Kitabı oku: «Recherches nouvelles sur l'histoire ancienne, tome II», sayfa 10
CHAPITRE X.
Babylone depuis Sémiramis
APRÈS que Ninus eut conquis la Babylonie, et détruit la racé des rois indigènes143, ce prince, nous dit Ktésias, soumit le pays a un tribut annuel, c’est-à-dire qu’il en fit une province de son empire, régie comme les autres par un vice-roi ou satrape. Sémiramis ayant ensuite fondé l’immense forteresse de Babylone, cette cité devint la résidence naturelle et nécessaire du vice-roi; ce vice-roi, par la nature de sa place, dut être amovible au gré du souverain, comme le furent les satrapes de l’empire perse (dont le régime fut calqué sur celui de Ninive), comme le sont de nos jours encore les pachas de l’empire ottoman. Toutes ces organisations asiatiques se ressemblent. Cet état de choses subsista pendant toute la durée de l’empire assyrien. Nous en avons la preuve,
1° Dans l’envoi que Teutamus fit d’un corps de Babyloniens au secours de Troie144;
2° Dans l’échange que Salmanasar fit d’une colonie de Babyloniens contre une colonie d’Hébreux de Samarie;
3° Dans tous les détails de la révolte de Bélésys-Mérodak contre Sardanapale;
4° Dans la vassalité non contestée de ce même Bélésys vis-à-vis d’Arbâk, qui, à titre de vainqueur de Sardanapale et de successeur du grand roi, conféra au Babylonien la satrapie de sa province exempte de tribut, et qui lui accorda le pardon d’un vol public contre l’avis de ses pairs assemblés;
5° Enfin dans ces expressions d’Hérodote145: «que la ville de Babylone, après la chute de Ninive, devint la résidence des rois d’Assyrie.»
Elle n’était donc auparavant qu’une ville dépendante, une ville de province. Nos deux auteurs, d’accord sur cette période, semblent différer sur celle du régime mède; car le texte d’Hérodote implique une souveraineté indépendante depuis Bélésys, tandis que, selon Ktésias, Babylone continua d’être vassale d’Ecbatane, au même titre qu’elle l’avait été de Ninive; et il en cite un trait remarquable dans l’anecdote de Parsodas et de Nanibrus, gouverneur de Babylone, qui se reconnaît justiciable de (Kyaxarès)-Artaïos. D’où il résulterait que les rois de Babylone n’auraient effectivement été indépendants et héréditaires que depuis Nabopolasar, père de Nabukodonosor; et la liste officielle, dite Kanon146 astronomique de Ptolomée, appuie cette induction, en ce que depuis Nabopolasar, remontant jusqu’à Bélésys (Mardokempad), elle compte 11 règnes ou mutations dans le court espace de 96 ans, ce qui ne donne pas 9 ans complets pour chaque règne, et ce qui par conséquent exclut l’idée de succession héréditaire.
Après Bélésys, pendant le règne circonspect de Deïokès, qui ne commanda qu’aux Mèdes, alors que chaque peuple vécut libre et sous ses propres lois, il y a lieu de penser qu’il exista à Babylone des agitations oligarchiques, pendant lesquelles des chefs militaires ou sacerdotaux, se supplantèrent rapidement dans la gestion du pouvoir. Cela serait naturel, et il le serait encore que Phraortes, devenu puissant par la conquête de la Perse, eût ressaisi la suzeraineté de Babylone par le moyen de l’un des partis contendants. Ce prince ayant péri dans son expédition contre Ninive, son fils Kyaxarès (Artaïos) hérita de ses droits; mais l’invasion des Scythes, en 625, l’ayant confiné dans ses places fortes et dans ses montagnes, Nabopolasar et Nabukodonosor, à couvert dans leur île, protégés contre la cavalerie scythe par leurs fleuves et leurs canaux, mirent à profit la faiblesse du Mède, et rendirent leur royauté indépendante et héréditaire dans leur famille.
Contre cet état de choses conforme au raisonnement et aux autorités, on peut demander comment s’expliqueront, et le titre de roi donné par la liste officielle aux princes babyloniens depuis Nabonasar, et l’acte arbitraire de ce prince qui supprima les noms de tous ses prédécesseurs, acte et titre qui semblent impliquer l’indépendance absolue.
Nous répondrons que cette objection, plausible dans les mœurs et les usages d’Europe, n’est point une difficulté réelle dans les usages d’Asie. Le mot arabe et chaldéen malek, traduit roi, n’a pas strictement le sens que nous lui donnons: il suffit d’avoir lu l’histoire de l’Orient ancien, pour savoir que ce titre n’équivaut souvent qu’à celui de commandant de province et même de ville. Quand les Hébreux entrent en Palestine, il n’est pas de ville ou de gros bourg qui ne présente un malek, ou roi, et certainement ces roitelets n’étaient pas des rois indépendants, absolus. Cet emploi indistinct du nom de roi trouve son origine et ses motifs dans l’état politique de ces contrées. Primitivement, avant que les états se fussent engloutis les uns les autres, chaque peuple, régi par ses propres lois, avait son malek, son roi particulier. De grands conquérants, tels que Sésostris et Ninus, s’étant élevés, leur politique trouva convenable de conserver aux petits rois qui se soumirent volontairement les états qu’ils possédaient, et se contenta de percevoir le tribut, c’est-à-dire qu’en laissant le titre, qui n’était rien, les conquérants prirent les richesses, qui étaient tout; et de là cette dénomination de rois des rois, dont nous trouvons le premier exemple dans Sésostris, mais dont probablement l’usage est bien antérieur. Réduits à l’obéissance et à la vassalité, ces rois inférieurs ne furent réellement que des gouverneurs de province, que des satrapes, selon l’expression de l’idiome persan; et nous trouvons la preuve inverse de cette synonymie dans un passage de Bérose, qui, né sujet des Perses, a écrit selon leur génie; il dit:
«Nabopolasar ayant appris la défection du satrape qui était préposé sur l’Égypte, la Cœlé-syrie et la Phénicie, et ne se trouvant plus capable de soutenir les fatigues de la guerre, il chargea son fils Nabukodonosor de cette expédition, et mourut peu de temps après147».
La date de cette expédition et de la mort de Nabopolasar nous est parfaitement connue pour être de l’an 605 à 604. Or nous savons avec la même certitude historique, qu’à cette époque il n’y avait en Égypte d’autre satrape que le roi Nékos, qui régna depuis 617 jusqu’en 602; et nous savons encore par Hérodote et par les livres hébreux que Nékos n’était point le préposé des rois de Babylone, mais bien l’ennemi puissant, le rival indépendant qui leur disputa la Judée et la Syrie jusqu’à l’Euphrate148. La bataille de Karkemis ou Kirkesium, en 604, jugea la question contre lui. Il se retira dans son royaume, et il ne reparut plus dans la terre (ou pays) de Judée.
Bérose, historien célèbre par son savoir, n’a pu ignorer ces faits. Lorsqu’en cette occasion il emploie le mot satrape, c’est évidemment parce que, dans les idées asiatiques, il le juge synonyme du mot roi149. Le Syncelle nous offre un autre exemple du même emploi de ce mot par Alexandre Polyhistor, lorsqu’il dit, page 209: «Alexandre Polyhistor rapporte que Nabopolasar envoya vers Astyag, satrape de Médie, etc.» Or il est constant qu’Astyag était roi indépendant…, et le Syncelle, page 14, nous avertit que Polyhistor copiait Bérose.
Quant à la suppression que Nabon-asar fit des actes et des noms de ses prédécesseurs, elle n’est pas en lui une preuve du pouvoir royal, plus qu’elle ne le serait dans les pachas du Kaire, de Damas et de Bagdad; de tels procédés leur seraient possibles, sans avoir d’autre conséquence que de payer quelque amende. Seulement ici c’est un indice de félonie et de rébellion que semblent confirmer plusieurs circonstances.
En effet, après la mort de Nabonasar, l’an 733 (14 ans après la suppression des actes, en 747), on voit le roi de Ninive, Salman-asar, lever une colonie dans Babylone même et la déporter au pays de Samarie, à la place des Juifs qu’il venait de subjuguer et de déporter en Mésopotamie. Cet acte de souveraineté et de sévérité ne semble-t-il pas venir à la suite d’une rébellion qui aurait existé, sans pouvoir être punie du vivant de son auteur Nabonasar; mais, à sa mort, le prince suzerain, profitant de quelques troubles, aurait recouvré ses droits; il aurait écarté des coupables trop nombreux pour être détruits sans danger et sans perte; et même en capitulant avec le parti influent, il eût continué de prendre les vice-rois dans la caste, avec la précaution de les changer souvent, comme on le voit dans Nabius, Chinzirus, Porus et Ilulaïus, qui n’occupent que 12 ans.
D’autre part, la liste officielle appelée Kanon astronomique de Ptolomée, affecte de donner aux princes de Babylone, depuis Nabonasar, le nom de rois chaldéens, et non pas de rois assyriens. Or il est remarquable que les écrivains juifs authentiques, tels qu’Isaïe, Jérémie et l’auteur des Rois, appliquent exclusivement le nom de Chaldéens aux Babyloniens, et celui d’Assyriens aux rois de Ninive150; que ces Chaldéens étaient la caste bràhminique et noble des Babyloniens, celle en qui résidait le sacerdoce et primitivement le pouvoir; que, par suite de la conquête des Assyriens, ces Brahmes vaincus avaient dû être privés de l’autorité civile; que la garnison de Babylone avait dû être composée d’étrangers, et que même la colonie première introduite par Sémiramis en était formée en grande partie; mais par le laps de temps, dans un espace de 480 ans, l’esprit indigène et le sang arabe durent aussi reprendre l’ascendant que leur donnaient et la masse de population, et les habitudes de climat. Alors il est naturel de penser que la caste chaldéenne épiant l’occasion de ressaisir l’autorité, l’un de ses membres, Nabon-asar, profita de l’indolence ou de l’embarras des sultans de Ninive, pour affecter l’indépendance et convertir en autorité royale celle dont il put être revêtu, à titre de vice-roi, ou de pontife151. Dans un tel cas, on conçoit très-bien que cet indigène, considérant comme intrus les vice-rois qui l’auraient précédé et qui durent être des Ninivites, put vouloir supprimer leurs noms et leurs actes comme un monument de servitude; l’établissement de cette nouvelle puissance indigène et chaldéenne donnerait une explication très-naturelle d’un passage d’Isaïe, qui autrement demeure obscur.
Au chapitre 23 de cet écrivain, versets 13 et 14, on lit:
«Voici la terre des Chaldéens; ce peuple n’était pas (auparavant). L’Assyrien la fonda (Babylone) pour les habitants du désert; il éleva ses remparts, il bâtit ses palais, il l’établit pour la ruine des nations.»
Ce chapitre ne porte pas de date, mais il vient à la suite du chapitre 20, qui traite de la prise d’Azot par Tartan, général de Sennachérib152.
153 avait subjugué toutes les villes phéniciennes, excepté Tyr, qu’un siège prolongé réduisit aux abois. C’est à ce siège que fait allusion le prophète, et non pas, comme le prétendent quelques paraphrastes, au siège de Nabukodonosor, qui fut postérieur de plus de 120 ans. Tout porte donc à croire que réellement la puissance ninivite éprouva de la part des vice-rois de Babylone, dès avant l’affranchissement par Bélésys, ce que la puissance ottomane éprouve quelquefois de la part de ses grands vassaux, qui, pendant plusieurs années, conservant des apparences de soumission et de tribut, exercent tous les actes d’une autorité indépendante et d’une véritable royauté. La suite des faits va encore jeter du jour sur cette idée; et parce que nos renseignements sur les rois babyloniens nous viennent presque uniquement de la liste appelée Kanon de Ptolomée, il n’est pas inutile de jeter un coup-d’œil sur l’autorité de ce monument, contesté par quelques écrivains pour soutenir d’anciens préjugés.
CHAPITRE XI.
Kanon astronomique de Ptolomée
C’est à l’érudit Joseph Scaliger que les chronologistes doivent les premières notions de ce Kanon, ou Catalogue régulateur, tiré des écrits de l’astronome Ptolomée. Scaliger, compulsant un manuscrit du Syncelle, alors inédit, y trouva cette pièce historique et s’empressa de la publier dans les premières années du 17e siècle; mais parce que le Syncelle produit deux et même trois versions de cette liste, toutes différentes l’une de l’autre, il s’éleva des doutes sur son utilité. Peu de temps après (en 1620)154, Calvisius et Bainbridge fournirent de meilleurs moyens de l’apprécier, en publiant la copie des deux manuscrits de Théon, commentateur de Ptolomée. En 1652 la traduction du livre de George le Syncelle, par Goar155, sur un manuscrit autre que celui de Scaliger, offrit de nouvelles variantes quant aux noms; en 1663 le docte jésuite Petau, qui d’abord avait adopté la version de Scaliger, dans son Traité de Doctrinâ temporum156, la répudia pour une meilleure que lui fournit un troisième manuscrit du même Théon157. Enfin le savant anglais Dodwell, dans une Dissertation très-bien raisonnée158, ayant confronté et discuté toutes les versions alors connues, et les opinions émises, donna un état clair et fixe à la question, qui consiste dans les articles suivants:
1° La liste n° I doit être considérée comme la plus conforme aux manuscrits de Théon, copiste de Ptolomée. Les chiffres ou nombres sont d’autant plus exacts, que l’auteur original, après chaque règne particulier, additionne le produit de tous les règnes précédents; ce qui interdit toute altération, en même temps que cette précaution nous montre combien peu les anciens comptaient sur l’attention et la fidélité de leurs copistes.
Les numéros II, III et IV représentent les variantes données par Scaliger, par Petau et par le Syncelle, édition de Goar.
Elles servent à prouver cette incurie des copistes, puisque les noms propres qui composent ces listes sont quelquefois altérés de plusieurs manières (par exemple Iluarodamus): ce doit donc être une vérité, un principe de critique pour tout esprit impartial, que «toutes les fois qu’il n’existe qu’un ou deux manuscrits d’un ouvrage ancien, on n’a aucune garantie, aucune certitude morale de son identité avec l’ouvrage original tel qu’il sortit des mains de l’auteur.» Parmi les livres anciens que nous possédons, en est-il beaucoup qui aient satisfait à cette condition?
2° Dans la version qu’il nomme astronomique, n° II A, et qu’il prétend avoir copié de Ptolomée, l’on voit que le Syncelle a osé, selon sa coutume, altérer et changer la durée de plusieurs règnes, en donnant, par exemple, à Saosduchius 9 ans au lieu de 20; à Nabonadius 34 au lieu de 17; à Iluarodam 3 au lieu de 2, etc., que portent généralement les manuscrits de Théon.
3° Enfin, la version intitulée calcul ecclésiastique, n° II B, dont l’auteur premier semble être Africanus, chef des chronologistes chrétiens; cette version offre des preuves irrécusables de la négligence, de l’ignorance même, et du défaut de critique de ces anciens compilateurs.....
Premièrement, dans la confusion qu’ils font de personnages très-différents, en croyant, par exemple, que Nabonasar est le même que Salmanasar; que Nabonadius est le même qu’Astyages, ou Darius, ou Assuérus ou Artaxercès.
Secondement, dans une autre confusion qu’ils font du règne de Kyrus à Ekbatane, qui réellement veut 30 ans, avec le règne de Kyrus à Babylone, qui n’en veut que 9.
Troisièmement, dans la licence qu’ils prennent de changer arbitrairement la durée bien connue de divers règnes, tels que celui de Nabonasar, de Nabius, d’Iluarodam, de Nabonide, de Kyrus, d’Ochus, etc., et cela afin de retrouver la somme d’addition finale, exigée par le Kanon: enfin dans leur incurie à remplir même cette condition; car le calcul ecclésiastique, au lieu de fournir 424 ans juste après Alexandre, rend 426 ans 4 mois, par l’introduction inutile des 7 mois du mage, des 7 de Sogdien, et des 2 mois de Xercès II, et la surcharge d’une année sur un autre prince.
Par ces exemples pris dans un sujet important et célèbre, l’on peut juger du caractère des anciens écrivains dits ecclésiastiques, qui tous offrent plus ou moins de semblables anachronismes.
La liste authentique des rois chaldéens de Babylone étant ainsi éclaircie et fixée, l’on demande quel a été son auteur? Il fut antérieur à Ptolomée, puisque le Syncelle remarque, page 206, «que les astronomes chaldéens et les mathématiciens grecs s’en servaient le plus habituellement pour tirer leurs horoscopes, ainsi que l’atteste le très-savant Ptolomée.»
Donc ce Kanon ou règle du temps était bien antérieur à cet astronome et même à Hipparque, de qui Ptolomée a tout emprunté. Aussi voyons-nous Hipparque désigner quelques éclipses par les noms de certains princes que le Kanon nous offre. Dodwell, qui a médité ce sujet, a pensé que la rédaction première de ce régulateur du temps devait appartenir à Bérose, ce prêtre chaldéen dont nous avons souvent parlé.
En faveur de cette opinion, nous voyons plus de motifs encore que n’en a exposé Dodwell.
1° L’analogie et presque l’identité du fragment de Bérose cité par Fl. Josèphe159, où les rois de Babylone, depuis Nabopolasar, sont nommés et classés comme dans la liste. Et si l’on objecte que, dans le livre contre Appion, Nabopolasar a 29 ans au lieu de 21, nous répondons qu’Eusèbe, dans sa Préparation évangélique, liv. IX, chap. 40, et le Syncelle160, dans sa Chronographie, p. 220, en citant le même texte de Bérose d’après Josèphe, donnent 21 ans à Nabopolasar; en sorte que Dodwell a eu raison d’attribuer l’erreur du livre contre Appion, au copiste, qui, au lieu d’écrire les mots grecs eikosi en’, vingt-un, a écrit eikosi ennea, vingt-neuf. Il y a cent exemples pareils.
2° La double qualité d’historien et d’astronome réunie dans la personne de Bérose, qui, pour établir les calculs et les prédictions astrologiques dont l’exactitude le rendit si célèbre en Grèce, eut besoin d’une mesure de temps très-précise, et eut, à titre d’historien, les moyens de la choisir dans les annales les mieux constatées.
3° Le passage de Pline, qui dit que Bérose donnait aux observations babyloniennes une durée de 480 ans.
Donc Bérose avait dressé ce calcul sommaire de 480 ans.
4° L’époque même à laquelle se termina d’abord le Kanon astronomique, laquelle fut la mort d’Alexandre: n’était-il pas naturel que Bérose terminât sa Chronologie à cette époque célèbre, qui était aussi celle de sa propre naissance161?
5° Enfin le titre de chaldéens donné à ces rois est encore une induction favorable, en ce que, si l’auteur eût été grec, il les eût appelés assyriens, selon l’usage d’Hérodote et de presque tous les auteurs grecs: il n’appartenait qu’à un indigène, à un prêtre babylonien tel que Bérose, de faire cette distinction savante dont nous trouvons l’exemple parallèle chez les écrivains juifs, avec cette particularité que l’orthographe de Bérose se rapproche de la leur autant que le permet la langue grecque.
Le lecteur a pu remarquer que dans le Kanon astronomique se trouvent supprimés les noms de plusieurs princes mentionnés par les historiens; par exemple, on n’y voit point la reine Nitocris d’Hérodote, et ce silence achève de prouver ce que nous avons dit, c’est-à-dire qu’elle ne fut que régente sous le règne de son époux Nabokolasar, qui est Nabukodonosor.... On ne voit pas non plus, après Cambyse, le mage Smerdis, quoique mentionné par Ktésias et par Hérodote, ni Laborosoachod, quoique cité dans le fragment de Bérose lui-même (en Josèphe). Ces omissions néanmoins ne sont pas des oublis, ni des lacunes; elles sont le résultat d’un système réfléchi qui n’a pas voulu embarrasser et troubler le calcul, en y introduisant des fractions d’années; en effet, Smerdis ne régna que 7 mois; mais parce que Cambyse régna 7 ans et 5 mois, la liste, en lui comptant 8 ans entiers, compense le temps de Smerdis. La même chose a lieu pour Laborosoachod, pour Arsès, etc., dont les mois sont reversés sur leurs prédécesseurs162. Quant à la liaison de cette chronologie babylonienne à notre ère chrétienne, elle s’est opérée avec aisance, facilité et certitude, par les dates des règnes d’Alexandre, de Darius-Hystaspe, de son fils Xercès, etc., dates sur lesquelles la série des jeux olympiques ne laisse aucun doute. Ainsi nous avons jusqu’à l’an 747 avant J.-C. une échelle continue qui nous fournit un terme de comparaison exact pour juger du degré d’instruction des auteurs qui, comme Hérodote, ont parlé de quelque événement, de quelque roi babylonien, dans le cours de cette période jusqu’à Kyrus, qui la termine. Ce sujet va nous occuper dans le chapitre suivant.
Nous ne combattons point ici une opinion singulière de Michaelis, qui, dans son livre de Geographiâ Hebrœorum exterâ, saisit une phrase de Strabon pour en induire qu’une peuplade sauvage et barbare, appelée jadis Chalybes, et plus récemment Chaldies, était venue des bords de la mer Noire conquérir et maîtriser Babylone, comme les Turkmans ont maîtrisé Bagdad et l’empire arabe. Pour soutenir cette hypothèse, Michaelis veut que les noms des rois babyloniens soient des noms russes; par conséquent il suppose que les Chalybes parlèrent un dialecte slave, quoique les meilleurs antiquaires ne fassent remonter l’origine des Slaves qu’aux premiers siècles de notre ère, où ces peuples émigrèrent, à ce qu’il paraît, des frontières de l’Indostan. D’autre part, outre que les étymologies qu’il allègue d’après Forster, sont forcées et imaginaires, on peut lui objecter que les noms de Nabu-kadnasar, Balthasar, etc., reçoivent une explication plus raisonnable de l’idiome arabe et chaldéen. Quant à la phrase de Strabon, lib. XII, p. 549, nous remarquons d’abord avec ce géographe, qu’Homère, en citant le nom de Chalybes, paraît avoir ignoré celui de Chaldœi, et nous en inférons que ce dernier ne se serait introduit que depuis ce poète, qui a écrit vers l’an 800 avant notre ère, c’est-à-dire quelques années avant Phul, roi de Ninive. Or tous les anciens attestent que les Chaldéens ont existé à Babylone bien des siècles avant cette date, et ont existé comme caste sacerdotale et non militaire. Nous observons de plus que, peu après le temps d’Homère, deux rois de Ninive, successeurs de Phul, exécutèrent de nombreuses déportations de peuples, et que, de même qu’ils transplantèrent des familles euthéennes à Samarie, ils purent déporter des familles chaldéennes chez les Chalybes, voisins des Sàpires, cités par Sennachérib pour être l’un des peuples récemment subjugués par ses pères. D’ailleurs Strabon, au même endroit, nomme quatre peuples à qui un changement semblable de nom était arrivé; les Sanni, jadis Macrones; les Apaïtœ, jadis Kerkitœ; et d’autres jadis appelés Byzères: n’est-il pas plus raisonnable d’attribuer ces changements aux historiens qui auront employé d’autres idiomes que les anciens; de penser même que Darius a pu en être l’auteur dans le registre neuf et régulier qu’il fit composer pour l’empire perse. Toujours est-il vrai que Strabon peint les Chaldœi Chalybes comme des sauvages divisés entre eux, tous barbares, insociables, vivant de pèche, de chasse et de gland, et il n’est pas probable que de telles hordes, peu nombreuses, aient fait une conquête aussi difficile que celle de Babylone, en dépit des rois de Ninive.