennemis, fut un savant écrivain, est faite pour balancer ici celle d’une compilation indigeste, surtout lorsque Porphyre s’appuie de monuments positifs, réguliers, dont les expressions s’accordent avec les raisonnements que nous avons formés sur d’autres bases et par d’autres moyens.