Kitabı oku: «Leçons d'histoire», sayfa 10
§ VIII
Qu'était-ce que les prophètes et la confrérie des prophètes chez les anciens Juifs?
Autre fois je ne comprenais point ce que pouvaient être ces prophètes formant un cordon51, une file d'hommes nus ou presque nus, dansant, chantant, échevelés, marchant au son des instruments (comme David devant l'arche). Je ne pouvais allier cette idée avec celle que je me faisais d'Isaïe, de Jérémie, d'Amos, de Nahum, etc., qui nous sont peints comme des hommes graves, écoutant en silence le souffle de vérités sublimes. Aujourd'hui que je connais ce pays, le caractère de ses habitants, je vois dans les mœurs actuelles la solution la plus simple du problème.
Il faut savoir que dans tous les pays musulmans il existe des confréries de dévots qui s'associent pour certaines pratiques et cérémonies, qu'eux-mêmes s'imposent, ou qui leur sont dictées par des chefs; à le bien prendre, la même chose n'a-t-elle pas lieu en Espagne, en Italie? n'a-t-elle pas eu lieu dans la France, l'Angleterre, l'Allemagne, dans toute la chrétienté, quand y régnait la ferveur religieuse? Si je recherche les motifs de ces associations volontaires, j'en trouve plusieurs; les uns naturels, dérivés de l'organisation même de l'homme, les autres artificiels, dérivés de l'état social.
L'homme, organisé comme il l'est, ne peut vivre ni solitaire, ni silencieux, ni immobile. Ses nerfs ont le besoin, la nécessité d'agir, comme son sang de circuler: ces nerfs sont construits de manière que si le fluide de sensibilité y est en surabondance, son évacuation, sa sécrétion deviennent aussi nécessaires que l'évacuation d'un excès de sang ou de sucs alimentaires. D'autre part, la nature a voulu, par un mécanisme singulier, que deux êtres humains ne pussent être en présence l'un de l'autre sans que leur système nerveux ne se mût réciproquement. De ces bases physiques, il a résulté que, dans l'état social, les hommes ont eu le besoin constant de se communiquer leurs idées, leurs sensations, leurs passions, et de s'associer selon les lois de sympathie, ou d'intérêt, variables dans leur application.
La facilité ou la difficulté de ces communications et associations forme ce que l'on appelle la liberté civile et politique. Là où existe cette liberté réglée par les usages ou les lois, le mouvement est paisible et sans secousses. Là où elle est contrariée, contrainte par la forcé, l'homme s'agite en tous sens pour vaincre ou éluder les obstacles et pour dépenser d'une manière quelconque son activité, sa sensibilité; alors se forment les associations partielles, les confréries de factions ou de sectes qui finissent en général par être la même chose, et qui sont au fond un instrument de pouvoir recherché par les individus comme abri, et par les chefs comme levier: voilà pourquoi dans les États despotiques, il y a plus spécialement de ces associations et confréries qui se couvrent d'un manteau religieux pour en imposer à la violence militaire; tandis que dans les États libres, comme dans notre Amérique, il n'existe pour ainsi dire rien de semblable, ou ce qui en existe n'a pas d'effet sensible. Sans doute encore, voilà pourquoi ces confréries, ces associations pieuses ont beaucoup de ferveur dans les temps d'ignorance, de bigoterie, d'esclavage et de grossièreté, tandis qu'elles en ont moins en raison du progrès des lumières, des sciences exactes et de la civilisation.
A ces titres, vous apercevez les motifs de leur activité dans tous les pays musulmans, où, par un instinct naturel, les hommes se groupent en confréries autour des mosquées, en moineries dans des couvents, comme font entre autres les derviches. Quelquefois le gouvernement les favorise comme instrument; quelquefois il les redoute comme résistance, parce que s'il frappe un membre, tout le corps retentit; c'est une compagnie d'assurance de la sûreté des personnes: et qu'y a-t-il de différent dans la chrétienté? Qu'était-ce que le gouvernement de la Provence quand le roi René y instituait la procession des fous, quand s'y formait la confrérie des pénitents blancs, des pénitents gris, etc. Remarquez encore que ces confréries sont surtout du goût des méridionaux, sans doute parce que leur vivacité à plus besoin de se dissiper en cris, en gestes, en spectacles, en cérémonies.
Quand j'ai eu pesé toutes ces considérations, j'ai conçu que de telles institutions ne purent manquer d'exister chez les anciens Hébreux, où elles trouvèrent des aliments généraux et particuliers. Par exemple, la tribu ou caste sacerdotale, ou lévitique, vivait dans une oisiveté absolue: le nombre des prêtres en fonctions étant limité, tout le reste qui vivait aux frais de la nation, c'est-à-dire, du produit des offrandes et sacrifices, n'avait à s'occuper, comme les Brahmes et comme les Druides, que de rites et de pratiques dévotes qu'ils avaient intérêt de multiplier pour provoquer les dons des fidèles; de tels hommes durent avoir des confréries, des processions et tout ce qui s'ensuit.
D'autre part, chez ce peuple livré à une anarchie constante, c'est-à-dire, au pouvoir déréglé, au despotisme transitoire de chaque individu, de chaque famille turbulente ou forte, dans cet état où fut le peuple hébreu pendant toute la période des juges (400 ans au moins), les confréries religieuses durent être un abri, et, comme je l'ai déja dit, une compagnie d'assurance contre les violences et les brutalités dont le livre des Juges offre de choquants exemples. Enfin à l'époque de Samuel, lorsque cet individu, faible d'abord, commença d'aspirer au pouvoir, et lorsque ensuite il y fut parvenu, les confréries lui offrirent un moyen d'appuyer sa marche, d'affermir, d'étendre son crédit; et il dut d'autant mieux cultiver ce moyen, qu'étant un intrus dans le sacerdoce, un usurpateur par rapport à la famille d'Héli, il eut un parti d'opposition, dont nous verrons bientôt les preuves, et parmi les hautes familles dont il blessait la vanité, et parmi les prêtres qui durent savoir à quoi s'en tenir sur les visions.
De tout ceci je déduis que la procession des prophètes chantants et dansants comme des derviches, dont Samuel annonce la rencontre à Saül en le congédiant, a dû lui être bien connue en ses mouvements, a dû être formée de ses amis, de ses dévoués, comme l'indique une anecdote postérieure; car l'historien nous dit que lorsque Saül roi voulut faire tuer David, qui s'était réfugié près de Samuel dans le canton de Nîout, ses émissaires armés trouvèrent la confrérie des prophètes dans l'acte de prophétiser, et Samuel debout qui les présidait.
Quant à ce qu'ajoute l'historien, «que ces émissaires furent saisis de l'esprit de Dieu et qu'ils se mirent à prophétiser aussi; que même chose arriva à deux autres escouades envoyées par Saül; enfin que ce roi lui-même étant arrivé plein de colère, il fut également saisi de l'esprit divin et se mit à prophétiser en présence de Samuel, après avoir jeté ses vêtements pour demeurer nu pendant un jour et une nuit;» ces faits bizarres peuvent sembler incroyables à des hommes de sens rassis et de sang-froid comme nous autres gens du nord et de l'ouest; moi-même je les ai d'abord rejetés comme non prouvés; et en effet ils manquent de témoins suffisants; aujourd'hui que je connais le pays, je les admets comme probables par plusieurs raisons naturelles.
D'abord j'observe que David, pendant le temps qu'il a vécu près de Saül, s'est fait beaucoup d'amis, témoin, entre autres, Jonathas (fils du roi), qui se dévoue pour lui; cette disposition a dû porter plusieurs émissaires à chercher des motifs d'éluder l'ordre; d'autres ont pu être influencés par l'ascendant religieux que Samuel avait conquis sur les esprits, et entre autres sur celui de leur prince; enfin tous, et surtout Saül, ont pu être maîtrisés par ce mécanisme du système nerveux, par ce magnétisme animal qui, encore aujourd'hui, exerce devant nous de fréquents exemples de ses phénomènes. Veuillez remarquer ce qui se passe toutes les fois que des hommes s'assemblent dans l'intention et l'exercice d'un sentiment commun: leurs regards, leurs cris, leurs gestes les électrisent à chaque instant davantage; et pour peur que la parole vienne y joindre des tableaux, les têtes s'exaltent au point de ne plus se posséder. Voyez ce qui arrive au théâtre tragique, ou dans le meilleur drame; si la salle est peu remplie de monde, les spectateurs ne s'émeuvent que faiblement, tandis que si elle est bien pleine, ils s'exaltent progressivement jusqu'à l'enthousiasme: voyez encore ce qui arrive dans nos temples aux jours de prédication de nos zélés puritains et méthodistes: les auditeurs arrivent froids; peu à peu leurs nerfs sont agacés par les gestes convulsifs de l'orateur acteur, par ses cris âcres tires du fond de la gorge; par les tableaux de damnation et d'enfer dont il se fait un mérite et un art d'effrayer les imaginations; une femme nerveuse tombe en convulsion, et voilà qu'une foule d'autres l'imitent et que tout l'auditoire est en trépidation; n'avons-nous pas vu fréquemment ces scènes à Philadelphie, dans les prédications du dimanche, surtout celles qui se font à la fin du jour52? Enfin consultez les médecins, et ils vous diront qu'en nombre d'occasions, l'aspect des convulsions, même épileptiques, est devenu contagieux pour les sujets délicats, tels que les femmes et les enfants. Or, cette irritabilité nerveuse existe principalement dans les pays chauds où elle est favorisée et promue par les aliments généralement âcres, par l'abondance du calorique et par le jeûne, qui est un des grands promoteurs de manies visionnaires et d'extase; voilà les diverses causes du phénomène nerveux qui a eu lieu dans l'assemblée chantante et hurlante des confrères prophètes à Niout et à la colline des Philistins.
Quant à l'acte de prophétiser, ce n'est pas la faute des livres hébreux, si nous nous en formons des idées fausses; ils disent tout ce qu'il faut pour les redresser; d'abord ils peignent les circonstances, le chant, ou plutôt les cris, la nudité; ensuite le mot même qu'ils emploient pour signifier prophète et prophétiser en est une définition, une explication très-claire; car le mot nabia est un dérivé de naba qui signifie littéralement être fou, faire le fou (insanire), crier, déclamer comme un poète qui chante des vers, comme un prophète qui chante des hymnes, des psaumes, des oracles [notez que chanter un psaume est un pléonasme, puisqu'en hébreu psaume se dit mazmour, qui signifie chant et chansons]. Or, qu'est-ce que tout ceci, sinon ce que faisait la Pythie de Delphes, ce que faisaient tous les rendeurs d'oracles chez les peuples de l'antiquité, ce que font encore chez les musulmans les derviches et les ikours (confrérie des écumeurs) dont je vois ici les folies, ce que font chez nous même les ardents, les illuminés de nos sectes bigotes? Par cela même que tous ces gens-là étaient ou semblaient être hors d'eux-mêmes, hors de leur sens naturel, ils étaient considérés comme saisis, comme agités de l'esprit divin. Certes, si quelque chose caractérise l'ignorance populaire d'une part, l'imposture et la fourberie sacerdotales d'une autre, c'est cette idée bizarre, cette opinion monstrueuse d'appeler esprit de Dieu, les déréglements maladifs de notre nature humaine; d'appeler l'épilepsie, esprit divin, mal sacré, comme il est encore nommé dans toute la Turquie par les musulmans et par les chrétiens.—Mais j'ai un peu quitté mon sujet sans néanmoins le perdre de vue; m'y voici rentré.
§ IX
Suite de la conduite astucieuse de Samuel.—Première installation de Saül à Maspha.—Sa victoire à Iabès.—Deuxième installation.—Motifs de Samuel.
«Saül donc congédié par Samuel rencontra la procession des prophètes, et à la vue de ce cortége, saisi de l'esprit de Dieu, il se mit à prophétiser avec eux; ce fut une rumeur dans le peuple d'apprendre que Saül fût devenu prophète; ceux qui l'avaient connu se disaient: qu'est-il donc arrivé au fils de Kis, pour être aussi prophète? Et quelques gens dirent: quel est leur père à eux53? Son beau-père l'ayant interrogé sur les détails de son voyage, Saül lui dit tout, excepté l'affaire de la royauté.» (Voilà une connivence entre Saül et Samuel.)
Il restait une scène publique à jouer pour capter le respect et la crédulité du peuple à cet effet Samuel convoqua à Maspha une assemblée générale: après des reproches de la part de Dieu (car rien ne se fait sans ce nom): «Vous avez voulu,» dit-il, «un autre roi que votre Dieu, vous l'aurez: en même temps, il commença à tirer au sort les douze tribus d'Israël pour savoir de quelle tribu sortirait ce roi. Le sort tomba sur la famille de Benjamin: il tire au sort les familles de Benjamin; le sort tombe sur la famille de Matri, puis enfin dans cette famille, sur la personne de Saül.»
Assurément s'il est une jonglerie, c'est celle de tirer au sort une chose déja résolue. Quant à la ruse de diriger ce sort, on sait qu'il ne faut qu'un peu d'adresse de joueur de gobelets; partout on en a vu, on en voit encore des exemples. En ce temps de civilisation, la France n'a-t-elle pas vu ses cinq directeurs tirant au sort à qui sortirait de charge, lorsqu'entre eux le sortant était convenu? Eh bien, moyennant un lot de cent mille francs comptant, une voiture attelée de deux bons chevaux, et le brevet d'un emploi, le sortant ne manquait pas, sur les cinq boules d'ivoire mises dans l'urne, de prendre celle qui était chaude, et le monde était édifié.
Il fallait ici quel le peuple hébreu crût que Dieu lui-même faisait choix de Saül, afin que ce choix imposât obéissance à tous, et respect aux mécontents dont l'opposition ne laissa pas encore de se montrer: par surcroît de jonglerie, Saül ne se trouva point présent: il est clair que Samuel l'avait fait cacher; on le cherche, bientôt on le trouve dans sa cache que le voyant aura peut-être encore eu le mérite de deviner: le peuple fut émerveillé de voir un si bel homme, et selon le récit littéral il cria: vive le roi (ïahihé malek).
«Alors Samuel lut au peuple les statuts de la royauté, et il les écrivit en un livre qu'il déposa (sans doute dans le temple). Après cette cérémonie, le peuple étant congédié, Saül revint en sa maison, c'est-à-dire, en son domaine rural, en sa métairie54, et il rassembla autour de lui, pour faire une armée, les hommes dont Dieu toucha le cœur (c'est-à-dire, les croyants, les partisans de Samuel): mais des méchants dirent: quoi! c'est là celui qui nous sauvera! Et ils ne lui portèrent pas de présents.»
Ces derniers mots nous montrent un parti de mécontents qui est dans la nature des choses; l'esprit et le ton de dédain de cette expression indiquent d'abord, pour son motif, le bas étage, la condition populaire où était né Saül, et peut-être ensuite la médiocrité de ses talents déja connus de ses voisins, sans compter une infirmité secrète que nous verrons se développer. On sent alors que ces mécontents furent des gens de la classe distinguée par la naissance et la richesse, lesquels ne sont, dans le texte, qualifiés de méchants, que parce que le rédacteur est un croyant, un dévot qui abonde dans le sens du prêtre, son héros, et de la superstitieuse majorité de la nation.
D'autre part, un fait digne d'attention est ce livre des statuts royaux écrits par Samuel. Le mot hébreu est mashfat55 qui signifie sentence rendue, loi imposée. Quelle fut cette loi, cette constitution de la royauté?
La réponse n'est pas douteuse: ce fut ce même mashfat mentionné au chap VIII, v. 11, où Samuel (irrité) dit au peuple: «Voici le mashfat du roi qui régnera sur vous; il prendra vos enfants, il les emploîra au service de son char et de ses chevaux; ils courront devant lui et devant ses attelages de guerre; il en fera des (soldats), des chefs de mille, des chefs de cinquante hommes; il les emploîra à labourer ses champs, à faire ses moissons, à fabriquer ses instruments de combat, et ses armes et ses chars; il prendra vos filles et en fera ses parfumeuses (ou laveuses de vêtements), ses cuisinières, ses boulangères; il s'emparera de vos champs de blés, de vos vergers d'oliviers, de vos clos de vigne, il les donnera aux gens de son service; il prendra la dîme de vos grains et de vos vins pour la donner à ses eunuques, à ses serviteurs; il enlevera vos esclaves ou serviteurs, mâles et femelles, ainsi que vos ânes, et tout ce que vous avez de meilleur dans vos biens sera à son service; il dîmera sur vos troupeaux, et de vos propres personnes il fera ses esclaves56.»
On se tromperait si l'on prenait ceci pour de simples menaces: c'est tout simplement le tableau de ce qui se passait chez les peuples voisins qui avaient des rois; c'est une esquisse instructive de l'état civil et politique, même militaire de ce temps-là, où nous voyons les chars, les esclaves, les eunuques, les dîmes, les cultures de diverses espèces, les compagnies et bataillons de mille et de cinquante, etc., comme dans les temps postérieurs; mais tels étaient les maux résultants du régime théocratique, c'est-à-dire du gouvernement par les prêtres, sous le manteau de Dieu, que les Hébreux lui préférèrent le despotisme militaire concentré dans la personne d'un seul homme qui, à l'intérieur, eût le pouvoir de maintenir la paix, et qui, à l'extérieur, eût celui de repousser les agressions, les oppressions étrangères: il faut nous en rapporter à eux pour croire que de leur part ce ne fut pas une résolution si déraisonnable d'insister comme ils le firent, et de forcer le prêtre Samuel à constituer une royauté57.
Si ce prêtre eût été un homme équitable, il eût, en établissant les droits de roi, constitué aussi la balance de ses devoirs qui composent les droits du peuple; il lui eût imposé, comme il se pratiquait en Égypte, les devoirs de la tempérance en toutes choses, de l'abstinence du luxe, de la répression de ses passions, de la surveillance de ses agents, de la haine de ses flatteurs, de la fermeté à punir, de l'impartialité à juger entre les opinions et les sectes de ses sujets, etc., etc. Mais le prêtre Samuel, irrité de se voir arracher le sceptre qu'avait conquis sa fourberie, en aiguisa la pointe pour en faire, dans les mains de son successeur, une lance ou un harpon.
Le plus fâcheux de cette affaire fut que Saül, de son côté, ne se trouva point doué d'assez de moyens, d'assez d'esprit pour contre-miner ce perfide protecteur: il l'eût pu, en feignant de se tenir strictement à ses ordres, en l'obligeant de les expliquer nettement, pour rejeter sur lui les échecs qui en eussent résulté, et pour avoir lui-même devant le peuple le mérite des succès qu'il eût obtenus en s'en écartant. David, à sa place, n'y eût pas manqué; mais Saül fut tout uniment un brave guerrier, qui, ne se doutant pas de la politique des temples, devint la dupe et la victime d'un machiavélisme consommé. L'art exista long-temps avant que l'Italie en eût écrit les préceptes. J'allais oublier une dernière remarque, importante sous plusieurs rapports: elle m'est suggérée par le contraste frappant que je trouve entre la doctrine de Samuel et celle de Moïse sur la royauté.
Nous venons de voir que, selon Samuel, le mashfat ou statut royal est un pur et dur despotisme, une vraie tyrannie; selon Moïse, c'est tout autre chose. Pour s'en convaincre il suffit de lire ses préceptes consignés au 17e chapitre du Deutéronome, v. 14 et suivants. Le texte dit littéralement: «Quand vous serez entrés dans la terre que Iehouh, votre Dieu, vous a donnée, et que vous la posséderez et l'habiterez, et que vous direz: Je veux établir sur moi un roi comme tous les peuples qui m'environnent,—vous établirez celui que choisira Iehouh, votre Dieu;—vous le prendrez parmi vos frères (juifs); vous ne prendrez point un étranger, qui n'est point votre frère;—et (ce roi) ne possédera point une multitude de chevaux; il ne fera point retourner le peuple en Égypte pour avoir plus de chevaux; il ne se donnera point une multitude d'épouses; son cœur ne déviera point..... Il n'entassera point de trésors en or et en argent; et lorsqu'il s'assiéra sur le trône, il écrira pour lui-même un double de la loi (copié) sur le livre qui est devant les prêtres lévites;—et cette copie restera entre ses mains; il la lira tous les jours de sa vie pour apprendre à craindre Iehouh son Dieu, et pour pratiquer tous ses préceptes.»
Quelle différence entre ce statut de Moïse et celui de Samuel! Notez bien ces mots: Le roi sera un de vos frères, un homme tout simplement comme chacun de vous; et il sera soumis à toutes les lois qui gouvernent la nation! Comment se fait-il que Samuel n'ait pas intimé, pas insinué un seul mot d'une ordonnance si précise, si radicale du législateur? Comment personne n'en a-t-il fait la moindre mention? Est-ce que la loi de Moïse était ignorée, oubliée? Est-ce que par hasard cet article, du moins, n'y était pas encore inséré? Des soupçons raisonnables peuvent s'élever à cet égard.—D'habiles critiques ont déja remarqué que, dans le Pentateuque, plus de trente passages sont manifestement postérieurs à Moïse, et postérieurs de plusieurs siècles: de ce nombre est le terme nabia, employé pour dire prophète, lequel, de l'aveu de l'historien des rois, n'a été substitué que très-tard au mot rah (voyant), usité par conséquent au temps de Moïse: or, dans tout le Pentateuque on n'emploie que le mot nabia: dont cet ouvrage serait tardif.
De plus, ce qui est dit ici, «ne pas posséder une multitude de chevaux; ne pas se donner une multitude de femmes; ne pas entasser des trésors d'or et d'argent; ne pas laisser dévier son cœur (des voies d'Iehouh),» est une allusion si directe aux péchés de Salomon, qu'il en résulte une preuve additionnelle de posthumité: par surcroît, ces mots, quand vous posséderez la terre (promise) et que vous direz: «Je veux établir sur moi un roi comme tous les autres peuples;» ces mots, dis-je, sont tellement la peinture de ce qui est arrivé sous Samuel, que l'on a droit de les prendre pour un récit historique, métamorphosé après coup en prophétie. Qui jamais a fait mention d'aucun roi juif ayant copié de sa main la loi, à moins que ce ne soit celui qui eut pour régent et tuteur un grand-prêtre, de la part de qui un tel ordre vient admirablement bien (Helqiah)? Si ce fut un précepte de Moïse, comment fut-il textuellement oublié par Samuel même, prophète et grand-juge? Ne sont-ce pas-là autant d'arguments puissants en faveur de ceux qui soutiennent que le Pentateuque est une composition tardive, et peu antérieure à la captivité de Babylone? et que le fond des chroniques, sur divers points et sur diverses époques, conserve plus réellement le caractère de l'antiquité? Je viens à mon sujet.
Après l'installation du nouveau roi, chacun retourne à son village, à ses champs. Bientôt le roi des Ammonites prend les armes, et vient assiéger la ville de Jabès à l'orient du Jourdain. Les habitants hébreux offrent de se rendre, de payer tribut. Ce roi ne veut les recevoir à composition qu'en leur crevant à tous l'œil droit, pour les livrer, dit-il, à l'opprobre et au mépris d'Israël. Ces malheureux dépêchent à leurs frères d'Israël des députés que l'on conduit à Saül; on le trouve ramenant du labourage sa charrue attelée de deux bœufs (vive peinture des mœurs du temps); Saül est saisi de colère (le narrateur appelle cela l'esprit de Dieu), il coupe ses deux bœufs en morceaux qu'il envoie par tout Israël, avec ces paroles: «Quiconque ne viendra pas de suite rejoindre Saül, ses bœufs seront traités de la sorte.»
Le moyen fut efficace; tout Israël se rassembla, comme un homme, dit le texte; ici l'hebreu dit 30,000 hommes de Juda, et 300,000 des onze tribus; le grec au contraire: 70,000 de Juda, 600,000 du reste. De telles variantes, qui sont très-répétées, montrent le crédit que méritent ces livres au moral, quand le matériel est ainsi traité. D'après le grec, en comptant six têtes pour fournir un homme de guerre, ce serait plus de trois millions d'habitants sur un territoire de 900 lieues carrées au plus, par conséquent plus de 3000 ames par lieue carrée, ce qui est contre toute vraisemblance. Le plus raisonnable est, nombre moyen, peut-être 20,000 pris par élite pour un coup de main qui demandait surtout de la rapidité. Saül part comme un trait; il arrive à la pointe du jour (sans doute le sixième), et fond sur le camp des Ammonites, qui, habitués aux lenteurs fédérales des Juifs, n'attendaient rien de tel; il les surprend, les écrase et délivre la ville. Le peuple, charmé de ce début, le porte aux nues et propose à Samuel de tuer ceux qui ne l'avaient point reconnu et salué roi. Saül, brave, et par cette raison généreux, s'y oppose. Ce jour-là, Samuel satisfait, ordonne qu'il y ait un autre assemblée générale à Galgala, pour y renouveler l'installation; cela fut fait.
Pourquoi cette seconde cérémonie? Est-ce afin de donner aux opposants, aux mécontents, le moyen de se rallier à la majorité du peuple et d'étouffer un schisme qui eut plus de partisans qu'on ne l'indique; car nous en reverrons la trace, lors de la prochaine guerre des Philistins, dans le camp desquels se trouvèrent beaucoup d'émigrés hébreux, portant les armes contre le parti de Samuel et de Saül.
Voilà un premier motif apparent, déja habile; mais nous allons découvrir que Samuel, toujours profond et plein d'embûches, en eut un autre secret, puisé dans son intérêt et son caractère.
Le texte nous dit, chap. XII, que l'assemblée étant formée, Samuel debout devant tout le peuple fit une harangue dont la substance est que, «il a géré les affaires avec une entière intégrité; qu'il n'a pris le bœuf ni l'âne de personne; qu'il n'a opprimé, persécuté aucun habitant; qu'il n'a point reçu de présents de séduction, et cependant, laisse-t-il entendre, vous m'avez forcé de mettre un roi à ma place.» Il attribue ce reproche à Dieu; mais Dieu, c'est lui.—Or, comme par la nature du régime royal tel qu'il l'a dépeint, Saül ne pouvait manquer de faire des vexations de ce genre, il en résulte à son détriment un contraste qui, en ce moment même, tend à diminuer le crédit qu'il venait d'acquérir, et qui met en évidence la jalousie qu'en avait conçue Samuel.
Ce prêtre insista sur l'idée que Dieu avait jusque-là gouverné la nation par des élus spéciaux tels que Moïse, Aaron, Sisara, Gédéon, Jephté, etc., et que le peuple, rebelle aujourd'hui, voulait se gouverner de lui-même par des hommes de son propre choix; or, comme ce nouveau système enlevait le pouvoir suprême et arbitraire à la caste des prêtres dont Samuel s'était rendu le chef, on voit d'où lui vient le profond dépit qu'il en conserve; en même temps que l'on voit l'arrogance sacrilége de ce caractère sacerdotal qui s'établit de son chef interprète et représentant de la Divinité sur la terre.
Ici le narrateur (prêtre aussi) a joint une circonstance remarquable: «Vous voyez, dit Samuel au peuple, que nous sommes dans le temps de la moisson (c'est-à-dire à la fin de juin et aux premiers jours de juillet); eh bien! j'invoquerai Dieu, et il me donnera réponse par la voix du tonnerre et par la pluie, et vous connaîtrez votre péché de désobéissance. Or il survint du tonnerre et de la pluie, et le peuple fut saisi d'effroi; il connut son péché, il demanda pardon à Samuel qui (généreusement) répondit qu'il ne cesserait néanmoins jamais de prier Dieu pour eux, etc.»
C'est fort bien: mais sur ce récit, nous avons droit de dire d'abord, où sont les témoins? Qui a vu cela? Qui nous le dit? Un narrateur de seconde main: fut-il témoin? il est le seul, il est partial; et d'ailleurs une foule de faits ou de récits semblables se trouvent chez les Grecs, chez les Romains, chez tous les Barbares anciens, et alors il faut croire que leurs voyants, que leurs devins eurent aussi le don des prodiges; mais admettons le récit et le fait: nous avons encore le droit de dire que Samuel, plus habile en toutes choses morales et physiques que son peuple de paysans superstitieux, avait vu les indices précurseurs d'un orage, qui d'ailleurs n'est pas chose rare à cette époque de l'année. Moi-même, voyageur, n'en ai-je pas vu aux derniers jours de décembre où le cas est bien plus singulier?
En résultat, le peuple prit une nouvelle confiance dans la puissance de Samuel, et c'était là ce que voulait ce roi ecclésiastique pour ne pas perdre la tutelle de son lieutenant royal.