Kitabı oku: «Voyage en Égypte et en Syrie - Tome 1», sayfa 18
§ II.
Des Maronites
Entre les Ansârié au nord, et les Druzes au midi, habite un petit peuple connu dès long-temps sous le nom de Maouârné, ou Maronites. Leur origine première, et la nuance qui les distingue des Latins, dont ils suivent la communion, ont été longuement discutées par des écrivains ecclésiastiques; ce qu'il y a de plus clair et de plus intéressant dans ces questions, peut se réduire à ce qui suit.
Sur la fin du sixième siècle de l'église, lorsque l'esprit érémitique était encore dans la ferveur de la nouveauté, vivait sur les bords de l'Oronte un nommé Mâroun, qui, par ses jeûnes, sa vie solitaire et ses austérités, s'attira la considération du peuple d'alentour. Il paraît que dans les querelles qui déja régnaient entre Rome et Constantinople, il employa son crédit en faveur des Occidentaux. Sa mort, loin de refroidir ses partisans, donna une nouvelle force à leur zèle: le bruit se répandit qu'il se faisait des miracles près de son corps: et sur ce bruit, il s'assembla de Kinésrin, d'Aouâsem et autres lieux, des gens qui lui dressèrent, dans Hama, une chapelle et un tombeau; bientôt même il s'y forma un couvent qui prit une grande célébrité dans toute cette partie de la Syrie. Cependant les querelles des deux métropoles s'échauffèrent, et tout l'empire partagea les dissensions des prêtres et des princes. Les affaires en étaient à ce point, lorsque sur la fin du 7e siècle, un moine du couvent de Hama, nommé Jean le Maronite, parvint, par son talent pour la prédication, à se faire considérer comme un des plus fermes appuis de la cause des Latins ou partisans du pape. Leurs adversaires, les partisans de l'empereur, nommés par cette raison melkites, c'est-à-dire royalistes, faisaient alors de grands progrès dans le Liban. Pour s'y opposer avec succès, les Latins résolurent d'y envoyer Jean le Maronite; en conséquence, ils le présentèrent à l'agent du pape, à Antioche, lequel, après l'avoir sacré évêque de Djebail, l'envoya prêcher dans ces contrées. Jean ne tarda pas à rallier ses partisans et à en augmenter le nombre; mais traversé par les intrigues et même par les attaques ouvertes des melkites, il jugea nécessaire d'opposer la force à la force; il rassembla tous les Latins, et il s'établit avec eux dans le Liban, où ils formèrent une société indépendante pour l'état civil comme pour l'état religieux. C'est ce qu'indiqué un historien du Bas-Empire214, en ces termes: «L'an 8 de Constantin Pogonat (676 de Jésus-Christ), les Mardaïtes s'étant attroupés, s'emparèrent du Liban, qui devint le refuge des vagabonds, des esclaves et de toute sorte de gens. Ils s'y renforcèrent au point qu'ils arrêtèrent les progrès des Arabes, et qu'ils contraignirent le kalife Moâouia à demander aux Grecs une trêve de 30 ans, sous l'obligation d'un tribut de 50 chevaux de race, de 100 esclaves, et de 10,000 pièces d'or.»
Le nom de mardaïtes qu'emploie ici l'auteur, est un terme syriaque qui signifie rebelle, et par son opposition à melkite ou royaliste, il prouve à la fois que le syriaque était encore usité à cette époque, et que le schisme qui déchirait l'empire était autant civil que religieux. D'ailleurs, il paraît que l'origine de ces deux factions et l'existence d'une insurrection dans ces contrées, sont antérieures à l'époque alléguée; car dès les premiers temps du mahométisme (622 de Jésus-Christ) on fait mention de deux petits princes particuliers, dont l'un, nommé Youseph, commandait à Djebail; et l'autre, nommé Kesrou, gouvernait l'intérieur du pays, qui prit de lui le nom de Kesraouân. On en cite encore après eux un autre qui fit une expédition contre Jérusalem, et qui mourut très-âgé à Beskonta215, où il faisait sa résidence. Ainsi, dès avant Constantin Pogonat, ces montagnes étaient devenues l'asile des mécontents ou des rebelles, qui fuyaient l'intolérance des empereurs et de leurs agents. Ce fut sans doute par cette raison, et par une analogie d'opinions, que Jean et ses disciples s'y réfugièrent; et ce fut par l'ascendant qu'ils y prirent, ou qu'ils y avaient déja, que toute la nation se donna le nom de maronites, qui n'était point injurieux comme celui de mardaïtes. Quoi qu'il en soit, Jean ayant établi chez ces montagnards un ordre régulier et militaire, leur ayant donné des armes et des chefs, ils employèrent leur liberté à combattre les ennemis communs de l'empire et de leur petit état; bientôt ils se rendirent maîtres de presque toutes les montagnes jusqu'à Jérusalem. Le schisme qui arriva chez les musulmans à cette époque, facilita leurs succès: Moâouia révolté à Damas contre Ali, kalife à Koufa, se vit obligé, pour n'avoir pas deux guerres ensemble, de faire (en 678) un traité onéreux avec les Grecs. Sept ans après, Abd-el-Malek le renouvela avec Justinien II, en exigeant toutefois que l'empereur le délivrât des Maronites. Justinien eut l'imprudence d'y consentir, et il y ajouta la lâcheté de faire assassiner leur chef par un envoyé que cet homme trop généreux avait reçu dans sa maison sous des auspices de paix. Après ce meurtre, cet agent employa la séduction et l'intrigue si heureusement, qu'il emmena 12,000 hommes du pays; ce qui laissa une libre carrière aux progrès des musulmans. Peu après, une autre persécution menaça les Maronites d'une ruine entière; car le même Justinien envoya contre eux des troupes, sous la conduite de Marcien et de Maurice, qui détruisirent le monastère de Hama, et y égorgèrent 500 moines. De là ils vinrent porter la guerre jusque dans le Kesraouân; mais heureusement que sur ces entrefaites Justinien fut déposé, à la veille de faire exécuter un massacre général dans Constantinople; et les Maronites, autorisés par son successeur, ayant attaqué Maurice, taillèrent son armée en pièces dans un combat où il périt lui-même. Depuis cette époque, on les perd de vue jusqu'à l'invasion des Croisés, avec qui ils eurent tantôt des alliances et tantôt des démêlés: dans cet intervalle, qui fut de plus de trois siècles, une partie de leurs possessions leur échappa, et ils furent restreints, vers le Liban, aux bornes actuelles; sans doute même ils payèrent des tributs lorsqu'il se trouva des gouverneurs arabes ou turkmans assez forts pour les exiger. Ils étaient dans ce cas vis-à-vis du kalife d'Égypte Hakem-B'amr-Ellah, lorsque vers l'an 1014 il céda leur côte à un prince turkman d'Alep. Deux cents ans après, Selah-eldîn ayant chassé les Européens de ces cantons, il fallut plier sous sa puissance, et acheter la paix par des contributions. Ce fut alors, c'est-à-dire vers l'an 1215, que les Maronites effectuèrent avec Rome une réunion dont ils n'avaient jamais été éloignés, et qui subsiste encore. Guillaume de Tyr, qui rapporte le fait, observe qu'ils avaient 40,000 hommes en état de porter les armes. Leur état, assez paisible sous les Mamlouks, fut troublé par Sélim II; mais ce prince, occupé par de plus grands soins, ne se donna pas la peine de les assujettir. Cette négligence les enhardit; et de concert avec les Druzes et leur émir, le célèbre Fakr-el-dîn, ils empiétèrent de jour en jour sur les Ottomans; mais ces mouvements eurent une issue malheureuse; car Amurat III ayant envoyé contre eux Ibrahim, pacha du Kaire, ce général les réduisit en 1588 à l'obéissance, et les soumit à un tribut annuel qu'ils paient encore.
Depuis ce temps, les pachas, jaloux d'étendre leur autorité et leurs rapines, ont souvent tenté d'introduire dans les montagnes des Maronites leurs garnisons et leurs agas; mais toujours repoussés, ils ont été forcés de s'en tenir à la première capitulation. La sujétion des Maronites se borne donc à payer un tribut au pacha de Tripoli dont leur pas relève; chaque année il en donne la ferme à un ou plusieurs chaiks216, c'est-à-dire, à des notables qui en font la répartition par districts et par villages. Cet impôt est assis presque entier sur les mûriers et les vignes, qui sont les principaux et presque les seuls objets de culture. Il varie en plus et en moins, selon la résistance que l'on peut opposer au pacha. Il y a aussi des douanes établies aux bords maritimes, tels que Djebail et Bâtroun; mais cet objet n'est pas considérable.
La forme du gouvernement n'est point fondée sur des conventions expresses, mais seulement sur les usages et les coutumes. Cet inconvénient eût eu sans doute des long-temps de fâcheux effets, s'ils n'eussent été prévenus par plusieurs circonstances heureuses. La première est la religion, qui mettant une barrière insurmontable entre les Maronites et les musulmans, a empêché les ambitieux de se liguer avec les étrangers pour asservir leur nation. La deuxième est la nature du pays, qui offrant partout de grandes défenses, a donné à chaque village, et presque à chaque famille, le moyen de résister par ses propres forces, et par conséquent d'arrêter l'extension d'un seul pouvoir; enfin l'on doit compter pour une troisième raison, la faiblesse même de cette société, qui depuis son origine, environnée d'ennemis puissants, n'a pu leur résister qu'en maintenant l'union entre ses membres; et cette union n'a lieu, comme l'on sait, qu'autant qu'ils s'abstiennent de l'oppression les uns des autres, et qu'ils jouissent réciproquement de la sûreté de leurs personnes et de leurs propriétés. C'est ainsi que le gouvernement s'est maintenu de lui-même dans un équilibre naturel, et que les mœurs tenant lieu de lois, les Maronites ont été préservés jusqu'à ce jour de l'oppression du despotisme et des désordres de l'anarchie.
On peut considérer la nation comme partagée en deux classes, le peuple et les chaiks. Par ce mot, on entend les plus notables des habitants, à qui l'ancienneté de leurs familles et l'aisance de leur fortune donnent un état plus distingué que celui de la foule. Tous vivent répandus dans les montagnes par villages, par hameaux, même par maisons isolées; ce qui n'a pas lieu dans la plaine. La nation entière est agricole; chacun fait valoir de ses mains le petit domaine qu'il possède ou qu'il tient à ferme. Les chaiks même vivent ainsi, et ils ne se distinguent du peuple que par une mauvaise pelisse, un cheval, et quelques légers avantages dans la nourriture et le logement: tous vivent frugalement, sans beaucoup de jouissances, mais aussi sans beaucoup de privations, attendu qu'ils connaissent peu d'objets de luxe. En général, la nation est pauvre, mais personne n'y manque du nécessaire; et si l'on y voit des mendiants, ils viennent plutôt des villes de la côte que du pays même. La propriété y est aussi sacrée qu'en Europe, et l'on n'y voit point ces spoliations ni ces avanies si fréquentes chez les Turks. On voyage de nuit et de jour avec une sécurité inconnue dans le reste de l'empire. L'étranger y trouve l'hospitalité comme chez les Arabes; cependant l'on observe que les Maronites sont moins généreux, et qu'ils ont un peu le défaut de la lésine. Conformément aux principes du christianisme, ils n'ont qu'une femme, qu'ils épousent souvent sans l'avoir vue, toujours sans l'avoir fréquentée. Contre les préceptes de cette même religion, ils ont admis ou conservé l'usage arabe du talion, et le plus proche parent de tout homme assassiné doit le venger. Par une habitude fondée sur la défiance et l'état politique du pays, tous les hommes, chaiks ou paysans, marchent sans cesse armés du fusil et du poignard; c'est peut-être un inconvénient; mais il en résulte cet avantage, qu'ils ne sont pas novices à l'usage des armes dans les circonstances nécessaires, telles que la défense de leur pays contre les Turcs. Comme le pays n'entretient point de troupes régulières, chacun est obligé de marcher lorsqu'il y a guerre; et si cette milice était bien conduite, elle vaudrait mieux que bien des troupes d'Europe. Les recensements que l'on a eu occasion de faire dans les dernières années, portent à trente-cinq mille le nombre des hommes en état de manier le fusil. Dans les rapports ordinaires, ce nombre supposerait une population totale d'environ 105,000 ames. Si l'on y ajoute un nombre de prêtres, de moines et de religieuses, répartis dans plus de 200 couvents; plus, le peuple des villes maritimes, telles que Djebail, Bâtroun, etc, l'on pourra porter le tout à 115,000 ames.
Cette quantité, comparée à la surface du pays, qui est d'environ 150 lieues carrées, donne 760 habitants par lieue carrée, ce qui ne laisse pas d'être considérable, attendu qu'une grande partie du Liban est composée de rochers incultivables, et que le terrain, même aux lieux cultivés, est rude et peu fertile.
Pour la religion, les Maronites dépendent de Rome. En reconnaissant la suprématie du pape, leur clergé a continué, comme par le passé, d'élire un chef qui a le titre de batraq ou patriarche d'Antioche. Leurs prêtres se marient comme aux premiers temps de l'église; mais leur femme doit être vierge et non veuve, et ils ne peuvent passer à de secondes noces. Ils célèbrent la messe en syriaque, dont la plupart ne comprennent pas un mot. L'évangile seul se lit à haute voix en arabe, afin que le peuple l'entende. La communion se pratique sous les deux espèces. L'hostie est un petit pain rond, non levé, épais du doigt, et un peu plus large qu'un écu de six livres. Le dessus porte un cachet qui est la portion du célébrant. Le reste se coupe en petits morceaux, que le prêtre met dans le calice avec le vin, et qu'il administre à chaque personne, au moyen d'une cuiller qui sert à tout le monde. Ces prêtres n'ont point, comme parmi nous, de bénéfices ou de rentes assignées; mais ils vivent en partie du produit de leurs messes, des dons de leurs auditeurs, et du travail de leurs mains. Les uns exercent des métiers; d'autres cultivent un petit domaine; tous s'occupent pour le soutien de leur famille et l'édification de leur troupeau. Ils sont un peu dédommagés de leur détresse par la considération dont ils jouissent; ils en éprouvent à chaque instant des effets flatteurs pour la vanité: quiconque les aborde, pauvre ou riche, grand ou petit, s'empresse de leur baiser la main: ils n'oublient pas de la présenter; et ils ne voient pas avec plaisir les Européens s'abstenir de cette marque de respect, qui répugne à nos mœurs, mais qui ne coûte rien aux naturels accoutumés dès l'enfance à la prodiguer. Du reste, les cérémonies de la religion ne sont pas pratiquées en Europe avec plus de publicité et de liberté que dans le Kesraouân. Chaque village a sa chapelle, son desservant, et chaque chapelle a sa cloche; chose inouïe dans le reste de la Turkie. Les Maronites en tirent vanité; et pour s'assurer la durée de ces franchises, ils ne permettent à aucun musulman d'habiter parmi eux. Ils s'arrogent aussi le privilége de porter le turban vert, qui, hors de leurs limites, coûterait la vie à un chrétien.
L'Italie ne compte pas plus d'évêques que ce petit canton de la Syrie; ils y ont conservé la modestie de leur état primitif: on en rencontre souvent dans les routes, montés sur une mule, suivis d'un seul sacristain. La plupart vivent dans les couvents, où ils sont vêtus et nourris comme les simples moines. Leur revenu le plus ordinaire ne passe pas 1,500 livres; et dans ce pays, où tout est à bon marché, cette somme suffit pour leur procurer même l'aisance. Ainsi que les prêtres, ils sont tirés de la classe des moines; leur titre, pour être élus, est communément une prééminence de savoir: elle n'est pas difficile à acquérir, puisque le vulgaire des religieux et des prêtres ne connaît que le catéchisme et la Bible. Cependant il est remarquable que ces deux classes subalternes sont plus édifiantes par leurs mœurs et par leur conduite; qu'au contraire les évêques et le patriarche, toujours livrés aux cabales et aux disputes de prééminence et de religion, ne cessent de répandre le scandale et le trouble dans le pays, sous prétexte d'exercer, selon l'ancien usage, la correction ecclésiastique: ils s'excommunient mutuellement eux et leurs adhérents; ils suspendent les prêtres, interdisent les moines, infligent des pénitences publiques aux laïques; en un mot, ils ont conservé l'esprit brouillon et tracassier qui a été le fléau du Bas-Empire. La cour de Rome, souvent importunée de leurs débats, tâche de les pacifier, pour maintenir en ces contrées le seul asile qu'y conserve sa puissance. Il y a quelque temps qu'elle fut obligée d'intervenir dans une affaire singulière, dont le tableau peut donner une idée de l'esprit des Maronites.
Vers l'an 1755, il y avait dans le voisinage de la mission des jesuites, une fille maronite, nommée Hendîé, dont la vie extraordinaire commença de fixer l'attention du peuple. Elle jeûnait, elle portait le cilice, elle avait le don des larmes; en un mot, elle avait tout l'extérieur des anciens ermites, et bientôt elle en eut la réputation. Tout le monde la regardait comme un modèle de piété, et plusieurs la réputèrent pour sainte: de là aux miracles le passage est court; et bientôt en effet le bruit courut qu'elle faisait des miracles. Pour bien concevoir l'impression de ce bruit, il ne faut pas oublier que l'état des esprits dans le Liban est presque le même qu'aux premiers siècles. Il n'y eut donc ni incrédules ni plaisans, pas même de douteurs. Hendîé profita de cet enthousiasme pour l'exécution de ses projets; et se modelant en apparence sur ses prédécesseurs dans la même carrière, elle désira d'être fondatrice d'un ordre nouveau. Le cœur humain a beau faire; sous quelque forme qu'il déguise ses passions, elles sont toujours les mêmes: pour le conquérant comme pour le cénobite, c'est toujours également l'ambition du pouvoir; et l'orgueil de la prééminence se montre même dans l'excès de l'humilité. Pour bâtir le couvent, il fallait des fonds; la fondatrice sollicita la piété de ses partisans, et les aumônes abondèrent; elles furent telles, que l'on put élever en peu d'années deux vastes maisons en pierre de taille, dont la construction a dû coûter quarante mille écus. Le lieu, nommé le Kourket, est un dos de colline au nord-ouest d'Antoura, dominant à l'ouest, sur la mer qui en est très-voisine, et découvrant au sud jusqu'à la rade de Baîrout, éloignée de quatre lieues. Le Kourket ne tarda pas de se peupler de moines et de religieuses. Le patriarche actuel fut le directeur-général; d'autres emplois, grands et petits, furent conférés à divers prêtres ou candidats, que l'on établit dans l'une des maisons. Tout réussissait à souhait: il est vrai qu'il mourait beaucoup de religieuses; mais on en rejetait la faute sur l'air, et il était difficile d'en imaginer la vraie cause. Il y avait près de vingt ans que Hendîé régnait dans ce petit empire, quand un accident, impossible à prévoir, vint tout renverser. Dans des jours d'été, un commissionnaire venant de Damas à Baîrout, fut surpris par la nuit près de ce couvent: les portes étaient fermées, l'heure indue; il ne voulut rien troubler; et content d'avoir pour lit un monceau de paille, il se coucha dans la cour extérieure en attendant le jour. Il y dormait depuis quelques heures, lorsqu'un bruit clandestin de portes et de verrous vint l'éveiller. De cette porte, sortirent trois femmes qui tenaient en main des pioches et des pelles; deux hommes les suivaient, portant un long paquet blanc, qui paraissait fort lourd. La troupe s'achemina vers un terrain voisin plein de pierres et de décombres. Là, les hommes déposèrent leur fardeau, creusèrent un trou où ils le mirent, recouvrirent le trou de terre qu'ils foulèrent, et après cette opération, rentrèrent avec les femmes qui les suivirent. Des hommes avec des religieuses, une sortie faite de nuit avec mystère, un paquet déposé dans un trou caché, tout cela donna à penser au voyageur. La surprise l'avait d'abord retenu en silence; bientôt les réflexions firent naître l'inquiétude et la peur, et il se déroba dès l'aube du jour pour se rendre à Baîrout. Il connaissait dans la ville un marchand qui depuis quelques mois avait placé ses deux filles au Kourket, avec une dot de 10,000 livres. Il alla le trouver hésitant encore, et cependant brûlant d'impatience de raconter son aventure. L'on s'assit jambes croisées, l'on alluma la longue pipe, et l'on prit le café. Le marchand fait des questions sur le voyage; l'homme répond qu'il a passé la nuit près du Kourket. On demande des détails; il en donne: enfin il s'épanche, et conte ce qu'il a vu à l'oreille de son hôte. Les premiers mots étonnent celui-ci; le paquet en terre l'inquiète; bientôt la réflexion vient l'alarmer. Il sait qu'une de ses filles est malade; il observe qu'il meurt beaucoup de religieuses. Ces pensées le tourmentent; il n'ose admettre des soupçons trop graves, et il ne peut les rejeter; il monte à cheval avec un ami; ils vont ensemble au couvent; ils demandent à voir les deux novices: elles sont malades. Le marchand insiste, et veut qu'on les apporte; on le refuse avec humeur: il s'opiniâtre; on s'obstine: alors ses soupçons se tournent en certitude. Il part le désespoir dans le cœur, et va trouver à Dair-el-Qamar, Saad, kiâya217 du prince Yousef, commandant de la montagne. Il lui expose le fait et tous ses accessoires. Le kiâya en est frappé; il lui donne des cavaliers et un ordre d'ouvrir de gré ou de force: le qâdi se joint au marchand, et l'affaire devient juridique; d'abord l'on fouille la terre, et l'on trouve que le paquet déposé est un corps mort, que l'infortuné père reconnaît pour sa fille cadette: on pénètre dans le couvent et l'on trouve l'autre en prison et près d'expirer. Elle révéla des abominations qui firent frémir, et dont elle allait, comme sa sœur, devenir la victime. On saisit la sainte, qui soutint son rôle avec constance; l'on actionna les prêtres et le patriarche. Ses ennemis se réunirent pour le perdre et profiter de sa dépouille: il fut suspendu, déposé. L'affaire a été porté en 1776 à Rome; la Propagande a informé, et l'on a découvert des infamies de libertinage, et des horreurs de cruauté. Il a été constaté que Hendîé faisait périr ses religieuses, tantôt pour profiter de leurs dépouilles, tantôt parce qu'elle les trouvait rebelles à ses volontés; que cette femme non-seulement communiait, mais même consacrait et disait la messe; qu'elle avait sous son lit des trous par lesquels on introduisait des parfums, au moment qu'elle prétendait avoir des extases et des visites du Saint-Esprit; qu'elle avait une faction qui la prônait et publiait qu'elle était la mère de Dieu, revenue en terre, et mille autres extravagances. Malgré cela, elle a conservé un parti assez puissant pour s'opposer à la rigueur du traitement qu'elle méritait: on l'a renfermée dans divers couvents, d'où elle s'est souvent évadée. En 1783, elle était à la visitation d'Antoura, et le frère de l'émir des Druzes voulait la délivrer. Grand nombre de personnes croient encore à sa sainteté; et sans l'accident du voyageur, ses ennemis actuels y croiraient de même. Que penser des réputations, s'il en est qui tiennent à si peu de chose?
Dans le petit espace qui compose le pays des Maronites, on compte plus de 200 couvents d'hommes ou de femmes. Leur règle est celle de saint Antoine; ils la pratiquent avec une exactitude qui rappelle les temps passés. Le vêtement des moines est une étoffe de laine brune et grossière, assez semblable à la robe des capucins. Leur nourriture est celle des paysans, avec cette exception, qu'ils ne mangent jamais de viande. Ils ont des jeûnes fréquents, et de longues prières de jour et de nuit; le reste de leur temps est employé à cultiver la terre, à briser les rochers pour former les murs des terrasses qui soutiennent les plants des vignes et des mûriers. Chaque couvent a un frère cordonnier, un frère tailleur, un frère tisserand, un frère boulanger; en un mot, un artiste de chaque métier nécessaire: on trouve presque toujours un couvent de femmes à côté d'un couvent d'hommes; et cependant il est rare d'entendre parler de scandales. Ces femmes elles-mêmes mènent une vie très-laborieuse; et cette activité est sans doute ce qui les garantit de l'ennui et des désordres qui accompagnent l'oisiveté: aussi, loin de nuire à la population, on peut dire que ces couvents y ont contribué, en multipliant par la culture les denrées dans une proportion supérieure à leur consommation. La plus remarquable des maisons des moines maronites, est Qoz-haîé, à 6 heures à l'est de Tripoli. C'est là qu'on exorcise, comme aux premiers temps de l'église, les possédés du diable. Il s'en trouve encore dans ces cantons: il y a peu d'années que nos négociants de Tripoli en virent un qui exerça la patience et le savoir des religieux. Cet homme, sain à l'extérieur, avait des convulsions subites qui le faisaient entrer dans une fureur, tantôt sourde, et tantôt éclatante. Il déchirait, il mordait, il écumait; sa phrase ordinaire était: Le soleil est ma mère, laissez-moi l'adorer. On l'inonda d'ablutions, on le tourmenta de jeûnes et de prières, et l'on parvint, dit-on, à chasser le diable; mais d'après ce qu'en rapportent des témoins éclairés, il paraît que ces possédés ne sont pas autre chose que des hommes frappés de folie, de manie et d'épilepsie; et il est très-remarquable que le même mot arabe désigne à la fois l'épilepsie et l'obsession218.
La cour de Rome, en s'affiliant des Maronites, leur a donné un hospice dans Rome, où ils peuvent envoyer plusieurs jeunes gens que l'on y élève gratuitement. Il semblerait que ce moyen eût dû introduire parmi eux les arts et les idées de l'Europe; mais les sujets de cette école, bornés à une éducation purement monastique, ne rapportent dans leur pays que l'italien, qui leur devient inutile, et un savoir théologique qui ne les conduit à rien; aussi ne tardent-ils pas à rentrer dans la classe générale. Trois ou quatre missionnaires que les capucins de France entretiennent à Gâzir, à Tripoli et à Baîrout, n'ont pas opéré plus de changements dans les esprits. Leur travail consiste à prêcher dans leur église, à enseigner aux enfants le catéchisme, l'Imitation et les Psaumes, et à leur apprendre à lire et à écrire. Ci-devant les jésuites en avaient deux à leur maison d'Antoura; les lazaristes ont pris leur place et continué leur mission. L'avantage le plus solide qui ait résulté de ces travaux apostoliques, est que l'art d'écrire s'est rendu plus commun chez les Maronites, et qu'à ce titre, ils sont devenus dans ces cantons ce que sont les Coptes en Égypte, c'est-à-dire qu'ils se sont emparés de toutes les places d'écrivains, d'intendants et de kiâyas chez les Turks, et surtout chez les Druzes, leur alliés et leurs voisins.
Cedrenus.
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Village du Kesraouân.
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Dans les montagnes, le mot chaik signifie proprement un notable, un seigneur campagnard.
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Nom des ministres des petits princes.
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Kabal et Kabat. Le K est ici le jota espagnol.
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