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Kitabı oku: «Voyage en Égypte et en Syrie - Tome 1», sayfa 19

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§ III.
Des Druzes

Les Druzes ou Derouz, dont le nom fit quelque bruit en Europe sur la fin du 16e siècle, sont un petit peuple qui, pour le genre de vie, la forme du gouvernement, la langue et les usages, ressemble infiniment aux Maronites. La religion forme leur principale différence. Long-temps celle des Druzes fut un problême; mais enfin l'on a percé le mystère, et désormais l'on peut en rendre un compte assez précis, ainsi que de leur origine, à laquelle elle est liée. Pour en bien saisir l'histoire, il convient de reprendre les faits jusque dans leurs premières sources.

Vingt-trois ans après la mort de Mahomet, la querelle d'Ali son gendre, et de Moâouia, gouverneur de Syrie, avait causé dans l'empire arabe un premier schisme qui subsiste encore; mais à le bien prendre, la scission ne portait que sur la puissance; et les musulmans, partagés d'avis sur les représentants du prophète, demeuraient d'accord sur les dogmes219. Ce ne fut que dans le siècle suivant que la lecture des livres grecs suscita parmi les Arabes un esprit de discussion et de controverse, jusqu'alors étranger à leur ignorance. Les effets en furent tels que l'on devait les attendre; c'est-à-dire, que raisonnant sur des matières qui n'étaient susceptibles d'aucune démonstration, et se guidant par les principes abstraits d'une logique inintelligible, ils se partagèrent en une foule d'opinions et de sectes. Dans le même temps, la puissance civile tomba dans l'anarchie; et la religion, qui en tire les moyens de garder son unité, suivit son sort: alors il arriva aux musulmans ce qu'avaient déja éprouvé les chrétiens. Les peuples qui avaient adopté le système de Mahomet, y joignirent leurs préjugés, et les anciennes idées répandues dans l'Asie, se remontrèrent sous de nouvelles formes: on vit renaître chez les musulmans, et la métempsycose, et les transmigrations, et les deux principes du bien et du mal, et la résurrection au bout de 6,000 ans, telle que l'avait enseignée Zoroastre: dans le désordre politique et religieux de l'état, chaque inspiré se fit apôtre, chef de secte. On en compta plus de 60, remarquables par le nombre de leurs partisans; toutes différant sur quelques points de dogme, toutes s'inculpant d'hérésie et d'erreurs. Les choses en étaient à ce point, lorsque dans le commencement du 11e siècle, l'Égypte devint le théâtre de l'un des plus bizarres spectacles que l'histoire offre en ce genre. Écoutons les écrivains originaux220. «L'an de l'hedjire 386 (996 de Jésus-Christ), dit El-Makin, parvint au trône d'Égypte, à l'âge de 11 ans, le 3e calife de la race des Fâtmites, nommé Hakem-b'amr-ellah. Ce prince fut l'un des plus extravagants dont la mémoire des hommes ait gardé le souvenir. D'abord il fit maudire dans les mosquées les premiers kalifes, compagnons de Mahomet; puis il révoqua l'anathème: il força les juifs et les chrétiens d'abjurer leur culte; puis il leur permit de le reprendre. Il défendit de faire des chaussures aux femmes, afin qu'elles ne pussent sortir de leurs maisons. Pour se désennuyer, il fit brûler la moitié du Kaire, pendant que ses soldats pillaient l'autre. Non content de ces fureurs, il interdit le pèlerinage de la Mekke, le jeûne, les 5 prières; enfin, il porta la folie au point de vouloir se faire passer pour Dieu. Il fit dresser un registre de ceux qui le reconnurent pour tel, et il s'en trouva jusqu'au nombre de 16,000: cette idée fut appuyée par un faux prophète qui était alors venu de la Perse en Égypte. Cet imposteur, nommé Mohammad-ben-Ismaël, enseignait qu'il était inutile de pratiquer le jeûne, la prière, la circoncision, le pèlerinage, et d'observer les fêtes; que les prohibitions du porc et du vin étaient absurdes; que le mariage des frères, des sœurs, des pères et des enfants était licite. Pour être bien venu de Hakem, il soutint que ce kalife était Dieu lui-même incarné; et au lieu de son nom Hakem-b'amr-ellah, qui signifie gouvernant par l'ordre de Dieu, il l'appela Hakem-b'amr-eh, qui signifie gouvernant par son propre ordre. Par malheur pour le prophète, son nouveau Dieu n'eut pas le pouvoir de le garantir de la fureur de ses ennemis: ils le tuèrent dans un émeute aux pieds même du kalife, qui peu après fut aussi massacré sur le mont Moqattam, où il entretenait, disait-il, commerce avec les anges.»

La mort de ces deux chefs n'arrêta point les progrès de leurs opinions: un disciple de Mohammad-ben-Ismaël, nommé Hamz-ben-Ahmad, les répandit avec un zèle infatigable dans l'Égypte, dans la Palestine et sur la côte de Syrie, jusqu'à Sidon et Béryte. Il paraît que ses prosélytes éprouvèrent le même sort que les Maronites, c'est-à-dire que, persécutés par la communion régnante, ils se réfugièrent dans les montagnes du Liban, où ils pouvaient mieux se défendre; du moins est-il certain que peu après cette époque, on les y trouve établis et formant une société indépendante comme leurs voisins. Il semblerait que la différence de leurs cultes eût dû les rendre ennemis; mais l'intérêt pressant de leur sûreté commune les força de se tolérer mutuellement; et depuis lors, ils se montrèrent presque toujours réunis, tantôt contre les Croisés ou contre les sultans d'Alep, tantôt contre les Mamlouks et les Ottomans. La conquête de la Syrie par ces derniers, ne changea point d'abord leur état. Sélim I, qui au retour de l'Égypte ne méditait pas moins que la conquête de l'Europe, ne daigna pas s'arrêter devant les rochers du Liban. Soliman II, son successeur, sans cesse occupé de guerres importantes, tantôt contre les chevaliers de Rhodes, les Persans ou l'Yemen, tantôt contre les Hongrois, les Allemands et Charles-Quint, Soliman II n'eut pas davantage le temps de songer aux Druzes. Ces distractions les enhardirent; et non contents de leur indépendance, ils descendirent souvent de leurs montagnes pour piller les sujets des Turks. Les pachas voulurent en vain réprimer leurs incursions: leurs troupes furent toujours battues ou repoussées. Ce ne fut qu'en 1588, qu'Amurat III, fatigué des plaintes qu'on lui portait, résolut, à quelque prix que ce fût, de réduire ces rebelles, et eut le bonheur d'y réussir. Son général Ybrahim Pacha, parti du Kaire, attaqua les Druzes et les Maronites avec tant d'adresse ou de vigueur, qu'il parvint à les forcer dans leurs montagnes. La discorde survint parmi les chefs, et il en profita pour tirer une contribution de plus d'un million de piastres, et pour imposer un tribut qui a continué jusqu'à ce jour.

Il paraît que cette expédition fut l'époque d'un changement dans la constitution même des Druzes. Jusqu'alors ils avaient vécu dans une sorte d'anarchie, sous le commandement de divers chaiks ou seigneurs. La nation était surtout partagée en deux factions, que l'on retrouve chez tous les peuples arabes, et que l'on appelle parti Qaîsi, et parti Yamâni.221 Pour simplifier la régie, Ybrahim voulut qu'il n'y eût qu'un seul chef qui fût responsable du tribut, et chargé de la police. Par la nature même de son emploi, cet agent ne tarda pas d'obtenir une grande prépondérance, et sous le nom de gouverneur, il devint presque le roi de la république; mais comme ce gouverneur fut tiré de la nation, il en résulta un effet que les Turks n'avaient pas prévu et qui manqua de leur être funeste. Cet effet fut que le gouverneur rassemblant dans ses mains tous les pouvoirs de la nation, put donner à ses forces une direction unanime qui en rendit l'action bien plus puissante. Elle fut naturellement tournée contre les Turks, parce que les Druzes, en devenant leurs sujets, ne cessèrent pas d'être leurs ennemis. Seulement ils furent obligés de prendre dans leurs attaques les détours qui sauvassent des apparences, et ils firent une guerre sourde, plus dangereuse peut-être qu'une guerre déclarée.

Ce fut alors, c'est-à-dire dans les premières années du XVIIe siècle, que la puissance des Druzes acquit son plus grand développement: elle le dut aux talents et à l'ambition du célèbre émir Fakr-el-dîn, vulgairement appelé Fakar-dîn. A peine ce prince se vit-il chef et gouverneur de la nation, qu'il appliqua tous ses soins à diminuer l'ascendant des Ottomans, à s'agrandir même à leurs dépens; et il y mit un art dont peu de commandants en Turquie ont offert l'exemple. D'abord il gagna la confiance de la Porte par toutes les démonstrations du dévouement et de la fidélité. Les Arabes infestaient la plaine de Balbek, et les pays de Sour et d'Acre; il leur fit la guerre, en délivra les habitants, et prépara ainsi les esprits à désirer son gouvernement. La ville de Baîrout était à sa bienséance en ce qu'elle lui ouvrait une communication avec les étrangers, et entre autres avec les Vénitiens, ennemis naturels des Turks. Fakr-el-dîn se prévalut des malversations de l'aga, et l'expulsa: il fit plus; il sut se faire un mérite de cette hostilité auprès du divan, en payant un tribut plus considérable. Il en usa de la même manière à l'égard de Saïde, de Balbek et de Sour; enfin, dès 1613, il se vit maître du pays jusqu'à Adjaloun et Safad. Les pachas de Damas et de Tripoli ne voyaient pas d'un œil tranquille ces empiètements. Tantôt ils s'y opposaient à force ouverte, sans pouvoir arrêter Fakr-el-dîn; tantôt ils essayaient de le perdre à la Porte par des instigations secrètes; mais l'émir qui y entretenait aussi des espions et des protecteurs, en éludait toujours l'effet. Cependant le divan finit par s'alarmer des progrès des Druzes, et fit les préparatifs d'une expédition capable de les écraser. Soit politique, soit frayeur, Fakr-el-dîn ne jugea pas à propos d'attendre cet orage. Il entretenait en Italie des relations, sur lesquelles il fondait de grandes espérances: il résolut d'aller lui-même solliciter les secours qu'on lui promettait, persuadé que sa présence échaufferait le zèle de ses amis, pendant que son absence refroidirait la colère de ses ennemis: en conséquence, il s'embarqua à Baîrout, et après avoir remis les affaires dans les mains de son fils Ali, il se rendit à la cour des Médicis à Florence. L'arrivée d'un prince d'Orient en Italie ne manqua pas d'éveiller l'attention publique: l'on demanda quelle était sa nation, et l'on rechercha l'origine des Druzes. Les faits historiques et les caractères de religion se trouvèrent si équivoques, que l'on ne sut si l'on en devait faire des musulmans ou des chrétiens. L'on se rappela les croisades, et l'on supposa qu'un peuple réfugié dans les montagnes et ennemi des naturels, devait être une race de Croisés. Ce préjugé était trop favorable à Fakr-el-dîn, pour qu'il le décréditât; il eut l'adresse au contraire de réclamer de prétendues alliances avec la maison de Lorraine: il fut secondé par les missionnaires et les marchands, qui se promettaient un nouveau théâtre de conversions et de commerce. Dans la vogue d'une opinion, chacun renchérit sur les preuves. Des savants à origines, frappés de la ressemblance des noms, voulurent que Druzes et Dreux ne fussent qu'une même chose, et ils bâtirent sur ce fondement le système d'une prétendue colonie de croisés français, qui, sous la conduite d'un comte de Dreux, se serait établie dans le Liban. La remarque que l'on a faite ensuite, que Benjamin de Tudèle cite le nom de Druzes avant le temps des croisades, a porté coup à cette hypothèse. Mais un fait qui eût dû la ruiner dès son origine, est l'idiome dont se servent les Druzes. S'ils fussent descendus des Francs, ils eussent conservé au moins quelques traces de nos langues; car une société retirée dans un canton séparé où elle vit isolée, ne perd point son langage. Cependant celui des Druzes est un arabe très-pur et qui n'a pas un mot d'origine européenne. La véritable étymologie du nom de ce peuple était depuis long-temps dans nos mains sans qu'on pût s'en douter. Il vient du fondateur même de la secte, de Mohammad-ben-Ismaël qui s'appelait en surnom el-Dorzi, et non pas el-Darari, comme le portent nos imprimés. La confusion de ces deux mots, si divers dans notre écriture, tient à la figure des deux lettres arabes r et z, lesquelles ne diffèrent qu'en ce que le z porte un point, qu'on a très-souvent omis ou effacé dans les manuscrits222.

Après neuf ans de séjour en Italie, Fakr-el-dîn revint reprendre le gouvernement de son pays. Pendant son absence, Ali son fils avait repoussé les Turks, calmé les esprits, et maintenu les affaires en assez bon ordre. Il ne restait plus à l'émir qu'à employer les lumières qu'il avait dû acquérir, à perfectionner l'administration intérieure et à augmenter le bien-être de sa nation; mais au lieu de l'art sérieux et utile de gouverner, il se livra tout entier aux arts frivoles et dispendieux dont il avait pris la passion en Italie. Il bâtit de toutes parts des maisons de plaisance; il construisit des bains et des jardins. Il osa même, sans égard pour les préjugés du pays, les orner de peintures et de sculptures qu'a proscrites le Qôran. Les effets de cette conduite ne tardèrent pas à se manifester. Les Druzes, dont le tribut continuait comme en pleine guerre, s'indisposèrent. La faction Yamâni se réveilla; l'on murmura contre les dépenses du prince: le faste qu'il étalait ralluma la jalousie des pachas. Ils voulurent augmenter les contributions: ils recommencèrent les hostilités. Fakr-el-dîn les repoussa: ils prirent occasion de sa résistance pour le rendre odieux et suspect au sultan même. Le violent Amurat IV s'offensa qu'un de ses sujets osât entrer en comparaison avec lui, et il résolut de le perdre. En conséquence, le pacha de Damas reçut ordre de marcher avec toutes ses forces contre Baîrout, résidence ordinaire de Fakr-el-dîn. D'autre part, quarante galères durent investir cette ville par mer, pour lui interdire tout secours. L'émir, qui comptait sur sa fortune et sur un secours d'Italie, résolut d'abord de faire tête à cet orage. Son fils Ali, qui commandait à Safad, fut chargé d'arrêter l'armée turke; et en effet, il osa lutter contre elle, malgré une grande disproportion de forces; mais après deux combats où il eut l'avantage, ayant été tué dans une troisième attaque, les affaires changèrent tout à coup de face, et tournèrent à la décadence. Fakr-el-dîn, effrayé de la perte de ses troupes, affligé de la mort de son fils, amolli même par l'âge et par une vie voluptueuse, Fakr-el-dîn perdit le conseil et le courage. Il ne vit plus de ressource que dans la paix; il envoya son second fils la solliciter à bord de l'amiral turk, essayant de le séduire par des présents; mais l'amiral retenant les présents et l'envoyé, déclara qu'il voulait la personne même du prince. Fakr-el-dîn épouvanté prit la fuite; les Turks, maîtres de la campagne, le poursuivirent; il se réfugia sur le lieu escarpé de Niha; ils l'y assiégèrent. Après un an, voyant leurs efforts inutiles, ils le laissèrent libre; mais peu de temps après, les compagnons de son adversité, las de leurs disgrâces, le trahirent et le livrèrent aux Turks. Fakr-el-dîn, dans les mains de ses ennemis, conçut un espoir de pardon, et se laissa conduire à Constantinople. Amurat, flatté de voir à ses pieds un prince aussi célèbre, eut d'abord pour lui cette bienveillance que donne l'orgueil de la supériorité; mais bientôt revenu au sentiment plus durable de la jalousie, il se rendit aux instigations de ses courtisans; et dans un accès de son humeur violente, il le fit étrangler vers 1632.

Après la mort de Fakr-el-dîn, la postérité de ce prince ne continua pas moins de posséder le commandement, sous le bon plaisir et la suzeraineté des Turks: cette famille étant venue à manquer de lignée mâle au commencement de ce siècle, l'autorité fut déférée, par l'élection des chaiks, à la maison de Chebak, qui gouverne encore aujourd'hui. Le seul émir de cette maison qui mérite quelque souvenir, est l'émir Melhem, qui a régné depuis 1740 jusqu'en 1759. Dans cet intervalle, il est parvenu à réparer les pertes que les Druzes avaient essuyées à l'intérieur, et à leur rendre à l'extérieur la considération dont ils étaient déchus depuis le revers de Fakr-el-dîn. Sur la fin de sa vie, c'est-à-dire vers 1745, Melhem se dégoûta des soucis du gouvernement, et il abdiqua pour vivre dans une retraite religieuse, à la manière des Oqqâls. Mais les troubles qui survinrent le rappelèrent aux affaires jusqu'en 1759, qu'il mourut généralement regretté. Il laissa 3 fils en bas âge: l'aîné, nommé Yousef, devait, selon la coutume, lui succéder; mais comme il n'avait encore que onze ans, le commandement fut dévolu à son oncle Mansour, par une disposition assez générale du droit public de l'Asie, qui veut que les peuples soient gouvernés par un homme en âge de raison. Le jeune prince était peu propre à soutenir ses prétentions; mais un Maronite nommé Sad-el-Kouri, à qui Melhem avait confié son éducation, se chargea de ce soin. Aspirant à voir son pupille un prince puissant, pour être un puissant visir, il travailla de tout son pouvoir à élever sa fortune. D'abord il se retira avec lui à Djebail, au Kesraouân, où l'émir Yousef possédait de grands domaines; et là il prit à tâche de s'affectionner les Maronites, en saisissant toutes les occasions de servir les particuliers et la nation. Les gros revenus de son pupille, et la modicité de ses dépenses, lui en fournirent de puissants moyens. La ferme du Kesraouân était divisée entre plusieurs chaiks dont on était peu content; Sad en traita avec le pacha de Tripoli, et s'en rendit le seul adjudicataire. Les Motouâlis de la vallée de Balbek avaient fait, depuis quelques années, des empiétements sur le Liban, et les Maronites s'alarmaient du voisinage de ces musulmans intolérants. Sad acheta du pacha de Damas la permission de leur faire la guerre, et il les expulsa en 1763. Les Druzes étaient toujours divisés en deux factions223: Sad lia ses intérêts à celle qui contrariait Mansour, et il prépara sourdement la trame qui devait perdre l'oncle, pour élever le neveu.

C'était alors le temps que l'Arabe Dâher, maître de la Galilée, et résidant à Acre, inquiétait la Porte par ses progrès et ses prétentions: pour y opposer un obstacle puissant, elle venait de réunir les pachalics de Damas, de Saïde et de Tripoli, dans les mains d'Osman et de ses enfants, et l'on voyait clairement qu'elle avait le dessein d'une guerre ouverte et prochaine. Mansour, qui craignait les Turks sans oser les braver, usa de la politique ordinaire en pareil cas; il feignit de les servir, et favorisa leur ennemi. Ce fut pour Sad une raison de prendre la route opposée: il s'appuya des Turks contre la faction de Mansour, et il manœuvra avec assez d'adresse ou de bonheur, pour faire déposer cet émir en 1770, et porter Yousef à sa place. L'année suivante éclata la guerre d'Ali-Bek contre Damas. Yousef, appelé par les Turks, entra dans leur querelle; cependant il n'eut point le crédit de faire sortir les Druzes de leurs montagnes, pour aller grossir l'armée ottomane. Outre la répugnance qu'ils ont en tout temps à combattre hors de leur pays, ils étaient en cette occasion trop divisés à l'intérieur pour quitter leurs foyers, et ils eurent lieu de s'en applaudir. La bataille de Damas se donna, et les Turks, comme nous l'avons vu, furent complètement défaits. Le pacha de Saïde, échappé de la déroute, ne se crut pas en sûreté dans sa ville, et vint chercher un asile dans la maison même de l'émir Yousef. Le moment était peu favorable; mais la fuite de Mohammad-Bek changea la face des affaires. L'émir croyant Ali-Bek mort, et ne jugeant pas Dâher assez fort pour soutenir seul sa querelle, se décida ouvertement contre lui. Saïde était menacée d'un siége; il y détacha 1,500 hommes de sa faction pour l'en garantir. Lui-même, déterminant les Druzes et les Maronites à le suivre, descendit avec 25,000 paysans dans la vallée de Beqâa; et dans l'absence des Motouâlis qui servaient chez Dâher, il mit tout à feu et à sang, depuis Balbek jusqu'à Sour (Tyr). Pendant que les Druzes, fiers de cet exploit, marchaient en désordre vers cette dernière ville, 500 Motouâlis, informés de ce qui se passait, accoururent d'Acre, saisis de fureur et de désespoir, et fondirent si brusquement sur cette armée, qu'ils la jetèrent dans la déroute la plus complète: telles furent la surprise et la confusion des Druzes, que se croyant attaqués par Dâher lui-même, et trahis les uns par les autres, ils s'entre-tuèrent mutuellement dans leur fuite. Les pentes rapides de Djezîn, et les bois de sapins qui se trouvèrent sur la route des fuyards, furent jonchés de morts, dont très-peu périrent de la main des Motouâlis. L'émir Yousef, honteux de cet échec, se sauva à Dair-el-Qamar. Peu après, il voulut prendre sa revanche; mais ayant encore été battu dans la plaine qui règne entre Saïde et Sour, il fut contraint de remettre à son oncle Mansour l'anneau, qui, chez les Druzes, est le symbole du commandement. En 1773, une nouvelle révolution le replaça; mais ce ne fut qu'au prix d'une guerre civile qu'il put maintenir sa puissance. Ce fut alors que pour s'assurer Baîrout contre la faction adverse, il invoqua le secours des Turks, et demanda au pacha de Damas un homme de tête qui sût défendre cette ville. Le choix tomba sur un aventurier qui, par sa fortune subséquente, et le rôle qu'il joue aujourd'hui, mérite qu'on le fasse connaître. Cet homme, nommé Ahmad, est né en Bosnie, et a pour langue naturelle le sclavon, ainsi que l'assurent les capitaines de Raguse, avec qui il converse de préférence à tous les autres. On prétend qu'il s'est banni de son pays à l'âge de 16 ans, pour éviter les suites d'un viol qu'il voulut commettre sur sa belle-sœur; il vint à Constantinople; et là ne sachant comment vivre, il se vendit aux marchands d'esclaves, pour être transporté en Égypte. Arrivé au Kaire, Ali-Bek l'acheta, et le plaça au rang de ses Mamlouks. Abmad ne tarda pas à se distinguer par son courage et son adresse. Son patron l'employa en plusieurs occasions à des coups de main dangereux, tels que les assassinats des beks et des kâchefs qu'il suspectait. Ahmad s'acquitta si bien de ces commissions, qu'il en acquit le surnom de Djezzâr, qui signifie égorgeur. Il jouissait à ce titre de la faveur d'Ali, quand un accident la troubla. Ce bek ombrageux ayant jugé à propos de proscrire un de ses bienfaiteurs, nommé Sâléh-Bek, chargea Djezzâr de lui couper la tête. Soit remords, soit intérêt secret, Djezzâr répugna; il fit même des représentations. Mais apprenant le lendemain que Mohammad-Bek avait rempli la commission, et qu'Ali tenait des propos, il se jugea perdu; et pour éviter le sort de Sâléh-Bek, il s'échappa clandestinement, et gagna Constantinople. Il y sollicita des emplois proportionnés au rang qu'il avait tenu; mais y trouvant cette affluence de concurrents qui assiégent toutes les capitales, il se traça un autre plan, et vint à titre de simple soldat chercher du service en Syrie. Le hasard le fit passer chez les Druzes, et il reçut l'hospitalité dans la maison même du kiâya de l'émir Yousef. De là il se rendit à Damas, où il obtint bientôt le titre d'Aga, avec un commandement de 5 drapeaux, c'est-à-dire de 50 hommes: ce fut dans ce poste que le sort vint le chercher pour en faire le commandant de Baîrout. Djezzâr ne s'y vit pas plus tôt établi, qu'il s'en empara pour les Turks. Yousef fut confondu de ce revers. Il demanda justice à Damas; mais voyant qu'on se moquait même de ses plaintes, il traita par dépit avec Dâher, et conclut avec lui une alliance offensive et défensive à Râs-el-aên, près de Sour. Aussitôt Dâher uni aux Druzes, vint assiéger Baîrout par terre, pendant que deux frégates russes, dont on acheta le service pour 600 bourses, vinrent la canonner par mer. Il fallut céder à la force. Après une résistance assez vigoureuse, Djezzâr rendit sa personne et sa ville. Le chaik charmé de son courage, et flatté de la préférence qu'il lui avait donnée sur l'émir, l'emmena à Acre, et le traita avec toutes sortes de bontés. Il crut même pouvoir lui confier une petite expédition en Palestine; mais Djezzâr arrivé près de Jérusalem, repassa chez les Turks, et s'en retourna à Damas. La guerre de Mohammad-Bek survint: Djezzâr se présenta au capitan-pacha, et gagna sa confiance. Il l'accompagna au siége d'Acre; et lorsque l'amiral eut détruit Dâher, ne voyant personne, plus propre que Djezzâr à remplir les vues de la Porte dans ces contrées, il le nomma pacha de Saïde. Devenu par cette révolution suzerain de l'émir Yousef, Djezzâr a d'autant moins oublié son injure, qu'il a lieu de s'accuser d'ingratitude. Par une conduite vraiment turke, feignant tour à tour la reconnaissance et le ressentiment, il s'est tour à tour brouillé et réconcilié avec lui, en exigeant toujours de l'argent pour prix de la paix ou pour indemnité de la guerre. Ce manége lui a si bien réussi, qu'en un espace de 5 années, il a tiré de l'émir environ 4,000,000 de France, somme d'autant plus étonnante, que la ferme du pays des Druzes ne se montait pas alors à 100,000 francs. En 1784, il lui fit la guerre, le déposa, et mit à sa place l'émir du pays de Hasbêya, appelé Ismaël. Yousef ayant de nouveau racheté ses bonnes graces, rentra sur la fin de l'année à Dair-el-Qamar. Il poussa même la confiance jusqu'à l'aller trouver à Acre, d'où l'on ne croyait pas qu'il revînt; mais Djezzâr est trop habile pour verser le sang, quand il y a encore espoir d'argent: il a fini par relâcher le prince, et le renvoyer même avec des démonstrations d'amitié. Depuis lors, la Porte l'a nommé pacha de Damas, où il réside aujourd'hui. Là, conservant la suzeraineté du pachalic d'Acre et du pays des Druzes, il a saisi Sâd, kiâya de l'émir, et sous le prétexte qu'il est l'auteur des derniers troubles, il a menacé de les lui faire payer de sa tête. Les Maronites, alarmés pour cet homme qu'ils révèrent, ont offert 900 bourses pour sa rançon. Le pacha marchande, et en aura 1,000; mais si, comme il est probable, l'or s'épuise par tant de contributions, malheur au ministre et au prince! Le sort de tant d'autres les attend; et l'on pourra dire qu'ils l'ont mérité; car c'est l'impéritie de l'un et l'ambition de l'autre, qui, en mêlant les Turks aux affaires des Druzes, ont porté à la tranquillité et à la sûreté de leur nation, une atteinte dont elle sera long-temps à se relever, si elle ne suit que le cours naturel des événements.

Revenons à la religion des Druzes. Ce qu'on a vu des opinions de Mahommad-ben-Ismaël, peut en être regardé comme la définition. Ils ne pratiquent ni circoncision, ni prières, ni jeûne; ils n'observent ni prohibitions, ni fêtes. Ils boivent du vin, mangent du porc, et se marient de sœur à frère. Seulement on ne voit plus chez eux d'alliance publique entre les enfants et les pères. D'après ceci, l'on conclura avec raison que les Druzes n'ont pas de culte: cependant il faut en excepter une classe qui a des usages religieux marqués. Ceux qui la composent, sont au reste de la nation ce qu'étaient les initiés aux profanes, ils se donnent le nom d'Oqqâls, qui veut dire spirituels, par opposé au vulgaire qu'ils appellent Djâhel (ignorant). Ils ont divers grades d'initiation, dont le plus élevé exige le célibat. On les reconnaît au turban blanc qu'ils affectent de porter, comme un symbole de leur pureté; et ils mettent tant d'orgueil à cette pureté, qu'ils se croient souillés par l'attouchement de tout profane. Si l'on mange dans leur plat, si l'on boit dans leur vase, ils les brisent, et de là l'usage assez répandu dans le pays, d'une espèce de vase à robinet d'où l'on boit sans y porter les lèvres. Toutes leurs pratiques sont enveloppées de mystères: ils ont des oratoires toujours isolés, toujours placés sur des lieux hauts, et ils y tiennent des assemblées secrètes, où les femmes sont admises. On prétend qu'ils y pratiquent quelques cérémonies en présence d'une petite statue qui représente un bœuf ou un veau; et l'on a voulu déduire de là qu'ils descendaient des Samaritains. Mais outre que ce fait n'est pas avéré, le culte du bœuf pourrait avoir d'autres origines. Ils ont un ou deux livres qu'ils cachent avec le plus grand soin; mais le hasard a trompé leur jalousie; car dans une guerre civile qui arriva il y a six à sept ans, l'émir Yousef, qui est Djâhel, en trouva un dans le pillage d'un de leurs oratoires. Des personnes qui l'ont lu, assurent qu'il ne contient qu'un jargon mystique, dont l'obscurité fait sans doute le prix pour les adeptes. On y parle du Hakem B'amr-eh, par lequel ils désignent Dieu incarné dans la personne du kalife: on y fait mention d'une autre vie, d'un lieu de peines et d'un lieu de bonheur, où les Oqqâls auront, comme de raison, la première place. On y distingue divers degrés de perfection auxquels on arrive par des épreuves successives. Du reste, ces sectaires ont toute la morgue et tous les scrupules de la superstition: ils sont incommuniquants, parce qu'ils sont faibles; mais il est probable que s'ils étaient puissants, ils seraient promulgateurs et intolérants. Le reste des Druzes, étranger à cet esprit, est tout-à-fait insouciant des choses religieuses. Les chrétiens qui vivent dans leur pays, prétendent que plusieurs admettent la métempsycose; que d'autres adorent le soleil, la lune, les étoiles: tout cela est possible; car, ainsi que chez les Ansârié, chacun livré à son sens suit la route qui lui plaît; et ces opinions sont celles qui se présentent le plus naturellement aux esprits simples. Lorsqu'ils vont chez les Turks, ils affectent des dehors musulmans; ils entrent dans les mosquées et font les ablutions et la prière. Passent-ils chez les Maronites, ils les suivent à l'église et prennent l'eau bénite comme eux. Plusieurs, importunés par les missionnaires, se sont fait baptiser; puis sollicités par des Turks, ils se sont laissé circoncire, et ont fini par mourir sans être ni chrétiens, ni musulmans; ils ne sont pas si inconséquents en matières politiques.

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   Là cause radicale de toute cette grande querelle fut l'aversion qu'Aïcha, femme de Mahomet, avait conçue contre Ali, à l'occasion, dit-on, d'une infidélité qu'il avait révélée au prophète: elle ne put lui pardonner cette indiscrétion; et après lui avoir donné trois fois l'exclusion au kalifat par ses intrigues, voyant qu'il l'emportait à la quatrième, elle résolut de le perdre à force ouverte. Dans ce dessein, elle souleva contre lui divers chefs des Arabes, et entre autres Amron, gouverneur d'Égypte, et Moâouia, gouverneur de Syrie. Ce dernier se fit proclamer kalife ou successeur dans la ville de Damas. Ali, pour le déposséder, lui déclara la guerre; mais la nonchalance de sa conduite perdit ses affaires. Après quelques hostilités, où les avantages furent balancés, il périt, à Koufa, par la main d'un assassin ou bâtenien. Ses partisans élurent à sa place son fils Hosain; mais ce jeune homme, peu propre à des circonstances aussi épineuses que celles où il se trouvait, fut tué dans une rencontre par les partisans de Moâouia. Cette mort acheva de rendre les deux factions irréconciliables. Leur haine devint une raison de ne plus s'accorder sur les commentaires du Qôran. Les docteurs des deux partis prirent plaisir à se contrarier, et dès-lors se forma le partage des musulmans en deux sectes, qui se traitent mutuellement d'hérétiques. Les Turks suivent celle qui regarde Omar et Moâouia, comme successeurs légitimes du prophète. Les Persans au contraire suivent le parti d'Ali.


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220
   El-Makin, lib. I, Hist. Arab.


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221
   Ces factions se distinguent par la couleur qu'elles affectent à leurs drapeaux; celui des Qaîsis est rouge, et celui des Yamânis blanc.


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222
   Cette découverte appartient à un Michel Drogman, barataire de France à Saïde sa patrie; il a fait un Mémoire sur les Druzes, dont il a donné les deux seules copies qu'il eût, l'une au chevalier de Taulès, consul à Saïde, et l'autre au baron de Tott, lorsqu'il passa en 1777 pour inspecter cette échelle.


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223
   Le parti Qaîsi et le Yamâni, qui portent aujourd'hui le nom des deux familles qui sont à la tête, les Djambelâts et les Lesbeks.


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Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
30 haziran 2018
Hacim:
400 s. 34 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain